De Verlaine au 4ème à Verlaine tout en bas

Le prétexte en est une balade au départ de (et retour à) la librairie La Manœuvre (58, rue de la Roquette) dans le cadre du Festival Bastille Quartier Libre.
- 17, rue de la Roquette (au-dessus du bureau de La Poste), immeuble de 1870, surélevé vers 1900. Verlaine y arrive avec sa mère, jusqu’à un 4e étage (ou 5e niveau) (c'est-à-dire dans les combles avant la surélévation), début 1882, il va fêter son 38e anniv. Son vieil Art poétique, qui date de 1874 et de la prison de Mons : « De la musique avant toute chose, / Et pour cela préfère l’Impair, / Plus vague et plus soluble dans l’air, / Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. » vient d’être publié dans le numéro du 10 novembre 1881 de Paris-moderne, créé en mars 1881, dont l’un des directeurs est le futur Courteline. Grâce à quoi, Verlaine est entré en contact avec les gens de la Nouvelle Rive Gauche, qui se disent symbolistes. Verlaine reçoit ainsi rue de la Roquette, Charles Morice, 22 ans, le « prince des jeunes éphèbes », ou Jean Moréas [26 ans] le « gentilhomme du Péloponnèse », monocle et moustache en pointe d’yatagan, qui s’en va répétant « Je suis un Baudelaire avec plus de couleur ». Moréas a décrit la scène : Mme Verlaine « accueille tout le monde avec une grâce à la fois gamine et maternelle, réédite pour la centième fois des plaisanteries d’une crudité militaire, telles que, en présentant un fauteuil : ‘Monsieur, je vous en prie et même je vous le commande, mettez ici la 17ème lettre de l’alphabet.’ Par gentillesse, Paul fait semblant d’être choqué : « Oh ! Maman ! ». Après que Moréas a déclamé du Baudelaire, Mme Verlaine bondit vers lui, lui demande de fermer les yeux et d’ouvrir la bouche et elle lui fourre « entre les dents un morceau de sucre candi énorme, qu’il doit croquer jusqu’au dernier bout de fil, sous peine d’affliger véritablement la bonne dame ; car elle affirme que c’est ‘souverain’ contre les mots de gorge et en fait elle-même une consommation copieuse ». Ils resteront à la Roquette jusqu’à la mi-1883.

On est ici sur le parcours de jogging du futur Francis Lemarque, peut-être l’auteur qui chanta le plus continûment Paris, adhérent du Club pédestre de l’Etoile rouge, section athlétisme, et participant du 1er Cross international de l’Humanité à Ivry ou Vitry, il ne se rappelle plus, le 26 février 1933.
Quand il s’entraîne dans son quartier, Lemarque a un parcours de « 3 500 pas » : de l’horloge de l’usine Schmit (au fond de la cour du n°22 rue de Charonne) par cette dernière rue, Ledru-Rollin jusqu’à la mairie, en redescendant par la rue de la Roquette et la rue de Lappe pour revenir devant le « chrono » de l’usine Schmit. On va donc faire (une partie de) son parcours à rebrousse-poils
Cette rue de la Roquette est aussi celle de la montée au Père-Lachaise depuis la Bastille : l’avenue de la République ne rejoindra, par tronçons successifs, le boulevard de Ménilmontant qu’en 1892. Par la rue de la Roquette passent donc les 100 000 personnes qui suivent le cortège de Blanqui, en 1881 ; là marchent les 60 000 qui suivent celui de Jules Vallès, en février 1885, dans lequel est visible la couronne de violettes d’un « cercle socialiste  allemand » et d’où fusent les cris de « Vive la Commune » ; des échauffourées y auront lieu comme déjà plus tôt boulevard Saint-Michel, qui feront 90 blessés dont deux graves. En 1887, gravit la pente le convoi d’Eugène Pottier, dont l’Internationale, écrite à la fin de la Commune, germe encore et ne ressurgira des poitrines du mouvement ouvrier qu’une douzaine d’années plus tard.

- Fond Cité de la Roquette : au 5, « styles Dugast », bureaux Renaissance, ISMH. Dans le Bottin de 1930, l’époque où Lemarque court : « Ch. Dugast, fabricant de sièges » et, au même n°, outre Dugast : « P. Delieux, ébénistes ; Jacques, ébéniste ; Lubac, garage pour automobiles ».


- 43-45, rue de la Roquette, la tragédienne Segond-Weber (1867-1945 ; pensionnaire en 1887, sociétaire de la Comédie Française en 1902 ; ses portraits à Carnavalet, ses robes au musée de la Mode). Sur rue, deux bâtiments faubouriens accolés élevés de deux étages carrés sur rez-de-chaussée. Lucarnes en bâtière (couvertes à 2 versants). Eléments de décor (moulures, garde-corps) XIXe mais sur un bâti sans doute plus ancien. Rochegude signale une ancienne faïencerie au n°43 (des frères Darte, qui arrive en 1795 de la rue de Charonne, et sera dirigée ensuite par Olivier, en 1807, puis transférée rue de la Fontaine-au-Roi avant de disparaître en 1825.) Porte cochère ouvrant sur une cour très profonde perpendiculaire à la rue. Ensemble très caractéristique de l'ancien faubourg tant par son ancienneté, sa mixité fonctionnelle que par sa sédimentation. PLU

- fontaine de 1846, alimentée par canal Saint-Martin, qui alimente nb fontaines publiques et maisons particulières sur abonnement.

- 38, rue Keller, domicile en 1895 de Lemoine secrétaire général de la Moissonneuse. « l'une des plus grandes coopératives de l'Europe, selon Georges Sorel, Introduction à l’économie moderne, 1903
[la Moissonneuse, 32 rue des Boulets. La plus importante coopérative de consommation parisienne est née le 14 août 1874 dans un sous-sol de moins de 7 m2, 47 rue Basfroi, de l’effort de 32 d’ouvriers, ébénistes pour la plupart. En 1894, elle comptait 19 succursales dans le faubourg : 8 épiceries, 2 boulangeries à quatre fours, 4 boucheries, 1 magasin de vêtements et de chaussures, 1 chantier de bois et charbons, 1 entrepôt de vins et alcools à Bercy, 15 chevaux dans ses écuries, 150 employés ; elle réalisait 2,5 millions de francs de chiffre d’affaires et possédait pour 252 000 francs de matériel. Elle avait atteint 17 000 membres au 1er janvier 1895. grève du personnel de la Moissonneuse en 1892. Au bout du compte, la Moissonneuse se trouvera mise en liquidation au début de 1904.]

- 36, rue Keller, « volets squelettes », Verlaine, parlant des Batignolles : « ces énormes maisons de plâtre, à cinq ou six étages, avec leurs innombrables volets gris, comme des poitrines de squelettes à plat »

- 29 rue Keller selon Hillairet, mairie du 8e (Marais, Popincourt, Fbg St-Antoine, Quinze-Vingts) de 1860 à 1865. Rue Keller, allée principale d’un marché au charbon ds années 1840, ouverte en 1856.

- 19 Immeuble de rapport construit en 1860, soit quatre ans après l'ouverture de la rue, par l'architecte Avezard et l'entrepreneur Ch. Many pour Antoine Rivoire (monogramme en fonte du propriétaire A.R. à l'entrée). La façade répond aux contraintes du lotissement et du règlement de voirie. Elle se distingue toutefois de ses voisines par une composition savante encore proche des modèles de la Monarchie de Juillet. La façade en pierre de taille comporte cinq travées et quatre étages carrés sur rez-de-chaussée et un étage en retiré. L'étage noble est signalé au centre par un "triplet vénitien" desservi par un balcon et orné de colonnes cannelées à demi-engagées cantonnant les fenêtres en plein cintre. Des refends bordent les deux travées latérales. PLU

On avance jusqu’au début de l’école
- 4 rue Keller de 1855 à 1870, locomotives Anjubault puis Corpet. Auguste Anjubault (1820-1868) est âgé de 35 ans, lorsqu'il crée en 1855, sa société de construction mécanique et machines à vapeur ; expose la même année une locomotive à l'exposition universelle, destinée à la compagnie de chemin de fer de Paris à Orsay pour la ligne de Sceaux ; oriente ensuite sa production vers des machines de chantier très demandées durant cette période de création du réseau de voies ferrées et de compagnies de chemins de fer. Plus de 121 locomotives Anjubault sont sorties de ses ateliers durant les 15 années de l'activité de son entreprise, dont qqs-unes vendues à l’export : « Ramgotty », une locomotive Anjubault de 1862 est exposée au National Rail Museum de New Delhi. Fin 1867, début 1868, il embauche le jeune ingénieur, centralien, Lucien Corpet pour diriger l'entreprise, et décède peu de temps après. Après le décès de son patron, Corpet rachète l'entreprise Anjubault et les ateliers de la rue Keller, et ouvre un nouveau registre de production de locomotives, sur lequel il recopie de sa main la production de la maison Anjubault. La rue Keller, dans le quartier de la Bastille, n'est pas d'un accès facile, du fait de sa largeur et de son encombrement, notamment par les charrettes des charbonniers. Dès 1870 il transfère, la production puis les bureaux, dans une usine plus vaste qu'il a fait construire sur un terrain jouxtant la maison bourgeoise, récemment construite, où il est domicilié, sur les collines de Charonne, 117 avenue Philippe Auguste.
- 4 à 12 rue Keller : Groupe scolaire, Francis Lemarque (alors Nathan Korb), qui y arrive en CP en 1923, connaît encore les anciens bâtiments ; les travaux commencent juste après qu’il a passé son certif, à 11 ans et demi, en 1929, pour s’achever en 1931 : architecte Louis-Hippolyte Boileau en collaboration avec E. Olombel. Les écoles sont bâties sur les branches d'une équerre, comportant à l'origine, l'école des filles dans l'une des branches, et l'école des garçons dans l'autre. Le rez-de-chaussée contient les préaux, ateliers, réfectoires. Les trois étages suivants, les classes et le quatrième en retrait, les logements et salles de dessin. La construction en béton armé, très rationnelle, permet d'éclairer les classes par de grandes baies vitrées. La façade est décorée de grès cérame couleur or entre les nervures de béton armé et de grès émaillé pour les encadrements des fenêtres. Entre chaque classe s'élève une colonne de ciment gris. D'une grande rigueur, le plan répond à un souci de rationalité et de fonctionnalité maximales dans la lignée des équipements réalisés dans l'entre-deux guerres par les frères Perret ou François Le Coeur. Par sa hauteur, son plan, la rigidité de sa façade, il anticipe d'une vingtaine d'années sur l'architecture des collèges industrialisés de l'après-guerre. PLU

On revient sur nos pas pour prendre le passage Bullourde ; on tombe, un peu à gauche ds le passage Ch. Dallery, sur le Foyer de l’Ouvrier :
- Ancien "Foyer ouvrier" construit en 1914 en brique et pierre offrant l'exemple d'une décoration très réussie de la façade à partir de matériaux peu onéreux et faisant écho aux premières constructions sociales à Paris. Le rez-de-chaussée est traité en bossage rustique. Les baies vont par deux et sont couronnées par un épais bandeau qui court sur toute la façade. Le reste de la construction est en brique selon l'usage pour les constructions sociales.
Les fenêtres des premier et deuxième étages sont couvertes d'un linteau de pierre. Les niveaux supérieurs sont particulièrement mis en valeur. Les fenêtres du quatrième étage sont surmontées d'un avant-toit alors que la baie centrale est légèrement plus haute et forme une lucarne à ferme débordante. Au-dessus vient un étage de combles. En mitoyenneté, ancien temple protestant construit en 1882 par W. Hansen au numéro 153 de l'avenue Ledru-Rollin, par où se fait l’entrée. Il comporte en façade un avant-corps en légère saillie, coiffé d'un fronton où figure une bible; foyer protestant de J.F. devenu résidence étudiante du CROUS. PLU

coup d’œil sur l’atelier Michel Cauchard SA, créé en 1948, fabricant de boîtes d’archives ; la boîte Cauchard est devenue un nom commun, c’est la Rolls en la matière.

On traverse Ledru-Rollin

On aperçoit, passage Rauch, le bestiaire de Leonor Rieti, 1990, mosaïque de pâte de verre et en grès
- l’hôtel de Mortagne, construit vers 1650 par Delisle-Mansart pour quelqu’un de la maison d’Orléans. En 1746 , l’hôtel du duc de Mortagne est loué à Vaucanson, inspecteur des manufactures de soie du royaume, qui y installe ses automates (le Joueur de flûte, le Canard digérant et le Tambourinaire), ses machines : pompe à eau, métier à tisser automatique dont il est l’inventeur, et y mène une existence passablement libertine avec sa belle-sœur, sa nièce et, dit-on, « la Religieuse de Diderot ».
N’a-t-on pas pris pour elle, à travers la vitre, l’une des poupées automates ? La religieuse qui a servi de modèle à Diderot, Suzanne Simonin, ayant perdu son procès, n’a pas pu quitter son couvent, seule la créature de roman s’en est échappée. Mais celle-ci est apparue si vraie aux yeux d’un lecteur, le marquis de Croismare, qu’il a pris toutes les dispositions nécessaires pour la recueillir chez lui. D’autres ont pu croire la voir chez Vaucanson.
Après la mort de Vaucanson, ici, le 21 novembre 1782, à 74 ans, son cabinet, légué au roi et placé sous le patronage de l’Académie des sciences, sera ici ouvert au public, plus de cinq cents machines, qui jointes aux machines de l’hôtel d’Aiguillon, rue de L’université, (auj ministère de la Défense), constitueront à partir du 15 juin 1795 le siège temporaire du Conservatoire des arts et métiers (institué par la Convention nationale en 1794), avant de gagner en 1799 le bâtiment de l’ancien prieuré royal de Saint-Martin-des-Champs. Puis les locaux seront mis gratuitement à la disposition d’inventeurs dont, en 1814, Grégoire et sa manufacture de velours.
- Vaucanson part d’ici quand le 28/11/1748 La Popelinière [le fermier général dont Voltaire s’inspire pour le Mondain, protecteur de Rameau et de la musique de chambre] qui a des soupçons lui demande d’inspecter, au 59 rue de Richelieu, l’hôtel qu’il occupe depuis 1839 « vis-à-vis la bibliothèque du roi » et plus exactement, la chambre de sa femme, où le célèbre inventeur découvre qu’une cheminée mobile permet au maréchal duc de Richelieu, locataire de l’appartement contigu, de pénétrer à loisir chez sa maîtresse. Le jouet à la mode, à la Noël suivante, est une cheminée où deux pantins se retrouvent quand on en tire le rideau.

Rue de Charonne ; au fond du passage Josset, on entre ds passage Lhomme :
- Passage Lhomme. Passage le plus complet aux points de vue fonctionnel, morphologique, historique et esthétique. La cheminée de l'usine est un signal monumental important à l'échelle de l'îlot. Suivant une règle récurrente dans le faubourg, le bâti est implanté de la rue de Charonne (bâtiment d'origine du XVIIIe siècle implanté à l'ancien alignement revu dans la première moitié XIXe) vers le passage Josset (bâtiments, ateliers, usine plus récents datant de la seconde moitié du XIXe siècle et vers 1900). Au n°8, maison donnant sur le passage, atelier de menuiserie pour scier le bois, petit bâtiment abritant la machine à vapeur et la cheminée d'usine de section carrée en brique construits vers 1850; atelier surélevé partiellement d' un étage carré et transformé en logement dans la première moitié du 20e siècle (source Inventaire général). PLU. Chaisier M. Provins en 1930.
En 1995 ou 97, Catherine Deneuve figure dans un clip vidéo de Joe Cocker, N'oubliez jamais. Commence avec Deneuve marchant le long du viaduc des Arts ; puis (de 1'32'' à 1'44'') passage Lhomme n°8, plaque ronde Texaco huile pour autos avec le T noir au centre d’une étoile rouge, une pompe à essence jaune, un gros garagiste penché à l’arrière d’une dauphine noire, un jeune mécano sort du garage en chantonnant, et laisse tout tomber pour suivre une blonde qui passe et qui pourrait évoquer Deneuve à l’époque des Demoiselles de Rochefort.

- 16, rue de Charonne, chambre syndicale ouvrière du meuble, subventionnée par la ville : elle réunit 3 fois par semaine 200 apprentis en 1891. Très beau bâtiment indus en fond de cour. L’enquête du début de 1891, nous y montre un ouvrier actif, qui est un « ouvrier journalier ds le système des engagements momentanés » qui travaille pour « le meuble de haut luxe ». Secteur qui ne travaille qu’à la commande : au Fbg, 145 patrons donnent de l’ouvrage à 4 000 ouvriers. Le nôtre gagne 80 cts/h pour ces meubles-là, tarif syndical, à raison de 10h/j => 8F/jour, sauf dimanche. Pr les meubles ordinaires, le travail est donné à forfait et représente environ 6,72 F/jour. Le pain est à 50 cts le kg. Cet ouvrier possède pour 150 F d’outils, le patron ne lui devant que l’établi, les presses et les serre-joints. Dans ces 129 F de capital financier, outre son fonds de roulement et quelques sous à la caisse d’épargne, il y a une action de la Moissonneuse de 60 F.
Au rang du dessous, c’est le meuble courant ou bourgeois, dans lequel le 1er rôle est aux marchands ; env. 7 000 ouvriers. Puis la trôle, meubles faits d’avance que l’on vend sur charrette à bois ou le samedi sur l’av Ledru-Rollin ; env. 700 trôleurs. Flamands, Alsaciens, Allemands surtout, Wallons, Piémontais.

- 18 à 24, rue de Charonne : Schmit et Cie, ameublements, ébénisterie, tapisserie. S’installe au n°22 en 1828, dix ans après sa fondation par Frédéric Schmit, Luxembourgeois. Prendra le nom de Alavoine et Piollet, Schmit et Piollet (l’ébéniste de Napoléon III) en 1874. Fabrication de mobilier, agencement général, installation boutiques, châteaux, bateaux. Entre les 2 guerres nb agencement de bateaux dont le paquebot Normandie. Dirigée par les 2 frères Jacques et Jean Schmit. En 39, se replie sur Laugère (Cher). A la Libération, fait surtout du mobilier pour ministères et scolaire. En 1948, l’usine de Charonne est vendue et l’entreprise s’installe à St-Maur des Fossés (94), où elle est tjs, avec siège social bd St-Germain sous le nom de « Schmit Industrie ». C’est dans cette cour qu’est l’horloge repère de Francis Lemarque.

En face : [cour du Panier fleuri (du nom d’un opéra-comique d’Ambroise Thomas, 1839) au 17 rue de Charonne ; là était la boutique de J.-B. François, emballeur, directeur de la prison de la Roquette pendant la Commune. Quand la guillotine est brûlée, le 6 avril 1871, en face de la mairie du 11e, par le 137e bataillon de la garde nationale, les cinq dalles qui servaient d’appui à l’engin seront arrachées et transportées là. François sera fusillé à Satory.)]

On traverse pr aller au 74, rue du Fbg St-Antoine. dès 1835, Krieger, de Strasbourg, puis Racault, puis Damon et Cie ; 500 ouvriers en 1880, la seule usine intégrée regroupant ts métiers du meuble sur 2 ha de bureaux, d’ateliers, de magasins. En 1868, le fond de la cour est fermé par un atelier et par la cage de la machine à vapeur au-dessus desquels se dresse la cheminée d'usine ; Immeuble sur la rue du faubourg Saint-Antoine de 5 étages carrés construit en pierre de taille, entre 1880 et 1885. PLU

Si possible on traverse sinon on va jusqu’au

 - Passage du Chantier, en regardant, à g. de celui-ci : Immeuble à usage mixte activité et logement construit en 1891 par l'architecte Louis Salvan pour Couder (demande d'autorisation de bâtir : B.M.O. 15 août 1891). Composé de trois travées, il se caractérise par la superposition de trois niveaux d'activité sur rez-de-chaussée surmontés de deux niveaux de logements. Chaque fonction est bien identifiée : les étages d'activité affichent de grandes baies vitrées et les niveaux d'habitation arborent l'écriture plus traditionnelle de l'immeuble de rapport. L'esthétique composite qui en résulte n'occulte pas pour autant l'inspiration des grands modèles parisiens. La partie basse de l'immeuble a été réaménagée par l'architecte Jean-Michel Wilmotte en 1991 (modifications des baies et des menuiseries notamment). Sa position, face à l'embouchure de la rue de Charonne, lui confère en outre une grande importance dans le paysage urbain. PLU

- 5 passage du Chantier : entre 1835 et 1852, logements et ateliers construits au nord et à l'est de la cour lorsque celle-ci est amputée de la parcelle 52 et petit immeuble édifié rue de Charenton ; entre 1852 et 1883, vastes ateliers édifiés passage du chantier et rue de Charenton ; ces derniers sont transformées en école de garçons par l'architecte Lheureux, doublée d'une école de filles par Calemard en 1891. PLU.

Puis, à gauche jusqu’au 59 rue de Charenton ; en 1886, Damon et Cie fait démolir et reconstruire avec un retrait de 1, 80 m l'immeuble par l'architecte Renault, de 4 étages carrés et un étage de comble construits en pierre avec brique en remplissage. PLU

On est en face de la rue Moreau : -7 rue Moreau, administration de L’Ame annamite, voir sur ce blog la page « Actualisations Paris Ouvrier »
 
- Le 15 mai 1885, 2 ans après son départ du 17 rue de la Roquette, Verlaine vient habiter… mais laissons la parole à Vielé-Griffin, le poète symboliste de 20 ans son cadet, qui y arrive par l’extrémité opposée à la nôtre : « Dépassant donc la Bastille, lieu encore lointain à cette époque pré-métropolitaine, nous suivîmes le viaduc du chemin de fer de Vincennes, sous les arcades duquel se blottissent encore des boutiques et des habitations cintrées d’entresol. Mais voici qu’une voûte s’ouvre, donnant accès à une rue ; nos indications s’en confirment ; hardiment nous franchissons l’humble arc de triomphe et, curieux bien que peu rassurés, nous tournons sans hésiter à gauche pour nous trouver dans une grande cour aux larges pavés gras de lessive et de déchets alimentaires… un lavoir laissait échapper la vapeur de son essoreuse et des gaillardes aux manches retroussées vidaient à même le ruisseau leurs baquets d’eau bleue… bientôt nous voici reçus par le poète. Une chambre de rez-de-chaussée, triste et nue : deux chaises ; une table devant la fenêtre sans rideaux portait des livres, parmi lesquels nous reconnûmes, non sans émotion, nos premières plaquettes ; un lit, à rideaux de lustrine verte, faisait face à la fenêtre et, l’œil fixe vers la cheminée sans glace où s’accumulaient brochures et journaux, un mauvais portrait de Verlaine, toile nue et sans cadre, pendait à un clou. C’était sinistre. » Ca s’appelle l’hôtel du Midi, maison plus ou moins de passes, au n°6 de la cour St-François qui ouvre au n°5 de la rue Moreau ; et la chambre est une espèce d’arrière salle de la buvette du marchand de vins qu’il faut traverser pour y accéder.
En octobre, il reçoit de Mallarmé, une enveloppe sur laquelle figure ce quatrain :
Tapi sous ton chaud macfarlane / Ce billet, quand tu le reçois / Lis-le haut ; 6 cour Saint-François / Rue, est-ce Moreau ? cher Verlaine.
Et la lettre arrivée à bon port, Mallarmé suit.
A l’hiver, Verlaine a la jambe dans une gouttière, plâtrée, et sa mère qui le veille jour et nuit en attrape une pneumonie. Le 21 janvier 1886, elle meurt dans une chambre du 1er étage. L’escalier est trop étroit pour qu’on puisse monter Verlaine sur une civière afin qu’il lui donne un dernier baiser. De la même façon, le cercueil sera descendu par la fenêtre, Verlaine ne l’a pas revue et ne sera pas à la messe d’enterrement qui est dite dans la chapelle des Quinze-Vingts. Il va rester là encore un an ou un an et demi après quoi il sera plus souvent à l’hôpital que n’importe ou ailleurs : 20 séjours en 10 ans. Pour Verlaine, voir d’Alain Buisine, Verlaine Histoire d’un corps, Tallandier, 1995.

La folie en tête: des Belles de la Grange à Binet Alfred

Le prétexte en est une "découverte de leur Paris ouvrier" destinée aux lecteurs de la bibliothèque François Villon, 81 boulevard de la Villette, 10e arrondissement. Trajet Retour ci-dessous. Voir: Sur les quais, ou 3 Susset à la manque pour le trajet Aller.

42, rue Bichat. C'est dans la cour actuelle de l'Ecole Lailler, dans l'angle sud est de l'hôpital, que fut établie la première usine à gaz de France : trois cents becs de gaz s’y allument le 1er janvier 1818. "sous les auspices de M. le Comte de Chabrol" dit la plaque commémorative, avec le concours de la Ville de Paris et du Conseil général des Hospices. C’est le premier établissement public éclairé par ce moyen. Le Comte de Chabrol était alors Préfet de la Seine. L'usine  de Philippe Le Bon ne fut fermée qu'en 1860.

"Lailler était un vieux huguenot particulièrement docile aux suggestions de sa conscience. C'est lui qui suggéra à l'Assistance publique, l'idée de créer à l'hôpital Saint-Louis, en 1886, une école, (Elle porte aujourd'hui son nom) où l'on traiterait les enfants teigneux, évincés des écoles publiques pour cause de contagion, et qui devenaient de petits vauriens." Dr Raimond Sabouraud (1937)

- Maison des Syndicats, 33 rue de la Grange-aux-Belles, impasse Chausson.
Expulsée de la Bourse du Travail le 12 novembre 1905, la CGT loue d’abord un local provisoire puis Robert Louzon, qui vient d’hériter, achète le 5 juin 1907, pour elle et les fédérations qui voudront y installer leur siège un immeuble, ce que la loi de 1884 ne permet pas aux syndicats de faire directement. Victor Griffuelhes, son secrétaire général, y installe au rez-de-chaussée une imprimerie, où Monatte entrera comme correcteur en janvier 1908, et où s’imprime la Voix du peuple, l’hebdomadaire de la confédération depuis son 5e congrès, celui tenu à Paris du 10 au 14 septembre 1900. Un dispensaire doit servir à la rentabilité de l’ensemble. Daniel Guérin sera lui aussi, dans les premières années 1930, correcteur à cette imprimerie, où il croisera Arrachard, des terrassiers, et Eugène Hénaff qui porte toujours les larges pantalons de satin noir et la casquette du cimentier.
Le 31 juillet 1908, à l’imprimerie, Monatte et Emile Pouget (celui du Père Peinard, rédacteur en chef de la Voix du peuple) travaillent à un numéro de La Voix du peuple qui appelle à la grève générale pour le 3 août. La veille, ils ont assisté à la charge de la cavalerie sur la manifestation de Villeneuve-Saint-Georges, qui a laissé 4 morts et 200 blessés sur le carreau. A l’étage, le Comité confédéral est convoqué pour minuit ; Monatte, au sortir de son travail, va coucher par prudence chez un ami correcteur. Le bureau confédéral n’était pas chaud pour la manifestation de Villeneuve. La grève du bâtiment avait commencé dans les sablières de Draveil-Vigneux et durait depuis deux mois ; le 2 juin, la police y avait déjà fait 2 morts et 10 blessés graves. Depuis la tension montait, et il était clair que Clémenceau recherchait l’épreuve de force ; le terrible bilan de la veille, s’il était insupportable n’était malheureusement que trop prévisible. Au petit matin, le préfet de police, Lépine, venait mettre fin aux débats en arrêtant Griffuelhes, Pouget et Marie.
Alors qu’il est en prison avec la majorité du Comité confédéral, Griffuelhes est mis en cause pour sa mauvaise gestion par le trésorier de la CGT. Quand il en sort, après le non-lieu du 31 octobre (il a été arrêté le 1er août), il refuse en bon libertaire de rendre des comptes et préfère ne pas demander le renouvellement de son mandat en février 1909. Pouget ne se représente pas davantage au poste de rédacteur en chef de la Voix du peuple. Léon Jouhaux succède à Griffuelhes le 13 juillet 1909 ; il est ouvrier à la manufacture d’allumettes d’Aubervilliers, est passé par un cercle anarchiste, a fréquenté les Universités populaires. Il porte casquette, barbiche et moustache impériales, la cravate Lavallière, des pantalons bouffant aux genoux et serrés aux chevilles. C’est Jouhaux qui entraînera la CGT dans l’Union sacrée et le soutien à la guerre.
Pendant la guerre, le bureau d’Alphonse Merrheim, secrétaire de la Fédé des Métaux, à la Grange-aux-Belles est le lieu de rassemblement de tous les minoritaires qui passent ; Merrheim fait reparaître l’Union des métaux pour le 1er mai 1915 : un numéro anti-guerre, dont il écrit les articles avec Rosmer. Ensemble, ils s’occupent de son impression et organisent la distribution de 15 000 exemplaires. Avec Raymond Péricat, du bâtiment (Péricat a été le créateur du 1er PCF, en mai 1919, qu’il a doté du drapeau noir et rouge qui apparaîssait ainsi pour la 1ère fois en France), et Bourderon, des tonneaux, le secrétaire de la fédération des métaux organise le Comité d’action internationale, le 21 novembre 1915, qui a son siège ici, et qui deviendra le Comité pour la Reprise des Relations internationales le 7 février 1916. Mais Merrheim refusera d’accéder à la demande de Péricat d’organiser un arrêt de travail le 1er mai 1917 et finira à l’aile droite de la CGT. 
Si la Grange-aux-Belles est d’abord syndicale, la politique n’en a jamais été exclue. Les 4, 11 et 19 avril 1909 s’y était tenu un congrès anarchiste pour la constitution d’une Fédération révolutionnaire. Du 7 au 10 octobre 1918, s’y déroule, dans la grande salle de la CGT, le congrès national du PS, dont la journée inaugurale a eu lieu à la Bellevilloise. Et, après la scission, du 15 au 17 mai 1921, le premier congrès national administratif du PC décide ici que le parti s’appellera Parti communiste S.F.I.C. à compter du 1er janvier de l’année suivante, en même temps qu’il adopte et publie ses premiers statuts. Le deuxième congrès du parti communiste S.F.I.C. s’y réunit à nouveau le 15 octobre 1922, devant un unique portrait de Marx en couleurs, et le délégué du Komintern, Manouilsky, soustrait à l’observation de la police par une coupure du courant comme Clara Zetkin l’avait été au congrès de Tours. Auparavant, N’Guyen Aït Quoc, le futur Hô Chi Minh, et Hadj Ali Abdel Kader, le quincaillier de la rue Mouffetard, y sont intervenus sur l’importance de la question coloniale.

Didot-Bottin 1920 signale au 33 Grange-aux-Belles, un apprêteur d’étoffes ; un fabricant d’articles de voyages ; la Maison des syndicats ; un géomètre ? (est-ce ce qu’il faut comprendre sous l’intitulé « mesures linéaires » ?) ; un fabricant de boas et collets en autruche et en marabout. Il serait amusant que l’actuelle galerie Canal Pictures & Art, joli local industriel au 4 impasse Chausson, occupât précisément l’atelier de l’ancien fabricant de boas.

A l’été 1923, à la Grange-aux-Belles, il y a un meeting toutes les semaines, à en croire Jacques Valdour, et 2 à 3 000 auditeurs à chaque fois. A l’entrée, des camelots vendent La Bataille syndicaliste, L’Avant-Garde aussi bien que le Libertaire, et l’Ouvrière, l’hebdomadaire que le PC a lancé en novembre de l’année précédente, à 3 000 exemplaires, et qui aura une dizaine d’années d’existence, non sans quelques interruptions. Sur les tables, des livres qui ont pour titre Le droit à l’amour pour la femme ou Les douze preuves de l’inexistence de dieu, par Sébastien Faure.
Et puis voilà que la cohabitation se fait difficile. Le 11 janvier 1924, nouveau meeting du PC contre la vie chère et la politique gouvernementale en Allemagne ; les anarchistes, qui ont déjà protesté contre l’utilisation de ce local syndical par un parti, vont y porter la contradiction, et la réponse revient sous forme de plomb : 2 anars sont tués sauf que, selon May Picqueray « Comble de cynisme, un délégué du P.C. alla trouver la famille Clot, présenta la chose à sa façon et le P.C. fit à Clot de magnifiques funérailles... après l'avoir assassiné ! » Effectivement, l’appartenance politique de ce dernier reste controversée, mais la guerre est ouverte au sein du mouvement ouvrier français.
L’unité, celle en tous cas des communistes et des socialistes, se remettra en marche après février 1934. En commençant par le sport : les 23 et 24 décembre, les délégués de 515 clubs de l’USSGT socialiste (environ 7 000 membres) et de la FST communiste (environ 11 000 membres) décident ici de la fusion qui crée la FSGT. Le 12 février 1935, s’y tient l’un des trois meetings commémoratifs des évènements de février 1934 ; c’est Marceau Pivert qui est à la Grange-aux-Belles (Zyromski est à la Mutualité) pour la fédération de la Seine du PS, partageant la tribune avec le PC, la CGTU et le Comité de Coordination Unitaire Antifasciste. Enfin, le 8e et dernier congrès de la CGTU s’achève ici le 27 septembre : au soir, on s’en va rejoindre à la Mutualité, où il s’y déroulait, le congrès de la CGT.
Le 2 décembre 1936, l’association des Amis de l’Union soviétique, Jean Lurçat et Fernand Grenier en tête, y répondait au Retour de l’URSS d’André Gide
En 1949, Aragon y présentait aux lecteurs ouvriers le premier tome de ses Communistes.

25 à 27 rue de la Grange Aux Belles. Maison basse de faubourg avec porche ouvrant sur une profonde cour bordée d'une construction d'un étage sur rez-de-chaussée. Lucarnes. PLU

Avant de pénétrer dans l’hôpital Saint-Louis, en face, on laisse Sabouraud nous rappeller la mémoire de Lailler :

 « un médecin de Saint-Louis qui fut un grand homme de bien. Après la Commune de Paris en 1871, lors de la rentrée dans Paris des troupes régulières, l'hôpital Saint-Louis regorgeait de blessés du parti vaincu. Lailler alors en fit fermer les portes et se tint derrière elles pour répondre à toutes réquisitions des autorités. Le vieux médecin avait accroché à sa vareuse d'hôpital sa croix de la Légion d'honneur.

Plusieurs officiers de l'armée régulière se présentèrent pour perquisitionner dans l'hôpital, il les convainquit assez facilement de n'en rien faire, et ils passèrent. Un dernier survint, plus arrogant, qui voulut bousculer le vieux médecin et passer outre. Alors celui-ci arracha sa croix de la Légion d'honneur et la lui jeta au visage. (Il n'en porta plus jamais l'insigne). L'officier dernier venu, frappé d'étonnement devant ce geste du médecin, se retira lui aussi. Ainsi furent sauvés les blessés qui remplissaient les salles de chirurgie. »

25 mai 1895 inauguration d’un buste du Dr. Lailler sculpté par Hannaux, Emmanuel (1855-1934),

 

- 1 av Claude Vellefaux : Enfin, c'est Lailler encore, qui, ayant rencontré un mouleur italien, Baretta, capable d'imiter à s'y méprendre les fruits en pâtes colorés, le fit installer à l'hôpital Saint-Louis pour y reproduire par des moulages les principaux types des diverses affections cutanées => musée de dermatologie inauguré en 1889. »


- rue Jean Moinon (future rue Jean et Marie Moinon ?) Le comte Adolphe de Madre de Loos achète les terrains en 1856, les loue à de petits entrepreneurs pour 18 ans, à charge pour eux d’y construire des bâtiments dont la propriété reviendra au comte de Loos au terme du bail. Construit lui-même 2 ensembles dans le haut du passage. La « colonie de la rue St-Maur » (elle s’étend dans le quadrilatère : rue Jean Moinon, alors passage St-Louis / rue du Buisson St-Louis / rue St-Maur / rue de la Chopinette (devenue Sambre et Meuse)) comme dira la délégation ouvrière à l’expo internationale de 1867 : « Tout y est mesquin, l’air y manque… L’on sent tjs là comme partout la prétention de la charité qui impose ses règlements. » Le couple Moinon tient, pendant la 2ème guerre mondiale, 19 rue du Buisson St-Louis, le café des Aiglons qui est toujours propriété de la famille de Loos)

- L’Egalitaire, 13, 15 et 17 rue de Sambre-et-Meuse. Née d’une proposition faite dans le Rappel de juin 1876, la coopérative avait débuté dans un magasin loué 31, rue de la Chopinette (auj. Sambre et Meuse), ouvert seulement le dimanche matin, et trois jours par semaine de 20h à 22h. A son conseil d’administration, siégeait le mécanicien Murat, l’un des signataires du manifeste proudhonien des 60, et qui avait été du premier voyage de Londres, à l’origine de l’Internationale. La coopérative était alors moins chère de 14 à 17% si l’on ajoutait à ses prix réduits la ristourne de fin d’année.
En 1887, elle achetait le terrain de la rue Sambre et Meuse, et y faisait construire, sur trois niveaux : des caves avec monte-charges, les magasins et une salle de ventes au rez-de-chaussée et, au premier étage, un magasin pour la rouennerie et la bonneterie, la confection, la chapellerie et les chaussures, les articles de ménage et les articles de Paris, la comptabilité, la salle d’attente des fournisseurs et trois salles modulables pouvant en constituer une seule de 8 mètres sur 10 mètres.
Aujourd’hui, au chapiteau des travées, on voit encore le E de l’Egalitaire, dont un fil à plomb, suspendu à un triangle, forme la barre médiane. L’Egalitaire comptait 6 000 sociétaires en 1905 et acquérait l’année suivante l’immeuble du n°17 pour y faire  installer une salle des fêtes, qui pût être salle de réunion pour 450 à 500 personnes. Y était adjointe une buvette où l’on trouvait aussi du pain, du saucisson et des œufs rouges en saison [œufs colorés en rouge avec de l’alun et du bois de campêche, vendus du milieu de février à Pâques, à raison d’un million par an à Paris]. La boucherie et la charcuterie étaient rapatriées au siège à cette date. A côté, une épicerie, dont le pain était fourni par la Boulangerie communiste, et la « répartition » (en coopératisme, on ne dit pas la vente) des chaussures – dont les produits fabriqués par la Cordonnerie ouvrière – de l’habillement (« la Haute Nouveauté »), des articles de ménage. A compter du 1er décembre 1906, un service de livraison à domicile serait organisé les mardis, jeudis et samedis. On trouvait encore à l’Egalitaire un atelier de réparation de chaussures et, au 13, un chantier où étaient entreposées les 600 tonnes de charbon achetées en 1903. Tous les mercredis soirs, des consultations médicales gratuites y avaient lieu.
A l’entrée de l’Assemblée générale de 1906, la première à se tenir dans la grande salle récemment inaugurée, le Cercle socialiste des coopérateurs de l’Egalitaire a installé une table pour percevoir les souscriptions et les abonnements mensuels au journal l’Humanité. L’AG approuve, de surcroît, une subvention de 200 F à la même Humanité, une de 100 F à la Ruche, l’école libertaire de Sébastien Faure – on rappelle à cette occasion que la Bellevilloise, elle, a donné 500 F – et une troisième de 100 F à Vox Femina. On demande également l’attribution d’une subvention pour la Symphonie de l’Egalitaire, de sorte de l’élever au rang des musiques des sociétés sœurs : la Bellevilloise, la Revendication de Puteaux, l’Avenir de Plaisance, etc. La Symphonie s’engagerait en contrepartie à donner trois grands concerts par an, et des cours gratuits de solfège, de violon, de chant et de danse aux enfants des sociétaires.
L’Egalitaire comptera bientôt sept succursales, marquées de A à G : deux dans le 19e, trois dans le 11e, une dans le 18e et une dans le 10e.
Le 6 décembre 1908 s’était créée la Fédération Sportive Athlétique Socialiste (FAS), pour « donner aux jeunes gens les mêmes distractions qu’on leur propose ailleurs et en leur inculquant des idées qu’on leur apprend ailleurs à combattre », comme l’écrirait un journal socialiste de 1912. L’Égalitaire constitua son propre club sportif en avril 1910. A compter d’août 1912, la FAS et son Comité régional de la Seine qui, outre des clubs de banlieue regroupait, pour Paris, le Club athlétique socialiste de Ménilmontant et la Sportive Amicale de la Gare, étaient domiciliés à l’Egalitaire. 
Le 1er août 1914, en pleine mobilisation, la CGT se réunissait à l’Egalitaire. Seul Raymond Péricat (secrétaire de la Fédé du Bâtiment ; futur gérant de la colonie de vacances (près de Meaux) de la Bellevilloise) y réclamait une action de masse.
Durant la guerre, la FAS était devenue FSSG, et serait FST en juin 1919, le S y étant désormais l’initiale non plus de « socialiste » mais de « sportive ». La branche sportive scissionne comme toutes les autres organisations ouvrières, une partie des membres allaient voter, en juillet 1923, l’adhésion à l’Internationale rouge des sports, et l’autre pas. L’Egalitaire ayant voté rouge, les minoritaires durent s’en aller, rue Biscornet, les majoritaires gardant le sigle FST et le bulletin Sport ouvrier, dont ils feraient l’hebdomadaire Sport à compter du 5 octobre 1933.
A cette date, au 17, se trouvait désormais la Librairie du Travail, toujours gérée par Marcel Hasfeld, avec pour devise : « la vie enseigne, le livre précise ». Elle publiait, dans sa Bibliothèque communiste, les Quatre premiers congrès de l’Internationale communiste et, un peu plus tard, dans sa Bibliothèque de l’opposition communiste, la Troisième période d’erreurs de l’Internationale communiste, de Léon Trotsky.

- 52-56 avenue ClaudeVellefaux (16 à 18 rue Vicq d'Azir) Ecole municipale construite par l'architecte-voyer Eugène-Vincent Pierron, entre 1890 et 1892. Elle constitue un remarquable exemple de l'architecture scolaire de la IIIe République. Le plan de l'immeuble est en H : deux ailes entourent les cours. La façade est en brique, les fenêtres en métal et les détails en céramiques de façades. PLU

- 17 rue Vicq-d’Azir est domiciliée en 1931 l’Armonia Desportivo, affilié à l’USSGT et recrutant parmi les immigrés espagnols.

- 36, rue de la Grange-aux-Belles 1905. Alfred Binet fait reconnaître officiellement comme «laboratoire de pédagogie expérimentale» le centre de recherches situé dans une école du quartier populaire de Belleville à Paris où il travaillait depuis déjà longtemps en collaboration étroite avec Victor Vaney, le directeur de cette école. Binet décrit ainsi ce labo : 1 petite pièce de 5m sur 4m, au rdc d’un petit pavillon qui prend jour sur un préau découvert. Les tableaux d’expérience qui garnissent les murs ont été composés entièrement par M. Vaney.
Il avait cherché à établir si le rythme de la croissance somatique des enfants était corrélé avec le milieu socio-économique des parents. On manquait de typologie, Victor Vaney distingua 4 groupes : Misère : enfants qui sont inscrits à la cantine gratuite et pour la distribution de vêtements et chaussures de la Caisse des Ecoles ; Pauvreté : enfants inscrits pour les vêtements et chaussures seulement, ou fils de veuves ou femmes seules, vivant de leurs salaires sans recours à l’assistance de la caisse des écoles ; Médiocrité : enfants d’ouvriers, d’employés ou de petits fonctionnaires qui n’ont pas besoin d’assistance sous aucune forme. Élèves inscrits à la classe de garde. Aisance : enfants de commerçants, d’industriels, de contre-maître ; ou de ménages d’employés ou fonctionnaires dont le mari et la femme travaillent sans qu’il y ait plus de 2 enfants de moins de 16 ans.
De l’avis de Vaney, son école était dans « un quartier de niveau moyen quoique plutôt pauvre », néanmoins, c’est la table de moyenne obtenue par la mensuration (taille, poids, diamètre bi-acromial (distance entre pointes des épaules), capacité pulmonaire, force musculaire, volume crânien) de plus de 200 enfants, au jour même de leur anniversaire, qui fréquentaient cette école, qui sera considérée comme approximativement représentative de la population parisienne.
René Zazzo : « Soixante ans après sa mort, le 5 juin 1971, une plaque fut apposée au 36, rue de la Grange-aux-Belles à Belleville, à l'issue d'une cérémonie à laquelle j'avais été convié. Au fond de la salle où se déroulait la cérémonie d'hommage à Binet, se tenait une vingtaine de vieilles gens.
«Qui sont-ils?» demandais-je au directeur de l'école. La réponse m'émut plus que tous les discours que nous venions d'entendre: «les survivants des écoliers que Binet a examinés au début du siècle dans notre quartier de Belleville.» »
Les années suivant 1905 seront consacrées principalement à la mise au point de son fameux test de QI.
« Cet instrument est le 1er exemple d’une mesure directe de la valeur psychologique des individus. Il a assuré l’idée de l’inégalité des hommes sur une base qui se sentait vague. Il a permis de montrer son rôle universel et mis à jour cette inégalité. » écrira Théodore Simon, le continuateur, dans sa préface à La mesure du développement de l’intelligence chez les jeunes enfants, 1926. Claparède, Piaget passeront au Labo du 36. Pour la critique du Binet-Simon et autres révélateurs de "l'inégalité des hommes", voir l'irremplaçable: Michel Tort, Le quotient intellectuel, éd. Maspéro, Paris, 1974, rééd. en 1982, etc.

Sur les quais, ou 3 Susset à la manque


Le prétexte en est une "découverte de leur Paris ouvrier" destinée aux lecteurs de la bibliothèque François Villon, 81 boulevard de la Villette, 10e arrondissement. Ci-dessous: trajet Aller.

Le 8 novembre 1931, Eugène Dabit, dont les parents tiennent l’Hôtel du Nord depuis 1923, répond à une invitation d’André Gide : « Vous étiez soucieux des troubles de ce temps. Combien je le ressens. Ne vous verrai-je pas un jour dans ce quartier de Belleville ? Bien autrement qu’à travers des discussions entre intellectuels vous sentirez vivre le drame. Moi, je puis vous conduire un peu, là où ne vous conduiraient pas Fernandez, Chamson, Prévost ni vous-même. » Gide accepte le 10, la balade aura lieu quelques jours plus tard. Comme quoi savoir déambulatoire et savoir livresque se complètent ; balades et bibliothèques, c’est tout un.

- station métro Colonel-Fabien, bd de la Villette, 1er quart 20e siècle ; site inscrit le 6/08/1975.

- répartition de la Bellevilloise, 4 place du Combat (auj. du Colonel Fabien). Sur un terrain racheté à l’Union des syndicats de la région parisienne, la Bellevilloise ouvrit le 1er octobre 1928, un magasin d’alimentation générale, de boucherie, de charcuterie, de quincaillerie et d’articles de ménage. Ce sera sa dernière ouverture avant les faillites de 1934 et 1936. Dans la salle Lénine, devenue Cinéma Bellevillois, de la maison mère, rue Boyer, Gide assistera à une projection du Cuirassé Potemkine en décembre 1934.

Du 186 au 206, quai de Valmy, les anciens établissements Susset (le monogramme est toujours là au dessus de la porte du 186), plâtre, chaux, ciment, de Raymond Susset. Le patron est élu député du Xème en 1932, réélu en 1936 ; appartient à des groupes scissionnistes de la SFIO genre Républicains-Socialistes. (Votera les pleins pouvoirs à Pétain en 1940, sera RPF après la guerre (sénateur de Guinée > 1958, date de l’indépendance du pays).
Au 206, la jolie grille marquée « Jardin d’enfants », à côté de ce qui est maintenant la Maison des associations, donne accès à la terrasse et à ce qui sera connu comme « Salle Susset ».  Robert Sabatier, 3 sucettes à la menthe : «...Au-delà de la rue Louis-Blanc, le long du quai, derrière les peupliers et les platanes, l'installation des établissements Susset, matériaux de construction, se dressait, dominée par une longue terrasse avec une salle de spectacles : on y amenait les élèves des écoles le jeudi après-midi pour assister à des représentations populaires des comédies de Molière et des tragédies de Corneille et de Racine. Olivier [nom que prend le petit Sabatier dans le roman] n'oublierait pas ce lieu où il découvrit, de manière inhabituelle, au-dessus des sacs de plâtre et de ciment, des parpaings et des briques, le grand théâtre classique...».
Joseph Bialot, Belleville Blues : « Chaque jeudi elle [l’entreprise Susset] mettait ses locaux à la disposition des écoliers du 10e arrondissement - toujours le paternalisme social de l'époque -, et leur projetait un film gratuitement. »
 Robert Sabatier, qui était en classe avec le fils Susset, rue Eugène Varlin (où Susset père avait déjà été élève), raconte: " Nous étions obligés de porter un tablier, lui était en costume de golf. Ça nous agaçait, il était le chouchou ! ". On notera au passage que Robert Sabatier, pour lequel les Susset ont tant compté, aura presque titré son roman : 3 Susset à la manque !
Au 206, salle Susset, Les Jeunesses Socialistes Révolutionnaires, qu’ont fondées en janvier 1936 les jeunes de la Fédé de la Seine de la SFIO, exclus depuis six mois déjà du PS, y font la fête le 10 décembre 1936. Dans cette Fédé plus à gauche que le parti, tenue par Marceau Pivert et Zyromski, ces jeunes dits Bolchéviks-Léninistes, sont majoritairement des trotskistes qui faisaient de l’entrisme à la SFIO. Animent leur fête, les agitateurs culturels de la FTOF (Fédération du Théâtre Ouvrier de France) : Sylvain Itkine, O’Brady, les frères Marc (dont l’un deviendra Francis Lemarque), le mime Etienne Decroux, Jean-Louis Barrault, etc. La rédaction de leur mensuel, Révolution, est là aussi: David Rousset, Yvan Craipeau.
Le 17 juin 1938 se tient au même endroit la conférence constitutive des Jeunesses du PSOP (Parti Socialiste Ouvrier et Paysan), le parti que crée Marceau Pivert quand toute la Fédé de la Seine se voit exclue du PS ; les trotskistes y seront vite majoritaires.

214 rue Lafayette Eglise Saint-Joseph Artisan. (on en aperçoit le chœur depuis le quai de Jemmapes) Implantée en cœur d’îlot, cette église de style néogothique a été construite entre 1865 et 1866 pour la mission allemande et luxembourgeoise. Attribuée à l’architecte Lucien Douillard, elle était destinée aux immigrés allemands, artisans et ouvriers travaillant aux différents chantiers de la capitale. En 1847, les Allemands sont plus de 60 000 à Paris – dans une ville de 1 million d’habitants - dont 35 000 tailleurs, cordonniers, menuisiers du bâtiment ou ébénistes. Martin Nadaud évoque, sur tous ses chantiers, « une équipe de bardeurs allemands excessivement forts », ou ses « bardeurs, tous de solides gars allemands ». Jusqu’à 1870, Paris était la 3ème ville allemande après Hambourg et Berlin.

194, hôtel particulier des patrons des charpentes Laureilhe, l’entreprise était au 198 ; fermera en 1935. « Tout le quartier du canal était composé d'anciens hôtels particuliers transformés en bureaux, en manufactures, en dépôts de fabriques. On trouvait de profondes cours avec des hangars, des baraquements, tout un monde de pots de fleurs, de chats, d'oiseaux en cage, de ferrailles, de pneus usagés, de vieilles bicyclettes...» Sabatier, 3 sucettes Ici, il ne s’agit pas d’ancien hôtel particulier transformé en bureaux mais du logis patronal.

186 quai de Jemmapes, réalisation de Jean Dumont : une agence commerciale, un central téléphonique et des bureaux pour les PTT, quai de Jemmapes à Paris 10ème. A remplacé la cartonnerie Chouannard.
On retrouve dans ce bâtiment la grande maîtrise de l’architecte pour insérer harmonieusement un édifice d’une échelle imposante dans un tissu urbain assez fragile et hétérogène. Il réussit cette prouesse par l’équilibre de la composition entre les grandes lignes horizontales et le rythme vertical serré des baies, par le travail sur   l’épaisseur de la façade qui donne là aussi un effet de vibration par le jeu alterné des surfaces éclairées et des parties ombreuses, par le choix des matériaux aussi.

La cité « Clémentel » s’étend du 174 au 178 quai de Jemmapes. « Côté Jemmapes, en bordure du canal, se souvient Robert Sabatier, il [Olivier] restait fasciné par la masse de la Cité artisanale Clémentel. Il s'enhardissait à traverser le large portail et à parcourir d'étage en étage des couloirs bruissant de machineries, chargés d'odeurs de métal, d'huile, de carton, de sciure, de mastic, d'encre d'imprimerie, de térébenthine, de peinture. Dans cette ville en réduction, bien répartis dans des pièces cimentées, on trouvait des doreurs, des brocheurs, des opticiens de précision, des imprimeurs typo, litho et offset, des linotypistes, des fabricants de vêtements de sport, des miroitiers, des tanneurs, des photographes, des dessinateurs industriels dont les panneaux publicitaires ornaient les portes. »
Inspirée d’Étienne Clémentel, ministre du Commerce (1916-1919) : « Assurer aux artisans de tous corps de métier les meilleures conditions de travail possible dans des locaux de qualité qui seraient leur propriété, leur donner sur le lieu même de leur travail des logements décents et leur fournir des services communs facilités : bibliothèque, infirmerie et même banque ». 430 ateliers y furent créés, 2000 artisans environ y travaillaient et y vivaient.
Eugène Dabit qui, en 1922, avait son atelier (il a commencé comme peintre) rue des Mignottes (au Mo Botzaris) dans une de ces « cités industrielles » qui fournissent la force motrice à chacune de leurs alvéoles, était sensible à la mélodie laborieuse : « je faisais des travaux de décoration, tandis que dans la cité ronflaient les moteurs. Mes voisins, horlogers, hurlaient des romances qu’un cartonnier accompagnait sourdement à coups de balancier. Au crépuscule, la rumeur me paraissait grandir et bourdonnait à mes oreilles comme la mer ; ouvrais-je le vasistas, elle envahissait l’atelier (...) Soudain, éclataient des coups de sifflet. Les longues courroies de transmission s’immobilisaient ; les métiers cessaient de tourner ; les lampes s’éteignaient... »
L’ancêtre, ce sont les Immeubles Industriels, de la rue éponyme. L’agence de location est au 12 de la rue. Inaugurés en 1873, 2 000 personnes y logent vers 1881, qui travaillent au rez-de-chaussée, à l’entresol et au 1er étage, moyennant un loyer de l’énergie de 75 centimes par poste et par jour. Sous la chaussée, une machine à vapeur de 2 000 chevaux, construite par Cail et Cie, distribue l’énergie dans les ateliers. « Ces trois éléments essentiels de l’habitation de l’ouvrier – logement, atelier, force motrice – se trouvent  réunis... » explique l’Illustration.

- siège de la Fédération anarchiste et du Libertaire, 145 quai de Valmy (auj. Le Valmy, café-restaurant). Sa Librairie sociale est au rez-de-chaussée. Brassens y vient, à l’été 1946, donner le texte que lui a inspiré la mort d’un flic, renversé par le cycliste à qui son coup de sifflet comminatoire a fait perdre le contrôle de sa bicyclette. Intitulé « le hasard s’attaque à la police », le texte sera publié dans le Libertaire du 27 septembre 1946. Il sera suivi de quelques autres, signés du pseudonyme de Géo Cédille, comme celui consacré aux poèmes de Raymond Asso dans le numéro du 12 juin 1947.
Local et journal, après le congrès de Bordeaux de 1952 où le courant de Georges Fontenis a pris la majorité dans la Fédération Anarchiste, passent du côté de la Fédération Communiste Libertaire (la FCL). Le premier Français emprisonné pour le soutien apporté au MNA (Mvt nationaliste algérien) de Messali Hadj, sera Pierre Morain, pour ses articles dans le Libertaire, journal de la FCL. En 1955, la FCL aura subi tellement de saisies, d’amendes et de peines de prison qu’elle aura tout simplement disparu.

- centrale électrique de la Compagnie Parisienne d’Air Comprimé, future Compagnie Générale d’Electricité, 132 quai de Jemmapes. Construite en 1895-96, elle fait suite à celle de la rue Saint-Fargeau, dans le 20e, en 1889, et celle (réutilisée pour abriter une école d’architecture) du quai aujourd’hui Panhard et Levassor, dans le 13e, de 1891. Le charbon, tiré des péniches, est convoyé électriquement jusqu’à l’élévateur et, de là, distribué par des wagonnets à des silos en entonnoir placés au-dessus des générateurs. La tour de l’élévateur démolie, la centrale a été reconvertie en usine de fabrication pour les vêtements Labor. En 1920, à cette adresse, on a P. Saderne, fabr. De chaussures de luxe.

- 11, rue de l’Hôpital St-Louis, imprimeur-éventailliste, « Eventails Chambrelent, Modern style, maison fondée en 1873, marques Nevelty, Opalia (éventails en papier cristal), montures Metalia (marques déposées). Entre le 22 et le 24 octobre, Chambrelent embauche 103 jeunes Chinois : Deng Xiao Ping (17 ans), un oncle à lui, de 3 ans son aîné, et toute une cohorte de jeunes gens originaires de son village natal (Chonqing, dans le Sichuan) dont un futur ministre de la République populaire. Ils y font des fleurs de lotus en gaze verte et satin rouge qu’ils montent sur des tiges métalliques, et y apposent une petite étiquette : « œuvre d’orphelins et de veuves de guerre » ; il s’agit d’une commande destinée aux USA pour y collecter des fonds. C’est payé 2F la centaine, les ouvriers réussissent à en faire 600 ou 700 par jour. Sont virés au bout d’une semaine, la commande étant sans doute terminée. Deng Xiao Ping travailla lors de ses années d’exil en France, de 1920 à 26, (d’abord au Creusot, à La Garenne-Colombes chez Kléber, puis à Montargis pour Hutchinson ; de nouveau à La Garenne, puis chez Renault Billancourt). David Goodman, biographe américain de Deng, raconte qu’en 1974, retour de New York, Deng s’arrête à Paris et y achète 100 croissants, qu’il rapporte pour les partager avec Zhou Enlai et les camarades qui avaient partagé son séjour parisien dans les années 1920.

- 114, le lycée professionnel Marie Laurencin a fait son nid dans l'ancien bâtiment Le cuir moderne (1923), dont l’enseigne, sur le toit, a été ôtée.

- 112, quai de Jemmapes : Immeuble de rapport réalisé par l'architecte Georges Pradelle en 1907-1908. La structure en béton armé est calquée sur la charpente métallique. Le béton est laissé nu et les briques utilisées en remplissage sont apparentes. Par leur couleur et les variétés du calepinage, elles apportent une note décorative, tout en soulignant le principe constructif. L'architecte a choisi d'afficher un parti résolument moderne qui radicalise - dans un contexte plus populaire – le dessin de l'immeuble construit en 1904 par les frères Perret 25bis rue Benjamin Franklin.

- Au 108, quai de Jemmapes, à l’angle de la rue Bichat, René Préault installa en 1945, sur cinq étages son entreprise de boulonnerie et visserie (plaque). Travailla avec la main d’œuvre pénale de la Roquette. Des tours ceinture étaient encore présents dans ses ateliers dans les années 1970.
- adresse d’Antoine Dauriat, typographe, trésorier du Club Populaire sportif du Xème arrondissement à la déclaration au bureau des associations de la Préfecture de Police, le 27 mai 1935, dans le grand élan d’enthousiasme qui suit la réunification des sportifs communistes et socialistes en décembre 1934 (création de la FSGT). Siège au 6 rue de Paradis en octobre 1937, Dauriat cède sa place à Thérèse Blanchet qui habite rue Chaudron avec son mari Robert

50 rue Bichat Immeuble de rapport caractéristique de l'habitat "à bon marché" de la fin du XIXe siècle. PLU construit en 1896-1898 par l'architecte Léon Hervey-Picard, élève de Vaudremer et Raulin aux Beaux-Arts, édifié sur une parcelle où son père avait réalisé un pavillon dès 1888. Il peut être rapproché des premières entreprises de logement social à vocation philanthropique tel l'immeuble du groupe des maisons ouvrières réalisé 5 rue Jeanne d'Arc en 1899 par Georges Guyon. La façade en brique, d'un premier abord austère et imprégné de rationalisme, n'en est pas moins égayée par un jeu de briques polychromes, notamment sous les corniches et les arcs de décharge des linteaux. L'ornementation de la façade se résume pour l'essentiel aux ancres des trumeaux et aux cabochons en céramique des allèges. Réalisation publiée in Paul Chemetov – Bernard Marrey Architectures à Paris 1848-1914.

- L’Hôtel du Nord, 1929 : Les Lecouvreur, avec leur fils (en fait les Dabit avec Eugène) viennent visiter l’hôtel à vendre :
« Ici, explique Philippe Goutay, le patron, avec les usines du quartier, c’est de la bonne clientèle d’ouvriers, tous du monde honnête, payant bien. (…) La maison du dehors n’a rien de grandiose, bien sûr… faudrait un fameux coup de torchon. Mais que voulez-vous, par le temps qui court, il n’y a que les passes qui puissent payer le prix du crépi…
Il s’arrêta un moment et reprit :
-         Ce n’est pas une hôtel de passe…
Les Lecouvreur dirent à l’unisson :
-         Sûr qu’on voudrait pas une hôtel de passes…

Les deux hommes (Emile Lecouvreur et Ph. Goutay) examinèrent les combles et se hissèrent sur le toit. De là, reliés par une fine passerelle, on découvrait les quais de Jemmapes et de Valmy. Des camions chargés de sable suivaient les berges. Au fil du canal, des péniches glissaient, lentes et gonflées comme du bétail. Lecouvreur, que ces choses laissaient d’ordinaire insensible, poussa un cri :
-         Ah ! quelle vue ! Ce que vous êtes bien situés !...
Puis il ajouta :
-         Je suis un vieux Parisien, mais voyez-vous, je ne connaissais pas ce coin-là. On se croirait au bord de la mer. »

Nestor Burma enquête ici en 1956, accompagnant, une fois n’est pas coutume, Hélène, sa secrétaire : « Pour rien au monde, je n’aurais laissé Hélène s’aventurer seule dans ce coin-là ». Il lui faut pourtant lâcher son bras : « nous traversâmes le canal en empruntant l’étroite passerelle à fleur d’eau, construite au sommet des vantaux de l’écluse, permettant tout juste le passage d’une seule personne à la fois (…) le silence était total. Une auto qui passa sur le pont tournant et disparut par la rue de Lancry, le troubla à peine. (…) Un peu après l’Hôtel du Nord, en face du poste de police entouré d’arbres dénudés et de buissons rachitiques, la Chope des Singes répandait sur le trottoir une chiche lumière jaune ». M’as-tu vu en cadavre, 1956.

On prend la passerelle à côté du Pont Tournant, de là  on voit

- Carré, 91, quai de Valmy, dès 1888 sur le canal, fournira une partie du carrelage du métro.

- Débit de Boisson, 19, rue Jean-Poulmarch. Maison Empire. Pan coupé orné d'un balcon présentant un beau garde-corps. La maison a conservé à rez-de-chaussée une remarquable grille de bouchon avec un décor de petits pilastres qui bénéficie d'une inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Maison figurant au procès-verbal de la commission du Vieux Paris (séance du 9 janvier 1989). ISMH

- rédaction de la Vérité, 23 rue des Vinaigriers. L’hebdomadaire est fondé par « moins d’une douzaine de camarades » dont Alfred Rosmer et le typo Ferdinand Charbit, tous deux exclus du PC à la fin de 1924, et qui n’ont eu à traverser que le canal pour venir de la Librairie du travail et de la Révolution Prolétarienne, rejoindre Pierre Frank et Gourget (pseudonyme de Barozine, syndicaliste CGTU de la fédération du Bois, lui aussi exclu du PC), l’institutrice Marthe Bigot, qui avait été membre de la minorité zimmerwaldienne, et Jeanne Despallières. Le premier numéro de la Vérité paraît le 15 août 1929. « Vous êtes contraints de commencer par un hebdomadaire, leur écrit Trotsky, avec qui le projet a été débattu à Prinkipo, c’est déjà un pas en avant. A condition naturellement que l’entreprise ne s’en tienne pas là, mais qu’elle mette le cap sur un quotidien. » L’hebdomadaire sera celui de la Ligue communiste, et sera flanqué du mensuel de la Jeunesse léniniste, Octobre rouge.

- Librairie du Travail, 96 quai de Jemmapes. A dater de janvier 1911, dans la boutique du rez-de-chaussée, l’administration de la Vie Ouvrière et de ses 1 607 abonnements, et la librairie ; au-dessus se tiennent les réunions de rédaction, tous les jeudis soirs, à 8h. En 1914, la revue atteint presque 2 000 abonnés et a des numéros de 80 pages et parfois plus, bien illustrés, quand la guerre vient tout interrompre.
« Presque au coin de la rue Grange-aux-Belles et du quai Jemmapes, à Paris, s’ouvrait encore en 1914 une petite boutique grise, une Librairie du Travail... Cette boutique ferma le 2 août. Et pourtant, certains soir d’automne, vers 9 heures, les policiers pouvaient constater qu’une vie furtive y brillait, que des conspirateurs, l’un après l’autre, s’y glissaient. J’y ai plus d’une fois participé. On se bornait à tisonner tristement les restes refroidis de l’Internationale ; à dresser, d’une mémoire amère, la liste immense de ceux qui avaient failli ; à entrevoir, avec une clairvoyance inutile, la longueur d’une lutte d’usure où seule serait vaincue la civilisation », écrira Raymond Lefèbvre (délégué au 2e congrès de l’Internationale Communiste en juil-août 1920, il disparaitra en mer Baltique lors du voyage de retour comme Marcel Vergeat et 2 autres).
Le métro comme les transports de surface s’arrêtaient au soir tombant, on rentrait donc ensuite à pied. En septembre 14, c’est en allant chaque jour, place de la République, chercher Le Journal de Genève, pour le feuilleton de Romain Rolland, « Au-dessus de la mêlée », qui se commente à haute voix autour du kiosque, que Pierre Monatte rencontre le comptable Marcel Hasfeld, qui viendra tenir la Libraire du Travail.
Syndicalistes révolutionnaires et socialistes des partis de la 2e Internationale s’ignoraient encore : les premiers, partisans de l’action directe, laissaient aux autres leurs opérations parlementaires. Certes, les socialistes russes apparaissaient d’une autre trempe, mais ils vivaient à part. Le groupe de la Vie Ouvrière rechercha le contact à la suite d’une lettre ouverte de Martov que publia Gustave Hervé. Ils rencontrèrent donc Martov, d’abord au cours de conversations particulières ; « un homme aux traits creusés, à la barbe déjà grisonnante, au beau regard profond, à la voix rauque, et qui marchait en traînant la jambe en souvenir des fers qu’il avait longtemps portés en Sibérie », ainsi le décrira Marcel Martinet. Puis vint une prise de contact officielle avec une délégation composée de Martov, le plus âgé, la quarantaine ; d’un polonais nommé Lapinsky, enfin de Trotsky.
Martov parti en Suisse, est remplacé dans la délégation par Losovsky, qui a été le secrétaire du syndicat des casquettiers et qui sera le dirigeant de l’Internationale Syndicale Rouge. Il déplacera les réunions à son domicile. Trotsky côtoie donc Monatte et, celui-ci ayant été mobilisé en février 1915, Alfred Rosmer, qui retranscrit scrupuleusement leurs longues conversations à Monatte, dont elles constituent l’oxygène dans ses tristes tranchées.
La Vie Ouvrière reparaîtra le 30 avril 1919 sous forme hebdomadaire ; des nouveaux ont rejoint le groupe : Fernand Loriot, Gaston Monmousseau, les futures plus belles moustaches du prolétariat français, Marcel Vergeat. Le journal trouve vite 4 000 abonnés et sa diffusion avoisine les 20 000 exemplaires, selon les chiffres de la police. A la scission syndicale, fin 1921, Monmousseau apportera la V.O. à la CGTU. A compter du début de 1922, Monatte, hostile à la division, se retire de la VO dont le comité de rédaction se compose alors de Monmousseau, Racamond, Bisch, Semard, Dudilieux, Couture, Audin, Chambelland.
Didot-Bottin 1920 : Ferrières, vins ; Librairie du Travail, libraire-éditeur, journal La Vie ouvrière.
Monatte ayant perdu sa V.O., la boutique du quai de Jemmapes sera, à partir de juin 1925 et jusqu’en avril 1929, le siège de sa nouvelle revue, la Révolution prolétarienne.

Jean Jaurès et le Sentier cycliste

Le prétexte en est encore (voir message précédent) le téléguidage pour "IDF1 chez vous", à l'occasion de la réédition de mes Traversées de Paris.

1. L’hôtel Colbert (16, rue du Croissant), appartient à un gouverneur des Iles dont la fille épousera un neveu du ministre Colbert, d’où l’appellation. Il est attesté dès 1739.
A la mi-juillet 1836, le quotidien Le Siècle s’y installe. Le Charivari, dont la figure la plus célèbre est Daumier, y a déjà son administration en 1834 ; sa rédaction la rejoint en 1848, où l’on trouve aussi dans les lieux l’imprimerie Lange et Lévy : la cour classique de l'hôtel aristocratique a été couverte d’une verrière qui en fait l’atelier des machines ; bureaux et rédactions occupent les anciens appartements.
Après la Commune, on trouve ici un éditeur, la Librairie Illustrée qui, en 1876, publie la Chanson des Gueux (Gueux des Champs, Gueux de Paris) de Jean Richepin, aussitôt saisie pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs. L’ouvrage contient un glossaire d’argot; quelques exemples : une cintième, (déformation de cinquième), est une casquette de souteneur, haute comme un 5ème étage ; la viscope est la casquette ordinaire ; une galupe est une fille publique.
Le 27 octobre 1883, sort de l’hôtel Colbert le n°1 du Cri du Peuple de Jules Vallès. Alors que s’y impriment aussi, dans ces années 1880, La Cote de la Bourse et le Messager de la Bourse.
Dans le bâtiment voisin, au n°12, on trouve toute une série de journaux bonapartistes, puis L’Intransigeant y est logé quand Léon Bailby, en 1924, fait construire pour son quotidien le n°100 de la rue Réaumur.
Le 24 avril 1908, L’Humanité de Jean Jaurès, arrivant du 110, rue de Richelieu, s’installe à l’hôtel Colbert ; elle y restera jusqu’au 25 janvier 1913, pour s’installer ensuite à deux pas, au 142 rue Montmartre. Jaurès n’aura donc eu qu’à traverser la rue pour aller dîner au :
- café du Croissant. Le vendredi 31 juillet 1914, à 21 h 40, Jaurès est assassiné dans ce Café du Croissant, 146, rue Montmartre. Almeyreda, le père de Jean Vigo, transfuge de la Guerre sociale (121, rue Montmartre), et deux de ses collaborateurs du Bonnet rouge sont à ce moment-là dans la salle ; on sait qu’un médecin, le fils du ministre brésilien des Affaires étrangères, est en visite dans les locaux du Radical qui partage le 142 rue Montmartre avec l’Humanité, c’est lui qu’on appelle au secours.
- 142-44 rue Montmartre, dès 1880, l’imprimerie Paul Dupont ; l’Aurore -(c’est là que Zola lit son « J’accuse » avant sa publication dans le numéro du lendemain 12 janvier 1898)- ; le Radical, l’Univers, le Jockey, la Presse, la France – c’est ce dernier titre que l’on lit encore aujourd’hui au fronton du bâtiment.
L’Humanité passera au n°138 de la rue en 1931 pour y rester jusqu’à la 2ème guerre mondiale.  

2. La rue Réaumur. Cette section Sébastopol-Bourse de la rue Réaumur est ouverte en 1895-96, spécialement pour abriter les immeubles du prêt-à-porter et de l’imprimerie ; inaugurée par le président Félix Faure lui-même en 1897, alors qu’elle n’est qu’en chantier, le règlement d’urbanisme de 1902 lui sera appliqué par anticipation. Ce règlement autorise la construction de saillies importantes sur la rue, pouvant aller jusqu’à 1,20 mètre (ce qui entraînera la prolifération de façades cloquées de bow-windows), ainsi que la mise en place d’une esthétique ouvertement pittoresque qui permet les arborescences verticales de l’Art nouveau. Il ne plafonne les hauteurs qu’à 31 m, soit 6 étages sur rez-de-chaussée, plus 3 niveaux de combles habitables. Le conseil municipal, s’inspirant de l’exemple bruxellois, institue pour l’occasion un “concours des façades” qui, initialement cantonné à la seule rue Réaumur, sera étendu finalement à l’ensemble des façades construites à Paris dans l’année écoulée. Seront primées celles des n°101, et n° 91-93.
- n°124, de 1904, immeuble (ISMH) du Parisien libéré de 1944 à 1973, aux nervures d’acier s’ouvrant en calice (Le journal se faisait au restaurant du quatrième étage, où régnait Beullu, le chef du paquebot Normandie : "Certains ne quittaient la table que le temps de déposer leur papier deux étages en dessous."). En face, les Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (de 1947 à 1991), 111 rue Réaumur et rue Paul-Lelong. La réception, le tri, la mise en sacs et le départ des quotidiens et des magazines sont une véritable course contre la montre jusqu’en 1960. Minuit 30, rue Paul-Lelong : arrivés par voiture des imprimeries, les quotidiens sont descendus à dos d'homme jusqu'au sous-sol, et dispatchés dans les 14 000 cases des différents destinataires, paquets rechargés ensuite dans 600 camionnettes qui filent vers les gares ou les dépositaires. A 1 h du matin, la première voiture démarre; en tout, l'opération n'a duré que 30 minutes ! Les coursiers à vélo des NMPP sont eux, pour certains, d'anciens champions cyclistes comme Frosio, deux fois champion du monde derrière moto, ou Jules Rossi, vainqueur de Paris-Roubaix. Ils courent dans les années 1950, lestés de 15 kg de journaux sur le porte-bagages avant, un annuel championnat des porteurs de journaux : un parcours de 38 km qui se termine avenue Junot, au sommet de la butte Montmartre ; ils bouclent la distance en moins d’1 heure ! Le bâtiment des NMPP a été refait aujourd’hui en bureaux.
On peut suivre la rue Réaumur sur les pas de Nestor Burma, en 1955 : « Rue Réaumur, je m’attardai à regarder les photos exposées dans les vitrines du Parisien libéré (…) lorsque j’entendis dans mon dos, succédant à un brusque coup de frein, un type hurler un de ces mots qui l’auraient fait recaler au concours. Je me retournai. (…) Un peu avant d’arriver à l’immeuble que Léon Bailby fit construire pour L’Intran, sur l’emplacement de l’ancienne cour des miracles, et qui abrite, aujourd’hui, entre autres rédactions et imprimeries, celles de France-Soir, Franc-Tireur et Crépuscule je revis la bagnole de mon millionnaire, rangée le long du petit square. J’entrai dans le hall de la S.N.E.P. et je vis Lévyberg sortir des bureaux réservés à la réception des petites annonces. Nous nous suivions ou quelque chose comme ça (…). Je pris l’ascenseur à destination du bar du septième étage et m’installai devant un apéro sur la terrasse ensoleillée d’où on domine tout Paris. Depuis 1944, pas mal de Rastignacs au petit pied étaient venus rêver là ».
- En allant du n°124 et n°100, on croise la rue du Sentier, rue de la draperie et de la passementerie. En 1900, on dit que « quand le Sentier est calme (c'est-à-dire profondément affairé), tout va bien en France », de même qu’on dira ensuite « quand Billancourt éternue, la France s’enrhume » : le Sentier est alors le thermomètre de la température sociale. Si le quartier continue de réaliser plus de 40 % du chiffre d’affaires du vêtement féminin français, les imprimeries de la rue du Croissant ont laissé place, dans les années 1970-1980, aux ateliers clandestins de couture en même temps que s’en allaient les Messageries et les grands quotidiens.
- n°100, l’immeuble que Léon Bailby a fait construire en 1924 pour L’Intransigeant. Rotatives en sous-sol et là-haut, dans le triangle des frontons, des bas-reliefs magnifiant les Ouvriers typographes sur l’un et les Journalistes sur l’autre. Il y installera un cinéma, les Miracles (dont le nom rappelle évidemment la cour des miracles à l’emplacement de laquelle il se situe), qui fonctionnera de 1930 à 35. Dans ce bâtiment se sont écrits Combat (Camus en est rédacteur en chef), France-Soir, France-Dimanche, et le magazine Elle créé en 1945 et dirigé par l’épouse de Pierre Lazareff. Immeuble aussi du faux Crépuscule, le journal dans lequel est censé travailler Max Covet, rubricard imbibé des faits divers, grand copain de Nestor Burma. France-Soir s’y maintiendra jusqu’en 1998. Ce journal qui vendait à plus d’1 million d’exemplaires, avait grâce à ses 8 éditions quotidiennes quasiment la vitesse de réactualisation des médias électroniques d’aujourd’hui. Il ne reste de tout cela qu’une façade.
3. La rue du Caire est ouverte fin 1799, en célébration de l’entrée de Bonaparte dans la ville lors de la campagne d’Egypte de l’été 1798. La rue est spécialisée en 1900 dans le commerce des fleurs et plumes, puis le sera dans l’industrie du chapeau de paille. Place du Caire, on trouve alors des cardeuses de matelas. La cour des miracles s’ouvrait encore en 1900 rue Damiette ; ce n’était plus qu’une voie privée de 40 m de long et de 10 m de large débarrassée des faux infirmes que décrit V. Hugo dans Notre-Dame de Paris : c’était un « immense vestiaire où s’habillaient et se déshabillaient à cette époque tous les acteurs de cette comédie éternelle que le vol, la prostitution et le meurtre jouent sur le pavé de Paris ». Et même un peu plus que cela, la comédie ne connaissant pas de relâche et les rôles ayant à jamais déteint sur les acteurs : « on pouvait voir passer un chien qui ressemblait à un homme, un homme qui ressemblait à un chien. Les limites des races et des espèces semblaient s’effacer dans cette cité comme dans un Pandémonium ».

La Bourse "comme une rêverie de la Grèce "

Le prétexte en est un téléguidage pour "IDF1 chez vous" à l'occasion de la réédition de mes Traversées de Paris.
1. Partir de la rue des Colonnes, l'un des rares exemples d'urbanisme de l'époque révolutionnaire, passage vers le théâtre Feydeau (19, rue Feydeau de 1791 à 1829) puis, privé de sa couverture sous le Directoire, gardant néanmoins, avec ses arcades, tout ce qu’il faut pour continuer d’être l’abri de l’attente et de l’entracte. La rue des Colonnes a été brisée en son milieu par l'ouverture de la rue de la Bourse en 1826. De la rue de la Bourse, on zoome sur l’horloge entre les colonnes donnant sur la rue Vivienne. « L’horloge de la Bourse a été longtemps la seule à laquelle les vrais Parisiens reconnussent quelque exactitude, et ils faisaient volontiers un long détour pour mettre leur chronomètre en harmonie avec elle » Paris Atlas 1900. Napoléon III souhaitait que le nouvel édifice ait l'apparence d'un temple à l'antique, isolé et faisant "point de vue", c'est pourquoi il retint le projet d'Alexandre Brongniart. [L’expression dit d’habitude « la bourse ou la vie », l’architecte Brongniart aura eu les deux, la Bourse et le cimetière de l’Est, dit aujourd'hui du Père Lachaise, inauguré en 1804]. Vaste rectangle (69m sur 41m) au péristyle corinthien, la Bourse s'inspirait directement du Palais de Vespasien à Rome. La première pierre en fut posée en mars 1808. A la mort de Brongniart (juin 1813), les travaux étaient loin d'être achevés. C'est l'architecte Eloi Labarre assisté d'Hippolyte Lebas qui termina la construction du monument jusqu’en 1826 (pour une inauguration le 4 novembre). Balzac : « La place de la Bourse est babillarde, active, prostituée ; elle n’est belle que par un clair de lune, à deux heures du matin : le jour, c’est un abrégé de Paris ; pendant la nuit, c’est comme une rêverie de la Grèce ». Des statues allégoriques y furent installées sur les perrons d'accès en 1851-1852 : le Commerce et la Justice consulaire par Dumont et Duret, rue Vivienne, l'Agriculture et l'Industrie par Seurre et Pradier, rue Notre-Dame des Victoires.
Fin 1856, un droit d’entrée est instauré au profit de la ville (la bourse était le seul marché à ne payer aucune taxe municipale) : on recule alors les grilles, on plante des marronniers pour entourer l’édifice d’allées ombragées, on installe des tourniquets aux quatre angles et des guérites pour la perception du dit droit d'entrée : 1 Franc par personne.
Le plan actuel de l'édifice, en croix grecque, résulte de l'adjonction d'ailes latérales par Cavel en 1902-1907.

2. la Nef, au rez-de-chaussée, 32m x 18m, avait une capacité théorique de 4 000 personnes mais connaissait des pointes de 4 500, avec un étiage de 3 500 pendant l’été ; au total, les tourniquets ont permis de compter 1 million d’entrées annuelles en 1857, 58 et 59. A une extrémité était « la corbeille » c'est-à-dire deux balustrades entre lesquelles étaient placés les agents de change; ça ressemblera bientôt au dédale de grilles qui conduit les fauves à la piste du cirque; au centre, le cendrier perso (et géant) des agents de change. Le marché des valeurs s'y tenait de 12h à 15h tapantes (d'où l'importance de l'exactitude de l'horloge). C'est l'architecte Eloi Labarre, assisté d'Hippolyte Lebas, qui termina la construction du monument de 1813 à 1826, lui donna sa couverture métallique et fit orner cette grande salle centrale dite "salle de la corbeille" de grisailles d'Abel de Pujol et de Charles Meynier.
Côté Vivienne : Meynier a peint les nymphes de la Seine et de l’Ourcq offrant les produits de l’abondance à la ville de Paris ; dans les angles Marseille (lien avec l’Orient), et Strasbourg (lien avec l’Allemagne) ; et puis des personnifications de l’Afrique, de l’Amérique, de Bordeaux, de Bayonne. De Pujol on a Lille, Nantes, Rouen, l’Europe, l’Asie, et une composition destinée à rappeler que le roi Charles X fit présent à la ville du palais de la Bourse. C’est de la coursive du 2ème étage qu’on voit le mieux le plafond de la Nef (et donc les peintures de Meynier et Pujol.
Sur cette galerie du 2ème étage donnaient les salles des agents de change, la salle d’audience du Tribunal de Commerce, qui y séjourna de 1826 à 1864, comme la Chambre de Commerce de 1826 à 1853.

3. C’est également au 2ème étage, à l’Espace Corbeille qu’a été remonté le cendrier géant au milieu de ce qui est maintenant un petit musée de la Bourse. "On vendait, on achetait, sans échanger un seul mot d’écrit, sans faire le moindre contrat, sans avoir d’autre garantie que la parole. L’échéance arrivant, personne ne songeait à nier sa dette. Aux yeux d’un boursier, quelques mots qu’il prononce le lient aussi strictement que s’il avait acheté ou vendu par-devant notaire." La Bédollière, Le nouveau Paris, 1860. L'ampleur du cendrier circulaire, avec son cône de mégots de cigares, est le baromètre du niveau de stress de cette activité; songeons que les traders d'aujourd'hui connaissent le même avec l'interdiction de fumer en plus! Comme on les plaint.