La descente de la Courtille par la barricade du Temps des cerises


L’occasion de ce parcours est une balade organisée pour le CE de « Ponts Formation Édition », l’activité de formation continue de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées après l’installation de la Maison des Ponts au 15, rue de la Fontaine-au-Roi, Paris 11e.

[En 1860, on trouvait au 15, Fontaine au Roi, Jeanson Frères, fabricants de moulures en bois pour le bâtiment, dorure chimique pour tenture et encadrements, avec, en 1870, l'indication qu'ils ont aussi un "magasin à Bondy, 34" et, en 1880, une "usine à Billancourt, chemin de hallage". En 1890, Jeanson Frères est remplacé par un plumassier: M. Pichon. En 1900, on trouve à cette adresse la manufacture de "Simon et Cie, habillement et confection pour hommes et enfants, en gros et détail", qui aura bientôt ses magasins 7 et 9, rue Croix-des-Petits-Champs, et 15 et 17, rue Auber. Dans les années 1950, la S.A. Simon et Cie est toujours au n°15, où elle a été rejointe, depuis 1930 par Simon Hermanos, agents pour l'exportation.]

- La rue a connu les noms de rue de la Fontaine nationale en 1792 ; rue de la Fontaine au Tyran pendant la révolution de 1848

- à l’angle de la rue Pierre-Levée, une barricade opposa le 23 juin 1848 une résistance farouche

- L’octroi à roulettes était installé à l’angle de la rue de la Folie-Méricourt en 1724. A l’Est de cette barrière, dans le triangle que forment la rue du Faubourg-du-Temple et celle de la Fontaine-au-Roi avec la rue Saint-Maur, (l’une des rares tangentes de la capitale, qui joint l’abbaye de Saint-Denis à celle de Saint-Maur-des-Fossés), est né un village de guinguettes au milieu des « courtils », ces jardins du dimanche éloignés du logis citadin : la Courtille.
Parmi ces guinguettes, celle de Ramponneau (à l’angle de la rue de l’Orillon et de la rue Saint-Maur), qui en 1786, à la construction du mur des Fermiers généraux, sera si glorieux qu’une barrière sera ouverte à son nom au bout de la rue de l’Orillon, sur le bd de Belleville, au départ de la rue auj. Ramponeau. Les guinguettes passaient à cette date un cran plus à l’Est, sur la pente montant vers le village de Belleville.
 « Il n’y a plus que les ouvriers qui connaissent les fêtes et dimanches, explique Louis-Sébastien Mercier. La Courtille, les Porcherons, la Nouvelle-France se remplissent ces jours-là de buveurs. Le peuple y va chercher des boissons à meilleur marché que dans la ville. Plusieurs désordres en résultent ; mais le peuple s’égaie, ou plutôt s’étourdit sur son sort. »


- « grisette 1830 » de Joseph Jean Emmanuel Cormier, dit Joé Descomps (1869-1950) plutôt spécialisé dans les petits bronzes décoratifs, spécialement des nus féminins. Placée là en 1911 seulement, mais pas de façon totalement arbitraire puisque les Vendanges de Bourgogne, en face, ont été l’un des creusets de la Révolution de 1830, lors d’un banquet qui regroupa le général Lafayette, commandant, sous la Restauration, des gardes nationales en 1789, Godefroy Cavaignac, fils d’un Conventionnel, (ne pas le confondre avec son frère Eugène Cavaignac, le sabreur de juin 1848), en gros des républicains partisans du suffrage universel, et d’autres, comme Odilon Barrot, prônant une monarchie constitutionnelle.
On va vite déchanter et, la Garde Nationale ayant été dissoute le 31 décembre 1831 par Louis Philippe, et Lafayette renvoyé, « La Société des Amis du Peuple » brave la décision royale en organisant aussitôt un banquet en leur honneur à ces mêmes Vendanges de Bourgogne. Durant le dîner, Évariste Galois, qui vient tout juste d’avoir 20 ans, y lève son verre à la santé de Louis-Philippe alors qu'il a gardé son couteau dans l'autre main. D’autres, qui y ont vu un symbole, l’imitent le couteau  brandi ostensiblement ; aussitôt, c’est la débandade générale, par les portes et par les fenêtres du jardin, de peur des suites policières.
Le lendemain, Évariste Galois est arrêté chez sa mère, au prétexte d'incitation à l'assassinat du roi. Il est emprisonné à Sainte-Pélagie, d’où il écrit à son ami Chevalier :
« ..Je suis sous les verrous ! ! !?..Tu as entendu parler des Vendanges de Bourgogne. C'est moi qui ai fait ce geste?? mais ne me fais pas la morale, car les brumes de l'alcool m'avaient ôté la raison. »
 
- Angle du bd Jules Ferry, qui ne prend ce nom qu’en 1906.  Entre le lotissement des marais du Temple, dont la rue du Grand Prieuré formait la limite, et la rue de la Folie-Méricourt, il n’y avait pas de constructions quand… la suite est dans Balzac, César Birotteau : « Du Tillet, instruit des intentions du gouvernement concernant un canal qui devait joindre Saint-Denis à la haute Seine, en passant par le faubourg du Temple, acheta les terrains de Birotteau pour la somme de soixante-dix mille francs. (…) Au commencement de l’année 1822, le canal Saint-Martin fut décidé. Les terrains situés dans le faubourg du Temple arrivèrent à des prix fous. Le projet coupa précisément en deux la propriété de du Tillet, autrefois celle de César Birotteau. La compagnie à qui fut concédé le canal accéda à un prix exorbitant si le banquier pouvait livrer son terrain dans un temps donné. » Le quai Charles X en 1824, devient quai de Jemmapes (victoire de 1792 sur les Autrichiens) en 1830.
Le canal a fait du faubourg du Temple le faubourg industriel du 19e siècle. Mais le même canal, qui les a pour ainsi dire fait naître, fournit aux ouvriers insurgés « une ligne de défense formidable » : en juin 1848, « il fallut du canon pour emporter les barricades élevées sur les deux rives à l’entrée du faubourg du Temple » ; les troupes de Lamoricière n’y parvinrent qu’au bout de cinq jours, se rappelle La Bédollière. Dès 1859, le 2nd Empire fait donc couvrir le canal, de la rue Rampon à la Bastille, de sorte que la cavalerie ne puisse plus y être stoppée.

- La descente de la Courtille. « Sous l’austère Restauration, la mode vint, on ne sait comment, d’aller achever les orgies du mardi gras à la Courtille : la nuit s’y passait à boire, et au matin du mercredi des Cendres, c’était, pour les bourgeois vertueux, un divertissement incomparable que d’assister à “la descente de la Courtille”. » Paris Atlas.
« La nuit du mardi gras donc, une fois minuit passé, les danseurs de l’Opéra, des Variétés, etc., montaient s’encanailler avec les débardeurs et les mamelucks de la barrière de Belleville, on buvait, on sautait, on faisait tapage tous ensemble, c’était l’égalité dans l’orgie ; puis, dès six heures du matin, fiacres, cabriolets, chars-à-bancs, tous les véhicules enfin étaient envahis par cette foule en délire, et toujours hurlant, toujours vociférant, elle commençait un défilé qui, jusqu’au boulevard, avait lieu au petit pas, mais à dix heures du matin tout devait être rentré dans l’ordre. » Comme le carrosse de Cendrillon, la Courtille des plaisirs, à dix heures tapantes, redevient le Paris du travail.
Cette mode se maintiendra une vingtaine d’années, jusqu’en 1838. Lettre de Victor Hugo à Juliette Drouet datée « Mardi gras - 20 février 1849 » mais évoquant celui de 1838 : « Je n'oublierai jamais cette matinée où je sortis de chez toi, le cœur ébloui. Le jour naissait, il pleuvait à verse, les Masques déguenillés et souillés de boue descendaient de la Courtille avec de grands cris et inondaient le Boulevard du Temple. Ils étaient ivres et moi aussi; eux de vin, moi d'amour. »
Dès 1815, Ramponneau, situé un peu plus haut, on l’a dit, a été remplacé par beaucoup plus chic : Les Vendanges de Bourgogne, au coin du canal (son adresse est 144, quai de Jemmapes sous Louis Philippe). De ses balcons, c’est au champagne qu’on asperge la descente de la Courtille plutôt qu’à la farine et aux œufs. Les bals Chicard, qui s’y tiennent sous la monarchie de Juillet, du nom de leur promoteur, négociant en cuir du faubourg Saint-Antoine, sont à dix francs la carte, sur invitation. Néanmoins, les costumes chicards de carnaval continuent d’imiter ceux du peuple, avec comme types Balochard, « l’ouvrier tapageur et spirituel », Pétrin, le boulanger, etc. Milord l’Arsouille, patronyme hybride, symbole du riche encanaillé, qui conduira les descentes de la Courtille jusqu’à la dernière et sa ruine.

- 37, Fbg du Temple, en 1876, Boléro Star, puis Bijou Concert, Bijou Théâtre, etc. En 1924, le théâtre et son architecture "fin de siècle" sont détruits et débute la construction du Grand Cinéma du Palais des Glaces. Sa façade, recouverte de miroirs, lui vaut son nouveau nom. En 1960, la salle est transformée en salle de music-hall et de concerts. De grands noms s'y produisent dont Nina Simone, Marcel Dadi, Touré Kunda ; 1977 est l'année punk avec, au festival du Palais des Glaces, les Clash, les Damned, Jam, Generation X…
Le Funiculaire y fait son va et vient depuis 1891

- 50, rue du Fbg du Temple, cour industrielle
- 52, cour industrielle dans bâtiment social de 1935, constructeur de chauffage depuis 1955.

- 68, fbg du Temple/16 Goncourt, PLU : immeuble de rapport 1884, balcon filant au 5e, porte piétonne richement décorée sur la rue des Goncourt. La rue des Goncourt est percée en 1883 seulement sur l’emplacement de la caserne de la Courtille (gardes françaises) de 1780 ; les immeubles Alix Gaillard, au n°5, comme les portes décorées des n° 8, 6, 4 sont postérieurs.

- rue Darboy : villa du clos de Malevart : nommée fin 1999 : La rue du Faubourg du Temple, à proximité, a été tracée sur un très ancien chemin ouvert au travers d'un lieu-dit champêtre appelé au 12ème siècle, "clos de Malevart".
- rue Deguerry, ouverte en 1865, comme la symétrique (l’une et l’autre baptisées en 1875 d’ecclésiastiques tués par la Commune), en même temps que l’église ; au 6, bow-windows métalliques peints en vert.

église Saint-Joseph À l’annexion, le 11e arrondissement dans son ensemble ne comptait en tout et pour tout que deux églises. Napoléon III y a fait ajouter par Ballu l’église Saint-Joseph, « fort belle – nous dirions presque trop belle, en raison de la ferveur de la population pour laquelle elle a été faite, car cette ferveur est des plus tièdes », commente le Paris-Atlas de 1900. La ferveur iconoclaste, à l’inverse, est intense, qui a poussé, le 20 août 1899, de jeunes anarchistes à mettre l’église à sac.

angle 160 St-Maur/1-5 Orillon : localisation du Cabaret des Marronniers. Sont vues souvent au Cabaret des Marronniers, deux des quatre ou cinq maîtresses que compte le Régent  rien que parmi les dames de qualité : la marquise de Prie, par exemple, qui a « beaucoup d’agrément dans le visage, dans l’esprit et dans toutes les manières, selon Mathieu Marais, parle italien à merveille et chante de même », ou la comtesse de Parabère – « elle est grande, la taille bien prise, le visage brun, car elle ne se farde pas ; elle a de beaux yeux, une bouche charmante et peu d’esprit ; en un mot, c’est un bon morceau de chair fraîche », assure la princesse Palatine.
A l’automne ? de 1733 : En compagnie d’Émilie de Breteuil, marquise du Châtelet par son mariage, de la duchesse de Saint-Pierre, qui vient de dépasser la cinquantaine, et de son jeune amant, le comte de Forcalquier, (qui a eu quelque temps plus tôt les cheveux coupés par un boulet de canon, au siège du fort de Kehl, finalement tombé aux mains des Français le 28 octobre 1733), Voltaire est attablé devant une fricassée de poulet, aux chandelles, dans ce cabaret des Marronniers couru pour ses jeux de bagues, ses escarpolettes et la diseuse de bonne aventure qu’on était presque assuré d’y trouver.
 La mémoire de ce rendez-vous des amants restera vivace jusqu’à la veille de la Révolution : les marronniers du Mariage de Figaro y feraient allusion. Ils constituent le mot de passe du piège tendu au comte Almaviva :
« La comtesse :
— Je mets tout sur mon compte. [Suzanne s’assied, la comtesse dicte.] Chanson nouvelle, sur l’air : ... Qu’il fera beau, ce soir, sous les grands marronniers... Qu’il fera beau, ce soir...
Suzanne écrit :
—“Sous les grands marronniers...” Après ?
La comtesse
— Crains-tu qu’il ne t’entende pas ? »
Le 5ème acte de La Folle Journée, son sous-titre, s’y déroule tout entier, et s’y dénoue : « Le théâtre représente une salle de marronniers, dans un parc ; deux pavillons, kiosques ou temples de jardin, sont à droite et à gauche ; le fond est une clairière ornée, un siège de gazon sur le devant ».
Puis le Tambour-Royal (enseigne qui est un clin d’œil à la caserne de gardes française qu’on a évoquée rue Goncourt) de Jean Ramponneau s’est établi à cet emplacement ; une énorme salle de 900 à 1 000 places. Le patron bâtit sa gloire sur le prix de sa pinte et, en 1758, sur le fait d’avoir gagné un procès contre un entrepreneur de spectacles, l’église ayant fait valoir, en dépit d’un contrat dûment signé, qu’on ne pouvait forcer un homme à se damner en montant sur les planches. Voltaire ne pouvait pas ne pas s’emparer d’une affaire dans laquelle l’église condamne si fort le théâtre qu’elle en absout le parjure, sans compter qu’elle n’a aucun reproche à faire au cabaret ; il va donc écrire un Plaidoyer de Ramponeau dans lequel le bonhomme fait l’éloge de sa profession :
" Si nous sommes nécessaires à la puissance temporelle, nous le sommes encore plus à la spirituelle, qui est si au-dessus de l’autre. C’est chez nous que le peuple célèbre les fêtes; c’est pour nous qu’on abandonne souvent, trois jours de suite, dans les campagnes, les travaux nécessaires, mais profanes, de la charrue, pour venir chez nous sanctifier les jours de salut et de miséricorde; c’est là qu’on perd heureusement cette raison frivole, orgueilleuse, inquiète, curieuse, si contraire à la simplicité du chrétien, comme maître Beaumont lui-même est forcé d’en convenir; c’est là qu’en ruinant sa santé on fournit aux médecins de nouvelles découvertes; c’est là que tant de filles, qui peut-être auraient langui dans la stérilité, acquièrent une fécondité heureuse qui produit tant l’enfants bien élevés, utiles à l’Église et au royaume, et qu’on voit peupler les grands chemins pour remplir le vide de nos villes dépeuplées. (...)

L’Encyclopédie, à l’article Cabaret, prétend que les lois de la police ne sont pas toujours rigoureusement observées dans nos maisons. Je demande justice à la cour de cette calomnie: je me joins à maître Palissot, maître Lefranc de Pompignan, et maître Fréron, contre ce livre abominable. Je savais déjà par leurs émissaires, mes camarades ou mes pratiques, combien ce livre et leurs semblables sont pernicieux.
Une foule de citoyens de tout ordre et de tout âge les lit, au lieu d’aller au cabaret: les auteurs et les lecteurs passent dans leurs cabinets une vie retirée, qui est la source de tant d’attroupements scandaleux. On étudie la géométrie, la morale, la métaphysique, et l’histoire: de là ces billets de confession qui ont troublé la France, ces convulsions qui l’ont également déshonorée, ces cris contre des contributions nécessaires au soutien de la patrie (...) Ces détestables livres enseignent visiblement à couper la bourse et la gorge sur le grand chemin: ce qui certes n’arrive pas à la Courtille, où nous abreuvons les gorges, et vidons les bourses loyalement."
 
En 1772, Jean Ramponneau cède la main à son fils pour reprendre la Grande Pinte, guinguette située juste en face de l’ex-château des Porcherons, à l’emplacement de l’actuelle place d’Estienne-d’Orves. Père et fils sont les papes de Paris, à lire Jean Joseph Vadé, le « Corneille des Halles », dans La Pipe cassée : « Voir Paris, sans voir la Courtille, / Où le peuple joyeux fourmille, / Sans fréquenter les Porcherons (…) / C’est voir Rome sans voir le pape ».

on prend à gauche la rue Saint-Maur
- 166-170, rue St-Maur, le bâtiment sur cour est la manufacture de H. Mourceau : tissus, étoffes et tapisseries d’ameublement, de 1858-59; les 2 immeubles de rapport aux n° 166 (où le directeur de la manufacture a son appartement) et n° 170 s'y ajoutent en 1862-63.


on remonte la rue du Fbg du Temple
- cour des Bretons, Cour de Bretagne (1829). Cour des Bretons (1877) : lotissement du 19ème siècle associant artisanat et logements, ateliers en r-d-c et 1er étage ; rénovée en 2001, vendue en logements.

- 105 rue du Fbg du Temple, Galerie marchande à un seul accès, construite de 1923 à 1924 par l'architecte Ferdinand Bauguil pour le compte de Théo Cremnitz, promoteur de cet ensemble de "magasins d'exposition". Appelé "Palais du Commerce", l'édifice abritait une cinquantaine de magasins et ateliers, tous à l'abandon aujourd'hui. Constitué de deux niveaux de galeries ouvertes sur des coursives, la galerie est en béton armé. Les sols pavés de verre et une verrière en fond de galerie éclairent l'ensemble. Le sous-sol abrite un bal-musette, "La Java", qui a vu débuter, entre autres, Edith Piaf et Maurice Chevalier. Inscrit MH en 1994:
Le Palais du Commerce
105, rue du Fbg du Temple






















- 94 rue du Fbg du Temple, Cet humble et pittoresque concert de quartier existait déjà en 1850. Après des années d'une vie agitée, l'ancien 'Concert du commerce', sous ce nom en 1910 dans Hillairet (En février 1902, Maurice Chevalier, engagé sur la recommandation de Boucot, en supplément de programme, y chantait pour cinq francs par semaine !), a rouvert ses portes au public le 16 novembre 1988 sous le nom de Théâtre du Tambour Royal, évocation du cabaret de Ramponneau. Ne subsistaient de l'ancienne salle, après plus de 60 ans d'abandon, que des fragments de fresques, quelques éléments de scènes, de régie et de sièges (trois d'entre eux ont encore leur place dans la salle).

on tourne à dr. dans passage Piver
- 14, passage Piver, atelier début 20ème ; à partir de 1943, emboutissage des métaux, puis garage, auj atelier d’artiste

- 5, impasse Piver, ex usine Springcourt

on prend à g. la rue de l’Orillon, puis à g. la rue Louis Bonnet et la rue de la Présentation pour rejoindre la rue du Fbg du Temple
- rue de l’Orillon : Pour Alphonse Daudet, le gavroche typique du faubourg, c’est un « petit du quartier », «né, comme moi [c'est le gamin qui parle], rue de l’Orillon, dans un atelier de menuisier, et depuis huit ans jusqu’à quinze qu’on m’a mis en apprentissage, avoir roulé le faubourg dans une voiture à bras pleine de copeaux »

- Comme au Tambour royal, clientèle du Cabaret de la Courtille de Gilles Desnoyers, 129, rue du Fbg du Temple, était mêlée : nobles et courtisans aimaient, en carnaval comme aux jours moins gras, fréquenter les guinguettes populaires, Mme de Genlis, préceptrice des enfants du futur Philippe-Egalité, y avait dansé, dit-on, avec un valet de chambre.
Cour de la Grâce de Dieu : d'une longueur de 133 m et d'une largeur minimum de 3,50 m. M. Meyer, propriétaire de cette voie privée et directeur du théâtre de la Gaîté la dénomma ainsi en 1870, en souvenir de l'énorme succès de la pièce dramatique de Dennery et de Gustave Lemoine « La Grâce de Dieu » jouée en son théâtre. Ce vaste ensemble offre une belle homogénéité architecturale dans ses bâtiments bas et ses pavillons. En 1850, il était alors plus qu'insolite de regrouper en un seul et même lieu un aussi grand nombre de logements populaires (précurseurs de nos HLM) et de ce fait, il fut considéré comme « le plus grand immeuble de la capitale » ; réhabilités par l’office public d’HLM dans les années 1970. Dans une liste de victimes du coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, on trouve un « GANTILLON, dessinateur, cour de la Grâce-de-Dieu »

on remonte la rue du Fbg du Temple jusqu’à la place du Gal Ingold, l’ex Barrière de Belleville du Mur des Fermiers Généraux.
- A la construction du mur des Fermiers Généraux, les cabarets sont passés de l’autre côté. Sous la Restauration et dans les débuts de la monarchie de Juillet, entre les cabarets du Bœuf-Rouge, du Coq-Hardi, du Sauvage, de la Carotte filandreuse, de l’Épée-de-Bois, la circulation est interdite aux voitures. « Un beau dimanche du printemps ou de l’été, tout est confondu dans la rue, depuis la barrière jusque auprès de l’entrée du bourg. Ouvriers, bourgeois, militaires, hommes décorés, femmes en bonnet, femmes en chapeau, marchands de fruits, de petits pains, tout circule, tout monte ou descend confusément, sans se presser, sans se heurter ; et chacun cherche, sans être troublé, l’enseigne de la guinguette où l’on vend du bon petit vin à dix ou douze sous le litre, ou quinze sous la bouteille ; du bon veau, de l’excellente gibelotte de lapin, de l’oie, soit en double soit rôtie, etc. », assure en 1826 la Vie publique et privée des Français.
« Le dimanche, l’ouvrier vrai, écrit Denis Poulot, va se promener avec sa femme et ses enfants dans les promenades publiques, visite les musées, les expositions, l’été plus spécialement, va à la campagne dans les environs de Paris, à dix heures il est rentré. »
Passons à l’ouvrier, le second dans l’ordre décroissant de sa nomenclature : « Quand il fait beau le dimanche, à une heure, tout le monde en route, à Saint-Ouen (pour la friture), Joinville, Romainville (Les tramways électriques empruntèrent ces lignes dominicales : dès 1896, République-Romainville, tramway à impériale) ou Bondy, on dîne au Lapin Vengeur, [l’enseigne représente un lapin tuant d’un coup de pistolet un cuisinier] on rentre chargé de lilas ou de muguet, même de simples fleurs des champs ; à onze heures, tout le monde dort. »

- La dernière barricade de la Commune fut-elle celle de la rue Oberkampf ? Celle de la rue Rébeval dans le 19e ? Celle de la rue Ramponneau, au coin de la rue de Tourtille, à en croire un dessin de Robida [né en 1848, il habite Belleville de 1869 à 1882, avant de filer sur Argenteuil] qui le légende comme « la dernière barricade de la Commune » ? Lissagaray a peut-être été le dernier défenseur de celle-ci [Lissagaray sera ensuite en exil à Londres, l’amour des 18 ans d’Eleanor, dite Tussy, la cadette des sœurs Marx ; il en a 34].

- rue Louis Bonnet, enfant d’Aurillac, ouverte en 1927 : l’Auvergnat de Paris  était mort en 1913, une foule immense suivant ses obsèques.

puis la rue de la Présentation : la lisière sud de « La Goulette » de Paris pour les juifs tunisiens, et depuis le début des années 1980, le bord inférieur du Chinatown de Belleville.
On trouvait encore dans les années 1990 quelques vestiges de pavés en bois dans une entrée d'immeuble rue de la Présentation.
Le personnage de L’Homme qui tuait des voitures, d'Éric le Braz, habite à l’angle Bonnet/Présentation

puis rue du Moulin Joly
- galerie Artegalore, 14, rue du Moulin-Joly, ses vernissages attirent de nombreux VIP collectionneurs. On a pu y croiser Arielle Dombasle, Marc Lavoine, Andrée Putman ou encore Philippe Starck.

- à dr., rue Jean-Pierre Timbaud  (ex rue d’Angoulême ; la « Ville Neuve d’Angoulême » est nommée ainsi à la suite du premier projet de lotissement et d’urbanisation de cette zone marécageuse, au XVIIIe siècle, qui appartenait alors au duc d’Angoulême, frère du futur Louis XVI et futur roi Charles X). Le cercle internationaliste ‘Les Sans Patrie’, fondé en 1880, a tenu ses réunions hebdomadaires du samedi, salle Thomas, dans cette rue. Les Causeries populaires de Libertad y ont eu une annexe en 1903, à l’angle avec la rue Morand (auj, mosquée Omar).

Le bâtiment 2 sur 5
La dernière des 4 bosses
- 98 rue Jean-Pierre Timbaud: une pile de 5 bâtiments d'habitation successifs, en brique de Bourgogne, de 1887, et 4 intervalles où bosselle quatre fois, pour y prendre sa lumière, l'atelier qui occupait tout le sous-sol.

- 94 rue Jean-Pierre Timbaud. Ex manufacture d'instruments de musique de 1881 à 1936 : la lyre du portail (1882) est le seul élément explicite qui en rappelle l'histoire. « Couesnon & Cie » fabriquait dans la grande halle métallique des cuivres réputés dans le monde entier des fanfares et du jazz. Le Hall de l'hôtel industriel est son magasin, vitrine internationale de ses instruments qui sont testés dans la salle de l'Harmonie ; un Cercle Lamartine, société justement « lyrique » a été hébergée dans ces lieux par un négociant en vin à l'origine de la salle de l'Harmonie. Au début de la 3e République, six cents ouvriers fabriquent des instruments à vent dans « la manufacture la plus importante du monde ». Elle devient propriété de la CGT métaux en 1936 par l'achat de l'usine par l'Union Fraternelle des Métallurgistes, association dépendant de la CGT. A cette époque, c’est Rol-Tanguy, métallo de Talbot Paris puis de Renault, militant de la première cellule d’entreprise créée dans l’usine au début 1924, qui est le secrétaire du syndicat des métallos de la région parisienne. A partir des années 1930, c’était toujours le syndicat des métaux qui était le premier du cortège syndical au Mur des Fédérés, et à la tête des métallos, on voyait Jean-Pierre Timbaud, ouvrier dans une fonderie d’art, trapu, « image d’Epinal avec ses couleurs chantantes et crues », comme le décrit Philippe Robrieux. C’est dans le Grenelle des usines Citroën qu’il avait mené la campagne électorale du Parti communiste, en 1932, contre Marceau Pivert. C'est sous ce fer forgé des métallos que furent accueillis les volontaires des Brigades internationales à leur retour en 1938, que s'enseigna la pratique pionnière en France de l'accouchement sans douleur, que ce tissèrent des réseaux de résistance. A la Libération, de solides barricades s’élèvent là comme avenue Parmentier, faubourg du Temple. Le 24 août, les Allemands essayent de les forcer en direction de la République ; ils sont repoussés à l’aide de grenades incendiaires et d’un canon de 77 pris à l’ennemi. La rue pourra alors honorer Jean-Pierre Timbaud, à ce moment-là fusillé depuis déjà trois ans, dès l’été 1941, à Chateaubriand. C'est dans la Maison des métallos que fut rendu le dernier hommage à Dulcie September, amie de Nelson Mandela, assassinée à Paris. La Maison a été rachetée par la ville de Paris, et confiée à la mairie du 11e pour devenir un lieu polyvalent. L’Union des métallurgistes y a conservé un espace pour installer son Institut d’Histoire Sociale.

En face, angle rue Morand, la mosquée Omar ; pendant la grande prière du vendredi, les fidèles débordent largement sur la chaussée de la rue Morand

Passage de la fonderie, l'aller
Passage de la Fonderie, le retour
- passage de la Fonderie (fin 2nd Empire), rénové en 1990:

- 70, rue J-P Timbaud : Cour des Fabriques, début 2nd Empire

- 10, Cité d’Angoulême, ancienne manufacture des frères Dutertre, 1853, peintres-décorateurs sur porcelaine, dont la façade monumentale était autrefois visible de la rue J-P Timbaud. Auj. atelier de Jean Nouvel

La Cour des Fabriques
- rue d’Angoulême (auj. J.-P. Timbaud). Cavaignac en attaque le 23 juin 1848 les barricades qui, avec celles de la rue des Trois Bornes, sont défendues par les Montagnards de Belleville, ravitaillés par la rue des Trois-Couronnes, et qui mettront deux généraux et 300 soldats hors de combat. De l’autre côté du faubourg, le Temple ne sera pris par la troupe que le surlendemain 25 juin. Les bronziers Abel Davaud, 19 ans, qui jouera plus tard dans le mouvement coopératif un rôle de premier plan, ou Henri Tolain, se sont battus sur ces barricades comme, dans celles du quartier Popincourt, les bronziers des Filles-du-Calvaire, des ouvriers en articles de Paris, des ciseleurs, des mouleurs, des cambreurs, des cordonniers, des chapeliers, des tailleurs.

(Alternative en prenant par la rue des Trois-Bornes:

- 19 rue des 3 Bornes (et 11 cité Holzbacher, qui reliait 3 Bornes au 28 Fontaine au Roi à compter de 1845, supprimée en 1876 ; les frères Holzbacher faisaient des portefeuilles, des albums, médaille de bronze à l’expo de 1834), on a le libraire Gosset, qui publie par exemple le discours du citoyen Agricol Perdiguier sur la fixation des heures de travail prononcé à l’Assemblée nat le 8 sept. 1848. Lieu de naissance d’Alfred Sisley, plaque.


- 9 rue des Trois Bornes, déjà attestée au 17e s. mais chemin de terre : Guithon SA, découpage, emboutissage, repoussage de métaux en feuille pour orfèvrerie, arts de la table, luminaires, etc.)

on tourne à dr. dans la rue Pierre-Levée
4 Pierre-Levée, ISMH, manufacture de Loebnitz, bâtiment peut-être de 1868, ou de 1880-84, par Paul Sédille, l’architecte du Printemps, sur lequel ont été posées les fresque réalisées pour le pavillon des Beaux-arts de l’Expo universelle de 1878.
12, Pierre-Levée, PLU boutiques au r-d-c, ateliers et logements en étage, 1907
15, ateliers métallurgiques Kurz
16, atelier sur cour
20, Pierre Levée, frise de fleurs en céramique sur ancienne manufacture de porcelaine ; escalier en coin dans la cour (ci-contre)
- 23 rue Pierre-Levée : les Plombiers-couvreurs de la Seine,

- 17, Fontaine au Roi : 28 mai 1871, dernière barricade présumée de la Commune (voir plus haut ; plaque). Le 28  mai, à 13h, y tenaient encore Jean-Baptiste Clément, Théophile Ferré, délégué à la Sûreté générale et son frère Hippolyte, Varlin, un garibaldien... « Au moment où vont partir leurs derniers coups, une jeune fille venant de la barricade de la rue Saint-Maur arrive, leur offrant ses services. Ils voulaient l’éloigner de cet endroit de mort, elle resta malgré eux. A l’ambulancière de la dernière barricade et de la dernière heure, Jean-Baptiste Clément dédia longtemps après la chanson des Cerises », écrira Louise Michel. C’est donc, sinon la dernière, en tout cas la barricade du Temps des cerises.


A la Goutt'd'Or, tu t'plais sûr'ment, mon vieux Léon

L'occasion de ce parcours : 3 balades, dont l'une avec les musiciens du groupe stambouliote Baba Zula, pour l’Institut des Cultures d’Islam, 19-23, rue Léon, à l’occasion des Veillées du Ramadan 2009.


Babarama pour l'Echomusée
Les quartiers administratifs de la Goutte d’Or et de La Chapelle actuels correspondent à eux deux à l’ancienne commune de La Chapelle, à laquelle le faubourg de la Goutte d’Or avait été rattaché en 1790. De 1790 à 1860, cette commune est hors les murs. Le boom commence après 1830 (qui est aussi le moment de la conquête de l’Algérie), et autour de 1840, en célébration de ladite conquête, des rues y sont nommées Constantine, (qui deviendra Myrha), Alger, (qui deviendra Mgr Affre), Oran qui s’est maintenue ; Mazagran qui restera algérienne mais deviendra Laghouat en 1864 quand les autres seront débaptisées.

A la sortie de l’ICI, - L’Olympic-café, salle de bal (1934, donc même date qu’immeuble suivant), investie et aménagée en salle de concert de 80 places, bar, restaurant depuis 1999, permet à beaucoup de gens, par sa convivialité et ses spectacles populaires, de découvrir ce quartier métis.

on va au 21 rue Laghouat :

- La rue Laghouat est ouverte en 1841 comme la rue Léon, la rue des Gardes, la rue Richomme (sous un autre nom), la villa Poissonnière. C’est le plein boom du lotissement du quartier : La Chapelle passe de 2 500 habitants en 1830 à 40 000 30 ans plus tard (le quartier administratif de la Goutte d’Or comptait en 1999 moins de 30 000 h, dont 30% d’étrangers, contre 17,5% en moyenne à Paris)
21, rue Laghouat (PLU) L'immeuble a été réalisé en 1934, pour le maître d'ouvrage Fernand Bertin, par les architectes et ingénieurs ESTP André Bertin et Abro Kandjian, qui ne voulaient pas accepter la domination des idées du Mouvement moderne.
Pour Abro Kandjian «nous voulions rompre avec l'architecture classique, mais sans tomber dans l'extrémisme d'un Le Corbusier. Notre maître à penser était alors Mallet-Stevens».
Pour cela, l'immeuble avait une façade avec de «légères avancées des salles de séjour et des balcons". Le matériau de façade reste la pierre de taille, «seule valeur sûre à l'époque pour un investisseur immobilier". Structurae
En 1934, cet immeuble d’appartements assez vaste constitue une rareté puisque qu’Antoine Prost, travaillant sur les recensements de 1926, 1931 et 1936, et sur les rues Polonceau et Goutte d’Or, y trouve beaucoup de commerçants, un grand nombre de débits de boisson et d'assez nombreux garnis pour célibataires ou couples sans enfants, des immigrants, mais qui viennent surtout de la France provinciale, un niveau très bas d'hygiène et de confort.

Rue Stephenson, autrefois des Moulins car menait à la butte des Moulins qu’on verra plus bas. En prenant à gauche, on sort de la « médina » telle que la délimite l’Aurore, en 1957 : c’est rue Myrha au Nord, Stephenson à l’Est, rues Charbonnière et Chartres au Sud, bd Barbès à l’Ouest.

Au bout de la rue Doudeauville, est construite en 1846 ce qui est alors la nouvelle mairie de La Chapelle ; après l’annexion de 1860, le bâtiment abrite justice de paix, bibliothèque publique, écoles, pompiers.

- 14 rue Jean Robert (PLU) : Immeuble mixte à usage de coopérative ouvrière et de logements construit en 1885 pour le compte de la Société civile de consommation du 18e. Il témoigne d’une rare incursion d’une coopérative ouvrière dans le domaine immobilier, avec logements pour rentabiliser l’opération. Ici, le r-d-c est destiné à un magasin coopératif ; sur 6 niveaux, les logements sont loués à des sociétaires qui en ont déterminé les caractéristiques : moulures, parquets de chêne, cheminées, papiers peints ; décorum qu’on retrouve en façade avec brique de Bourgogne au-dessus du soubassement en pierre alors que brique de Vaugirard nue sur cour ;

- 11, rue Ordener/angle Jean Robert (PLU) immeuble mi-19e s. Profusion décorative de la façade, 2 travées feintes, garde-corps en fonte, etc.

En 1900, les 2/3 de la superficie du quartier sont recouverts par les emprises ferroviaires : réseaux du Nord, de l’Est, raccordement des 2 réseaux entre eux, et raccordements des 2 à la Petite Ceinture. Toutes ces emprises, moins la station, sont déjà là à l’annexion, en 1860.

- station de Pont Marcadet, en 1900 : trains de Ceinture partant de gare du Nord, et trains-tramways de Saint-Ouen et Saint-Denis s’y arrêtent.

- rue Doudeauville (ouverte plus tôt : 1826, nom d’un ministre de Charles X) au n°31 rue Doudeauville : la Coop ouvrière de TSF ; fait régulièrement dans l’Humanité de la pub pour son « Supermétal 6 » qui permet de capter les « ondes rouges » que la rubrique radio du quotidien distingue des « ondes capitalistes ». Le discours de Thorez au 12e congrès du PC, à St-Ouen, en 1950, est ignoré de la TSF mais diffusé par Radio Prague (2 fois), Radio Budapest, Radio Varsovie…

- 33, rue Doudeauville : l’une des 2 coop du mouvement ouvrier juif de Paris avant 1914 : l’Association des ouvriers boulangers syndiqués (CGT). Probablement ancien temple luthérien : paroisse luthérienne dès 1855 regroupant 300 familles avec temple successivement rue Doudeauville, puis rue Myrha, puis rue des Poissonniers, avant le 90 bd Barbès actuel : temple luthérien Saint-Paul. Rue des Poissonniers = rue des Allemands.  Une centaine de manifestants du 9ème collectif de sans-papiers sera accueillie, à compter du samedi 14 mars 2009, par ce temple luthérien du boulevard Barbès. Avec l’accord du pasteur, ils occuperont les locaux tous les jours, de 14h30 à 20h, dans l’attente d’un rendez-vous avec la préfecture.

On jette un œil ds la rue Léon (du nom ou prénom du fils d’un propriétaire) au LMP :

- on a transformé en salle de spectacle, en 1986, l’ancien Lavoir Moderne Parisien, 35, rue Léon, lavoir jusqu’en 1953, soit pendant un siècle, contemporain de celui de la rue Neuve de la Goutte d’Or, auj. des Islettes, à l’emplacement de la Place de l’Assommoir. Ce dernier compte 108 places quand Zola vient y prendre des notes, en 1875 (pour l’introduire dans l’Assommoir qui paraît 2 ans plus tard). La rue Léon, axe culturel de ce quartier-monde, cette rue animée par le lavoir moderne parisien et l'olympic-café, organise l'été son festival "rue Léon" avec des animations autour des cultures africaines et des repas de rue. Une web-tv locale intitulée rueleon.tv réalise des reportages sur la vie culturelle du quartier.

Le lavoir, dans l’Assommoir, 1877 : « C’était un immense hangar, à plafond plat, à poutres apparentes, monté sur des piliers de fonte, fermés par de larges fenêtres claires. Un plein jour blafard passait librement dans la buée chaude suspendue comme un brouillard laiteux. Des fumées montaient de certains coins, s’étalant, noyant les fonds d’un voile bleuâtre. Il pleuvait une humidité lourde, chargée d’une odeur savonneuse, une odeur fade, moite, continue ; et, par moments, des souffles plus forts d’eau de javel dominaient. Le long des batteries, aux deux côtés de l’allée centrale, il y avait des files de femmes, les bras nus jusqu’aux épaules, le cou nu, les jupes raccourcies montrant des bas de couleurs et de gros souliers lacés. Elles tapaient furieusement, riaient, se renversaient pour crier un mot dans le vacarme, se penchaient au fond de leurs baquets, ordurières, brutales, dégingandées, trempées comme par une averse, les chairs rougies et fumantes. Autour d’elles, sous elles, coulait un grand ruissellement, les seaux d’eau chaude promenés et vidés d’un trait , les robinets d’eau froide ouverts, pissant de haut, les éclaboussements des battoirs, les égouttures des linges rincés, les mares où elles pataugeaient, s’en allant par petits ruisseaux sur les dalles en pentes. Et, au milieu des cris, des coups cadencés, du bruit murmurant de pluie, de cette clameur d'orage s'étouffant sous le plafond mouillé, la machine à vapeur, à droite, toute blanche d'une rosée fine, haletait et ronflait sans relâche, avec la trépidation dansante de son volant qui semblait régler l'énormité du tapage. »
L’action du roman se situe entre 1850 et 1868. Les seuls travaux d’Haussmann attirent à Paris 60 000 travailleurs, d’origine rurale, peu qualifiés. Cette arrivée supplémentaire de main-d’œuvre explique que, dans le bâtiment par exemple, on puisse chômer cinq mois par an. Les loyers montent et du fait des démolitions et du fait de l’afflux humain. Un loyer annuel à la Goutte d’Or, si le logis est équipé d’un poêle, vaut environ cent cinquante journées de blanchisseuse, ou cinquante journées de peintre. Sous le Second Empire la proportion de débits de boisson est énorme (un cabaret pour 8 personnes).

On revient prendre à dr. rue Doudeauville :

- la rue est certainement la plus commerçante et la plus animée jusque tard le soir. Au 64 de la rue se trouve une annexe de la célèbre maison de ventes aux enchères, Drouot. Au 80, on aperçoit la synagogue Kedouchat Levy, séfarade, population qui arrive là dans les années 1950 en même temps que les Algériens. Après l’instauration, en 1946, de la libre circulation des Français musulmans entre leurs départements et la métropole, l’immigration algérienne, de travailleurs adultes, remplace tout naturellement l’immigration provinciale dans ce quartier de garnis pour célibataires, sans confort et donc aux loyers faibles. Leur nombre, va décupler entre 1946, date de l’instauration de la libre circulation, et 1954, et il doublera entre 1954 et 1962.  En 1957, la préfecture de la Seine dénombrera « plus de 110 000 Algériens dans la Seine, ce qui fait de Paris la 3e ville musulmane algérienne après Alger et Oran, avant Constantine. »

A g. Poissonniers (la route de la marée est attestée depuis 1307 ; c’est la route d’entrée à Paris, Barbès/Ornano ne datent que du 2nd Empire), puis à g. Panama (en 1884, du nom du canal) :

- Les Africains arrivent vers 1980. Connivences, 10 rue de Panama. La SAPE : Société des ambianceurs et des personnes élégantes. C’est une pratique populaire née à la fin des années 1960 au Congo-Brazzaville, chez les jeunes. Il s’agissait de se distinguer en portant des vêtements de luxe. La jeunesse surnomma cette pratique la « lutte » : c’en était une pour arriver à acquérir ou emprunter cette denrée-là. Des « lutteurs » commencèrent à émigrer à Paris, vitrine de la mode, dans les années 1970, vivant souvent en clandestins. Revenant de temps en temps au Congo, ils y devenaient… des « Parisiens ». Fondée par Papa Wemba, le roi de la rumba congolaise. Voir Sapologie, vol I et vol II sur Youtube.

A dr. Suez pour retour sur Poissonniers,

On a, à dr. : - Le marché africain du Château-Rouge, rue Dejean, continue d’étaler des poissons exotiques : barracudas, tilapias, mâchoirons et capitaines. Les abords, notamment entre les n° 20 et 48 rue des Poissonniers, à gauche, ont vu s'ouvrir de nombreuses boutiques africaines.

on descend la rue des Poissonniers jusqu’à la rue Myrha :

On prend la rue Myrha (percée en 1841, du nom de la fille de Biron alors maire de Montmartre):

C’est à la barricade de la rue Myrha (en face du n°63, Myrha/Poissonniers) que Dombrowsky (ancien capitaine de l’armée tsariste, venu en France après l’échec de l’insurrection polonaise de 1862, devenu commandant en chef de la Commune) a été mortellement blessé, à 35 ans, le 23 mai 1871, le jour où Montmartre tombe ; il a d’abord été transporté à Lariboisière puis, déjà mort, jusqu’à l’Hôtel de Ville. Là, mis en bière dans son uniforme et enveloppé d’un drapeau rouge, il est conduit à la lueur des torches au Père Lachaise ; le cortège fait halte à la Bastille et dépose le corps au pied de la colonne de Juillet, « et les fédérés vinrent l’un après l’autre mettre un baiser sur le front du général », écrit Lissagaray. Au Père Lachaise, où les canons fédérés cessent pour cela de tonner, il est inhumé dans un caveau. Ses restes en seront retirés huit ans plus tard pour être mis dans une fosse commune du cimetière d’Ivry.
- groupe de la rue Myrha  de l’Association Internationale des Travailleurs (Ière Internationale, 1867). Il se réunit chez le Dr Dupas, au n° 76, deux fois par semaine. Victorine Brocher et son mari, qui habitent rue de la Chapelle mais ont fréquenté d’abord le cabinet du médecin, qui est celui de leur enfant, très malade, ont adhéré à ce groupe, la femme y entraînant l’époux. La loi ne permettant pas la réunion de plus de trois personnes sans autorisation officielle, c’est Roulier qui, secrétaire du groupe, fait la liaison avec les autres.
Le 16 novembre 1867, chacun des membres du groupe de la rue Myrha apporte le premier versement de ses 20 francs, payables par fraction, qui permettront la création d’une boulangerie coopérative dans le quartier de la Chapelle, qui sera la première à Paris (On a vu celles des boulangers juifs rue Doudeauville). Une épicerie coopérative suivra mais toutes deux couleront d’avoir trop fait crédit durant cet hiver 1867 où un froid rigoureux s’ajoute à la misère. La boulangerie coopérative renaîtra en 1873 mais, cette fois encore, sans pouvoir durer bien longtemps.
Mais Victorine Brocher, piqueuse de bottines qui a laissé des souvenirs, aura tout de même l’occasion d’y faire la connaissance de Léo Frankel (ouvrier-bijoutier, qui représente la section allemande de l'Internationale, sera Délégué au Travail, à l'Industrie et à l'Echange de la Commune et fera décréter l'interdiction du travail de nuit dans les boulangeries), d’Auguste Vermorel (qui sera élu au Conseil de la Commune par le XVIIIe arrondissement, grièvement blessé le 25 mai 1871. Il est transféré comme prisonnier à Versailles, où il meurt lentement faute de soins), de Charles Delescluse (qui sera délégué à la guerre de la Commune ; le 25 mai, il ne fera rien pour éviter la mort sur une barricade au Château-d'Eau).

On descend le bd Barbès > Kata

- Seul l’ancien Barbès Palace, construit en 1914 au 34 boulevard Barbès, peut faire concurrence au Louxor en matière d’ancienneté, mais sa typologie traditionnelle héritée du théâtre ainsi que son décor convenu - dans le goût Louis XVI - n’ont pas l’intérêt du « Louxor ». Au r-d-c du magasin de chaussures Kata, (là depuis 1988), sont préservés les décors du ciné, empruntés au music-hall tandis que la salle est calquée sur celle d’un théâtre : colonnes cannelées, couronnées de chapiteaux ioniques et de masques ; scène fermée par un rideau rouge, couverte d’un fronton cintré dont la clef s’orne d’une tête coiffée d’une lyre. Un escalier à 3 volées conduit au balcon dont la silhouette forme une belle courbe. La marquise extérieure (architecte P. Dubreuil) date de 1936 à l’occasion de la transformation de la devanture du cinéma. En janvier 1922, on y projette l’Assommoir, de Charles Maudru et Maurice de Marsan, en 4 épisodes, avec Jean Dax et Georges Lannes.

Au carrefour Christiani/Barbès/Poissonniers

- l’élargissement de la rue des Poissonniers en boulevard Ornano date de 1863, (il ne prend le nom de Barbès qu’en 1882). Gervaise le voit se réaliser sous ses yeux (l’action du livre, rappelons-le, se déroule entre 1850 et 1868) : « Tout un côté de la rue des Poissonniers était par terre. Maintenant, de la rue de la Goutte-d’Or, on voyait une immense éclaircie, un coup de soleil et d’air libre ; et, à la place des masures qui bouchaient la vue de ce côté, s’élevait, sur le boulevard Ornano, un vrai monument, une maison à six étages, sculptée comme une église, dont les fenêtres claires, tendues de rideaux brodés, sentaient la richesse. Cette maison-là, toute blanche, posée juste en face de la rue semblait l’éclairer d’une enfilade de lumière ».
Cette maison toute blanche de six étages, c’est le premier Palais de la Nouveauté de Crespin, de 1856, entre 11 et 15 bd Barbès, mais que Zola a vu reconstruit en 1874 (r-d-c et entresol aux magasins, étages loués).
"La maison créée par M. et Mme Crespin a pour objet principal la vente à crédit de marchandises de toute nature, principalement des objets d'ameublement, de literie, de bijouterie et d'habillement... vendus directement ou par l'intermédiaire de ses fournisseurs et des négociants avec lesquels elle est en rapport, payés par des acomptes mensuels ou hebdomadaires, reçus à domicile par les employés de la maison. Pour augmenter les facilités offertes aux clients, la maison accepte même à recevoir des dépôts de petites sommes applicables sur des acquisitions postérieures et proportionne à ces dépôts les ventes à crédit qu'elle consent. Les classes laborieuses sont naturellement celles qui profitent le plus des avantages qu'offrent ces crédits et dépôts. Par suite, le nombre des clients est extrêmement étendu, et les acquisitions faites sont d'importance généralement minime".

les dômes sur bd Barbès datent de 1910

On prend la rue Christiani,

1887-1892 Des travaux importants sont faits aux 30 à 34 rue de Clignancourt et 5 à 15 rue Christiani, ainsi que l'immeuble à rotonde et coupole à l'angle de ces deux voies (pilastres corinthiens, têtes de Mercure et caducées, balcon ouvragé). Le 7 et le 11 de la rue Christiani sont démolis puis reconstruits. Tous ces travaux sont dirigés par l'architecte Le Bègue. Les sculptures sont d'Etienne Leroux.
Crespin fait construire le hall central, large de 13,60 m, haut de 14 m et long de 57,82 m. Une usine centrale installée dans une dépendance permet de fournir l'électricité utilisée.

- 17, rue ChristianiAristide Bruant a vécu jusqu’à sa mort en 1925. L’immeuble haussmannien composait autrefois une des ailes des grands magasins Dufayel. L’homme au chapeau rouge peint par Toulouse-Lautrec habitait au quatrième à droite. Dans le couloir d’entrée, un vitrail Art nouveau de 2 mètres sur 3 que le célèbre chansonnier aurait commandé.

à l’arrivée sur rue de Clignancourt, on évoque le :

- bal du Château Rouge, ou Nouveau Tivoli, 42 à 54 rue de Clignancourt et 7 à 13 bis rue Custine.[le château datait de 1789, avait été le poste de commandement de Joseph Bonaparte, le 30 mars 1814, quand les Alliés arrivèrent à Paris.] Le bal a ouvert en 1844. De ses deux allées de tilleuls, l’une accueille l’orchestre sous une tente de coutil, les tables de café et la danse où rivalisent Pritchard, répétiteur de philosophie, la reine Pomaré (Elise Rosita Sergent, née en 1824 rue du Grand Prieuré, qui mourut dans la misère encore jeune, en 1846, dans un galetas de la rue d'Amsterdam qu'elle louait 15 francs par mois), Rose Pompon. La seconde allée est toute entière réservée à la promenade. L’éclairage en verres de couleur y joue sur les toilettes. C’est là qu’a eu lieu le premier de la campagne des banquets, le 10 juillet 1847, qui réunit 1 200 personnes, dont 86 députés ; c’est là que Martin Nadaud est convié, deux ou trois ans plus tard, au banquet qui commémore l’adoption du tarif négocié entre délégués patrons et ouvriers typographes en 1842 ; il y croise Pierre Leroux. Démoli en 1882.
Nana, la fille de Gervaise, « comme on l’avait flanquée deux fois dehors, au Château-Rouge, rôdait seulement devant la porte, en attendant des personnes de sa connaissance. La Boule-Noire*, sur le boulevard, le Grand-Turc**, rue des Poissonniers, étaient des salles comme il faut où elle allait lorsqu'elle avait du linge ».

*La Boule Noire  était « primitivement une goguette fondée en 1822 par une fille galante, Belle en cuisses, très en vogue sous le Directoire pendant lequel elle était l’amie de Barras.  Rigolboche ((Marguerite Badel) qui dansa le « chahut » ou « cancan» créé en 1845) y débuta et le quadrille des lanciers y fut lancé en 1857. Disparut vers 1880, remplacé par la Cigale
« Jupillon promit à Germinie de ne plus retourner au bal. Mais le jeune homme avait un commencement de réputation à la Brididi [de son vrai nom Paul Piston, fourreur dans la journée, « Le héros du lancé »], dans ces bastringues de barrière, à la Boule-Noire, à la Reine Blanche, à l'Ermitage. Il était devenu le danseur qui fait lever les consommateurs des tables, le danseur qui suspend toute une salle à la semelle de sa botte jetée à deux pouces au dessus de sa tête, le danseur qu'invitent et que rafraîchissent quelquefois,  pour danser avec elles, les danseuses de l'endroit. Le bal pour lui n'était plus seulement le bal, c'était  un théâtre, un public, une popularité, des applaudissements, le murmure flatteur de son nom dans des groupes, l'ovation d'une gloire de cancan dans le feu des quinquets. » Edmond et Jules de Goncourt, Germinie Lacerteux

- 26, rue de Clignancourt, au fronton de Dufayel, bas-relief de Dalou «le Progrès entraînant le Commerce et l'Industrie sous le regard protecteur de la Science et de l'Art» est sculpté en 1895. Le sculpteur Falguière réalise «la Publicité qui est l'âme du commerce» et «l'Economie et le Travail grâce auxquels on peut arriver à l'aisance". Structurae.
le Progrès entraînant le Commerce et l'Industrie

L'architecte Rives prévoit une nouvelle architecture de style «Louis XVI moderne» pour la rue de la Nation (Sofia). Les ferronneries sont dans le style "Art nouveau".1913. Dufayel reprend Crespin aîné en 1888, Dufayel qui travaillait chez Crespin depuis 5 ans quand Zola vint faire son enquête. 15 000 employés du temps de Dufayel ;
 Dufayel meurt fin 1916, ses magasins ferment en 1930. Puis BNP en 1946, jusqu’à 6 000 employés. Puis 2002 : il est créé 280 logements de différentes catégories. Des magasins comme «Virgin mégastore» et «La grande Récré» viennent s'y installer.

**Le Grand-Turc, 10 bd Barbès, face à la rue de Sofia, lieu de réunion de la colonie allemande  jusqu’à la guerre de 1870, (ouvert en 1806 rue des Poissonniers) fréquenté par Nerval et Dumas, cité dans l’Assommoir. Les vedettes en sont Céleste « Mogador » (Céleste Veinard) qui, plus favorisée que la reine Pomaré, épousa le comte Lionel de Chabrillan et mourut en 1909 ; Chicard (Lévêque, négociant en cuir de la rue Mouffetard, large pantalon et au chapeau pointu). En 1930, le bal remplacé par un immeuble destiné à loger le personnel des Galeries Barbès.

On remonte Barbès jusqu’à Poissonniers :

- mosquée Al Fath, qui sera intégrée dans le nouveau bâtiment de l’ICI

On prend rue Polonceau, à d.

- au 38 rue Polonceau existe toujours la maison d'un des meuniers, celui du Moulin des Couronnes, le dernier démoli ; siège de nombreuses associations, comme Grandiose. La rue, sur la crête d’une petite butte, avait pour rôle, à son origine, de desservir les cinq moulins qui se trouvaient sur la butte des Couronnes de 1750 à 1830 environ. Précédemment appelée rue des Meuniers, rue des Couronnes, chemin des Couronnes, plus anciennement chemin et rue des Cinq-Moulins. La rue fait partie de la ville de Paris depuis le 23 mai 1863 et porte depuis le 24 août 1864 le nom des Polonceau, le père à qui l’on doit le pont des Tournelles, et le fils qui perfectionna la locomotive. Jean-Barthélémy Camille Polonceau (1813 - 1859) est un ingénieur français aux chemins de fer, l’inventeur de la « ferme Polonceau » (ferme à double poinçon disposés en V inversé). Constructeur du train impérial de Napoléon III de la Compagnie du Chemin de fer de Paris à Orléans. L’un des 72 noms inscrits au 1er étage de la Tour Eiffel.

Pratiquement en face :

"le petit antre grise" d'Alain Bashung
- La villa Poissonnière, ses (13) maisons louis-philippardes (1840) aux murs garnis de céramique, et ses jardins, longtemps l’oasis du quartier, d’accès libre, a été le dernier domicile d’Alain Bashung.

- 29 rue Polonceau, G. Belus et A. Hénocq architectes. Cette petite opération mixte de réhabilitation – extension s’inscrit dans le cadre de la résorption de l’habitat insalubre en site urbain dense, au cœur de la Goutte d’Or. Une extension en bois sur cour vient se relier au corps de bâtiment principal. Elle permet la réalisation de 6 appartements PLUS traversant et d’1 commerce, et offre une grande diversité typologique. SIEMP

On prend Erckmann-Chatrian

- Ecole maternelle, 16 rue Richomme (architectes Jean-Louis Cardin, Jean-François Briand et Edouard Grassin, 1994) Pour "raccommoder la ville" dans ce "site décousu et fragmenté, résultat de la démolition du tissu urbain ancien", - de 1983 à aujourd’hui, plus de 100 immeubles ont été démolis à la Goutte d’Or dans le cadre de la rénovation du quartier -, les architectes ont voulu des matériaux sans "fantaisie" et "un changement d'échelle progressif", entre une crèche basse et un immeuble plus haut. Ainsi les salles de classes (un étage) en fond de parcelle masquent des immeubles peu esthétiques. Le bâtiment de 2 étages à droite abrite le réfectoire et un préau couvert d'un toit courbe gris, qui a un rôle de "repère et d'identification de l'école". Le long des immeubles mitoyens tout à droite, une construction haute plus banale abrite les logements de fonction.

On prend, à dr. dans la rue des Gardes, devenue une « rue de la Mode » où s’alignent les boutiques de créateurs ; le jeudi 4 juin 2009, a eu lieu vente aux enchères d'œuvres d'art, en particulier au 6bis, chez G’ART A LUI. La Goutte d’Or serait en voie de « gentrification », selon certains sociologues urbains parce que « boboïsation » n’est guère prononçable.

A g. : on aperçoit, entre les arbres du square (aménagé en lieu et place du passage Léon et d'immeubles détruits dans les années 1970 et 1980, et bien plus tôt du moulin Fauvet et de sa guinguette), réaménagé en 1990 puis en 2006) :

- La fresque murale sur les immeubles mitoyens est de Bernard Heloua, qui a laissé les jeunes grapheurs du quartier réaliser le bas de son œuvre.

Eventuellement, à dr. :
On descend Boris Vian ; on croise… la croix de St-André des rues de Chartes/Charbonnière. De 1830 à l’annexion, La Chapelle, commune à laquelle la Révolution a rattaché la Goutte d’Or, ce faubourg rural et viticole, est passée de moins de 2 500 à 40 000 habitants. Cela s’est fait, entre autres, par le lotissement des rues de Chartres et de la Charbonnière, dont le tracé adopte la forme d’une croix de saint André pour rendre plus facile la pente.

Puis rue Fleury :

1, rue Fleury : Centre musical Fleury Goutte d'Or – Barbara Un équipement public unique à Paris, dédié aux Musiques Actuelles ouvert en février 2008]

- fresque le long de l'école Saint-Luc : "les amoureux qui se bécotent...", de Geneviève Bachellier, artiste du quartier ;

On prend rue St-Luc, à gauche :

- l’église Saint-bernard, rue d’Alger quand est posée sa 1ère pierre en 1858 (auj. Affre), livrée au culte en 1861, d’abord comme annexe de St-Pierre de Montmartre ; néo-gothique en pierre de taille, toiture en ardoise dans le goût bourguignon. Par l’arrière, on voit les 2 sacristies et la chapelle de la Vierge, au couronnements pyramidaux : animation et variété des volumes extérieurs. Flèche de 60 m de haut. Elle a été, autour de 1996, le haut lieu du rassemblement des étrangers sans papiers. Dans le Square Saint-bernard, devant, dans les années 1930, la Phalange du 18e, groupe de théâtre ouvrier, faisait de l’agit-prop pendant le bal du 14 juillet, (Pour celui de 1931, la Phalange du 18e y a fait un lâcher de tracts) et accompagnait de ses chœurs parlés l’orateur du Secours Rouge International.

Du quai Malaquais à la place St-Germain des Prés, ou de l'abbé Prévost à Jean-Paul Sartre

Le prétexte de ce parcours est la balade conduite pour la librairie La Hune, 170 bd St-Germain à l'occasion de la réédition de mes Traversées de Paris. 2ème partie.

- N°17, 15, Quai Malaquais : hôtel de Chimay. Construit par Mansart dans la première moitié du XVIIe siècle, l'hôtel a été fortement remanié en 1740-1756. Le corps de bâtiment central, flanqué de deux ailes en retour, donne du côté du quai sur une cour d'honneur, de l'autre côté sur un jardin, qui le sépare du Palais des études. Après 1884, il a été presque entièrement évidé pour installer les ateliers de l'École des Beaux-arts. Seuls les salons du rez-de-chaussée sur le jardin conservent des éléments de décoration datant probablement du Premier Empire.
- N°13, C'est autour de la salle Melpomène qu'Auguste Perret a construit, après 1945, trois nouveaux étages d'ateliers (non visibles du quai). Il aménage également un couloir de circulation doté d'un éclairage zénithal qui le relie par l'intérieur à l'hôtel de Chimay. La partie ouvrant sur la cour de Chimay est aménagée dans le style des années 1940 : mur plaqués de marbre ocre, vasques lumineuses, pavage en damier noir et blanc. Une copie en plâtre du Voltaire assis et vêtu à l'antique de Houdon (1778), dont l'original se trouve dans le foyer de la Comédie-Française, y est installée, ainsi que la copie en marbre du Faune Barberini réalisée par Eugène-Louis Lequesne (1815-1887), Prix de Rome en 1844, à l'occasion de son Envoi de Rome de 1846 (l'original est conservé à la Glyptothèque de Munich).
- n°11-13 L'édifice situé entre le quai Malaquais et la Cour du mûrier a été construit par Duban entre 1858 et 1862, pour accueillir les expositions des concours scolaires.
Au rez-de-chaussée, la salle Melpomène est une grande nef à éclairage zénithal, qui s'ouvre, du côté du quai, sur un vaste vestibule rectangulaire. La salle Foch est située au-dessus de ce vestibule, auquel elle est reliée par un double escalier. Dans ce bâtiment au décor classique, Duban a utilisé une structure en fer, comme pour la cour vitrée du Palais des études.

- N°9 (le seul à ne pas appartenir aux B-A) Hôtel du 17e s., loué en 1714 par le prince de Transylvanie. Après l’éteignoir de la fin de règne, les tables flambent sous la Régence, on retrouve dans l’hôtel du n°9 le chevalier des Grieux : « Le principal théâtre de mes exploits devait être l’hôtel de Transylvanie, où il y avait une table de pharaon dans une salle et divers autres jeux de cartes et de dés dans la galerie. Cette académie se tenait au profit de M. le prince de R... [Rákóczy], qui demeurait alors à Clagny, et la plupart de ses officiers étaient de notre société. Le dirai-je à ma honte ? Je profitai en peu de temps des leçons de mon maître. J’acquis surtout beaucoup d’habileté à faire une volte-face, à filer la carte, et m’aidant fort bien d’une longue paire de manchettes, j’escamotais assez légèrement pour tromper les yeux des plus habiles, et ruiner sans affectation quantité d’honnêtes joueurs ». Abbé Prévost, Manon Lescaut.

Devant l’école des Beaux-Arts, le quai Malaquais est le quartier général des bouquinistes ; c’est là que le Colline des Scènes de la vie de bohème vient, quand il est en fonds, remplir la « poche aux langues étrangères » de son fameux pardessus-bureau vert.

Rue Bonaparte. Là passait le canal d’adduction, bras mort recreusé de la Seine, des fossés de l’abbaye quand celle-ci ajouta à ses fortifications des douves.

À la Révolution, l’ex-couvent des Petits-Augustins, fondé par la reine Margot en 1613, devient le dépositaire des œuvres sculptées enlevées aux édifices cléricaux. Dans ce musée des Monuments français, dont Alexandre Lenoir a été nommé conservateur le 4 janvier 1791 (le quai des Théatins prendra le nom de Voltaire exactement 4 mois plus tard), s’accumulent pans de murs et statues et, sous un assemblage composite de débris provenant du monastère de Saint-Marcel, près de Chalon-sur-Saône, où Abélard était mort, du couvent du Paraclet, voisin de Nogent-sur-Seine, où son corps et celui d’Héloïse avaient été réunis, et enfin de l’abbaye de Saint-Denis, le mythique tombeau des deux amants. La Restauration disperse le musée et fait construire, sur son emplacement, une École royale des Beaux-Arts, qui n’en garde que la façade du château d’Anet et, au milieu de la cour, une arcade du château de Gaillon (face à l’entrée, entre la cour d’honneur et la cour en hémicycle ; démantelée en 1977.

L'église du couvent des Petits-Augustins est la partie la plus ancienne de l'École des beaux-arts. La chapelle hexagonale, à droite au fond de la grande nef unique, dite " chapelle des louanges " a été construite pour Marguerite de Navarre (1553-1615), l’ex-épouse d'Henri IV. Après la dispersion de la plus grande partie des collections et l'attribution des locaux à l'École des beaux-arts, l’église devient un dépôt lapidaire puis un Musée des copies de la Renaissance italienne et française : moulages, envois de Rome de peinture y sont rassemblés, dont la grande copie du Jugement dernier de Michel-Ange faite à Rome en 1833 par Xavier Sigalon (1788-1837).
Le portail de la chapelle est celui du château d'Anet (Eure-et-Loir), commencé en 1548 par Philibert de l'Orme, architecte du roi Henri II, pour servir d'habitation à Diane de Poitiers, sa favorite durant vingt ans, la « plus que reine » comme on la nomme et pas parce qu’elle est plus âgée que le roi de quatre lustres. Haut de 22 mètres, il se compose de trois ordres superposés, toscan, ionique et corinthien.
Les deux fragments de pilier, placés aux côtés du portail d'Anet, proviennent de l'ancien hôtel de la Trémoïlle, construit à la fin du XVe ou au commencement du XVIe siècle dans la rue des Bourdonnais (presque en face, de l’autre côté du Pont Neuf), comme, de l’autre côté de la cour, en face, l'arcade en pierre de la première travée de la façade Sud (à la différence du portail d’Anet, ce n’est pas là le réemploi d’un reste du musée des Monuments français mais un exemple placé par Duban dans un souci de pédagogie architecturale).
A la suite du portail d'Anet s'étend un bâtiment orné de médaillons sur lave émaillée (comme ceux du côté opposé) œuvres des frères Balze (1868-1869) : ils représentent, en commençant par la droite, le sculpteur David d'Angers, le peintre Gros (Ant.-Jean), le sculpteur Cartellier (Pierre), le peintre Prudhon (P.-Paul).

Derrière ce bâtiment à médaillons, l'ancien cloître du couvent, où Alexandre Lenoir avait planté un mûrier de Chine, qui a donné son nom à cette cour ombragée. Duban reconstruit le cloître dès 1836 en le transformant en atrium antique bordé d'arcades et orné d'une fontaine. Sous le Second Empire, il complète le décor par des peintures dans le goût pompéien et les moulages des frises du Parthénon qui courent à mi-hauteur sur trois côtés.

Au fond de la cour Bonaparte, le Palais des Etudes est achevé en 1839 mais Duban eut plusieurs occasions de compléter son ornementation intérieure, notamment en réalisant le décor des galeries hautes et la couverture de la cour centrale, dont la restauration vient de s’achever et restitue toute l’importance de ces aménagements dans l’histoire de la polychromie monumentale du XIXe siècle.
À l'origine, la cour centrale du Palais était à ciel ouvert. En 1863, Duban la couvre d'une charpente métallique et d'une couverture vitrée ce qui permettra à son successeur Georges Coquart d'installer plus largement la collection de moulages d'antiques. Le Musée des antiques est inauguré en 1874.
Dans l’axe de la colonne (l’ange de bronze au sommet est une œuvre de Duban), l'Amphithéâtre d'honneur ou Hémicycle (autrefois consacré aux cours et aux distributions de prix) doit sa célébrité au chef-d'œuvre de Paul Delaroche (1797-1856) La Renommée distribuant des couronnes. Cette peinture, à la cire, a été terminée en 1841. Elle est signée et datée dans sa partie gauche. Endommagée par un incendie en 1855, elle a été restaurée en 1988.
La composition de Delaroche comprend 74 figures, toutes de grandeur nature : au centre, Ictinous, Apelle et Phidias, transformés en juges ; devant eux, 4 figures de femmes symbolisant les 4 grandes périodes de l'art (grec, romain, gothique, Renaissance) ; au milieu la Renommée distribuant des couronnes ; enfin à gauche et à droite, 67 ou 69 artistes, assis ou debout, paraissent converser entre eux (40 peintres et graveurs, 15 sculpteurs, 14 architectes).
Marix (de son vrai nom Joséphine Bloch, 1822-1891), le modèle de la Renommée, posait dès 15 ans, en 1837, pour Ary Scheffer, dans ce qui est aujourd’hui le musée de la vie romantique pour deux tableaux inspirés par le Wilhelm Meister de Goethe ; elle en a 19 quand elle pose pour Paul Delaroche, (atelier : 58 rue Saint-Lazare). Elle sera la maîtresse du peintre Boissard de Boisdenier quand se réunira dans l’appartement de celui-ci, à l’hôtel dit aujourd’hui de Lauzun, vers 1844, le club des Haschischins que fréquentent Balzac, Delacroix et un médecin aliéniste de Bicêtre venu étudier la production de rêves sans sommeil, le Dr Moreau, Théophile Gautier, naturellement Baudelaire, qui habite au-dessus en 1845, Apollonie Sabatier. Le sculpteur Geoffroy de Chaume a pris des moulages du corps de Marix dans son atelier situé à 2 numéros de l’hôtel de Lauzun. Gautier la retrouvera en 1858, à Schleswig, devenue baronne d’Ahlefeld
Marix en Mignon, ci-dessus et, ci-dessous, en Renommée


- Bâtiment des loges. Situé à gauche du Palais des Études, ce bâtiment à deux étages, rythmé par des pilastres corinthiens, destiné à accueillir les “logistes” des concours, a été édifié par François Debret entre 1820 et 1829, en même temps que l'aile gauche du palais qui lui fait face. Chaque année, au début du printemps – et jusqu’en mai 1968 –, les abords du bâtiment vont connaître l’attente fébrile des familles, des amis et des candidats aux prix de Rome, après qu’ils auront planché plus de trois mois au total dans des cellules ouvertes sur une galerie de surveillance. À la clé, cinq ans de séjour à Rome aux frais du gouvernement, et l’exemption du service militaire.

- N°13 rue des Beaux-Arts : Restauration, 1824, hôtel de voyageurs d’une vingtaine de chambres, réaménagé en 1968, puis rénové par l’archi d’intérieur José Garcia ; PLU.
Oscar Wilde y « meurt au-dessus de ses moyens », comme il le dit, ce 25 octobre, plus d’un mois avant, l'échéance fatale, en reprenant une énième coupe de champagne bien qu’il doive déjà 190 Livres à son propriétaire. Il s’accuse ce soir-là de l’échec de l’Exposition universelle, qui fermera ses portes le 12 novembre : les Anglais n’y sont pas venus, le sachant à Paris, et les Français le tiennent évidemment pour responsable de la désaffection de ses compatriotes. Quand il meurt pour de bon, le vendredi 30 novembre 1900, toutes les nourritures et boissons dont il s’est gavé s’écoulent par tous les orifices de son corps ; il faut brûler la literie. Quelques écrivains : Raymond de la Tailhade, Tardieu, Charles Sibleigh, Jehan Rictus, Robert d'Humieres, George Sinclair, viennent lui rendre hommage dans la chambre 13 qu’il occupe depuis plus de 2 ans sous le faux nom de Sebastian Melmoth. Le lundi, c’est de l’hôtel alors d’Alsace qu’on se rend à l’église Saint-Germain-des-Prés pour le service funèbre ; sur le cercueil, une couronne de perles du patron, Jean Dupoirier : « A mon locataire », et une autre signée « Le service de l’hôtel ». Paul Fort est dans les 56 présents qui l’accompagnent au cimetière de Bagneux, pour une inhumation provisoire.
Paris vu par Sebastian Melmoth dans une lettre envoyée de l’hôtel d’Alsace à l’été 1898 : « Paris est une épouvantable fournaise. Je marche dans des rues de cuivre et il n'y a plus personne ici. Même les classes criminelles sont parties au bord de la mer, et les gendarmes bâillent et regrettent leur oisiveté forcée. Indiquer une mauvaise direction aux touristes anglais qui demandent leur chemin est la seule chose qui les console. » Borges sera un habitué du même hôtel.

- N°8 rue des Beaux-Arts Pour le cinquantième anniversaire de la naissance de Baudelaire (né le 9 avril 1821, rue d’Hautefeuille), Fantin-Latour a pour projet de réunir autour d’un portrait du poète, sur le modèle de son Hommage à Delacroix, « les douze apôtres » du siècle poétique. Il espère voir dans son atelier du 8, rue des Beaux-Arts : Victor Hugo, Théophile Gautier, Leconte de Lisle, Théodore de Banville, etc. Comme ils tardent un peu à venir, il passe aux disciples, en commençant par Verlaine et Rimbaud.
Les Goncourt viennent voir l’avancement des travaux le 18 mars 1872 : « Il y a sur le chevalet une immense toile représentant une apothéose parnassienne de Verlaine, de d’Hervilly, etc., apothéose où il se trouve un grand vide, parce que, nous dit-il naïvement, tel ou tel n’ont pas voulu être représentés à côté de confrères qu’ils traitent de maquereaux, de voleurs »… C’est effectivement ainsi que Mérat parle de Rimbaud, et il ne figurera sur la toile (Un coin de table, musée d’Orsay, voir mon Paris des Avant-Gardes p.124-125) que sous les traits d’un pot de fleurs, à droite, au premier plan. Verlaine, lui, pose ici à longueur de journées. C’est en tout cas ce qu’il raconte chez lui, à sa femme, pour justifier absences et retards, tout le temps qu’il passe en réalité avec Rimbaud.

- N°31, rue de Seine : 1ère moitié du 18e, George Sand en 1831 ; Académie Raymond Duncan de 1929 à 1966. Le frère d’Isadora est visible sur un portrait de famille à la Douanier Rousseau qui s’intitule Le Groupe existentialiste devant Saint-Germain-des-Prés, où on le reconnaît en toge antique, aux côtés de Boubal, le patron du Café de Flore, Genet sous une calotte de bagnard, Sartre donnant la main à Juliette Gréco, Jacques Prévert en chapeau vert pré, Boris Vian et sa trompinette…

Quand l’Abbaye a doté ses fortifications de douves qu’alimentent un bras mort recreusé de la Seine (rue Bonaparte), des conflits concernant le droit de pêche se sont ajoutés à ceux qui l’opposent depuis toujours à l’Université. En compensation des empiètements de sa nouvelle enceinte, l’abbaye offre à l’Université le terrain compris entre les actuelles rues Jacob et Visconti et, côté ouest, le canal d’adduction des fossés : ce sera désormais le Petit-Pré-aux-Clercs, qui s’ajoute à l’autre. On va en faire le tour par Visconti, Bonaparte, Jacob.
L’Université, en mal d’argent, lotira le Petit-Pré-aux-Clercs à partir des années 1545 : la « petite Seine » sera comblée, une rue des Marais-Saint-Germain (auj. Visconti) ouverte perpendiculairement, qui constituera le premier foyer de peuplement hors des murs des protestants. Dans la Petite Genève, comme on appelle presque aussitôt l’endroit, chez Mme Bertrand, officie à ce moment le pasteur La Cerisaie.
- Au n° 4 de la rue des Marais-Saint-Germain, le premier baptême réformé est célébré à l’Auberge du Vicomte en 1555. Le synode national constitutif des Églises réformées en France s’y assemble du 25 au 29 mai 1559.
- Au n°16, a vécu Adrienne Lecouvreur, de 1718 à sa mort, le 15 mars 1730, peut-être empoisonnée par une rivale dans le cœur si hospitalier de Maurice de Saxe : la duchesse de Bouillon.
« À Paris, on les respecte quand elles sont belles, et on les jette à la voirie quand elles sont mortes », dira Candide des comédiennes, près de trente ans après. Quand Voltaire eut fermé les yeux d’Adrienne, l’abbé Languet de Gergy, curé de Saint-Sulpice, lui refusa la sépulture ecclésiastique ; on dut placer le corps dans un fiacre et, clandestinement, aller l’ensevelir au débouché de la rue de Bourgogne (auj. Aristide-Briand), au-dessus de ce port de la Grenouillère où s’arrêtaient les trains de bois destinés à l’approvisionnement de Paris, dans un chantier qu’on savait, hélas, souvent battu par les grandes eaux de la Seine. (maison postérieure à 1656 ; les garde-corps en fonte sont du 19e s.)
- N°17 : Balzac est en 1827 « homme de lettres de plomb » dans ce grand local du 17, rue des Marais-Saint-Germain, au-dessus duquel se trouve le petit appartement où il reçoit Mme de Berny. Delacroix aura son atelier à l’étage quelques années plus tard ; en 1838, il y fait monter un piano afin de peindre Chopin et George Sand ensemble. Malgré tant d’efforts, la toile sera coupée en deux après sa mort, et chaque portrait vivra une existence séparée. Delacroix y fait aussi une aquarelle du « bois » visible de sa fenêtre, car, si la rue est étroite ici, les maisons ont leurs aises à l’arrière. Ce bois est celui du Temple de l’Amitié du 20 rue Jacob (voir mes Traversées de Paris p.492).

- Du 16 au 24 rue Visconti, et 17-19 rue Bonaparte, 7 maisons d’après 1656 sur un ancien hôtel du 16ème s ; les n° 18 et 20 sont de 1682 mais au n° 20 vantaux Régence et appuis de fenêtre Régence ; le n° 22, maison de 1678. Racine a vécu au n° 24, construit en 1667, de 1692 à sa mort, en 1699, il n’y a guère écrit que ses Cantiques spirituels.

- « cellule de la rue Visconti » : Marguerite Duras a adhéré au Parti communiste à l’automne de 1944, est devenue secrétaire de la cellule 722, dite de la rue Visconti où Dionys Mascolo, son compagnon, et Robert Antelme, son ex-mari, auteur d’un extraordinaire récit sur la vie concentrationnaire, L’Espèce humaine, ont pour camarades Eugène Mannoni, alors journaliste à Ce Soir, le sociologue Edgar Morin, le romancier Claude Roy, le jeune Jorge Semprun et, tout de même, un ajusteur. En 1950, « la rue Saint-Benoît », c’est-à-dire Marguerite Duras et ses hommes, en est exclue à la suite d’un procès stalinien à Saint-Germain-des-Prés que décrira Gérard Streiff.

- Christo barra la rue Visconti, le 27 juin 1962, d’un Rideau de fer composé de barils de pétrole.

- N°20 rue Jacob : bâtiment Louis XV, appuis d’époque ; au fond, petit temple 1er Empire, ISMH depuis 1947. De part et d'autre de la porte, deux niches abritent l'une un buste d'Adrienne Lecouvreur, l'autre du Maréchal de Saxe ajoutés postérieurement. Le 7 novembre 1908, Natalie Clifford Barney s’y installait pour y attendre le retour de sa compagne Renée Vivien, qui mourut quelques semaines plus tard sans avoir jamais connu le 20, rue Jacob. Dès octobre 1909, elle y reçoit lors de ses « Vendredis », que Hemingway, Proust et Joyce fréquentèrent, et naturellement Rémy de Gourmont qui lui voua ensuite un long amour platonique et lui donna le surnom de l'Amazone. On y lisait des textes (Paul Valéry y a donné lecture du Cimetière marin).
Colette, qui habita de 1893 à 1901 au 3e étage du n°28 : « La plupart des maisons qui bordèrent la rue Jacob, entre la rue Bonaparte et la rue de Seine, datent du XVIIIe siècle. Le seul danger que j'aie couru rue Jacob était l'attrait de l'ombre, les brèves échappées d'air libre, quelques rafales de grêle printanières se ruant par la fenêtre ouverte, l'odeur vague des lilas invisibles venue du jardin voisin. Ce jardin, je n'en pouvais entrevoir, en me penchant très fort sur l'appui de la fenêtre, que la pointe d'un arbre. J'ignorais que ce repaire de feuilles agitées marquait la demeure préférée de Remy de Gourmont et le jardin de son "amazone". Beaucoup plus tard, je franchis la palissade du jardin, je visitai le petit temple qu'éleva "à l'amitié" Adrienne Lecouvreur. Garé du soleil, ce jardin ne veut, encore aujourd'hui, nourrir qu'un lierre de tombeau, des arbres âgés et grêles et ces plantes aqueuses qui croissent en couronne à l'intérieur des puits. »
Ernest Hemingway l'évoque ainsi : « Miss Barney (...) tenait salon chez elle, à dates fixes. Elle avait aussi un petit temple grec dans son jardin. Bien des américaines et des françaises suffisamment fortunées avaient leurs salons, et j'ai réalisé très vite que c'étaient des endroits à éviter soigneusement, mais Miss Barney, je crois, était la seule qui avait un petit temple grec dans son jardin »
- N°27, néoclassique non daté, PLU. En 1945, Paul Flamand achète au nez et à la barbe de Robert Laffont - qui louchait dessus - l'hôtel de la Grille, où résidaient écrivains et artistes. Rien de bien extraordinaire dans cet immeuble exigu, en dehors d'un dessin laissé par Ingres, à même le mur, et que l'on peut toujours admirer dans le bureau du patron. Quand ils s'installent là, en 1945, Flamand et Bardet publient les premiers textes de Roland Barthes, puis L'Histoire du surréalisme, de Maurice Nadeau, et la collection Esprit, d'Emmanuel Mounier. Jean Cayrol entre comme auteur et y devient éditeur. Le vrai succès arrive de façon inattendue en 1951, avec la sortie du roman de Guareschi Le Petit Monde de Don Camillo, refusé partout ailleurs. Le Seuil, qui publie toute la série, est obligé de monter un service commercial et une distribution. Et doit déjà s'agrandir en louant des locaux, d'abord au 19 de la rue Jacob, puis au 30. «Ce conifère, je l'ai toujours connu, simplement il était beaucoup plus petit lorsque je venais ici étant gamin», expliquait Pascal Flamand, le directeur général et fils de Paul Flamand, l'un des cofondateurs.
Sollers monte la revue Tel Quel, en 1960 ; «Ses deux bureaux du rez-de-chaussée étaient un véritable coffre-fort, où il complotait avec sa bande sous les dazibaos accrochés aux murs.
- n°5 : Restauration ; PLU ; fait angle avec le 2, rue de Fürstenberg, regarder pilier de la Porte de Fürstenberg de l’abbaye, de 1698, qui distribuait écuries et communs ;

- N°18 rue de l’Echaudé, et 9 Cardinale, et 2 rue de l’abbaye : 17; pilier sud de la porte de Bourbon (du nom du cardinal Charles de Bourbon), donnant directement sur la cour d’honneur de l’ancienne abbaye, créée en 1600 pour donner accès au nouveau palais abbatial. Pilier nord au n°20.

On passe la porte et à dr, rue Cardinale, ouverte en 1699 par Cardinal de Fürstenberg, comme le Passage de la Petite Boucherie à g.

Place Fürstenberg. L’évêque de Strasbourg est à la tête de l’abbaye en 1690 ; il fait tracer une avant cour, ou « cour des écuries » devant la cour d’honneur, et dans l’axe de la façade, à laquelle il fait ajouter un fronton triangulaire, et l’allée, et son entrée sur la rue Jacob.
- N°6-8, anciens communs, Delacroix y arrive fin 1857, alors qu’il travaille à Saint-Sulpice, entre une cour et le jardin de l’ancienne infirmerie de l’abbaye. Il y sera jusqu’en 1863.

Rue de l’Abbaye. À compter de 1507, Guillaume Briçonnet, abbé de Saint-Germain-des-Prés, attire auprès de lui le savant théologien et humaniste Jacques Lefèvre d’Étaples, et les disciples de celui-ci : Guillaume Budé, le fondateur du Collège de France, Gérard Roussel, l’aumônier de Marguerite d’Angoulême, sœur de François Ier ; Jean du Bellay, futur évêque de Paris, et Guillaume Farel, futur ami proche de Calvin. L’abbaye est le berceau de la Réforme.
Mais en 1586, le cardinal de Bourbon qui construit le nouveau palais abbatial, est l’un des chefs de la Ligue : Bernard Palissy est arrêté par la Ligue, en 1589, rue Visconti et enfermé à la Bastille, où il mourra sans avoir abjuré. Le siège mis autour de Paris par Henri IV, les protestants se sont emparés de l’abbaye. Du haut d’un clocher de Saint-Germain-des-Prés – lequel ? l’église en comptait trois, dont deux flanquaient le nouveau chœur –, le roi fixe le Louvre, son but, et englobe du regard la capitale qu’il veut reconquérir.
L’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, transformée en raffinerie de salpêtre en 1790, a été victime d’une grave explosion trois ans plus tard. Le percement de la rue de l’Abbaye, en 1800, a détruit le reste.

- N°3, palais abbatial de 1586, construit par Cal Charles de Bourbon
- N°8, à travers la vitrine droite de Donghia, on voit des fragment des premières assises du mur sud de la nef de la chapelle de la vierge.
- N°11-13, maison début 19e, élevée à l’emplacement de la salle du chapitre et du cloître ; elle conserve 6 travées de l’aile sud du gd cloître construit en 1736. PLU
- N°12, Empire ou Restauration, à l’emplacement cloître et réfectoire. PLU
- N°14-16 Restauration ; le mur mitoyen englobe la grande baie occidentale du réfectoire (visible à travers la porte du n°16) ; ce mur est ISMH depuis 1953. PLU

- Eglise 11e-12e s. La Restauration a déposé les 2 clochers latéraux, bien ébranlés, dans le but de les reconstruire, ce qui ne fut jamais fait.

- Sartre habitait en vigie sur la place Saint-Germain-des-Prés, l’immeuble d’angle du 42, rue Bonaparte, au quatrième étage. Ici se discutèrent les Temps modernes : « Une époque, comme un homme, c’est d’abord un avenir ». À la fin de la guerre d’Algérie, en 1962, les attentats de l’OAS font déménager Sartre. Départ, le roman de jeunesse de Simone de Beauvoir (commencé à l’été 1926), manuscrit acquis en 2008 par la BNF dans une vente publique, était probablement conservé dans l’armoire où Sartre entassait ses manuscrits et fut vendu comme beaucoup d’autres par un voisin indélicat après le plasticage de 1962.

- Dans la salle de la Société d’encouragement à l’industrie nationale, 44, rue de Rennes (auj. place Saint-Germain-des-Prés), où le parement extérieur de la tour Saint-Benoît de l’enceinte abbatiale fait saillie dans une salle, a eu lieu, le 22 mars 1895, la première projection privée du cinématographe : la sortie des ouvriers des usines Lumière.
La rue de Rennes commençait ici en 1883, avec ce n° 44 qui anticipait son démarrage à la Seine. L’éventration du quartier finalement stoppée avant ce terme, la numérotation allait rester en l’état jusqu’à ce que, ce tronçon initial ayant été reconverti en place Saint-Germain-des-Prés, la rue de Rennes ait désormais son début au n° 48 !

- Rue G. Apollinaire, le cinéma date de 1959.