Balade à bout d'souffle, ou "Qu'est-ce que c'est, dégueulasse?"


L’occasion de ce parcours est une balade emmenée depuis la librairie l’Arbre à lettres du 14, rue Boulard, 14ème.

19, rue Daguerre, premier atelier parisien de Hans Hartung qui, en octobre 1935, fuyant le nazisme, se fixera définitivement cette fois-ci, à 31 ans, à Paris. Il y devient l'ami de Jean Hélion et de Henri Goetz, son voisin de palier ; il rencontre Kandinsky, Mondrian, Magnelli, Domela, Mirò et Calder avec lesquels il expose à la galerie Pierre. De 1935 à la guerre, il participera chaque année au Salon des Surindépendants. L’un des maîtres de l’abstraction lyrique, il peint entre 1934 et 1938 la série des toiles appelées "taches d'encre".

13, rue Daguerre, PLU : Depuis la fin des années 1870, une fabrique de "colle de pâte" s'est installée dans la cour. Cette parcelle en drapeau, d'une surface de 1 700 m² environ, accueille actuellement l'imprimerie Arte de la fondation Maeght, dont s’occupe Jules, petit-fils d’Aimé Maeght. Datant du XIXe siècle, deux bâtiments de deux niveaux rappellent les origines industrielles de ce terrain. Le premier bâtiment, en brique apparente, s'implante en retour du passage Cocher le long de la limite nord de la parcelle. D'un plan rectangulaire, il se compose d'un haut rez-de-chaussée surmonté d'un étage de faible hauteur. La décoration est réalisée par un jeu savant de briques posées de biais et en arc plein cintre pour souligner les baies de l'étage. Ce bâtiment est probablement une ancienne remise avec grenier à fourrage. Le deuxième édifice est une maison individuelle implantée le long de la limite est de la parcelle. En pierre de taille et moellon recouvert d'un enduit, cette maison à rez-de-chaussée, surélevée d'un étage, est agrémentée d'un jardin privé.

11, rue Daguerre, PLU : Vers 1928, un ensemble d'ateliers d'artiste s'élève au cœur de cette parcelle étroite d'une surface de 900 m² environ. Adossés les uns aux autres le long de la limite ouest de la parcelle, les neuf ateliers, tous identiques, sont conçus selon un module répétitif qui renvoie à l'architecture industrielle. Les bâtiments à rez-de-chaussée sont en ossature bois avec des briques comme matériaux de remplissage. Afin de garantir un éclairage naturel, les toitures en sheds sont vitrées pour les versants orientés au nord. Chaque atelier est devancé par un jardinet formant une bande végétale continue sur l'ensemble de la cour. La faible volumétrie des ateliers permet de voir la végétation abondante et les petites maisons du lotissement de la cité Boulard situé sur la parcelle mitoyenne du 29, rue Boulard.

2, avenue du Général Leclerc et 32 place Denfert Rochereau, PLU : ce bâtiment d'habitation a un impact relativement important dans le paysage urbain. Elevé sur trois étages, couvert par un toit en tuile, ce bâtiment d'angle avec un pan coupé présente une écriture de façade sobre et régulière typique des maisons des faubourgs de Paris. Sa hauteur modeste, en contraste avec la grande densité des immeubles de rapport de la fin du XIXe siècle délimitant la place, donne à cet immeuble une dimension emblématique du quartier Daguerre situé à proximité mais en arrière-plan de la place Denfert.

PC souterrain de Rol-Tanguy. Henri Tanguy, le futur Rol, arrivant de Brest à Paris, à 15 ans, avec sa mère, avait tout naturellement trouvé un point de chute 10, rue de l’Ouest, où il allait rester jusqu’en 1939. Le PC de Rol-Tanguy et des Forces françaises de l’intérieur se dissimulait, pendant la semaine de l’insurrection, près de la galerie conduisant à l’ossuaire.

Le Lion de Belfort. Jacques Rivière à Gide, le 24 septembre 1911 : « Je vous écris au bruit de la fête du Lion de Belfort, ce qui me coupe complètement les idées et paralyse mon style. ». Trotski, pendant la guerre de 14 : « Les horloges de la ville s’arrêtaient les unes après les autres. Le Lion de Belfort avait, on ne savait pourquoi, de la paille sale dans la gueule ».

Gare RER : d’abord celle du chemin de fer de Sceaux, à compter de 1846, elle est la plus ancienne gare de Paris ; elle a été réaménagée en 1895 quand la ligne de Sceaux a été prolongée jusqu’à la station Luxembourg.

Les Catacombes : la ville d’os s’étendant de la place Denfert-Rochereau jusqu’à l’actuelle rue Rémy-Dumoncel. Nicolas Frochot, préfet de la Seine de 1800 à 1812, a eu l’idée de faire décorer de frises de tibias et de crânes les carrières où, depuis 1786, s’est vidé le contenu des cimetières désaffectés du centre de Paris : les restes de quelque six millions de personnes.

99, boulevard Arago : Henri-Pierre Roché est le premier acheteur de Marie Laurencin, et elle est le premier peintre avec lequel il commence sa « chère petite collection ». Quand il se lie avec Franz Hessel*, venu rejoindre la colonie allemande, les deux garçons sont bientôt les Jules (et Jim) de Marie. Dans son journal, à la date du 13 décembre 1906 : « — Elle nous aime un peu, tous les deux, dit [Franz]. — Oui, dis-je. — Elle a dit : Nos jeux à vous et à moi [Franz] se suffisent, nous jouons pour jouer. Tandis qu’avec lui tout est une pente vers être prise. — Elle joue mieux avec vous, dis-je. — Elle couche mieux avec vous, dit-il. — Vous préférez jouer. — Vous préférez coucher ». C’est dans cet immeuble, où il conservera toujours une chambre chez sa mère, que Roché trace ces lignes.
* Le père de l’auteur d’Indignez-vous !

67 et 69, bd Saint-Jacques / 2bis, villa St-Jacques, PLU : immeuble d’angle construit en 1877 par Jules Lecreux comportant une façade de 3 niveaux et de style éclectique. Représentatif des édifices à usage mixte d’habitation et d’atelier en vogue jusqu’à la fin du 19e. Façade en brique et pierre ornementé de frontons, oeils de bœuf, frises. Le n°69 s’inscrit dans la même lignée avec son fronton sculpté et ses baies d’ateliers.

 n°11 villa St-Jacques et Eglise Saint-Dominique, PLU : réalisée à l'initiative du cardinal Amette par l'architecte Gaudibert et inaugurée en 1921. Elle offre un bon exemple d'association du modernisme et de la tradition. Le plan centré et la coupole évoquent l'architecture byzantine et l'intérêt porté par Gaudibert aux travaux de Vaudremer et Abadie. La multiplicité des détails, comme les pendentifs de forme complexe, peut par ailleurs laisser place à une simplicité toute moderne, sensible dans le choeur, aux colonnes sans chapiteau. Gaudibert a adopté les nouvelles techniques pour cette construction au style éclectique. La pierre de taille est réservée aux entrées et au clocher : l'édifice présente une structure en béton armé, et des briques ou des pierres agglomérées assurent le remplissage, pour plus d'économie. L'intérieur enduit - mais sans décor - de fausses pierres - et simplement rehaussé de mosaïque ne nie pas la modernité des techniques.

En face, le 12 s’orne d’une copie de frise du Parthénon ? C’était l’atelier, jusqu’à sa mort en 1935, d’Adolphe Giraldon, biographe, en 1929, de son ami Luc-Olivier Merson (18 bis rue Denfert-Rochereau, auj. Henri Barbusse), peintre académique, fresquiste comme Jean-Paul Laurens et dans les mêmes lieux (voir plus bas), auteur de timbres postaux et de billets de banque.

15-17, villa St-Jacques / 26-32, Tombe-Issoire, sur 2754 mètres carrés : Ancien corps de ferme sur cour. Dernier exemple d'un bâtiment à vocation agricole à Paris, utilisé comme laiterie jusque dans les années 1950 (plusieurs dizaines de vaches encore pendant la seconde guerre mondiale). La charpente d'excellente facture a été réalisée par les maîtres compagnons. La cave voûtée est en pierre de taille. PLU. Au 26 : Elément particulier protégé PLU : Porte charretière de l'immeuble sur rue donnant accès à la ferme dite de Montsouris. Probablement la dernière porte charretière d'une qualité et d'un volume équivalent qui subsiste dans l'arrondissement. Des associations s’emploient à défendre également des maisons de faubourg typiques et une maison de maître unique à Paris : le « Pavillon Troubadour ». Les vestiges d’un aqueduc gallo-romain du III siècle retrouvé dans le sol de la cour de la ferme par Didier Busson, archéologue de la Commission du Vieux Paris, lors de fouilles en mai 1992. Cet aqueduc apportait l’eau notamment aux thermes de Cluny. Une carrière médiévale dite de Port-Mahon : le sous sol du terrain a été exploité au Moyen Age ; à compter de la fin du XVème siècle, laissée en l’état de fin d’exploitation, la carrière de calcaire n’a pratiquement plus subi aucune modification jusqu’à nos jours.

Place Saint-Jacques : De la révolution de Juillet au Second empire, les exécutions capitales se déroulent publiquement place Saint-Jacques. Puis devant la Roquette, puis devant la Santé jusqu’à la 2nde guerre mondiale. En juillet 1910, Jacques Liabeuf, qu’évoque Robert Desnos dans l’un de ses poèmes, a été exécuté, comme tous les condamnés à mort désormais, devant la prison de la Santé. Jean Jaurès est à demi assommé dans les échauffourées qui s’ensuivent ; un agent y est tué.

10-12, rue Jean-Dolent, immeuble de L’Avenir du Prolétariat, –première société mutuelle de retraite s’adressant à tous les «travailleurs prévoyants de l’atelier, des champs et du bureau», 200 000 adhérents, garanties par 42 immeubles dont celui-ci. Le siège social, au 325, rue Saint-Martin, datant de 1921, a été avec ses 5 à 6 000 m2, le QG de campagne de Lionel Jospin en 2002, avant d’abriter Jean-Paul Gaultier.

L'Avenir du prolétariat avant que JP Gaultier n'y accroche ses cintres

La prison de la Santé – son nom lui vient de celui de la rue, lui-même dû à l’hôpital aujourd’hui Sainte-Anne – inaugure ses cinq cents cellules au moment de l’Exposition universelle de1867. Un lotisseur habile prend la précaution d’en masquer la vue, pour une réalisation qu’il a en cours – neuf pavillons précédés chacun de son jardin –, en intercalant un immeuble. Si bien que « la rue Dolent et son lugubre mur d’enceinte carcéral » sont invisibles depuis l’allée Verhaeren, et réciproquement. Aussi quand Jay, le personnage des Cités intérieures d’Anaïs Nin, lira « sur une plaque de métal, Rue Dolent, rue dolente, ce qui se réfractait pour lui en dolorous, doliente, douleur », ne verra-t-il que le siège de la Ligue des droits de l’homme, dans l’ancien hôtel du lotisseur au n° 27, et, au n° 23, la petite maison de campagne du 18e siècle, déjà présente sur le plan Maire, qui, au tournant des années 1860-1870, avait appartenu à la famille Le Cœur.
Le peintre Jules Le Cœur et Pierre Auguste Renoir étaient amoureux de deux sœurs, leurs modèles, Clémence et Lise Tréhot. Charles Le Cœur, le frère de Jules, architecte des lycées Condorcet, Fénelon, Montaigne et Louis-le-Grand, allait procurer à Renoir sa première commande décorative dans une maison qu’il construisait pour le prince Georges Bibesco. Et voilà que Renoir se mettait à courtiser Marie, 16 ans, la fille de son bienfaiteur…
(On ne voit à peu près rien, de la rue, de l’ex-maison des Le Cœur, on ne l’aperçoit que depuis le métro aérien)

Faculté de théologie protestante de Paris. PLU. Ensemble de bâtiments implantés dans un vaste jardin, comportant deux éléments de grande qualité : un portail d'entrée, ouvert dans un pan coupé, constitué de deux colonnes toscanes supportant un entablement et un fronton triangulaire orné d'une minerve, et un bâtiment principal présentant une façade composée de deux étages sur rez-de-chaussée et un niveau de combles dont la travée centrale est signalée par des pilastres à bossage et un fronton brisé. Sa façade présente un avant-corps en saillie surmonté d'un petit campanile. La faculté de théologie protestante a investi les locaux préexistants en 1879.

On voit l’église des sœurs de Cluny ; très beau jardin qui s’étend sur trois niveaux. Il appartient, depuis sa création en 1849, aux Sœurs missionnaires, qui entre deux voyages, viennent méditer à l’ombre d’un superbe ginkgo biloba planté par la fondatrice de la congrégation. L’ancien potager, où poussent pêchers, poiriers, framboisiers, fraisiers, accueille lys et dahlias, roses et asters, et autres fleurs variées qui participent au fleurissement de la chapelle.

L’hôtel de Massa, datant de 1777 et alors, au coin de la rue d’Angoulême-Saint-Honoré (aujourd’hui de La Boétie), l’une des six seules constructions des Champs-Elysées jusqu’aux années 1830 ; l’hôtel de Massa dont son propriétaire, directeur des Galeries Lafayette, s’est défaussé sur l’État afin de réaliser un coup immobilier juteux aux Champs-Élysées, est en 1929 transporté pierre à pierre au 38, rue du Faubourg-Saint-Jacques, et attribué à la Société des gens de lettres fondée par Balzac et Hugo.

Cochin, en face : hospice ouvert autour de 1780 par Jean-Denis Cochin, le curé de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, pour ses paroissiens bien éloignés de l’Hôtel-Dieu,

Au 1, rue Cassini, Balzac, son entreprise d’imprimerie en faillite, vient se réfugier, sous le nom de Surville, nom d’épouse de sa sœur Laure, dans un petit immeuble (démoli depuis) de trois niveaux, souligné à l’arrière d’un large balcon soutenu par des colonnes ; il y fait sa mue. La Peau de chagrin, ce « conte philosophique » dont l’originalité réside en ce qu’il inscrit le fantastique dans le cadre du Paris de son époque, voit son tirage épuisé en quatre jours. C’était, à 32 ans, son premier livre signé Honoré de Balzac.
C’est rue Cassini que s’esquisse un projet qu’il croit alors pouvoir mener à bien en quatre ou cinq années de travail : La Comédie humaine. Ici, encore, qu’il répond à la première lettre, reçue chez son éditeur, d’une comtesse polonaise, sa cadette de six ans, qui s’ennuie dans un lointain château d’Ukraine : Eve Hanska.

Au n°2, 4ème étage, les Fournier s’installent le 26 mars 1910 avec leur fils Henri, 23 ans, et le couple Rivière. Son service militaire achevé, Henri a pu dégoter un emploi de rédacteur à Paris-Journal. Cinq ans plus tôt, le 1er juin 1905, jour de l’Ascension, comme il descendait les marches du Petit Palais en sortant du Salon de la Nationale, il a croisé une grande jeune fille blonde portant un ample manteau marron. Il l’a suivie jusqu’à l’embarcadère du Cours-la-Reine, puis sur le bateau-mouche dans lequel elle est montée, enfin, à distance, jusqu’à sa maison du boulevard Saint-Germain… Henri, sous le pseudonyme d’Alain-Fournier se met ici, pour de bon, à l’écriture du Grand Meaulnes.

3, Cassini, PLU : Immeuble présentant une façade composée de quatre étages sur rez-de-chaussée et de deux travées, dont une en bow-window courbe, couronné par un atelier d'artiste réalisé en 1903 par l'architecte F. Saulnier en collaboration avec le sculpteur Vermare. Façade en pierre de taille au porche orné de bas-reliefs représentant une femme à mandoline et un groupe d'enfants portant des fleurs.

3bis, Cassini, PLU : Maison-atelier présentant une façade composée de deux étages sur rez-de-chaussée, réalisée en 1906 par les architectes et peintres Louis Süe et Paul Huillard en collaboration avec le décorateur Louis Sire pour le compte du peintre Lucien Simon, membre de l'Institut (1861-1945). Les pièces de réception se trouvent au rez-de-chaussée, les chambres au premier étage et l'atelier au deuxième étage. La façade est traitée par un soubassement en lourd appareillage de pierre pour le demi sous-sol. Le rez-de-chaussée et le premier étage sont unifiés par un léger bow-window en saillie, et le couronnement assuré par le rythme régulier de six verrières dont la grande élégance est affirmée par une résille de poutres en béton armé. Des trois maisons-ateliers construite par Süe rue Cassini, elle est la plus raffinée par la légèreté de ses fines consoles et par le contraste du soubassement lourd en appareillage de pierre.

5, Cassini, PLU : Maison-atelier présentant une façade composée de deux étages sur rez-de-chaussée, réalisée en 1903 par Paul Huillard pour le peintre Jean-Paul Laurens (qui y arrive après avoir quitté la Cité Fleurie du bd Arago) dans un style historique "médiévaliste". Structure en ciment armé et façade en briques rouges, avec au deuxième étage une console qui rappelle celle de la cour de l'hôtel d'Assédat à Toulouse (1557). La distribution est la même qu'au 3bis rue Cassini : au rez-de-chaussée la grande baie du salon, ornée de belles grilles en fer forgé est dessinée avec un arc de briques en plein cintre, la porte d'entrée est surmontée de deux petites lucarnes. A l'étage, les fenêtres des chambres percent régulièrement la grande surface murale de briques qui est couronnée par les verrières du grand atelier. L'atelier du peintre qui occupe tout le dernier étage est demeuré dans son intégrité. C'est là que Laurens réalisa les toiles pour la décoration des salons de l'Hôtel de Ville.
Jean-Paul Laurens, auteur de fresques de la Sorbonne, de la Mort de sainte Geneviève au Panthéon, et du salon Lobau du nouvel Hôtel de Ville, avait bénéficié, à l’Expo universelle de 1878, d’une rétrospective individuelle ; il s’était transporté assez naturellement dans l’atelier n° 22 de la cité Fleurie du 61-65, bd Arago. André Gide était un habitué de sa maison, le fils du peintre, Paul-Albert, étant un condisciple de l’École alsacienne puis le compagnon de son premier voyage en Afrique du Nord.
Jean-Paul Laurens déménagea ensuite plus tard pour le 5, rue Cassini, l’un des trois ateliers d’artistes que venaient de construire Louis Süe et Paul Huillard.


7, Cassini, PLU : Maison-atelier d'artiste réalisée en 1903 par les architectes et peintres Paul Huillard et Louis Süe pour le peintre Czernichowski. Cette demeure, d'apparence classique, exprime toutefois une liberté par rapport aux conventions par la disposition de ses baies. De même la disposition décorative des pilastres, corniches, frontons, volutes, corbeilles de fruits n'est pas figée. Les fenêtres qui éclairent l'escalier, la porte d'entrée librement dessinée, les deux grandes fenêtres du salon à rez-de-chaussée, les trois baies de l'atelier du second étage, chaque ouverture possède sa logique propre et ne se soumet pas à une règle classique d'ordonnancement. Le plan en L reprend en revanche classiquement le modèle de l'habitat bourgeois : salon au rez-de-chaussée sur rue, salle-à-manger dans l'aile arrière sur jardin, premier étage avec les chambres, grand atelier au deuxième.

12, Cassini, 1930 ; course à la gloire

l’Observatoire : une construction scientifique, rigoureusement déterminée par son objet. Il sera exactement à cheval sur la méridienne de Paris, ses quatre faces orientées en direction des quatre points cardinaux, aussi élevé au-dessus du sol que profond en dessous grâce à un emplacement choisi sur une carrière, ce qui ménagera, du haut en bas, une cheminée centrale de cinquante-cinq mètres de haut à l’expérimentation. De la pierre et rien que de la pierre : ni fer, pour ne pas perturber les aiguilles magnétiques, ni bois, pour ne pas risquer de voir détruits par le feu les résultats. Ce qui en aura fait, à tout le moins, le plus ancien observatoire du monde encore en service, depuis les derniers aménagement apportés en 1683 au projet confié par Colbert à Claude Perrault, l’auteur de la colonnade du Louvre.
À l’Observatoire, une horloge parlante commença à dire l’heure qu’il serait exactement « au quatrième top »…

maison des fontainiers, 42 av de l’Observatoire : logement de fonction de l’intendant général des eaux et fontaines du roi, dont les derniers Francine, de cette dynastie d’hydrauliciens auxquels on doit les grandes eaux de Versailles, avaient joui de 1766 à 1784. Au sous-sol, les eaux apportées par l’aqueduc se répartissent entre trois bassins respectivement du Roi, de la Ville et des Carmélites ou des Entrepreneurs.

On arrive face à l’église du 72, av Denfert-Rochereau : Enfants-Trouvés, puis assistés, puis St-Vincent de Paul en 1942, dans les anciens bâtiments édifiés en 1655 par la générosité de Gaston duc d'Orléans, pour la congrégation des prêtres de l'Oratoire, ou Oratoriens. L'église en fut bénite en 1657, sous le vocable de la Présentation au Temple. Pour organiser l’abandon d’enfant, qui concernait chaque année quelques milliers de ceux-ci, l’Empire a décidé d’un hospice par arrondissement, et d’un « tour » par hospice, le tour étant une espèce de passe-plat pivotant pour nourrissons. À 6 ans, l’enfant trouvé était mis en pension chez un agriculteur ou un artisan, à 12, il était à la disposition du ministre de la Marine.

On traverse l’hôpital ; à gauche :

92, av Denfert-Rochereau / 271-285, bd Raspail : Infirmerie Marie-Thérèse, fondée par Céleste de Chateaubriand en octobre 1819 ; aux constructions d’origine, sur une vaste surface, au milieu d’un jardin – pavillon de l’Horloge avec retour en L, Mme de Chateaubriand a ajouté une chapelle en 1822 (elle y est inhumée) puis, en 1837-38, un immeuble plus central pour accueillir des hôtes plus nombreux, qui sera encore agrandi en 1892. En 1991, est construit l’immeuble sur le bd Raspail. La résidence de Chateaubriand, le pavillon dit de l'Horloge, jouxte l’infirmerie à droite de l'entrée. Il y vécut de 1826 à 1838, y finit les 18 premiers livres des Mémoires d’outre-tombe. L’infirmerie a conservé son activité première en dispensant des soins à des ecclésiastiques. Auj. 125 personnes, à 95% des prêtres retraités.

et arrière de la Fondation Cartier.
l’American Students and Artists Center, au 261, boulevard Raspail, se construisit sur une partie du parc de l’infirmerie Marie-Thérèse.

on aperçoit :
38-42, Rue Boissonade, PLU : Ensemble d'habitation édifié à la fin du XIXème siècle dans un registre monumental. La longue façade est rythmée par trois avant-corps terminés par une double hauteur et des toits en ardoise, accueillant probablement des ateliers d'artistes (de larges baies vitrées surmontées de frontons triangulaires). A ce niveau, une longue balustrade parcourt la façade. Le remplissage de la structure est composé de briques peintes en blanc. Porche monumental au centre.
Au bout, on aperçoit l’Ecole Spéciale d’Archi : En 1865, devant renoncer à réformer l'enseignement des Beaux-Arts, Viollet-le-Duc soutient le projet d'Emile Trélat, ingénieur centralien, pour créer une «école libre» d'architecture et réagir contre le monopole qu'exerçait l'Académie sur l'enseignement de l'architecture aux Beaux-Arts. Ce sera l'Ecole Spéciale d'Architecture reconnue d'utilité publique dès 1870. Depuis elle est devenue une association régie par la loi de 1901. Ses statuts permettent aux étudiants de faire l'apprentissage de leurs futures responsabilités. Ils participent en effet de plein droit aux instances aux côtés des professeurs, des anciens élèves et des représentants du personnel administratif, là où sont prises collectivement les grandes décisions de la vie de l'école : le conseil d'administration et l'assemblée générale.

1-20 Passage d’Enfer, PLU : Cité ouvrière d'Enfer ou cité de M. Cazeaux, construite par l'architecte Pigeory sous Napoléon III grâce aux décrets des 22 janvier et 27 mars 1852 consacrant 10 millions à l'amélioration du logement des ouvriers des grandes villes manufacturières. Une dizaine de ces cités furent construites à Paris permettant de créer environ 1500 habitations. Façades de plâtre et apparence modeste et répétitive. Rare exemple conservé d'un lotissement ouvrier cohérent dans un quartier laborieux.
En face, aux 24, 25, 26, 27 : arrière du bât Arfvidson.

Eugène Atget en 1927 par Berenice Abbot
Remonter au 17 bis Rue Campagne Première : Partant de son studio du 17 bis, rue Campagne-Première, c’est ce « vieux Paris »-là qu’Eugène Atget commence à photographier. Il en commercialise le résultat comme « Documents pour artistes », et il sollicite aussi les établissements publics afin qu’ils lui passent commande d’inventaires systématiques de tous les aspects de la capitale. En 1928 la photographe américaine Berenice Abbott achète le fonds resté dans le studio du 17 bis, rue Campagne-Première, où Atget vient de mourir sans héritier.

29, rue Campagne Première : Elsa Triolet occupe depuis 1923 ? la minuscule chambre 12 de l’Hôtel Istria. Elle y a vu débarquer, une dizaine de jours avant la première du 2 octobre 1925, la vedette et le clarinettiste solo de la Revue nègre : Joséphine Baker et Sydney Bechet. À la fin de 1928, elle y accueille Maïakovski auquel elle va servir d’interprète et, quelques jours plus tard, la toute petite chambre 12 est assez grande pour Louis Aragon.
Peu de temps après, ils louent un atelier dans l’immeuble mitoyen (31-31bis), à la façade décorée de grès flammé, construit par Arfvidson. C’est là qu’Aragon se remet au roman, interdit par le surréalisme, avec Les Cloches de Bâle, et qu’il demande à Elsa d’en écouter le début : « Quand j’eus fini ma lecture, tu gardas un assez long instant le silence. Cela se passait rue Campagne-Première, je m’en souviens comme si j’y étais. J’eus le temps de penser plusieurs choses. Puis, tu me dis très simplement : “Et tu vas continuer longtemps comme ça ?” (…) Il n’y a sans doute que moi pour savoir qu’au-delà de cette petite phrase de toi, en réalité les trois cents pages qui suivent ont été écrites pour justifier à tes yeux les cent premières ».
En 1960, À bout de souffle, Jean-Paul Belmondo alias Michel Poiccard, une balle dans les reins, y termine une longue course titubante. Renversé sur le pavé, il s’y ferme les yeux lui-même pour mourir ; il a eu de derniers mots peu clairs d’où émergeait : « …vraiment dégueulasse ». « Qu’est-ce que c’est, dégueulasse ? », demande Patricia/Jean Seberg, la jeune Américaine.

240-242, bd Raspail : Picasso y a un atelier d’octobre 1912 à l’été 1913 ; encore époque des papiers collés et de l’amour d’Eva, « Ma Jolie », dont il juge impossible de faire le portrait ; période des natures mortes des objets de l’atelier ou de la table de café. « Une dictature pesait sur Montmartre et sur Montparnasse. On traversait la période austère du cubisme. Les objets qui peuvent tenir sur une table de café, la guitare espagnole, étaient les seuls plaisirs permis. »
La cité d’artistes Nicolas Poussin regroupe autour d’une cour plantée au sol pavé un ensemble de bâtiments, percés de larges baies, à structure de bois aux colombages apparents noirs, qui se détachent sur les façades blanches, auquel vient s’ajouter une maison en brique sur rue au toit très incliné. Cet ensemble caractéristique des cités d’artistes du tournant du XXème siècle rappelle par sa typologie la Cité Fleurie, classée aux Monuments historiques. Située face aux ateliers de la rue Campagne-Première et au passage de l’Enfer, elle rappelle le rôle primordial de ce quartier dans la vie artistique du début du siècle.

On passe devant Archi et Camondo : L'école Camondo est un département des Arts Décoratifs, association loi 1901 reconnue d'utilité publique. Établissement privé d'enseignement supérieur créé en 1944 et reconnu par l'État par décret du 27 janvier 1989,

Avant de prendre la rue Schoelcher, on évoque, au 278 bd Raspail, la garçonnière de Ferat. La baronne Hélène d’Oettingen et Serge Férat, richissimes émigrés russes, avaient racheté les Soirées de Paris, qui s’élaboraient désormais entre l’ancienne garçonnière de Férat et leur appartement du n° 229 du même boulevard. Guillaume Apollinaire en était le directeur littéraire. « Tous les jours, après le repas sur la terrasse, sous un laurier en fleurs, on parlait de la revue », se souviendra la baronne.

5, Rue Schoelcher : atelier de Picasso, après celui du 242 bd Raspail, de l’été 1913 à oct. 1916, où il partira pour Montrouge. S’y retrouve seul : « lors de la mobilisation, j’ai conduit en gare d’Avignon Braque et Derain. Je ne les ai jamais retrouvés. » Mais c’est rue Schoelcher qu’il rencontre Cocteau, qui pose ici pour un portrait en costume d’Arlequin, dans lequel le modèle s’est totalement dissous, et convainc le peintre de travailler sur Parade. « Peindre un décor, surtout au Ballet Russe… ? C'était un crime. Jamais M. Renan dans les coulisses ne scandalisa plus la Sorbonne que Picasso le café La Rotonde en acceptant ma proposition. Le pire fut que nous dûmes rejoindre Serge de Diaghilev à Rome et que le code cubiste interdisait tout autre voyage que celui du Nord-Sud entre la place des Abbesses et le boulevard Raspail. »

11-11bis/12, rue Victor Considérant PLU : Immeuble à programme mixte, habitation-atelier, construit en 1927 par les architectes Gauthier père et fils. Il abrite 48 ateliers groupés autour d'une cour ouverte, et un étage de chambres de bonnes sous combles. Chaque appartement comprend un atelier de 35 m² environ, avec au moins un grand mur formant panneau pour les travaux de grande surface, une salle à manger cuisine, une loggia ouverte pouvant être utilisée comme pièce de repos. Dans la hauteur de l'atelier (5 mètres 50 environ) on trouve, formant partie entresolée et reliée par un petit escalier intérieur particulier, une galerie-balcon suspendue dans le vide de l'atelier, servant à la fois de dégagement pour les pièces de l'entresol, de décoration intérieure et de point de vue pour l'examen d'une oeuvre fixée au mur opposé. La construction est en béton armé, les façades traitées avec un rare dépouillement jouant seulement avec les contrastes d'échelle entre grandes baies des ateliers et fenêtres des pièces de service. Cette "simplicité rationnelle" lui a valu d'être mentionné au concours des façades en 1928.

10, rue Victor Considérant : Ancienne sous-station Raspail, affectée à des postes de redressement, aux services d’exploitation du réseau métropolitain et à l’entreposage.

11, Froidevaux / 1, rue Boulard, PLU : Immeuble d'habitation collective construit fin 19e début 20e siècle. La rotonde d'angle, progressivement évidée vers le haut, est maintenue par des bandeaux arrondis qui se prolongent sur les façades pour former des gardes corps. La façade est décorée par des incrustations de pierre emmaillées représentant des guirlandes de fleurs. Rotonde d'angle à fenêtres géminées, bow-windows, balcons traités en lignes courbes. Façade en pierre de taille et porte d'entrée ornée de sgraffites et de ferronnerie stylisés, aux motifs floraux. Réalisation exemplaire illustrant la typologie de l'immeuble de rapport au tournant du XXème siècle, et de ses qualités architecturales et décoratives.

15, rue Froidevaux. Le couple Jacques et Isabelle Rivière, née Fournier et sœur d’Henri/Alain-Fournier, logeait chez les Fournier, rue Cassini, depuis les épousailles du 24 août 1909 à l’église Saint-Germain des Prés, auxquelles n’assistaient qu’Henri et les parents Fournier. « Nous avons pris, ma femme et moi, une grande décision, celle de nous établir chez nous à la rentrée » ; ils sont à Bordeaux, Jacques monte à Paris deux jours pour trouver un appartement et écrit à Gide, le 19 août 1910 : « j’ai trouvé 3 pièces au 3e, rue Froidevaux, en face du cimetière Montparnasse. On a une vue admirable et l’appartement est très convenable. Son seul défaut est d’être un peu plus cher qu’il n’eût fallu (760 frs). – Mais je n’ai rien trouvé d’acceptable dans les prix modérés. J’aurai mon cabinet de travail. Je suis heureux comme un gosse. Et pourtant je prévois que ça va être dur, et qu’il faudra travailler beaucoup, surtout ne voulant à aucun prix me passer de bonne. » Ils s’y installent le 15 octobre 1910. Saint-John Perse les y visite, Madeleine Gide, Gide : « je passerai rue Cassini, si je trouve porte close rue Froidevaux » (les beaux-parents Fournier sont toujours rue Cassini). L’appartement est fermé pendant la guerre, Jacques est mobilisé, Isabelle est retournée chez ses parents. Leurs 2 enfants naitront rue Froidevaux. La crise de la NRF a lieu pendant qu’ils y habitent: la NRF de Gide et Copeau avait sa boutique au 1, rue Saint-Benoît, où se tenaient ses réunions mensuelles, et s’apprêtait à passer 35 et 37, rue Madame. Au sortir de la guerre, à l’été de 1919, la revue est en crise. Roger Martin du Gard en rend compte dans son journal : « D’un côté les anciens : Ghéon, Drouin, Schlumberger, évincés en fait ; de l’autre, sous la grande aile de Gide qui palpite à tous les vents, Rivière qui venait de donner sa démission et qui sort de là plus investi d’autorité qu’avant, Rivière qui, appuyé par Copeau, aidé par Gallimard, ouvrira largement la porte à des éléments nouveaux et jeunes, s’affirmera lui-même de plus en plus et sauvera la NRF ».
Fin 1920, les Rivière quittent cet appartement pour le 38 bis rue Boulard.

19, rue Froidevaux / 2, rue Lalande : Pavillon et immeuble de rapport du 19e.

21-23, rue Froidevaux, PLU : Immeuble à programme mixte, habitations et atelier d'artistes, construit en 1929 par G. Grimberg, architecte et Auclair entrepreneur. Le bâtiment, présentant une façade composée de sept étages sur rez-de-chaussée élevés en vis-à-vis du cimetière, développe une échelle monumentale basée sur les deux travées centrales en léger ressaut marquant l'inflexion du tracé de la rue Froidevaux. Trumeaux décorés de motifs floraux en mosaïque.

Dans un appartement du 4, rue Lalande fonctionne une popote de l’Iskra, l’organisation marxiste russe formée autour du journal illégal qui s’imprime alors à Munich, à Londres ou à Genève. Trotski, 23 ans, en transit entre Londres et Genève, y rencontre l’étudiante Natalia Sedova ; ils s’installent rue Gassendi. « Il nous arriva de contempler ensemble le tombeau de Baudelaire que l’on apercevait derrière le mur du cimetière Montparnasse », racontera-t-elle.

7, rue Danville, PLU : Immeuble de rapport réalisé par les architectes Henri Sauvage et Charles Sarrazin en 1904 pour Madame Weill. Il s'agit du troisième immeuble de rapport édifié par les deux associés. Destiné à la petite bourgeoisie, cet immeuble montre un caractère intermédiaire entre Habitation à Bon Marché et immeuble de rapport. A ce titre, Sauvage et Sarazin utilisent, pour les fenêtres de la cage d'escalier, les même parements d'allège que pour le 20 rue Sévero et jouent, comme pour leurs HBM, sur un discret effet de polychromie entre la brique silico-calcaire de la façade et la brique rouge des allèges de fenêtres. L'austérité de la brique est relevée par des éléments en pierre de taille, notamment les fortes clés des plates-bandes couronnant les fenêtres, qui forment les consoles supportant les balcons de l'étage supérieur.

du 4 au 10, rue Charles d’Ivry, dont le dragon du n°8, immeubles de Paul Schroeder de 1898 à 1900, un architecte qu’on va retrouver Villa Louvat.

42, rue Boulard, PLU : Maison individuelle édifiée dans la première moitié du XIXème siècle. La maison, présentant une façade composée de deux étages sur rez-de-chaussée et élevée dans une volumétrie compacte, occupe une parcelle d'angle située en fond de perspective de la rue Ernest Cresson. Sa volumétrie régulière, la sobriété de son architecture est représentative des bâtiments construits dans la commune du petit Montrouge avant l'annexion de 1860.

38 bis, rue Boulard : domicile d’André Lhote où commence « l’affaire Rivera ». Pierre Reverdy, qui vient précisément de lancer une revue, le 15 mars 1917, au nom de la ligne de métro citée plus haut par Cocteau, Nord-Sud, y a donné un article, « Sur le cubisme », dont il reprend les envolées théoriques face à Diego Rivera et André Lhote, chez lui, un mois plus tard. Rivera alpague Reverdy, et Max Jacob, observateur du pugilat, prévient Jacques Doucet qu’il s’ensuivra certainement une coupure durable entre Lhote, Metzinger et les cubistes russes qui se rangeront derrière Rivera et, de l’autre côté, Braque, Gris, Picasso qui soutiendront Reverdy. « L’affaire Rivera » est portée en place publique et, au numéro 3 de Nord-Sud, le 15 mai, Reverdy signe Une nuit dans la plaine, conte dans lequel on reconnaît sans peine le glouton Rivera – ce pourquoi il était obèse –, en cannibale, « anthropoïde sans vergogne » se prenant pour un savant mathématicien (Rivera étudiait les théories de Jules-Henri Poincaré), alors qu’il n’est que le doyen d’une école de suiveurs.
Depuis la fin 1920, les Rivière habitent ici, au même étage que Lhote mais de l’autre côté de la cour. Les « mercredis de la NRF » se tiennent ici. Jacques Rivière y meurt en janvier 1925. Alain Rivière, qui avait 5 ans à la mort de son père : « On le soigna pour une grippe dont il sembla vite guéri, si bien qu’il crut pouvoir sortir un dimanche avec son frère Pierre. Tous deux passionnés d’automobile, ils firent à la campagne une randonnée en voiture découverte pour le plaisir de la vitesse et l’amour de la mécanique. Au retour, mon père se remit au lit. Il avait repris froid et l’on continua de le soigner pour la grippe. Au bout de quelques jours, ma mère nous confia, ma sœur et moi, à nos amis Lhote qui habitaient au même étage que nous, de l’autre côté de la cour. J’y restai jusqu’à ce qu’on vînt me chercher pour m’annoncer la nouvelle. »

1 et 2, villa Louvat, PLU : Deux bâtiments en vis-à-vis, à programme mixte, habitation et atelier d'artiste, construit en 1913 par l'architecte Schroeder. L'immeuble situé au n°1, élevé sur six niveaux, est composé selon un axe de symétrie matérialisé par le bow-window. La décoration basée sur des carreaux de céramique s'inspire de l'immeuble de la rue Campagne-Première édifié par Arfvidson en 1911. En vis-à-vis, l'immeuble situé au n°2 reprend les mêmes motifs décoratifs exprimés avec plus de sobriété.

Le 26/12/1888, après l’automne à Arles, rentrant avec Théo Van Gogh, qu’il avait appelé au moment de l’épisode de l’oreille coupée, Gauguin laisse Théo à la gare et va rejoindre son ami Schuffenecker qui l’héberge au 29 Rue Boulard. Le lendemain, 27 Decembre 1888, il passe la soirée au Café de la Nouvelle Athènes (Place Pigalle), le rendez-vous des Impressionistes. Il y vient aux nouvelles, après cette absence de plusieurs mois et, naturellement, raconte ce qui s’est passé pour Van Gogh. Un télégramme envoyé au café par un capitaine de la garde municipale, le prévient de l’exécution imminente d’un condamné à mort, un assassin, Louis Frédéric Stanislas Linska de Castillo, dit Prado. A 2 heures et demie du matin, il file avec un ami vers la Place de la Roquette, où ils battent la semelle, dans un froid glacial en attendant l’installation de la guillotine et l’exécution…

23, rue Boulard, PLU : Ecole maternelle réalisée pour la Ville de Paris par l'architecte Marion Tournon-Branly en 1963. Les sept classes, sur cour, occupent un corps de bâtiment à deux niveaux dont la façade est remarquablement dessinée par un jeu de poteaux et de bandeaux de béton brut, interrompu par quelques panneaux de briques posées de biais qui accrochent la lumière. Sur rue, où ne s'ouvraient, outre l'entrée, que deux appartements de fonction, la brique tient une place plus grande, avec un appareillage de la brique inspiré d'exemples danois. Ancienne élève de Perret puis collaboratrice de Paul Nelson, Marion Tournon-Branly affiche clairement sa filiation dans cette oeuvre où la brutalité de la structure de béton joue avec la chaleur de la brique selon un principe déjà mis en valeur par Paul Nelson pour la Maison Brooks du 80, boulevard Arago (1926, ou 29-30 ?). Une extension sur rue abritant le réfectoire a été réalisée en 1987 par Poman et Goutman.

Le 1er août 1942, Lise Ricol, fille d’un réfugié politique espagnol, dirigeante des comités patriotiques féminins, prend la parole devant le Félix-Potin de la rue Daguerre, appelle à s’emparer du ravitaillement là où il y en a, à refuser réquisitions et départs en Allemagne, à s’engager dans les maquis. Arthur London, l’un des responsables nationaux de la M.O.I., et elle seront arrêtés onze jours plus tard.

Découvrons le nombril de Paris


Découvrons le nombril de Paris. Rien moins. C’est la Croix-du-Trahoir, au débouché de la rue de l’Arbre-sec sur la rue Saint-Honoré, intersection des routes des « entrées solennelles » royales : celles de l’est – de Vincennes, et de Reims – par les rues Saint-Antoine et Saint-Honoré, et celles du nord – de la basilique de Saint-Denis – par la rue éponyme, puis les rues de la Ferronnerie et Saint-Honoré. C’est aussi la route dominicale des protestants tant que l’Edit de Nantes reste en vigueur, entre leur temple de Charenton (bâti en 1607, incendié en 1685) et la « petite Genève » de la rive gauche autour de l’actuelle rue Visconti.
François Ier y a fait mettre une fontaine dès 1529, que Jean Goujon décorera plus tard d’une naïade assez semblable à celles de la fontaine des Innocents ou du musée Carnavalet. Elle reçoit alors les eaux de source du Pré-Saint-Gervais qui, avec celles de Belleville, alimentent la rive droite, eaux que rejoindront à partir de 1643 celles que Marie de Médicis a fait arriver par l’aqueduc d’Arcueil en son Luxembourg et qui poursuivront jusqu’à la Croix-du-Trahoir en passant dans le tablier du Pont-Neuf, et au-delà jusqu’au Palais Royal quand la régente, Anne d’Autriche, s’y installera avec le petit Louis XIV.
« Par la Croix-du-Trahoir ! », c’est l’itinéraire qu’Henri IV indique à son cocher au sortir du Louvre alors qu’il va visiter Sully, le 14 mai 1610. Ce seront ses dernières paroles : il sera arrêté par les coups de Ravaillac dans la rue de la Ferronnerie, rétrécie par les boutiques bâties contre la muraille du cimetière des Innocents.
Une dizaine d’années plus tard, Cyrano de Bergerac, naît d’un côté, rue des Prouvaires ou dans le bas de la rue Dussoubs, et Molière de l’autre, à l’angle de la rue Sauval et de la rue Saint-Honoré. Qui dit Molière et Cyrano dit Ragueneau ; quand ils ont 19 ans, Ragueneau s’annonce, sur l’acte de baptême de sa fille, « pâtissier de M. le cardinal de Richelieu », et deux ans plus tard, sur celui de son fils, « pâtissier de Mademoiselle », comme on nomme la fille de Gaston d’Orléans et nièce de Louis XIII, duchesse de Montpensier. Tout cela fait fort noble mais le dictionnaire de Furetière nous rappelle qu’on « dit proverbialement d’une personne effrontée qu’elle a passé par devant l’huis du pâtissier. Cela vient de ce qu’autrefois les pâtissiers tenaient cabaret, et à cause qu’il était honteux de les fréquenter, les gens prudes n’y entraient que par la porte de derrière et c’était une effronterie d’y entrer par la boutique, ou par le devant. »
C’est chez « ce fameux pâtissier Ragueneau, qui, avec six garçons dans sa boutique, travaillant sans cesse auprès d'un feu continuel dans un four achalandé, faisait la nique à tous les pâtissiers de Paris; ce fameux pâtissier Ragueneau, qui ne faisait pleuvoir sur le Parnasse que des pâtés de Godiveau », comme l’écrira son ami d’Assoucy, que Cyrano, le verre levé, donne « à [ses] amis les buveurs d’eau » une ironique « description de l’aqueduc » d’Arcueil quand celui-ci arrive jusqu’à la fontaine de la Croix-du-Trahoir. Les commensaux ont nom Chapelle, Scarron, Tristan L’Hermite, d’Assoucy. On appelle alors pâté à la Mazarine « celui qui a la croûte feuilletée », nous dit Furetière.
Ragueneau était installé, rue Saint-Honoré, au débouché de la rue Saint-Thomas-du-Louvre ; cette dernière ayant disparu dans sa totalité, déplaçons notre pâtissier-rôtisseur à un angle équivalent, en face de la fontaine de la Croix-du-Trahoir, dans un bâtiment contemporain du sien.  
La Fronde commence à ce carrefour, en mai 1648, telle que la raconte celui qui est alors le coadjuteur de l’archevêque de Paris et sera plus tard le cardinal de Retz : « Une foule de peuple, qui m'avait suivi depuis le Palais-Royal, me porta plutôt qu’elle ne me poussa jusques à la Croix-Du-Tiroir [du Trahoir]… » Mazarin et la reine mère, Anne d’Autriche, au prétexte que le parlement de Paris refuse depuis plusieurs mois l’enregistrement de sept nouveaux édits fiscaux, ont fait arrêter l’un des membres de la compagnie, Pierre Broussel, très populaire : « parmi le peuple ils l’appelaient leur père, c’était un homme de bien et de vertu », selon les Mémoires de Mlle de Montpensier. Le Parlement va réclamer sa libération, se satisfait des promesses de la régente, et les deux premières barricades qu’il rencontre au retour s’en contentent également. « La troisième, qui était à la Croix-Du-Tiroir, poursuit Retz, ne se voulut pas payer de cette monnaie ; et un rôtisseur, s’avançant avec deux cents hommes, et mettant la hallebarde dans le ventre du premier président, lui dit : “tourne, traître ; et si tu ne veux être massacré toi-même, ramène-nous Broussel ou le Mazarin et le chancelier en otage”. Vous ne doutez pas, à mon opinion, ni de la confusion ni de la terreur qui saisit presque tous les assistants... »
Ce rôtisseur, on jurerait que c’était Ragueneau. « Le mouvement fut comme un incendie subit et violent qui se prit du Pont-Neuf à toute la ville. Tout le monde, sans exception, prit les armes. L’on voyait les enfants de 5 et 6 ans avec les poignards à la main ; on voyait les mères qui les leur apportaient elles-mêmes. » Plus de douze cents barricades s’élèvent en moins de deux heures, « bordées de drapeaux et de toutes les armes que la ligue avait laissées entières ». La reine mère, régente du royaume « s’enfuit de Paris, écrira Voltaire, avec ses enfants [dont le petit Louis XIV qui n’a pas encore 10 ans], son ministre, le duc d’Orléans, frère de Louis XIII, le Grand Condé lui-même, et alla à Saint-Germain, où presque toute la cour coucha sur la paille. On fut obligé de mettre en gage chez les usuriers les pierreries de la couronne. »
Ragueneau, « c'était le meilleur homme du monde, poursuit d’Assoucy, il faisait crédit à tout le Parnasse ; et quand on n'avait point d'argent, il était trop payé, trop satisfait, et trop content quand seulement d'un petit clin d'œil on daignait applaudir à ses Ouvrages*. Je me souviens que, pour avoir eu la patience d'écouter l'une de ses Odes pindariques, il me fit crédit plus de trois mois sans me demander jamais un sol. » Mais à force de n’avoir affaire qu’à des clients qui payent seulement d’une oreille ouverte ce qui s’engouffre par une bouche ouverte plus grand encore, Ragueneau est bientôt contraint de fermer boutique ; il sera même en prison pour dette durant un an. A sa sortie, avec Marie sa femme, et ses enfants, il rattrape au Languedoc Molière, qui lui aussi a dû quitter Paris, avant la Fronde, et qui en a pour dix ans d’errance avec sa troupe de l'illustre Théâtre. Ragueneau y finira moucheur de chandelle mais sa fille, Marie comme sa mère, y sera actrice dès 1663 et neuf ans plus tard en épousera La Grange, le fidèle compagnon de Molière.
Faisons une seconde petite entorse à la topographie en plaçant dans la maison même qu’a quittée Ragueneau la boutique où s’installe Rose Bertin en 1772, à l’enseigne du Grand Mogol, qui se situait plutôt entre l’actuelle rue de Marengo et la place du Palais-Royal, toutes maisons aujourd'hui disparues [Elle était née Marie-Jeanne Bertin, à Abbeville, le 2 juillet 1747. Elle s'installera 26, rue de Richelieu en 1792. Elle mourra le 22 novembre 1813]. Cette année-là, on en est encore à la mode, qu’elle a lancée, des bonnets de plumes dits Panaches à la Quèsaco. A la place « des oies, des canards, des paons blancs » accrochés au dais en fer forgé de Ragueneau, on a donc maintenant des panaches à plumes qui n’en sont pas très différents. Puis Rose Bertin lança les « poufs au sentiment ». « C’était une coiffure dans laquelle on introduisait les personnes ou les choses qu’on préférait. Ainsi le portrait de sa fille, de sa mère, l’image de son serin, de son chien, etc., tout cela garni des cheveux de son père ou d’un ami de cœur. C’était incroyable d’extravagance », écrit la baronne d’Oberkirch. Heureusement, si l’on peut dire, le 11 mai 1774 Louis XV s’éteint et la gravité du deuil met fin à cette mode ridicule. Mais du coup, Marie Antoinette devient reine, à 18 ans, et Rose Bertin la « ministre de la mode ». De chez cette « singulière personne, gonflée de son importance, traitant d’égale à égale avec les princesses », comme l’écrit la baronne d’Oberkirch, part désormais « la poupée de France », le mannequin articulé, « attifé, coiffé à la dernière mode, qu’on envoyait dans les pays étrangers pour y apprendre les modes de la cour de France. Elle va du Nord au Midi, raconte Mercier, elle pénètre à Constantinople et à Saint-Pétersbourg et le pli qu’a donné une main française se répète chez toutes les nations, humbles observatrices du goût de la rue Saint-Honoré ».
Seulement la fontaine de la Croix-du-Trahoir, juste à côté de la boutique de la ministre, tombe en ruine, ce n’est pas tolérable, le roi Louis XVI la fait restaurer, l’architecte Soufflot en a la charge : fontaine, château d’eau et logement s’étagent sous des congélations, et une naïade s’inspire de celle de Jean Goujon sur le monument original. Mais si le roi prend soin de l’eau, le pain manque, toutes les boulangeries sont pillées, la halle aux grains, coiffée de sa « casquette de jockey », comme dira Hugo, et que Thomas Jefferson, lui, trouve très élégante, doit être défendue par un solide cordon de troupes. En 1776, Turgot cède la place à Necker, Qu’à cela ne tienne, Rose Bertin, jamais démontée, lance les bonnets « à la révolte ». Le grand Mogol restera à cette adresse jusqu’aux débuts de la révolution, où il ira occuper le 26, rue de Richelieu. Ce n’est pas à Rose Bertin que l’on devra le bonnet phrygien.

*Parmi les vers de Ragueneau, ceux qu’il adressera à son homologue, le menuisier Adam :

« Je croyais être seul de tous les artisans
Qui fût favorisé des dons de Calliope,
Mais je me range, Adam, parmi tes partisans,
Et veux que mon rouleau le cède à ta varlope.
Je commence à connaître, après plus de dix ans
Que dessous moi Pégase est un cheval qui chope.
Je vais donc mettre en pâte et perdrix et faisans,
Et contre le fourgon me noircir en cyclope. » etc.

C'est là que les Bellevillois Bellevilloise


L’occasion de ce parcours a été une balade pour, je crois, l’association Nation-Charonne.

 

- On part de la Maison des Métallos, 94 rue d’Angoulême, (voir La descente de la Courtille par la barricade du Temps des cerises), et on prend la rue Moret (rue ouverte en 1853).

- l’Union ouvrière du 11e, 19-21 rue Moret. Créée en 1871, cette coopérative de consommation, la plus importante de l’arrondissement après la mort de la Moissonneuse (1874-1905 ; elle avait compté 16 à 17 000 membres autour de 1896.), réunit 1 200 sociétaires à la Belle Epoque, à lire le Guide social de Paris de 1906.
- On redescend, à droite, vers Bariquand, 127 rue Oberkampf (ex rue de la Haute-Borne, qui prend le nom du manufacturier en 1864) dès 1834.
- Coopérative de production la Fonderie de cuivre, 125, rue Oberkampf et 5, cité Griset, en 1906.
Au fond de la cité Griset, on jouxte l’impasse de la Baleine, où est inaugurée le 2 mai 1937, comme annexe de la Maison des Métallos, l’école de rééducation et de formation professionnelle pour les chômeurs (70 étaux, 20 machines). Les chômeurs continuent d’y toucher leur indemnité de chômage mais sont dispensés de pointage. En 18 mois, 400 élèves sont rééduqué et placés. Cette expérience contribuera à la création de l’AFPA (Association pour la Formation Professionnelle des Adultes).
L’entreprise Bariquand a aussi des ateliers au 97 Oberkampf quand, en 1901, elle fait construire 13, impasse Gaudelet. Plus importante firme de machine-outil française. Elle est déjà Bariquand et Marre quand les frères Wilbur et Orville Wright (qui ont effectué leur 1er vol en 1903, et qui sont conseillés par l’ingénieur Chanute, un Français naturalisé américain, qui mourra à Chicago) y font leur première visite le 6 novembre 1907. L'essai au banc de leur moteur révéla une puissance de 16 cv au grand maximum ! Le seul fait de substituer à leur étrange système d'allumage une magnéto Lavalette à haute tension permit de le porter à 22 cv. Les améliorations de Bariquand et Marre l’amenèrent finalement à 30 cv, puissance trop forte pour ses composants. Un nouveau moteur, plus Bariquand et Marre que Wright, rejoignait le Mans, où était l'avion, trois mois plus tard, pour des essais qui s’y succédèrent sans problèmes. Ce moteur est conservé au musée de l’air. Bariquand et Marre quittent le quartier à la fin des années 1920, et cessent d’exister sous ce nom en 1968. Au CNAM, on trouve, de la même maison, un mètre étalon de 1931, une tondeuse mécanique à cheveux. En Corée, au Japon, on dit une « Parikkang » pour désigner une machine à coudre, tellement l’entreprise y a dominé les marchés asiatiques. 18 mécaniciens des maisons Barriquand et Cornély ont été, en 1876, à l’origine de la fondation de la Bellevilloise, 17 à 25 rue Boyer.
- Cornély, puis Cornély et fils en 1900, 106 bd de Ménilmontant. Les fondateurs de la Bellevilloise qui ne travaillent pas chez Bariquand travaillent ici. En 1930, c’est Pavie et Cie, société auxiliaire métallurgique qu’on trouve à cette adresse.
- rue de Ménilmontant, domicile d’André Marty, qui a tenu à habiter au cœur du Paris de la Commune. Le 2 octobre 1921, il a été élu aux municipales partielles par le quartier Charonne alors qu’il était détenu à la Santé ; il est pareillement élu à celles de mars 1922 puis de février 1923, chaque fois au premier tour, avec 70% des voix, et tout aussi systématiquement invalidé.
Dans cette même rue, le Restaurant des Coopérateurs était 10% moins cher que les autres quand Jacques Valdour, au cours de ses enquêtes sociales des années 1920, « de la Popincque à Ménilmuche », s’y était fait embaucher dans un atelier de fabrication de meules artificielles d’une centaine d’ouvriers.
- magasin de nouveautés de la Bellevilloise, 28 rue de Ménilmontant. Quand il « liquide son stock » - c’est le cas par exemple le 27 février 1931- cela se traduit par une pleine page de publicité dans l’Humanité. Vendu en 1934. Le cinéma Phénix était dans la cour de 1909 à 1970.
- La Chope, 30 rue de Ménilmontant. Ouverte en 1920, c’est la brasserie-restaurant de la Bellevilloise. Le 12 janvier 1930, au soir du premier tour d’une partielle qui met Thorez en tête, la police s’estimant visée par des projectiles lancés du café, devenu la permanence de fait du candidat comme elle l’avait déjà été lors d’une précédente tentative électorale quatre ans plus tôt, donne l’assaut et saccage les lieux. Une souscription sera lancée pour leur remise en état, avec édition d’une carte postale montrant l’ampleur des dégâts. Thorez sera finalement battu au second tour.
La répartition du 34, rue de Ménilmontant vers 1910
- « répartition » de la Bellevilloise, 34 rue de Ménilmontant, à partir de 1903 : alimentation générale. Des rinceaux de stuc art nouveau, sur toute la façade, s’y enroulent autour de la devise « chacun pour tous, tous pour chacun ».
- « répartition » de la Bellevilloise, 40 rue de Ménilmontant, de 1910 à 1934 : boucherie, charcuterie, triperie.
- L’Economie ouvrière, puis l’Union ouvrière, 20 rue Delaître. L’Economie dès 1869, l’Union trois ans plus tard, furent les premières coopératives de consommation du 20e arrondissement, précédant de plusieurs années la prestigieuse Bellevilloise.
- Fédération communiste révolutionnaire en 1910, puis communiste anarchiste en juillet 1912, 5 rue Henri Chevreau. L’un des plus importants groupes anarchistes du très « anar » 20e. La plupart des réunions qui se tiennent là en 1913 sont naturellement antimilitaristes et dirigées contre la loi des 3 ans.
- première répartition de la Bellevilloise, 10 rue Henri Chevreau. Ce fut ensuite le siège de l’Agence générale des Docks, qui était la première création, en 1880, d’une « agence générale d’achats en gros et de répartition au comptant » pour les coopératives parisiennes, dont le Martel fondateur de la Bellevilloise était également le secrétaire.
- siège social du Club Sportif de Belleville, 94 rue de Ménilmontant. Fusion du Club Athlétique Socialiste de Ménilmontant avec le Cercle sportif de la Bellevilloise, il est l’un des tous premiers clubs ouvriers de la capitale, avec 448 membres. Mais il est dépassé, dans le 20e comme à Paris par le Yidischer Arbeiter Sporting Club (YASC) qui en compte 10 de plus et se classe au 4e rang du palmarès parisien en 1935.
- pharmacie de la Solidarité mutuelle des coopérateurs de la Bellevilloise, 2 rue des Cascades, 103 rue de Ménilmontant. L’officine ne vend qu’aux sociétaires, pas au public.
- domicile de Mme Toillard, 104 rue de Ménilmontant. C’est la grand-tante d’Eugène Dabit, côté maternel. Quand ils lui rendent visite, l’enfant et sa mère prennent le chemin de fer de ceinture, à la gare du boulevard Ornano, et descendent à celle de Ménilmontant, passage de la station Ménilmontant (auj. impasse de la Mare). La tante raconte à l’enfant la Commune, et l’aide qu’elle a pu fournir aux fédérés pourchassés.
En 1914, Eugène a 16 ans, la tante s’est retirée rue de la Mare, et c’est maintenant en métro qu’il va la voir. Il descend à la station Botzaris, il est apprenti mécanicien à la compagnie Nord-Sud, et la tante lui raconte toujours la Commune.
- La Bellevilloise, 17 à 25 rue Boyer. Fondée en décembre 1876 par 20 ouvriers, dont 18 mécaniciens des maisons Cornély et Barriquand, et deux cordonniers dont Martel, elle compte 3 ou 400 adhérents en 1880, 7 500 en 1896, 9 000 sociétaires en 1913, où elle a plus de 200 employés, et 13 700 sociétaires en 1919. A la fin de 1927, à l’inauguration de l’immeuble du 25 rue Boyer, elle comprendra deux dispensaires, dont un assurant aussi des soins dentaires, une pharmacie, treize épiceries, neuf boucheries, six charcuteries, trois triperies, un magasin de nouveautés, de chaussures et d’articles de ménages, un café, une brasserie-restaurant, un chantier à charbon.
En 1906, la Bellevilloise avait distribué gratuitement à ses sociétaires grévistes 10 tonnes de pain et 2 000 litres de lait. L’année suivante, elle organisait une « soupe communiste » pour les grévistes des Galeries Lafayette. Dix ans après, en 1927, elle vendait toujours à prix réduits à tous les chômeurs du 20e affiliés au comité CGTU.
C’est La Bellevilloise qui s’occupait de la restauration à la « fête de l’Huma » de Garches : le filet pour deux était à 15,50 F pour l’édition de 1924 ; le panier à 7,50 F à celle de 1930.
Le 26 avril 1914, la coopérative était un bureau de vote lors du scrutin organisé par la Ligue du Droit des femmes et Le Journal en faveur du vote féminin. Les femmes, qui n’étaient alors ni électrices ni éligibles, déposaient dans l’urne un bulletin où elles ajoutaient leurs coordonnées à la mention « Je désire voter ». Plus de 500 000 femmes allaient y participer.
On essaye d’y rassembler les conscrits au départ de chaque classe, donc deux fois par an. A cette occasion, le Conscrit est publié, en mars-avril puis en septembre-octobre, et largement diffusé ici.
Quand l’administrateur provisoire de la Banque ouvrière et paysanne réclama le remboursement immédiat des créances de l’Humanité, 150 CDH (comités de défense de l’Humanité) se créèrent aussitôt pour collecter des fonds et sauver le journal. Le parti décidera ensuite de les structurer de façon permanente et les réunira à cet effet, en juillet 1930, à la Bellevilloise. Sur les 420 CDH de France, il y en a alors 98 à Paris, 73 dans le reste de la Seine et 49 en Seine-et-Oise. L’Humanité se vend, à cette époque, à 142 000 exemplaires en moyenne. Le 4e congrès des CDH aura encore lieu, le 16 mars 1935, dans une Bellevilloise qui n’est déjà plus qu’en sursis.
C’est la Bellevilloise qui prête camion et popote à la Marche des chômeurs partie de Lille le 18 novembre 1933, malgré l’interdiction. Charles Tillon et Martha Desrumeaux, secrétaire de l’Union Départementale du Nord de la CGTU, à sa tête, la marche retrouvera à Saint-Denis le 2 décembre – Paris lui ayant été pareillement interdit -  7 000 personnes arrivant de la capitale à la rencontre des 6 000 venus du Nord. Une délégation partira seule vers le palais Bourbon, pour être promptement arrêtée et gardée à vue dans un commissariat proche, où Martha Desrumeaux chantera à pleins poumons La grève des ventres et l’Internationale. Le gouvernement se bornera à offrir aux marcheurs de rentrer gratuitement chez eux en train depuis la gare du Nord. Si le Cri des chômeurs devint ensuite hebdomadaire, il n’avait pas été entendu ce jour-là.
 En avril 1936, la Bellevilloise déposait son bilan, tous ses points de vente étaient fermés, à l’exception de la Chope, donnée en gérance à la Famille Nouvelle. Le 15 mai 1936, la faillite était déclarée : la Bellevilloise ratait donc le Front populaire à quelques jours près. Seul le patronage continuait, et le cinéma de la salle Lénine, mis en location, qui s’appellerait plus tard Cinéma Boyer. La liquidation traîna en longueur et ses actifs immobiliers ne furent vendus, aux pires conditions, que durant l’occupation.
- chantier à charbon de la Bellevilloise, 17 rue Boyer. La coopérative fera ensuite construire à cet emplacement un bâtiment d’un étage, en 1901.
- Maison du Peuple (Bellevilloise), salle Babeuf, salle Jean-Jaurès, 19-21 rue Boyer. Construite en 1909-1910, la Maison du Peuple comprend, au rez-de-chaussée, un café dont tout une paroi est faite d’un vitrail allégorique : le soleil s’y levant sur le travail émancipé dans les champs comme dans les villes ; une boutique et la salle Babeuf ; au premier, la salle Jean-Jaurès. La façade n’a guère changé, hormis la suppression d’une marquise où, sur trois médaillons, « La Bellevilloise » était flanquée de « Coopération », et « Emancipation ».
- salle Babeuf. En mai 1930, l’opposition de gauche des Bolcheviks-Léninistes de la Vérité, y donne un meeting, en soutien aux Indochinois, après Yen Bay. Dans la même salle, a lieu le 31 août 1931 une assemblée générale du Club Athlétique Socialiste, au cours de laquelle, retour d’URSS, une jeune femme se livre à « une défense enflammée de la politique sportive soviétique », selon la police.
- salle Jaurès. Le congrès socialiste de Paris s’y tient, en août 1910 ; quoi de plus naturel que Louis Héliès (qui sera député PS de 1924 à sa mort, en 1932, et directeur du Magasin de gros des coopératives) y consacre un discours à la coopération. La première journée du congrès du PS y a encore lieu, le 6 octobre 1918. En 1923, Valdour dit la Bellevilloise aux mains des libertaires : le 7 septembre, lors d’un meeting de la Semaine internationale des Jeunesses Communistes, parmi les brochures qu’il voit sur les tables de vente figure La procréation volontaire au point de vue individualiste, dont le vendeur proclame « le droit à l’avortement » ; on y distribue des bulletins d’abonnement au Libertaire qui d’hebdomadaire doit passer quotidien au mois de décembre suivant.
Au début d’avril 1927, Bloncourt, pour les Antilles, et Senghor pour l’Afrique, aux côtés de Chinois, d’Indochinois et de Maghrébins viennent y rendre compte du congrès de Bruxelles de la Ligue contre l’oppression coloniale.
Au 1er mai 1929, alors que Tardieu et Chiappe ont fait procéder à 314 arrestations préventives la veille, 100 dans la nuit et 100 encore au matin, parmi lesquelles on compte Monmousseau, Sémard, Marrane, Daniel Renoult, un meeting se tient quand même à 10h30 à la Bellevilloise. Les 24 novembre et 15 décembre de la même année, la Muse Rouge y participe à deux galas au profit du Libertaire.
Des pièces de Marcel Thoreux y sont représentées en 1926-27 ; s’y dérouleront ensuite les congrès de la Fédération du Théâtre Ouvrier de France qui, à peine créée, y donne une matinée, le 15 février 1931, pour la Journée internationale du théâtre ouvrier. Le groupe Prémices, dont une fraction, au sein de la FTOF, deviendra Octobre, s’y était déjà produit le 4 février 1930. Le 11 décembre 1934, y sera joué Rien ne vaut le cuir, le spectacle pédago-économique de Louis Bonin, dit Tchimoukow, le metteur en scène d’Octobre, le seul communiste sans doute qui soit allé jusqu’à russifier son nom.
Entre-temps, le 7e congrès du Parti communiste s’y était tenu, du 11 au 19 mars 1932. Pendant la seconde guerre mondiale, le RNP de Déat viendra s’y installer comme il le fera dans les autres bastions communistes.
C’est cet espace du 19-21 qui vient de rouvrir en reprenant le nom La Bellevilloise et où a débuté, entre mille autres choses, le dimanche 30 janvier 2011 pour se poursuivre un semestre durant, le dernier dimanche de chaque mois, un cycle de projections-débat : « Belleville-Ménilmontant en images ».
- patronage de la Bellevilloise, 23 rue Boyer. L’adresse est celle du premier siège social, quand la coopérative arrive rue Boyer, en 1903, un bâtiment qui abritera la bibliothèque jusqu’à la construction du n° 25. Le patronage, ouvert sans doute dès 1902, réunira de 120 à 350 enfants, de 8 à 16 ans, admis parfois dès 5 ans. En 1923, il adhère à l’Entente des pupilles communistes, se dote d’un journal, le Pupille bellevillois, et d’un Orphéon rouge. Dans les années 1930, les enfants y seront organisés en dizaines avec leurs fanions aux noms de Lénine, Staline, Cachin, Dimitrov, Sacco et Vanzetti, etc.
Henri Krasucki, qui le fréquenta jusqu’au début de 1939, évoquera la bonne odeur de pain chaud qui l’y accueillait, et pour cause, l’atelier de panification de la Bellevilloise était au sous-sol. Raymond Kojitsky en avait été membre également, et quand il adhéra à la MOI à la fin de 1942, il y eut pour premier chef Krasucki. Il effectua sous sa direction une opération place Cambronne, au début de 1943, puis Henri Krasucki fut arrêté en mars.
Peu après la guerre, les locaux étaient rachetés par une entreprise qui faisait surélever de deux étages le bâtiment sur rue pour sa quarantaine d’ouvriers et y produisait sacs et cartables, d’où le nom de Maroquinerie sous lequel l’exploite aujourd’hui l’association qui loue ces locaux aux héritiers de la fabrique.
- salle Lénine (La Bellevilloise), 25 rue Boyer. Le terrain a d’abord abrité le chantier à charbon de la coopérative, déplacé du n°17 de la rue. Le bâtiment, sur lequel sont toujours visibles les médaillons portant « Science », et « Travail », qui faisaient pendant à ceux de la Maison du Peuple, et la faucille et le marteau sur fond de soleil levant au-dessus du porche, a été mis en construction dès 1925. Il sera inauguré le 11 décembre 1927 mais les festivités s’étaleront sur une quinzaine de jours. En sous-sol, les installations frigorifiques ; au rez-de-chaussée, un garage pour la remise et l’entretien des véhicules de la coopérative ; au premier, des bureaux, la bibliothèque de la Semaille, et la salle Lénine, dotée d’un balcon aux rambardes de fer forgé, et d’une capacité de 500 places.
Une vingtaine de soirées d’initiation musicale y seront organisées, de février 1929 à mai 1930, autour d’œuvres de Satie, de Milhaud, de Ravel, de Debussy, de Moussorgski, de Germaine Tailleferre, Poulenc ou Honegger. La Bellevilloise avait depuis longtemps une Harmonie de 65 exécutants, et une Symphonie qui en comptait deux de plus.
Dans la salle Lénine, la Semaille, dès février 1929, comme le patronage aux jours pluvieux, ont organisé des projections de films soviétiques : Potemkine, le Cuirassé Aurore, la Prise du Palais d’Hiver, etc. La salle devint un cinéma public, le Cinéma bellevillois, au début de 1930, la projection des films sans visa de censure étant réservés au jour de relâche. Le 20 décembre 1934, André Gide y assistait ainsi à la projection de Potemkine et de la Ligne générale. « Gide ! Parmi les ouvriers en costume de travail – beaucoup gardaient la casquette sur la tête -, parmi les vestons étriqués et les tricots à col roulé, Gide... » raconte Pierre Courtade dans la Place rouge, citée par J.-J. Meusy.
Le fonds de commerce en sera vendu en 1936, mais à un proche du PC, si bien que la première de la Vie est à nous y aura encore lieu, le 7 avril 1936, sous l’égide de Ciné Liberté, devant une salle bondée, dans laquelle ont pris place de nombreux dirigeants du parti, et par laquelle Cachin fait applaudir le nom de Renoir. De mai à juillet, le film y sera régulièrement diffusé, accompagné d’autres productions de Ciné Liberté : la Fête de la Victoire à Buffalo, et la Manifestation du Mur des Fédérés. Puis ce seront le Temps des cerises, de Dreyfus-Le Chanois, à compter du 13 octobre 1937, enfin la Marseillaise de Renoir, pendant trois semaines à partir du 29 mai 1938. Une programmation régulière se poursuivra jusqu’en juin 1939.
Après la guerre, la salle sera louée à des exploitants indépendants sous l’enseigne Les Etoiles, puis Stella, jusqu’à sa fermeture, le 31 décembre 1956.
- dispensaire de la Solidarité mutuelle des coopérateurs de la Bellevilloise, 4 rue Juillet. La Solidarité, créée en 1905 et juridiquement distincte de la coopérative, ne sera donc pas touchée par la faillite de la Bellevilloise des années 1934-36, et continuera son activité jusqu’à la guerre de 1939. D’elle dépend le dispensaire, ses deux annexes, et la pharmacie. Danielle Casanova y assurera les soins dentaires de 1936 à 1939.
- four de la Boulangerie véridique, impasse des Carrières (auj. rue des Plâtrières). Etablie avant 1848 par les fouriéristes du groupe dissident le Nouveau Monde, la boulangerie avait son four ici tandis que son siège était rue Pavée, dans le 4e.
- local de réunion de la Ligue des Justes, rue des Amandiers. Depuis 1838, la Ligue des Justes, société secrète allemande (les Allemands sont plus de 50 000 à Paris) est organisée en sections ou communes, les communes réunies en districts ; la direction s’appelle la Chambre du peuple. Les adhérents doivent jurer de ne pas trahir les secrets sous peine de sanctions graves. En mars 1847, la police intervient à l’encontre d’une réunion de 150 à 200 personnes, ouvriers allemands avec leurs femmes et leurs enfants, qui se rassemblent là le dimanche depuis quatre ans. Il s’agit d’une de ces réunions publiques de barrières, destinées aux sympathisants de la Ligue des Justes, sur les dangers desquelles, du fait des mouchards et des policiers, Engels avait fait un rapport l’automne précédent. L’ébéniste Adolph Junge y est arrêté et sera expulsé ensuite vers la Belgique.
- monument « aux victimes des révolutions », square Gambetta (auj. Samuel de Champlain). Le conseil municipal avait commandé en 1907 à Moreau-Vauthier un monument commémoratif pour le carré des fusillés. L’œuvre rendue, dédiée « Aux victimes des révolutions », soit à toutes les victimes de tous les bords, sur laquelle on voit Mgr Darbois, au premier plan, faire pendant aux 30 000 morts de la Commune, fut jugée inadéquate par ses dédicataires et reléguée de ce fait square Gambetta.
En mai 1942 pourtant, sur la poitrine de la statue de Moreau-Vauthier, une banderole rouge sera déposée : « Aux morts de la Commune, les régions communistes de Paris ».
 - cimetière du Père-Lachaise, bd de Ménilmontant. En 1869, décrivant le quotidien de l’un de ses types de mécaniciens parisiens, Denis Poulot raconte : « Il est allé à l’enterrement d’un ouvrier de l’atelier ; en sortant du Père-Lachaise, on a mangé le pain et le fromage d’ordonnance (A Paris, il est dans les habitudes, après un enterrement, de manger le pain et le fromage.) ils étaient quatorze, on a chanté et pas mal bu...
Les ouvriers meurent beaucoup, victimes du travail qui use et qui tue. L’inscription de l’ouvrier dans le paysage de Paris se fait d’abord sur les pierres tombales ; c’est là que s’exprime la fierté de la condition et du métier dans les années 1890, et l’appartenance politique : Charles Chabert, « ouvrier graveur, un des fondateurs du parti ouvrier », Prudent Dervillier, « ouvrier tailleur, membre du parti ouvrier », Jules Joffrin, « ouvrier mécanicien, membre du parti ouvrier », Alexandre Retiès, « ouvrier boutonnier »... Voir Nous irons chanter sur vos tombes. Le Père-Lachaise, XIXe-XXe siècle, Aubier, 1999, de Danielle Tartakowski.
Le cimetière reste l’asile de l’expression quand toutes les autres voies sont interdites. En 1853, « 20 000 prolétaires en tenue du dimanche », comme l’écrivait Marx, qui y vit un signe important de réveil politique contre l’Empire, accompagnent le corps de Madame Raspail, décédée sans les secours de son mari, condamné à six ans de prison en 1849. Vingt-trois ans plus tard, le 18 décembre 1876, autour de la tombe de Melle Raspail cette fois, plusieurs dizaines de milliers de citoyens acclament la Commune et réclament l’amnistie.
Alors que le drapeau rouge n’a pas droit de cité dans la rue, dans les cimetières, à de rares exceptions, la tolérance tacite devient la règle à la fin des années 1880. Aux obsèques de Félix Pyat, au Père-Lachaise, le 10 août 1889, « les drapeaux rouges sont déployés aux cris de « Vive la République ! Vive la Commune ! » sortant de plus de 10 000 poitrines », note Le Parti ouvrier, le journal de la F.S.T.E. Pour les obsèques de Jules Joffrin, en septembre de l’année suivante, si les drapeaux rouges restent « dans leurs gaines », autour du corbillard, tout au long du parcours – mais parmi la foule des trottoirs comme dans le cortège, « chacun savait que ces gaines contenaient les drapeaux rouges » -  à peine au Père-Lachaise, ces drapeaux «claquent au vent» au cri de «Vive la Commune! »
Les ouvriers tombent aussi victimes du maintien de l’ordre quotidien : le jeune Charles Lorne, est tué le 1er mai 1919, et 100 000 personnes suivent ses obsèques. Le 17 février 1934, des discours de Marcel Cachin et de délégués communistes étrangers - Zyromsky, en revanche, représentant la fédération de la Seine du PS, est empêché de prononcer le sien -, rendent hommage à cinq des six victimes des 9 et 12 février, devant 200 000 personnes, qui répondent par ces cris : « les soviets partout ! » En 1953, on enterre ici Maurice Lurot, trésorier de la section CGT du syndicat des métaux du 18e arr., abattu le 14 juillet, en même temps que cinq manifestants algériens, par la police intervenant contre le groupe du MTLD dans le cortège. Le 13 février 1962, les abords du cimetière sont couverts de gerbes sur plusieurs centaines de mètres, et 500 000 à un million de personnes participent aux funérailles de quatre des neuf victimes de Charonne – cinq étant montreuilloises -, Edouard Lemarchand, 40 ans, menuisier, Hyppolite Pina, 58 ans, maçon, Maurice Pochard, 48 ans, employé de la métallurgie, Raymond Wingtgens, 44 ans, conducteur typographique ; l’orateur de la CFTC leur associe les victimes algériennes du 17 octobre 1961. Le premier anniversaire de Charonne, en 1963, réunira encore ou ne réunira plus que 35 000 personnes selon la police, 100 000 selon le Monde.
Entre les obsèques, leurs anniversaires, et les commémorations historiques d’hécatombes ou de personnalités illustres, la classe ouvrière passe beaucoup de temps dans les cimetières et particulièrement au Père Lachaise, qui deviendra le Panthéon du Parti Communiste. En 1935, ce sont, en juin, les obsèques de Jean Alemane et, trois mois plus tard, celles de Barbusse. A la tribune, André Malraux, pour l’AEAR, lit une lettre de Romain Rolland et, au premier anniversaire de la mort de Barbusse, l’année suivante, 50 000 parisiens pourront voir le monument taillé dans la pierre de l’Oural qu’ont offert à la mémoire du défunt « les travailleurs soviétiques ». Le 16 octobre 1937, 500 000 personnes assistent aux funérailles de Paul Vaillant-Couturier. La tribune et le catafalque ont été disposés boulevard de Ménilmontant, à l’entrée du cimetière ; deux compagnies de gardes mobiles rendent les honneurs militaires, et retentissent la marche funèbre de Chopin et la Marseillaise, pas l’Internationale. Le 11 mars 1953, dans la désolation qui suit la mort de Staline, « notre maître bien aimé » comme va l’écrire Jacques Duclos dans les Cahiers du communisme, une délégation du PC, de la CGT et de la Fédération des métaux (parce que Staline était « l’homme d’acier » ?) vient déposer ici 80 gerbes et couronnes à sa mémoire. Le jeudi 16 juillet 1964, « Nous étions un million pour accompagner Maurice » selon l’Humanité ; 15 000 porteurs de gerbes suivaient la musique des mineurs.
- Mur des Fédérés, au sud-est du cimetière, à droite de la porte de la Réunion. C’est en mai 1880, pour la première fois, que les journaux socialistes appellent à un rassemblement devant le Mur. Les hommages ont commencé, quelques années plus tôt, sur la tombe de Flourens, la seule identifiée, et ont pris de l’ampleur en même temps que le débat concernant l’amnistie. Longtemps, seul un rassemblement à l’intérieur du cimetière est toléré, et sous bonne garde policière, avec des accrochages presque tous les ans : en 1931, encore, un poste de secours est organisé au dispensaire de la Bellevilloise en prévision de ces affrontements.
En 1909, aux victimes de la Commune on associe les récentes victimes de Clémenceau, à Draveil et à Villeneuve-Saint-Georges ; le Parti socialiste, avec ses députés, organise le cortège, qui réunit 5 000 personnes selon la police et le double selon l’Humanité. Le 25 mai 1924 arrive de la Bellevilloise un cortège portant solennellement « le drapeau de la Commune », celui d’un bataillon de fédérés, qui a flotté sur les dernières barricades de Belleville. Il a été exposé au siège de la coopérative, et 2 000 révolutionnaires du 20e ont prêté serment sur ses plis avant de l’apporter ici pour l’y confier, après une nouvelle prestation de serment, à la garde du soviet de Moscou. En 1926, c’est au Mur que les G.D.A. (groupes de défense antifascistes) mis sur pied dans le cadre de l’ARAC, apparaissent pour la première fois, défilent en uniforme et reçoivent leur drapeau des mains de Camélinat.