Dieu soit loué, et mes boutiques aussi!

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L'expression est de Petrus Borel, dans la préface de novembre 1831 à ses Rhapsodies : "une époque où l'on a pour gouvernants de stupides escompteurs, marchands de fusils, et pour monarque, un homme ayant pour légende et exergue : "Dieu soit loué, et mes boutiques aussi!" Elle caractérise bien la monarchie de Juillet et son roi bourgeois, Louis Philippe, annonçant une balade, menée pour Virgin Grands Boulevards, riche en appui-corps et vantaux de porte de fonte moulée.

Entre la rue Vivienne et la rue Montmartre, on est sur l’emplacement des jardins de l’hôtel de Montmorency-Luxembourg.
5, bd Montmartre (Virgin Megastore), PLU : sur le boulevard, cet immeuble à usage mixte, de la fin du 19e siècle, en U, abritait dès 1906  la salle luxueuse de l’Omnia-Pathé ;
7, bd Montmartre, Théâtre des Variétés, de 1807. C'est là que triomphera Hortense Schneider dans La Belle Hélène, d'Offenbach, en 1864, puis dans La grande Duchesse de Gerolstein, du même, trois ans plus tard.

En face, de l'autre côté du boulevard, le n°8, PLU, est l’Hôtel de Quinsonas construit par l'architecte Cheveny de la Chapelle vers 1778-1780. De style Louis XVI, il apparaît comme l'un des rares témoignages subsistants de la période faste pour les Grands Boulevards que fut la fin de l'Ancien Régime. La marquise de Quinsonas hérite de l'hôtel en 1792 et sa famille y réside encore sous la Restauration. Les éléments les plus notables consistent en un balcon soutenu par des consoles ornées de guirlandes, et en un escalier à rampe en fer forgé Louis XVI, qui témoignent du style néo-classique en vigueur à la veille de la Révolution.

Musée Grévin : ce fut d'abord un titre de presse, magazine en 3D ou JT paralysé, d’un type nouveau puisqu’il s’agissait d’un « journal plastique », ouvert en 1882 au bout du passage Jouffroy. A l’aide de cent cinquante figures de cire, le journaliste Arthur Meyer, fondateur du Gaulois, et le caricaturiste Alfred Grévin y mettaient en scène toutes les rubriques de l’actualité, y compris les faits divers les plus sanglants.
À côté, le Petit Casino était un café-concert aménagé comme une salle de spectacle : les seuls espaces prévus pour poser les consommations y étaient les tablettes accrochées au dos des fauteuils du rang précédent. Damia, la « tragédienne de la chanson », qui a eu le bon goût de naître pour le centenaire de la Révolution et qui personnifiera la Marseillaise dans le film d’Abel Gance, fera là ses débuts. Le Petit Casino, le dernier café-concert de Paris à maintenir la tradition, réussira à faire venir un public de quartier pour une matinée et une soirée quotidiennes jusqu’en 1948.

11, bd Montmartre, Passage des Panoramas ; sous le Consulat, au paysage à portée de vue, on ajoute ceux, artificiels, peints sur les murs circulaires de vastes rotondes qu’on appelle des « Panoramas » : "Paris tel qu’on le voit du haut du château des Tuileries", Toulon et, plus tard, Rome et Jérusalem. Ouvert dès 1800, le Passage des Panoramas, qui tient son nom des salles précitées, est le 1er du genre; éclairé au gaz en 1817.

Dans les années 1830, quand un républicain suit une princesse qu’il aime d’un amour platonique, ça se passe sur les Grands Boulevards : Michel Chrestien, membre du cénacle de Lucien de Rubempré et d’Arthez, suit  la princesse de Cadignan, de Balzac. Elle raconte :
« La veille des funérailles du général Lamarque, je suis sortie à pied avec mon fils et mon républicain nous a suivis, tantôt derrière, tantôt devant nous, depuis la Madeleine jusqu’au passage des Panoramas où j’allais.
— Voilà tout ?, dit la marquise.
— Tout, répondit la princesse. Ah ! le matin de la prise de Saint-Merry, un gamin a voulu me parler à moi-même, et m’a remis une lettre écrite sur du papier commun, signé du nom de l’inconnu.
— Montrez-la-moi, dit la marquise.
— Non, ma chère. Cet amour a été trop grand et trop saint dans ce cœur d’homme pour que je viole son secret. Cette lettre, courte et terrible, me remue encore le cœur quand j’y songe. »

Sous le 2nd Empire, Zola, fait pleurer au même endroit le comte Muffat, chambellan de l’impératrice, quand l’entrée des artistes du théâtre des Variétés, où il attend Nana, reste pour lui désespérément vide. « Sans pouvoir expliquer comment, il se trouvait le visage collé à la grille du passage des Panoramas, tenant les barreaux des deux mains. Il ne les secouait pas, il tâchait simplement de voir dans le passage, pris d’une émotion dont tout son cœur était gonflé... Alors, il avait repris sa marche, désespéré, le cœur empli d’une dernière tristesse, comme trahi et seul désormais dans toute cette ombre. Le jour enfin se leva, ce petit jour sale des nuits d’hiver, si mélancolique sur le pavé boueux de Paris. Muffat était revenu dans les larges rues en construction qui longeaient les chantiers du nouvel Opéra. Trempé par les averses, défoncé par les chariots, le sol plâtreux était changé en un lac de fange. Et, sans regarder où il posait ses pieds, il marchait toujours, glissant, se rattrapant. »

Vingt ans plus tard, le simple fait de stationner dans le passage des Panoramas, pour une femme, est équivoque, comme l’apprend Mme Eyben à ses dépens. Ayant rendez-vous avec ses enfants passage des Panoramas, elle y est interpellée, le 29 mars 1881, par la très arbitraire police des mœurs, que sa vigoureuse campagne de presse réussira néanmoins à faire abolir.

- à droite, 11, rue St-Marc / 3, rue des Panoramas, et à gauche 7-9, rue St-Marc / 4, rue des Panoramas, PLU. Dans cette rue des Panoramas ouverte en 1782 par le duc de Luxembourg, dont tout l’îlot était la propriété, maisons fin 18e siècle, symétriques avec angles curvilignes sur la rue St-Marc, ouverte en 1780.
- 1, rue des Panoramas (16, rue Feydeau) - 2, rue des Panoramas (14, rue Feydeau), PLU: sur ces maisons de la fin du 18ème siècle, symétriques, des arcades en plein cintre embrassent rez-de-chaussée et entresol.

La rue Feydeau conserve au plan de Paris la trace de la nouvelle enceinte de Louis XIII, faite non plus d’une muraille et de tours, mais de bastions en as de pique reliés par des courtines.

- 24, rue Feydeau, PLU: bâtiment à façade plissée de Fernand Colin, 1932,  à destination mixte de bureaux et habitations.
- 23, Feydeau et 6, Colonnes : La rue des Colonnes, ouverte en 1793-95, est d’abord un passage, celui du théâtre Feydeau, et quand elle est privée de sa couverture, sous le Directoire, elle garde néanmoins, avec ses arcades, tout ce qu’il faut pour continuer d’être l’abri de l’attente et de l’entracte. Le percement de la rue de la Bourse en 1826, l’a coupée.

Sous la Restauration, la Bourse n’est encore qu’une construction provisoire en planches et en pans de bois, formant une salle ronde où l’on entre par la rue Feydeau. La spéculation va meilleur train autour, comme l’explique le banquier Claparon à César Birotteau : « Eh ! cher monsieur, si nous ne nous étions pas engagés dans les Champs-Élysées, autour de la Bourse qui va s’achever, dans le quartier Saint-Lazare et à Tivoli, nous ne serions pas, comme dit le gros Nucingen, dans les iffires ».
En 1827, le temple antique qu’avait imaginé Brongniart, et que la mort l’a empêché de voir, est tout de même terminé, et Balzac décrit les alentours : « La place de la Bourse est babillarde, active, prostituée ; elle n’est belle que par un clair de lune, à deux heures du matin : le jour, c’est un abrégé de Paris ; pendant la nuit, c’est comme une rêverie de la Grèce ».

La rue Ménars, comme la rue Feydeau, marque l’emplacement de la nouvelle enceinte de Louis XIII ; entre elles s'élevait la porte Richelieu qui ne fut abattue qu’en 1701.

- 86, rue de Richelieu, PLU : maison de rapport néoclassique d’aspect Louis XVI ; garde corps du balcon à motifs Louis XVI en fer forgé comme appuis de fenêtres.

- 24, rue Saint-Marc, PLU : de1894, bâtiment d’activité de Salomon Dalsace (draps, broderies, dentelles, passementerie) préfigurant ceux de la rue Réaumur.
- 18, rue Saint-Marc, PLU : maison construite en 1734 pour le Fermier Général Le Magon de La Balue ; voir aussi façade sur cour.
- 16 rue Saint-Marc, PLU : mitoyen et de même date, 1734, appuis de fenêtres en fer forgé conservés aux 2 premiers étages.
- 14, rue Saint-Marc, PLU : maison d’aspect début 19e (nouvel alignement en 1826), faux appareil de pierre ; appuis de fenêtre en fonte.

- 39 à 47, rue Vivienne (de la rue St-Marc au bd Montmartre), PLU : peu après 1830, contemporains du percement de cette partie de la rue (entre Feydeau et bd Montmartre), type ordonnancé néo-classique, bel ensemble de portes à vantaux Louis-Philippe à croisillons et têtes de lions bien conservé.
- 44, rue Vivienne, PLU : façade Restauration conservée.

53, rue Vivienne et 15-17, bd Montmartre, à partir de 1837 pour le comte d’Osmond, riche propriétaire foncier, l’une des locations les plus chères de Paris au 19siècle. Du 15 au 23, opération unique entre Vivienne et Richelieu ; l’absence de porte et de passage cocher du n° 17 laisse penser que le rez-de-chaussée était destiné dès l’origine à un usage commercial.
19, 21-23 bd Montmartre (et 112, Richelieu) idem.

En face :
- 14, bd Montmartre, PLU : années 1930, entresol et rez-de-chaussée commerciaux, balcons baignoires à l’étage d’habitation.

- 16, bd Montmartre, PLU : ancien hôtel de 1778, occupé par le comte Florimont de Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche à Paris de 1783 à 1790 ; l’une des 1ères maisons apparues sur le Boulevard. Le côté nord ne commence à se construire qu’à ce moment. S’arrêtait à la corniche avant surélévation. L’hôtel conserve un vestibule monumental, un bel escalier et, au 1er étage, un salon 18e, une salle à manger sculptée de Charles Garnier de 1890 : ces 2 éléments sont ISMH depuis 1958.

De la rue Vivienne à la rue de Richelieu, une terrasse de bois longeait le Boulevard en une gloriette brillamment éclairée, c'était Frascati, un hôtel particulier Louis XIV, devenu sous le Directoire, entre les mains du glacier napolitain Garchi, un hôtel meublé assorti d’un restaurant et d’une maison de jeu. Autour, une végétation méditerranéenne d'importation, ponctuée d’architectures éphémères. Dix ans après la présence de Chopin boulevard Poissonnière, vers 1841 donc, Balzac occupe une maison d’angle à la situation semblable : il a deux pièces donnant sur le boulevard, une sur la rue de Richelieu. C’est Buisson, son tailleur, qui a fait construire « cette espèce de phalanstère colyséen », « dans la cour de l’hôtel où tous les joueurs de Paris ont palpité pendant trente-cinq ans », celle de Frascati, « dont le nom est religieusement conservé par un café, rival de celui dit du Cardinal, qui lui fait face ».
À l’époque de Balzac, on ne parle plus de vue, comme du temps de Chopin, on parle d’argent : « Admirez les étonnantes révolutions de la propriété dans Paris ! Sur la garantie d’un bail de dix-neuf ans qui oblige à un loyer de cinquante mille francs, un tailleur construit, et il y gagnera, dit-on, un million ; tandis que, dix ans auparavant, la maison du café Cardinal, dont le rez-de-chaussée rapporte aujourd’hui quarante mille francs, fut vendue pour la somme de deux cent mille francs ! ».

106 à 110, rue de Richelieu, PLU : 1840, immeubles de rapport typiquement Louis Philippe: fontes des vantaux des 3 portes cintrées caractéristiques ; au 108, voir plafond du vestibule donnant accès à la cour ; ferronneries des balcons filants. 
- 103, Richelieu et 1-1bis, bd des Italiens : immeuble de rapport de la 1ère moitié du 19e siècle, (entresol sans doute rajouté ultérieurement) sur la rue de Richelieu : garde-corps en fonte, portail Louis-Philippe à 3 ouvertures dont, au centre, une porte à vantaux ajourés de grilles de fonte.

- 101, en face, passage des Princes. On a vu le 1er du genre, celui des Panoramas, voici le dernier de la série, celui des Princes. Inscription ISMH 11 août 1975 pour Façades, verrière et sol du passage. L’inauguration en 1860 du Passage Mirès, qui deviendra le Passage des Princes, annonçait tout à la fois, la fin des passages parisiens et celle du financier Mirès qui venait de faire faillite.
- 5, bd Haussmann / 16, bd des Italiens, PLU : Couvrant un îlot, l'immeuble des "Italiens" de la Banque Nationale de Paris a été construit en 1932 par les architectes J. Marrast et Charles Letrosne pour la Banque Nationale du Crédit et de l'Industrie. Élevé sur dix niveaux, cet immeuble de facture Art-Déco, se termine par des gradins posés sur une corniche saillante décorée de gros modillons. La volumétrie monumentale et la décoration des chapiteaux selon des motifs géométriques donne à cet immeuble la dimension d'un temple égyptien. Sur chaque boulevard, trois portes de ferronneries sont dues au ferronnier Raymond Subes.

Années 1870: au café Riche, au n° 16, à l’angle de la rue Le Peletier se partage, à cinq, un « dîner des auteurs sifflés » : Flaubert en est pour l’échec de son Candidat, un canevas laissé par son ami Bouilhet qu’il a fini pour le Vaudeville voisin, Zola pour Les Héritiers Rabourdin, Edmond de Goncourt pour Henriette Maréchal, Daudet pour son Arlésienne. « Quant à Tourgueniev, expliquera Daudet, il nous donna sa parole qu’il avait été sifflé en Russie, et, comme c’était très loin, on n’y alla pas voir. »
Dans les premières années 1880, les Impressionnistes s’y retrouvent pour un dîner mensuel, décidé à leur 6e exposition, afin de célébrer les retrouvailles avec Monet, Renoir et Sisley. On y voit parfois Mallarmé.
L’unanimisme sera de courte durée : à leur 8e exposition – il n’y en aura pas d’autre –, qui ouvre le 15 mai 1886 pour un mois à la Maison Dorée, au coin de la rue Laffitte, les trois prodigues ont à nouveau fait sécession, tandis que Degas y a accepté Seurat et Signac, les Pissarro père et fils, en un mot, pour le moins des « Néo ». Le groupe impressionniste finit sur le Boulevard comme il y a commencé.

Odette « n’était pas chez Prévost ; il voulut chercher dans tous les restaurants des boulevards. Pour gagner du temps, pendant qu’il visitait les uns, il envoya dans les autres son cocher Rémi, écrit Proust. Mais le cocher revint lui dire qu’il ne l’avait trouvée nulle part… Swann se fit conduire dans les derniers restaurants… Il ne cachait plus maintenant son agitation, le prix qu’il attachait à cette rencontre et il promit en cas de succès une récompense à son cocher… Il poussa jusqu’à la Maison Dorée, entra deux fois chez Tortoni [Flaubert vantait déjà sa fricassée de poulet froid] et, sans l’avoir vue davantage, venait de ressortir du Café Anglais, marchant à grands pas, l’air hagard, pour rejoindre sa voiture qui l’attendait au coin du boulevard des Italiens, quand il heurta une personne qui venait en sens contraire : c’était Odette ».
Il monte avec elle dans la voiture qu’elle avait, disant à la sienne de suivre. Elle tient à la main un bouquet de catleyas, elle en a dans les cheveux, et dans l’échancrure de son corsage. Après un écart du cheval, qui les a déplacés, Swann se propose de « les enfoncer un peu » de peur qu’elle ne les perde. C’est à compter du moment qui suit que faire l’amour, pour eux, se dira « faire catleya ».

7-9 bd Haussmann, marbres du Bistrot romain.

- 4, rue Drouot, PLU : maison 18e siècle, rectifiée sous Louis-Philippe, remarquable balcon en fonte à l’étage noble.
- mairie du 9e, hôtel Aguado. Alexandre Aguado, marquis de Las Marismas, d’origine espagnole, acquiert l’hôtel particulier qui abrite aujourd’hui la Mairie du 9ème arrondissement de Paris, rue Drouot, en 1829, et il en fait sa demeure. Banquier de profession, il s’intéresse à l’art lyrique (il est ami de Rossini et il en assure la fortune par de judicieux placements) et aussi à la peinture. [Il achètera aussi en 1843 la "maison du pont-de-fer" (voir plus loin)]
- 8, rue Drouot, (et 5, Rossini), PLU : maison 18e rectifiée sous Louis-Philippe, remarquable balcon en fer forgé 18e siècle ; porte cochère.

Le coude de l’actuelle rue Rossini dessine encore l’angle sud-est de la Grange-Batelière, une ferme anciennement fortifiée, en ordre de « bataille », ce qui, par altérations successives, avait donné « batelière ».
- 3, rue Rossini, PLU : Immeuble de rapport destiné à la haute bourgeoisie datant de 1848-1876. Le style Empire de cet immeuble est donné par la composition régulière des façades en pierre de taille agrémentées d'éléments décoratifs relativement sobres et l'emploi de l'ordre dorique pour le portique et les pilastres des façades ouvertes sur la cour.

Au n° 10 de la rue de la Grange-Batelière, l’hôtel de Michel Le Duc de Biéville, des années 1770, a été acquis dès la Restauration par le riche agent de change Tattet. Alfred, le fils de la maison, d’un an plus âgé que Musset, sera le maître en débauche du jeune poète, doublé d’un ami sûr qui s’attirera ses vers reconnaissants : « Dans mes jours de malheur, Alfred, seul entre mille / Tu m’es resté fidèle où tant d’autres m’ont fui ».
Musset passe beaucoup de temps chez les Tattet, aussi bien, chaque automne, dans leur château de Bury, près Montmorency, qu’à leur hôtel de la Grange-Batelière. C’est ici qu’il leur donne lecture de son Rolla. Il a 23 ans, il se sent avoir été privé de tout rapport possible à la divinité, de tout élan de foi par le 18ème siècle déicide, et en accuse Voltaire en ces vers dont l’expression fera florès : « Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire / Voltige-t-il encor sur tes os décharnés ? ». Le « hideux sourire » et le mal du siècle, dont il est la cause, trouvent donc à se dire pour la première fois dans ce salon de la rue de la Grange-Batelière avant que la publication de Rolla, immense succès de librairie de l’année 1833, ne les porte partout.

Sous le Second Empire, témoigne La Bédollière, on voyait passage Jouffroy (1845, sur les jardins de l’hôtel Aguado), passage Verdeau (1846), dans celui de l’Opéra, celui des Panoramas, le plaid des Écossais, les fourrures des gens du Nord, les sombreros de Madrid ou de La Havane, les fez de Constantinople ou du Caire. Les étrangers, comme les provinciaux, apparaissaient à partir de midi. À 17h, les journaux du soir, particulièrement nombreux sur le Boulevard – Le Constitutionnel, L’Écho de Paris, L’Événement, Le Figaro, Le Gaulois, Le Gil Blas, La Libre Parole, Le Mousquetaire d’Alexandre Dumas, Le Petit-Journal, Le Soir, Le Temps –, étaient distribués dans les kiosques et l’on se cognait alors à ceux qui les lisaient en marchant. À 18h, les habitantes des quartiers Bréda et Notre-Dame-de-Lorette prenaient des positions stratégiques depuis le passage Jouffroy jusqu’à la rue de la Chaussée-d’Antin.

Dans les derniers jours de l’Empire, la librairie Gabrie, au n° 25 du passage Verdeau, prend en dépôt les deux fascicules, à cinq cents exemplaires chaque, des Poésies de Lautréamont. Isidore Ducasse, qu’on a vu 15, rue Vivienne au mois de mars et 7, rue du Faubourg-Montmartre à l’été.
"Les cartes qui viennent d'être caressées par mes mains s'annoncent comme étant terriblement ravageuses. - Les enseignes se décrochent difficilement, et le fou du passage Verdeau court toujours. C'est sans doute à cause de ce dernier qu'il m'est impossible d'avancer mes pions." Marcel Noll, in La Révolution Surréaliste n°1, 1er décembre 1924.

D’une étendue bien moindre que la Grange Batelière étaient les terres de Geoffroy et de son épouse Marie qui, dans les années 1260, en avaient fait une pieuse donation à l’Hôtel-Dieu. Après 1840, au moment de lotir le lieudit qu’on appelait maintenant la Boule Rouge, qui faisait maison close, les financiers Pène et Mauffra ressuscitèrent de leur lointain passé les admirables donateurs afin de profiter publicitairement de la vogue gothique créée par le Notre-Dame de Paris de Hugo.

- 18-20, rue Montyon / 2-4, rue Geoffroy-Marie, PLU : immeuble de rapport construit après 1840 dans le lotissement de la Boule Rouge, cour en demi-cercle ouverte sur rue par porche en plein cintre, disposition rare et originale.

- 10-12, rue Montyon / 10-10 bis, rue Geoffroy-Marie, PLU : immeuble de rapport, après 1840, dans lotissement de la Boule Rouge par financiers Pène et Mauffra ; belle grille de balcon en fonte. Un passage couvert, de Montyon à Richer, de même date, s'étirait dans l'axe de la rue Saulnier : passage Richer au nord, galerie Bergère au sud, annexée depuis 1927 par un restaurant à son ex débouché nord, un garage à l'ex débouché sud.

Folies-Bergère : derrière le bar au grand miroir immortalisé par Manet, c’est, en avril 1926, la première de La Folie du jour avec cette Joséphine Baker qu’on s’arrache depuis qu’elle a triomphé l’année précédente dans la Revue nègre du Théâtre des Champs-Élysées.
Au long de huit tableaux, les « girls » très peu vêtues des Folies-Bergère interprètent des touristes américaines tentées par les vitrines de magasins de luxe parisiens, qui, en une sorte de strip-tease à l’envers, enfilent toutes les emplettes qu’elles viennent d’y faire. Après quarante minutes où la tension est ainsi montée de manière insoutenable, Joséphine Baker arrive enfin sur scène en descendant d’un palmier, vêtue seulement de bananes, pendant autour d’une ceinture, que les mouvements de ses hanches et de son ventre redressent vigoureusement.

Le potager de Guillaume Berger fut à l’origine de la rue Bergère,
- 29-35, rue Bergère, PLU : période Louis-Philippe; sur soubassement à bossage, garde-corps et balustrades des balcons en fonte.

- 7, rue du fbg Montmartre, PLU : imm. de rapport seconde moitié du 19; sur cour, bouillon Chartier de 1895.
Isidore Ducasse y meurt, à l’hôtel, juste après la proclamation de la IIIe République, le 24 novembre 1870. Ceux qui vont manger chez Chartier, suiveur de Duval, passent aujourd’hui devant une plaque qui reprend le début de la strophe 10 du premier des Chants de Maldoror : « Qui ouvre la porte de ma chambre funéraire ? J’avais dit que personne n’entrât ».

À peu près au même moment, Chopin, quittant le 27, boulevard Poissonnière, s’est installé au n° 4 de la cité Bergère pour partager un appartement avec un compatriote fraîchement émigré, le médecin Aleksander Hofman. Heinrich Heine, "fils de la Révolution" française, accouru à Paris sitôt les Trois Glorieuses, va trouver à se loger dans la même cité d’hôtels destinés aux étrangers venant visiter les Boulevards, au n° 3. Il se traduit avec quelques aides, dont celle de Nerval ; il écrit aussi directement en français, et les complaisants l’ont vite qualifié de « Nouveau Voltaire », ce qui ne l’empêche pas de se lier avec Musset.

Le Comptoir d’Escompte, partant du 14, rue Bergère, s’agrandit de tous les hôtels mitoyens.

Martin Nadaud, qui travaillait rue Saint-Fiacre l’année où le Siècle arrivait dans le quartier, voyait partout à la ronde, du haut de son échafaudage, « de grands magasins de marchandises d’exportation qu’on chargeait ou déchargeait dans la cour ou même dans la rue. On sait que ce quartier est le centre du grand commerce d’exportation de Paris ». Dans ces rues « silencieuses et mornes dès 8 heures du soir, confirme La Bédollière, loge une foule d’exportateurs, agents acheteurs, commissionnaires en marchandises, agents de transports maritimes, représentants de maisons de commerce et de manufactures ».

A gauche, on a le 14, bd Poissonnière, qui porte l'inscription Pont-de-Fer au dessus de sa porte. Mais il la tire de sa voisine : la vraie Maison du Pont-de-fer, autrefois numérotée 14, est à l'actuel n°12, PLU : de 1838, par Théodore Charpentier (1797-1867) ; achetée en 1843 par Alexandre Aguado, marquis de Las Marismas ; derrière l’immeuble donnant sur le boulevard, deux autres se succèdent, reliés entre eux par un « pont de fer », (au ras de ces passerelles, des ateliers à grandes baies) jouant avec le dénivelé induit par la butte des anciens remparts. Elle s'ouvrait par une large entrée à double arcade, le pont de fer partait à la hauteur du 1er étage ; on pouvait aussi accéder à la cour par le 3, rue du Fbg Poissonnière. En 1842, on y trouve Léonard, fabricant de lits en fer. Le bazar d'Alexis Godillot s'y ouvre en juillet 1845. On le voit sous le sang et la mitraille lors du coup d'état de Louis Napoléon Bonaparte.
« Un témoin dit : "... A trois heures et un quart un mouvement singulier a lieu. Les soldats qui faisaient face à la porte Saint-Denis opèrent instantanément un changement de front, s'appuyant sur les maisons depuis le Gymnase, la maison du Pont-de-Fer, l'hôtel Saint-Phar, et aussitôt un feu roulant s'exécute sur les maisons et sur les personnes qui se trouvent au côté opposé, depuis la rue Saint-Denis jusqu'à la rue Richelieu. Quelques minutes suffisent pour couvrir les trottoirs de cadavres" ... Un autre : "... Les glaces et les fenêtres de la maison du Pont-de-Fer furent brisées. Un homme qui se trouvait dans la cour était devenu fou de terreur. Les caves étaient pleines de femmes qui s'y étaient sauvées inutilement. Les soldats faisaient feu dans les boutiques et par les soupiraux des caves. De Tortoni au Gymnase, c'était comme cela. Cela dura plus d'une heure. » Hugo, Napoléon le petit.
Puis le fameux Bazar général des voyageurs s'y installe en octobre 1855. Il y avait aussi, bien sûr, un café ; dans les années 1873-74, un groupe d'environ 25 républicains (donc illégal, il faut se déclarer au-dessus de 20) de "tendance gambettiste" selon la police, s'y réunit tous les soirs. Quand, en 1882, naît un "journal républicain indépendant", Le Matin, qui s'installe au 1, rue des Panoramas, le café prend son nom ; il le porte toujours.

-15, bd Poissonnière, PLU : immeuble de rapport de style néo-Louis XVI.

- 20, bd Poissonnière, PLU : fin monarchie de Juillet, pour Marquis, chocolatier établi passage des Panoramas et rue Vivienne ; garde-corps des balcons en fonte ; certains des « grands et beaux appartements bien décorés » des étages, décrits ainsi en 1852, subsistent en partie ; cour exceptionnelle : ornements, fontaine.

- 17, bd Poissonnière, PLU : propriété de M. d’Ailly au 18e, antérieure à l’ordonnance d’alignement de 1826 ; un passage latéral dessert la cour.
- 19, bd Poissonnière, PLU : hôtel élevé sur terrain acquis en 1788 pour Cousin de Méricourt, ancien caissier des Etats de Bourgogne ; 5 niveaux d’origine, surélevé au 19; garde-corps en fer forgé à motifs d’ogives sur les trois balcons filants, porte en ferronnerie à motifs de couronnes de lauriers.

-  24, bd Poissonnière, PLU : immeuble de rapport 1792, porte monumentale ; à l’arrière, rez-de-chaussée et 1er étage fin 18e surélevés au 19e.

- 26, bd Poissonnière, PLU : immeuble de rapport 1792, même architecte que n°24, figures féminines sous l’attique, formant frise.

- 21, bd Poissonnière, PLU : immeuble de rapport à façade Louis XVI, réputé avoir été construit pour son compte par le maître maçon Trou qui construisait le n°19.

- 25, bd Poissonnière, PLU : vers 1788-89 par une famille de la noblesse auvergnate sur le jardin de leur hôtel de la rue Montmartre ; au 1er étage subsiste un décor intérieur sculpté et décoré ; garde-corps en fonte à motifs de navettes 19e s.

Chopin se domicilie au 27, la plaque est sur 25. Il a 21 ans, il s'est réfugié à Paris après la chute de Varsovie.
Frédéric Chopin, sera le dernier à profiter – et à nous en transmettre le souvenir – de la vue que l’on a de ce balcon de Paris qu’est la façade méridionale du Boulevard. Au-dessus du trottoir, qui commence à remplacer les bas-côtés de terre battue simplement séparés de la chaussée par de grosses bornes de pierre, et plus haut que ses deux rangées d’arbres, Chopin s’installe à l’automne de 1831 dans l’immeuble du Grand Bazar de l’Industrie française, au coin de la rue Montmartre. « Dans mon cinquième étage (j’habite boulevard Poissonnière n° 27) – tu ne pourrais croire combien est joli mon logement ; j’ai une petite chambre au délicieux mobilier d’acajou avec un balcon donnant sur les boulevards d’où je découvre Paris de Montmartre au Panthéon et, tout au long ce beau monde. Bien des gens m’envient cette vue mais personne mon escalier. »

-29, bd Poissonnière (et 178, rue Montmartre), PLU : immeuble de rapport typique haussmannien.

- 32, bd Poissonnière / 2, rue du fbg Montmartre, PLU : façade d'aspect premier tiers du 19e siècle, balcon filant conservé sur l’étage d’attique.
En face du balcon de Chopin, le Brébant, à l’angle des 32, boulevard Poissonnière et 2, rue du Faubourg-Montmartre, est un autre des restaurants fameux du Boulevard. C’est là que Flaubert fait déplacer la « société Magny » après les décès de Gavarni et de Sainte-Beuve.
- 2, bd Montmartre/1, rue du fbg Montmartre, PLU : immeuble de rapport 1839, grilles de porte et balcons en fonte Louis-Philippe.

1, bd Montmartre/169, Montmartre, PLU : façades début 19e, remarquables garde-corps.

3, bd Montmartre, PLU : 1844, garde-corps en fonte ouvragée.

Les souliers trop serrés de Lénine


Une balade 100% prolétarienne (avec de vrais morceaux de jaunes dedans), que le promeneur pourra mixer avec une seconde, plus interclassiste, prochainement sur le site.

- Travail et Liberté, 38 av de l'Opéra. Le mensuel du Comité d'Etudes Economiques et Syndicales, contrôlé par Irving Brown, délégué du syndicat américain AFL, lequel a depuis 1946 une antenne à Bruxelles chargée de rassembler les « syndicats libres », paraît pour la première fois en février 1947. C’est autour de ce titre que vont se former les premiers « syndicats indépendants », dans lesquels on trouve essentiellement des vichystes, ex-syndicalistes et ex-communistes : Marcel Boucher, ancien secrétaire général du syndicat des Ports et Docks de la Région Parisienne, ex-secrétaire de l'Union des Syndicats de la R.P. ; Balsière, exclu du syndicat du personnel des services centraux de la SNCF ; Sulpice Dewez, ancien vice-président national des J.C., député communiste de Valenciennes de 1932 à 1940 ; et Parsal (Puech, dit Parsal), député communiste de la Seine de 1936 à 1940, qui participa en juin 1942 à la création du Comité d'information ouvrière et sociale chargé de la propagande pour la relève, et qui sera condamné à la dégradation nationale à vie et à la confiscation de ses biens au procès de l'ex POPF, le 8 avril 1948.

- Vorwärts, à l’angle des 32 rue des Moulins et 49 rue Neuve-des-Petits-Champs (auj. des Petits-Champs). C’est dans un appartement du premier étage de cet immeuble d’angle, loué par les frères Börnstein pour y installer leur agence de presse, que se tiennent plusieurs fois par semaine les réunions de rédaction du Vorwärts, le bi-hebdomadaire fondé au début de 1844 par Henri Börnstein, avec l’aide du compositeur Meyerbeer. « Outre Bernays et moi-même, qui étions les rédacteurs, raconte Heinrich Börnstein dans ses mémoires, écrivaient pour le journal Arnold Ruge, Karl Marx, Heinrich Heine, Georg Herwegh, Bakounine, Georg Weerth, G. Weber, Fr. Engels, le Dr Ewerbeck, et Heinrich Bürgers ». Et il en oublie quelques-uns, dont German Mäurer, l’un des dirigeants de la Ligue des Justes, soit une douzaine de personnes, pour ne rien dire des discussions qui sont menées par ailleurs avec Proudhon, Louis Blanc, le typographe Pierre Leroux (avec lequel George Sand avait créé la Revue indépendante trois ans plus tôt), ou Victor Considérant, le disciple de Fourier. L’ouvrage de référence du milieu ouvrier allemand est alors les Garanties de l’harmonie et de la liberté, publié par « le garçon tailleur Weitling » en 1842, dont Marx fera l’éloge dans le Vorwärts du 10 août 1844 : « Pour ce qui est de la culture des ouvriers allemands ou généralement de leur capacité à se cultiver, je rappellerai l’œuvre géniale de Weitling, qui dépasse souvent Proudhon lui-même au point de vue théorique ». « Il faut reconnaître que le prolétariat allemand est le théoricien du prolétariat européen, écrira-t-il ailleurs, de même que le prolétariat anglais en est l’économiste et le prolétariat français le politique. »

- La Vérité des Travailleurs, 64 rue de Richelieu. C’est l’organe du PCI, Section française de la IVe Internationale. « Toutes nos forces pour la révolution algérienne » titre son numéro de février 1961. Et ces forces ne seront pas mises au seul service de manifestations de rue. A peine quatre mois plus tard, Michel Raptis, dit Pablo, et Salomon Santen, étaient jugés, à Amsterdam, pour une aide au F.L.N. qui s’était traduite par l’impression de faux papiers et de fausse monnaie : 960 000 faux billets de cent nouveaux francs avaient été saisis. Ils allaient être condamnés à quinze mois ferme. Au même moment devenait opérationnelle, à la frontière algéro-marocaine, une usine d’armements secrète que Pablo et ses camarades, selon Les Porteurs de valises d’Hervé Hamon et Patrick Rotman, avaient aidé à mettre sur pied. Pour la faire tourner, le F.L.N. avait rapatrié ses meilleurs métallos de chez Renault ou Citroën. Et le PCI avait encore monté un réseau pour l’aide médicale aux blessés.

- La Guerre Sociale, 121, rue Montmartre, à compter de décembre 1906, puis rue Saint-Joseph en 1911. Diffusant 15 000 exemplaires à son lancement, 20 000 un an plus tard, puis 50 000, vendu abondamment à la criée, c’est, selon les intentions de Gustave Hervé, un « organe de liaison entre les anarchistes de la CGT [...] et les socialistes unifiés les plus avancés ». Gustave Hervé est membre de L’Association internationale antimilitariste, dont il a signé, parmi trente, l’« Appel aux conscrits » qui, en octobre 1905, s’est étalé sur les murs de Paris. A la SFIO, ses amis et lui sont organisés en tendance. A compter de la mi-1909, ces syndicalistes anarchistes et ces socialistes avancés qu’il veut lier, Almereyda, Merrheim, chaudronnier, secrétaire de la fédération des métaux CGT depuis 1905, Sébastien Faure et quelques autres, mettent sur pied l’Organisation de combat, pour préparer la grève révolutionnaire, et des Jeunes Gardes, que la police estimera à 600 membres vers la fin de 1911, formés en groupes de 10 hommes armés « à la moderne », commandés par un chef qui est le seul à être en rapport avec le comité exécutif.
Au matin des manifs, la Guerre Sociale ouvre ses colonnes à Gaston Couté ou à Montehus et publie « les chansons que l’on chantera ce soir », sans compter « La Chanson de la semaine sur un thème d’actualité » à compter du 22 juin 1911 : « Chaque semaine nous publierons une chanson satirique de Gaston Couté. L'auteur des Conscrits, des Gourgandines, du Christ en Bois et de tant d'autres poèmes d'une langue si savoureuse et si forte, vulgarisera à sa façon les idées de révolte et d'émancipation qu'il a toujours défendues. »
Des chansons et des armes, oui ; des colifichets, non ! « Rien n'est devenu plus piteux que le commerce des insignes rouges soi-disant socialistes ou révolutionnaires. Bien que destinés à affirmer, moyennant 10 centimes, l'héroïsme de celui qui les porte, ils ont depuis longtemps perdu toute signification protestataire ou combative. Il en est de ces insignes comme du pèlerinage annuel de la Semaine sanglante, comme de l'épithète "sociale". L'usage les a galvaudés, en a fait de simples démonstrations fétichistes. » Voilà comment La Guerre sociale des 10-17 juillet 1907 rend compte, sous ce titre, d’« Une Manifestation ».
N° du samedi 13 juin 1936 (Gallica)

- l’Humanité, 142 (dès le début 1913) puis 138 (à compter de 1931) rue Montmartre. Dans les mêmes immeubles sont logés Bonsoir, Le Journal du Peuple de Fabre, exclu du PC en mai 1922 à la demande de l’Internationale ; le Merle Blanc, créé en 1919 par Eugène Merlot dit Merle, ex secrétaire adjoint de l’Association Internationale Antimilitariste, collaborateur du Libertaire, et qui tirera à plus de 800 000 exemplaires dès 1922 ; La Volonté ; La Victoire, ex Guerre Sociale d’un Gustave Hervé devenu patriote, et qui a pris ce nouveau titre au 1er janvier 1916 ; Paris-Magazine, ou encore Le Populaire de Paris, journal socialiste du soir, avec comme directeur politique Jean Longuet, comme rédacteur en chef Paul Faure et comme directeur littéraire Henri Barbusse. En bas, la Librairie de l’Humanité. Rédaction et administration du Conscrit sont, en 1923, 142 rue Montmartre. Des cartouches y proclament : « L’armée, c’est le revolver du voleur capitaliste », ou « Conscrit ! à la caserne, fais l’apprentissage de la violence ». « Devenez des Marty » est le titre de l’article de « der ». Les cahiers du Bolchévisme y ont leur adresse ; la rédaction de l’Avant-Garde est logée au 138 rue Montmartre.
Marcel Cachin et Jacques Doriot sont arrêtés dans les bureaux de l’Humanité le 18 juillet 1927, après que le ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut, a dénoncé le travail antimilitariste et anticolonialiste du parti : « le communisme, voilà l’ennemi ». Une toile de Dali, « Autoportrait avec l’Humanité », le montre en bleu de chauffe, muni du quotidien daté du 24 juillet 1928, plié et ne laissant voir de son titre que « mani », en quoi l’on peut voir l’intention que l’on voudra mais pourquoi pas « manie », ce numéro tombant en plein milieu du VIe congrès du Komintern à Moscou, celui de la période « classe contre classe » où la social-démocratie, présentée comme « social-fascisme », devenait l’ennemi principal. Le 17 juillet 1929, une action judiciaire pour atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat ayant été ouverte contre Louis Cassiot, le responsable de la rubrique militaire du quotidien, des perquisitions y sont faites, et poursuivies le 25 juillet quand l’inculpation est étendue au journal dans son ensemble. Des documents sont saisis, l’action judiciaire encore élargie et 154 personnes inculpées, dont de nombreux membres du comité central. La police a pris les devants, le Parti préparant sa « Journée rouge », la journée internationale de lutte contre la guerre du 1er août 1929, 15e anniversaire du déclenchement de la guerre de 1914. L'Humanité écrivait dès le 12 juin, ainsi que le cite Danielle Tartakowsky : "La journée du premier août doit être une étape [...] Elle n'est pas la révolution ni l'insurrection mais en constituera un chaînon (...). Elle n'est pas l'émeute mais l'organisation consciente de la résistance [...] à la répression [...]. Elle n'est pas le putsch mais la journée où les prolétaires cesseront le travail et manifesteront [...] pour leurs revendications immédiates, leur droit à la rue en même temps qu'ils affirmeront leur volonté puissante de lutte contre la guerre impérialiste et la solidarité avec l'URSS". De tout ce qu’elle n’était pas, le pouvoir avait retenu le mais.
Dans le numéro du 13 juin 1936 de l'Humanité (Gallica)
En septembre de cette même année, ce n’est plus la police qui investit les lieux mais les Jeunesses, venues débarquer les « vieux » ; c’est la « révolution culturelle » à l’Humanité. Un groupe de militants du bâtiment, emmené par Marcel Gitton, occupe des bureaux où Marcel Cachin n’a que la ressource de s’enfermer à clef, en expulse sept rédacteurs et menace les autres et leurs déviations de sa vigilance révolutionnaire. Enfin ils destituent le rédacteur en chef, et installent à sa place Florimond Bonte. Dans le numéro qui suit, le 3 septembre, une déclaration du Bureau politique avalise le changement, qu’elle situe dans le cadre du « travail d’épuration entrepris dès le lendemain du VIe Congrès mondial ». L’initiative « de la base » répondait en fait à une suggestion des responsables de l’action antimilitariste et anticolonialiste, auxquels l’Internationale venait de confier le parti français : Barbé, membre de l’exécutif de l’International communiste des Jeunes et officieux premier dirigeant du PC, et Célor
En 1934, l’Humanité n’a toujours que 6 pages comme à la veille de 1914. Dans ces années-là, à la rubrique « Convocations », carnet de rendez-vous pour toutes les organisations de l’univers communiste, les cours d’espéranto de l’Université ouvrière sont encore réguliers, comme les sorties du groupe des naturistes, pendant que dans les colonnes voisines, l’Humanité propose sa vente directe de charbon comme le fait le Populaire à la même époque. C’est alors leur seul point commun. Le Front Populaire en amènera d’autres, et même un dialogue inattendu, l’Humanité répondant au « Tout est possible » affirmé dans le Populaire par Marceau Pivert, sous la plume de Marcel Gitton : « Non, non, il ne s’agit aucunement « d’un changement radical, à brève échéance, de la situation économique et politique » comme l’écrit le camarade Pivert. Non, non, Marceau Pivert, il n’est pas question pour le gouvernement de demain « d’opérations chirurgicales ». » Le 28 mai, un article de Frachon disait déjà : « Nous approuvons et soutenons l’action des travailleurs parisiens. Il y a cependant des régions où la misère est encore plus grande. » Et l’Humanité du 13 juin 1936 enfoncera encore le clou, Thorez y rappelant la « riposte que nous avons faite à Pivert » : « nous et nous seuls, nous avons répondu : « Non, tout n’est pas possible maintenant. » »

L'hôtel Colbert (porche), 16 rue du Croissant, en 1914 (Gallica)
- L’Humanité, 16 rue du Croissant. Et Librairie de l’Humanité. Le 24 avril 1908, L’Humanité de Jean Jaurès, arrivant du 110, rue de Richelieu, s’installe à l’hôtel Colbert ; elle y restera jusqu’au 25 janvier 1913, pour s’installer ensuite à deux pas, au 142 rue Montmartre.

- Imprimerie du Croissant, 19 rue du Croissant. Dans les années 1960, c’est dans cette imprimerie centenaire, auprès des militants de la CGT - le syndicat ayant le monopole de l’embauche dans la branche -, que les étudiants de l’Unef viennent chercher le job d’été qui leur fera nettoyer les locaux de l’International Herald Tribune ; et dans ces mêmes sous-sols syndicaux que sont diffusés les premiers films porno suédois.

L'inauguration de la plaque en 1924 (Gallica)
- café du Croissant, 146 rue Montmartre. « J’ai visité, écrit Trotsky le 17 juillet 1915 dans la Kievskaya Mysl dont il est le correspondant parisien, le café, désormais célèbre, du Croissant, situé à deux pas de l’Humanité. C’est un café parisien typique : plancher sale avec de la sciure de bois, banquettes de cuir, chaises usées, tables de marbre, plafond bas, vins et plats spéciaux, en un mot ce que l’on ne rencontre qu’à Paris. On m’a indiqué un petit canapé près de la fenêtre : c’est là qu’a été tué d’un coup de revolver le plus génial des fils de la France actuelle. » Il s’agit bien sûr de Jaurès assassiné ici un an plus tôt dans sa 55e année.

- rue Saint-Fiacre. Martin Nadaud y travaille en 1835, souvent de 4h du matin à 8h du soir, à démolir de vastes ateliers qui avaient servi à une maison de roulage – « on sait que ce quartier est le centre du grand commerce d’exportation de Paris ». Il y a deux autres chantiers à côté du sien. « En face de notre bâtiment, il y avait de grands magasins de marchandises d’exportation qu’on chargeait ou déchargeait dans la cour ou même dans la rue. Les emballeurs s’adressaient à nous en répétant les noms que nous donnions à nos garçons, puis ils riaient aux éclats en nous regardant. » L’affront ne restera pas impuni : on en viendra aux mains, chaque bande envoyant son champion pour une rencontre à la régulière.

- FTOF, AEAR, 12 rue Saint-Fiacre. La Fédération du Théâtre Ouvrier de France (FTOF), la permanence qu’elle assure du lundi au samedi de 15h à 18h, et la rédaction de la Scène Ouvrière, arrivent ici, au 4e étage, à la mi-1932, en même temps que la toute jeune Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires (AEAR), dont l’assemblée constitutive vient de se tenir le 18 mars, et qui avait occupé depuis, provisoirement, le 3 rue Valette.
A la fin d’août 1931, alors que la FTOF avait pensé réunir 30 groupes de « Blouses Bleues » à Bezons pour son assemblée régionale parisienne, seize seulement s’étaient présentés, dont neuf en mesure de participer à un « spectacle » de démonstration. Mais la Fédération allait bientôt compter plus de cent groupes dont, pour Paris intra muros, Masses, Mars, et Octobre, outre ceux des 13e, 14e, 18e et 20e arrondissements. La FTOF, dont le trésorier est l’orthodoxe Gaston Clamamus, est alors animée par le compositeur Robert Caby, l’un des derniers amis d’Erik Satie, journaliste musical de l’Humanité et gérant de la Revue du Cinéma de Jean-Georges Auriol, et par Jean-Paul Dreyfus (Le Chanois). Robert Caby, membre du PC depuis la fin des années 1920 mais ami de Léon Sedov, quittera plus tard le parti pour militer à l’aile gauche du PS.

- cinéma Le Rex, 1 bd Poissonnière. Il est Soldatenkino durant l’occupation, et sera de ce fait la cible d’une attaque de la résistance qui marque un tournant dans l’opinion, se rappelle Simone de Beauvoir : « L’explosion de bombes à retardement au cinéma Garenne-Palace et au cinéma Rex, l’attaque à la grenade d’un détachement allemand rue d’Hautpoul [19e], furent chèrement payées : on fusilla quarante-six otages communistes au fort de Romainville. (...) A présent, l’immense majorité des Français appelait avec impatience la défaite allemande. »

- la SNEP, 6 bd Poissonnière. Le Populaire s’y installe à la Libération. En vertu de la loi du 11 mai 1946, les biens de presque tous les journaux apparus sous l’occupation sont regroupés dans un holding d’Etat, la Société Nationale des Entreprises de Presse (SNEP), à charge pour celui-ci de les revendre ou les louer à bail à la presse nouvelle, après indemnisation des titres non coupables de collaboration. Mais la mise en œuvre de la loi dépendra des ministres de l’Information successifs, socialistes, MRP ou RGR, qui y feront preuve d’un zèle très divers. André Ferrat, qui avait dirigé la Section coloniale du Parti communiste à partir de 1931, et qui avait à ce titre réorganisé le parti en Algérie au printemps de 1934, en en confiant la direction à Amar Ouzegane, futur ministre du gouvernement algérien de 1962 à 1965, est directeur de l’imprimerie Réaumur, filiale de la SNEP, en 1946. C’est là qu’est imprimé le journal du MTLD, l’Algérie Libre. Quand le préfet de police veut le faire saisir, le 17 juin 1950, il trouve la SNEP peu coopérative, pour ne pas dire complice. Le 1er septembre 1950, il est à nouveau question de saisie, et la police s’étonne que le ministère de l’Information, tutelle de la SNEP, n’interdise pas tout bonnement à celle-ci d’imprimer le titre. On doit se borner à conduire au poste ses vendeurs. Le 8 septembre, la SNEP renonce à l’impression de l’Algérie libre, André Ferrat ayant été prévenu qu’il se trouvait pénalement responsable ; dix jours plus tard, plus de 1 100 Nord-Africains sont interpellés préventivement alors qu’ils tentaient de manifester en direction de l’imprimerie Réaumur. A la fin du mois, l’Algérie libre reparaît chez un autre imprimeur, non identifié, elle est alors saisie dans la rue. Elle l’est à nouveau à la mi-octobre.

- L’Humanité, 8 bd Poissonnière, face au cinéma Rex. La Librairie Nouvelle est au rez-de-chaussée, le quotidien au 4e étage, L’Humanité Dimanche au 5ème. Le 29 novembre 1947, l’Humanité et Ce Soir sont saisis en vertu de l’article 10 ; la manifestation de protestation organisée autour des locaux, le lendemain, ne regroupe que 2 000 personnes selon la police. Le 2 décembre, l’Humanité est à nouveau saisie, sur mandat de justice, en même temps qu’une affiche du Comité central de Grève, présidé par Benoît Frachon. Le 6 décembre, une Commission rogatoire assez largement conçue donne toute latitude à la police de saisir les tracts, affiches et journaux sans être obligée d’obtenir l’accord préalable du Parquet. L’immeuble de l’Humanité va être, dans les années d’après guerre, le lieu autour duquel on se regroupe en défense, et parfois en faisant parler le plomb, qui est encore l’outil de travail des typos ; devant lequel on se réunit aux soirs d’élections pour l’affichage des résultats ; devant lequel on se recueille les jours de funérailles. Le 17 mai 1963, le cercueil de Pierre Courtade est exposé dans le hall de l’Humanité. En 1967, c’est celui de Georges Sadoul, devant lequel Aragon prononce, juge Pierre Daix, « un discours non dénué de nostalgies, où se lisait une interrogation sur le chemin qu’ils avaient pris ensemble, comme aussi leur regret commun de n’avoir pas su retrouver Breton. » Au début de juin 1970, c’est Elsa Triolet qui y repose, et c’est de là que part, après un « discours déchirant » de Pablo Neruda, un petit cortège d’intimes et de dirigeants du parti en direction du moulin de Saint-Arnoult en Yvelines.

- siège de la FTOF, et de l’A.E.A.R., 13 rue du Fbg Montmartre. Le troisième congrès de la FTOF, à la Bellevilloise, le 15 janvier 1933, est l’occasion de représentations de La Bataille de Fontenoy – dont Masses, de René Lefeuvre, juge qu’elle passe «  par-dessus la tête de l’ouvrier » -, par le groupe Octobre, et de Prolos en scène par la chorale de l’AEAR. L’assemblée décidera également d’envoyer comme représentants aux Olympiades du théâtre ouvrier de Moscou, ce même groupe Octobre, dont fait partie Jacques Prévert, et les Blouses bleues de Bobigny. L’AEAR publie maintenant un journal-tract, Feuille rouge, en Une duquel André Breton explique que « M. Renault est très affecté » : l’explosion d’une chaudière vient de faire dans son usine 5 morts et 150 blessés. Ce n’est qu’une conséquence de sa politique de rationalisation et d’exploitation, explique Breton.
A la « Fête de l’Huma » qui suit, à Garches, outre les deux groupes retour de Moscou, la FTOF présente encore Mars, et la Phalange du 18e, à côté de la chorale juive et de sa centaine de choristes. Les Blouses Bleues seront à la fête commémorative de la Révolution russe, le 8 novembre, comme elles étaient allé animer le congrès de la CGTU. Trois ans plus tard, ce sont 120 groupes de la FTOF de Paris et de la région parisienne que l’on retrouvera dans le défilé du 14 juillet 1936.

- permanence de la Seine du Parti socialiste, 12 rue Feydeau. A cette adresse est d’abord édité Le Populaire, en 1921, après le congrès de Tours, quand le PS maintenu a perdu l’Humanité et aussi tous ses locaux. De journal socialiste du soir, le Populaire en devient quotidien du matin, avec Jean Longuet et Léon Blum comme directeurs politiques. Les excercices d’espéranto que publie le Populaire resteront à expédier au 12 rue Feydeau, qui les  corrige et les retourne, longtemps après que le quotidien sera passé rue Victor-Massé et l’adresse devenue celle de la Fédération de la Seine. C’est cette fédération, en effet, qui assure l’enseignement de l’espéranto par correspondance.
A la Fédé (on dit aussi l’Entente) de la Seine, domine d’abord le courant de « la Bataille socialiste » dans lequel Jean Zyromski, en charge de la page sociale du Populaire, a regroupé dès 1927 les éléments hostiles à la participation socialiste au gouvernement. Marceau Pivert, qui partage bientôt le leadership de ce courant, manifestera plus tard ses désaccords.
Le local ayant été mis à sac par les Croix de Feu le 7 avril 1935, Marceau Pivert accepte l’offre des Bolcheviks-Léninistes (trotskystes), qui viennent d’adhérer au PS, d’organiser une milice : ce seront les TPPS (Toujours Prêts Pour Servir), organisés en dizaines, trentaines et centaines, entonnant dans les défilés leur « Marche des TPPS ».
Au 5e étage du même immeuble, se trouve la Fédération des Jeunesses Socialistes, qui y inaugure un foyer le 11 mai 1935. L’Entente de la Seine des Jeunesses dispose, à partir de décembre 1934, d’un mensuel fédéral, Révolution, « organe de lutte et de combat de la jeunesse ouvrière », dont Fred Zeller représente la rédaction, et qui est beaucoup plus virulent que l’organe national, le Cri des Jeunes. A l’été 1935, les Jeunesse de la Seine comme celles de la Seine-et-Oise sont dissoutes. Les exclus continuant de se maintenir rue Feydeau, le Populaire doit rappeler que, dorénavant, « le seul organisme régulier des Jeunesses Socialistes pour la fédération de la Seine est rue Victor-Massé », et pour la Seine-et-Oise, rue Rodier. Dans ces conditions, la grande fête des J.S. à Boulogne-Billancourt, le 15 septembre n’est pas un franc succès. En janvier 1936, les Jeunesses « maintenues » rompront avec la SFIO pour constituer les Jeunesses Socialistes Révolutionnaires.
Chez les adultes, Marceau Pivert a finalement fondé sa tendance, la Gauche révolutionnaire, en septembre 1935 ; elle aura son mensuel éponyme, comme journal de courant, interne à la SFIO, et la revue Masses de René Lefeuvre, membre de la tendance, pour faire connaître ses idées à l’extérieur. Dans la Gauche révolutionnaire du 25 février 1936, René Lefeuvre théorisait la « grève sur le tas » en pratique aux Etats-Unis comme une nouvelle forme d’action directe. C’est cette grève sur le tas (ou encore « avec occupation ») qui allait être mise en œuvre dans les entreprises de l’aéronautique deux mois et demi plus tard. En décembre 1936, indépendamment de Marceau Pivert alors au gouvernement, sa tendance constituait un Comité d’action socialiste pour la levée de l’embargo, qui devenait Comité d’action socialiste pour l’Espagne quand les zyromskistes l’eurent rejoint.
Marceau Pivert acceptera de dissoudre sa tendance en 1937, avant de quitter finalement la SFIO en 38, avec la majorité de la fédération de la Seine, pour fonder le Parti Socialiste Ouvrier et Paysan (PSOP). Après la guerre, il reviendra pourtant à la SFIO et sera secrétaire de la Fédération de la Seine à partir du 4 juillet 1947. Jean Zyromski, qui avait été comme lui le champion de l’unité organique et le dénonciateur de la politique de non-intervention en Espagne, a choisi pour sa part l’adhésion au PC en 1945.
Dès la fin de 1946, les Jeunesses du PS étaient à nouveau mises en accusation dans la SFIO. A la mi-47, 80% des JS de la Seine suivaient André Essel, condamné aussi bien par le Comité directeur du PS que par une Fédération de la Seine dont Marceau Pivert était désormais le secrétaire.

- Travail et Liberté, 100 rue de Richelieu puis 18 rue Saint-Marc. A la fin de 1947, le mensuel cité plus haut est devenu un « hebdomadaire de combat pour la CGT indépendante, libre et démocratique ». A la même adresse siège bientôt l’Union Départementale de la Confédération générale des Syndicats indépendants, dont les premières sections sont, fin 1947, aux Wagons-Lits, avec Raymond Doubre comme secrétaire général ; aux Grands Moulins de Paris, sous la responsabilité d’Emile Ganne, et chez Bozel-Malestra, entreprise chimique dont le président est aussi le trésorier du RPF. Si le journal a été fondé par une équipe vichyste, la très grande majorité des syndiqués et une importante partie des dirigeants fédéraux seront vite des militants du RPF, « le devoir des compagnons étant de favoriser la création de syndicats autonomes, apolitiques », comme l’a écrit L'Etincelle ouvrière du 9 janvier 1948, et comme l’a confirmé de Gaulle en personne, dans sa conférence de presse du 17 novembre : "Nous serons amenés à constituer des syndicats nouveaux". Dès le 10 avril 1948, le bientôt fameux commissaire Jean Dides a entamé rue Saint-Marc un cycle de conférences éducatives pour la formation des "syndicalistes indépendants" aussi bien ouvriers que policiers. Les conflits, au sein de la confédération, deviendront très violents et, au début d'avril 1949 par exemple, Dewez et Houssard, c’est-à-dire la tendance RPF, s’empareront par la force des locaux de l'U.D. Le congrès de la C.G.S.I. d’octobre 1952 connaîtra les mêmes affrontements. La Confédération éclatera ensuite entre un "syndicat Simca", la C.F.S.I. animée par Charles Delarue, ex-inspecteur des RG, ancien policier collaborateur, et la « C.F.S. Travail et Liberté ».

- Opéra Comique, 5 rue Favart. Trotsky se rappelle y être allé avec Lénine, à la fin de 1902, lors d’un bref séjour qu’ils firent à Paris alors qu’ils résidaient à Londres. Avec leurs compagnes Kroupskaia et Sedova, selon certains, ou sans la Kroupskaïa mais avec Martov, dans le souvenir de Trotsky ; bref, Lénine avait acheté des chaussures à Paris, qui s’avérèrent trop étroites. Justement, les chaussures de Trotsky étaient à bout. Lénine lui donne donc sa paire trop petite ; à première vue, elle lui va parfaitement. Durant le spectacle, ça commence à être moins sûr et, sur le chemin du retour, « je souffrais atrocement et Lénine me raillait tout le temps, d’autant plus impitoyable qu’il avait enduré lui-même plusieurs heures le supplice de ces chaussures. »

- chantier de Nadaud, 29 rue de la Chaussée-d’Antin. Pendant qu’il travaille là, en 1830, la gargote où il prend ses repas est fréquentée par d’anciens soldats de Napoléon qui appartiennent à l’état-major du général La Fayette, alors commandant en chef des gardes nationales et qui habite la rue. « Parmi eux, deux ou trois qui racontaient les évènements de la journée où Louis XVI fut guillotiné. C’était la première fois que j’entendais parler de république... »

Emile Pataud devant le lycée Voltaire le 9/9/1908
- théâtre du Vaudeville, 2 bd des Capucines. Le 12 janvier 1910, Lénine y assiste, quatre jours après la création, à une représentation de la Barricade, de Paul Bourget, dont le personnage central est inspiré d'Emile Pataud, le chef du Syndicat des électriciens, et l’auteur, avec Pouget, d’un roman : Comment nous ferons la révolution. Les électriciens avaient, en 1907, plongé la ville lumière dans le noir deux nuits durant, avant d’être réquisitionnés sur ordre de Clémenceau.

- Union des Jeunes Filles de France, 9 bd des Capucines. Le premier congrès de l'Union des jeunes filles de France s’est tenu le 26 décembre 1936, et a réuni 600 déléguées, représentant 9 643 adhérentes. "Au début, quelques unes d'entre nous se sont demandées si ce n'était pas tourner le dos à nos principes que de vouloir organiser séparément les jeunes filles, y a confessé Danièle Casanova, citée par Jacques Varin dans, Jeunes comme JC... Disons franchement qu'une organisation mixte ne nous permettait pas un bien large recrutement. Depuis que notre organisation est constituée, nous avons découvert des militantes nouvelles et courageuses. Notre travail les intéresse, elles ont pris leur tâche à cœur, et pour la première fois nous pouvons dire, les jeunes filles participent nombreuses à la vie politique de la fédération des Jeunesses communistes de France." Outre qu’elles publient un mensuel, Jeunes filles de France, elles vont créer un millier de foyers de jeunes filles en France et compter 20 000 adhérentes en 1939.

- ministère des Affaires étrangères, 37 à 43 bd des Capucines (de 1820 à 1853). Le 23 février 1848, vers 9h30 du soir, à la hauteur du ministère des Affaires étrangères, un détachement du 14e de ligne ouvre le feu sur des manifestants, arborant des drapeaux rouges, qui arrivent du faubourg Saint-Antoine et se dirigent vers la Madeleine. Il y a plus de 100 morts. La foule, à la lumière des torches, promène toute la nuit des cadavres dans Paris. « Dans un chariot attelé d’un cheval blanc, que mène par la bride un ouvrier aux bras nus, seize cadavres sont rangés avec une horrible symétrie, écrit Marie d’Agoult. Debout sur le brancard, un enfant du peuple au teint blême, l’œil ardent et fixe, le bras tendu, presque immobile, comme on pourrait représenter le génie de la vengeance... » Un autre ouvrier, à l’arrière du chariot ne fait pas qu’incarner la vengeance, il la crie : « Vengeance ! Vengeance ! On égorge le peuple ! – Aux armes ! » répond la foule ». Les corps seront finalement déposés à la mairie du 4e de l’époque, place du Chevalier-du-Guet (auj. rue Jean Lantier).
"Décharge sur le bd des Capucines", gravure de l'Histoire de la Révolution de 1848 de Marie d'Agoult (Gallica)