Les sectateurs de l’idéal, ou les contemporains fin de siècle I

  (septième épisode de Paris des avant-gardes, commencé avec l'article d'août 2012)

 Nous voici célèbres maintenant ! Des chefs d’École, quoi !


« Ainsi le romantisme, après avoir sonné tous les tumultueux tocsins de la révolte, (...) abdiqua ses audaces héroïques (...) ; dans l’honorable et mesquine tentative des Parnassiens, il espéra de fallacieux renouveaux, puis finalement, tel un monarque tombé en enfance, il se laissa déposer par le naturalisme auquel on ne peut accorder sérieusement qu’une valeur de protestation ». Jean Moréas, Le Symbolisme, 1886.
« Mettons que symbolisme ait surtout voulu dire à un certain moment anti-naturalisme, anti-prosaïsme » Gustave Kahn en 1894.

De Charleville (Ardennes), le 24 mai 1870, Arthur Rimbaud écrit à Théodore de Banville : « Cher Maître, Nous sommes aux mois d'amour ; j'ai presque (ce mot est biffé) dix-sept ans. (...) si je vous envoie quelques-uns de ces vers [Ophélie, Sensation, Credo in unam qui sera connu ensuite comme Soleil et chair], - et cela en passant par Alph. Lemerre, le bon éditeur, - c'est que j'aime tous les poètes, tous les bons Parnassiens, - puisque le poète est un Parnassien, - épris de la beauté idéale... »
Le 14 juillet 1871, il lui écrit à nouveau, cette fois de chez Charles Bretagne, Avenue de Mézières, à Charleville, « Vous rappelez-vous avoir reçu de province, en juin 1870, cent ou cent cinquante hexamètres mythologiques intitulés Credo in unam. Vous fûtes assez bon pour répondre ! C'est le même imbécile qui vous envoie les vers ci-dessus », en l’occurrence, Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs.
Le « Vous fûtes assez bon pour répondre ! » est peut-être pure ironie, on ne sait si réponse il y eut, en tous cas le poème floral, à la différence des précédents, est railleur.
Fin août, rentrant de l’Artois où il s’est mis au vert, peut-être sans raison, après la terreur qui frappait la Commune, Verlaine trouve chez Lemerre, l’éditeur du Parnasse contemporain, passage Choiseul, une lettre d’un ami de jeunesse, Charles Bretagne, « dix lignes de recommandation très énergique » en faveur d’un nommé Arthur Rimbaud, qui se dit un fervent admirateur de ses œuvres et lui soumet cinq poèmes. Après avoir lu Les Effarés, Les Assis, Les Douaniers, Le Cœur volé et Accroupissements, Verlaine, enthousiaste, transporté, les montre à tous ses amis : Albert Mérat et Léon Valade, ses collègues de bureau de l’Hôtel de Ville, ses voisins de pages dans le premier Parnasse contemporain, de chaises le samedi chez Leconte de L’Isle et, pour Valade, son témoin de mariage ; à Ernest d’Hervilly, Charles Cros, Philippe Burty, puis, ayant reçu une seconde lettre non seulement presque implorante mais encore accompagnée de trois nouveaux poèmes aussi formidables que les premiers, - Mes petites amoureuses, Paris se repeuple, Les Premières Communions - Verlaine décide de faire venir incontinent le jeune génie à Paris et met la bande à contribution pour qu’ensemble on lui paye voyage et séjour : « Venez, chère grande âme, on vous appelle, on vous attend ! »

Gare à Rimbaud !

Le 10 septembre 1871, Verlaine et Charles Cros attendent donc sur un quai de la gare de Strasbourg, (auj. de l’Est), fébriles, tellement excités qu’ils ne voient pas le voyageur passer à côté d’eux. Ils repartent, rageant, à pied, jusque chez les beaux-parents de Verlaine, 14 rue Nicolet, où bien installé dans le grand salon, conversant avec Mme Paul Verlaine et Mme Mauté, la mère de celle-ci, ils découvrent Arthur Rimbaud, « l’Enfant sublime », « beauté du diable ».
Le Rat Mort en 1929. Meurisse Gallica
Le séjour parisien d’Arthur commence par une longue et déréglée tournée des bistrots parisiens, du café du Gaz, rue de Rivoli, annexe du bureau de Verlaine quand il travaillait à l’Hôtel de Ville, à l’Académie du 176 rue Saint-Jacques, aux murs doublés de quarante tonneaux, dont l’on met l’un en perce à chaque décès académique, d’où le nom de l’établissement où résonnent encore les souvenirs de Musset et de Murger, en passant par le Rat Mort. Cela commence sur le trajet jusqu’à la tête de ligne de l’omnibus Place Pigalle – Halle-aux-Vins, pour se ramifier dans le quartier latin après la descente à l’arrêt du boulevard Saint-Michel. « Un mur du n° 100 du café de Cluny », celui des toilettes, en porta la trace de deux quatrains scatologiques du plus jeune.
Devenu indésirable chez les beaux-parents Verlaine, où il chaparde les crucifix et fait décrocher des murs les tableaux qui l’indisposent, Rimbaud sera, décident les amis, pris en charge à tour de rôle par chacun d’eux. C’est Charles Cros qui s’y colle le premier et l’emmène dans son appartement et laboratoire – l’homme est inventeur autant que poète -, au 13 de la rue Séguier ; Arthur s’y torche avec un numéro de l’Artiste dans lequel son hôte est publié.
Puis Banville lui offre une chambre de bonne sous les combles de l’immeuble du 10 rue de Buci dont il occupe le premier étage ; Arthur se déshabille à la fenêtre, jette ses vêtements pleins de poux par dessus la gouttière, et reste planté là nu comme un ver. Il est mis à la porte au bout de huit jours. Vient le tour d’Ernest Cabaner, le pianiste, secrétaire et permanent du Cercle zutique, qui siège dans une grande salle, à l’entresol de l’hôtel des Étrangers, au confluent de la rue Racine et de la rue de l’École-de-Médecine sur le boulevard Saint-Michel. Il y a là un piano droit, l’alcool que renouvelle le secrétaire et le haschich qu’on y apporte, et un livre d’or, l’Album zutique, sur lequel versifient, dessinent Charles Cros et ses frères Antoine et Henri, Léon Valade, Albert Mérat, le caricaturiste André Gill, qui sont des habitués mais aussi, au passage, Germain Nouveau, Jean Richepin, Paul Bourget, Camille Pelletan.

Ivre comme un bateau.

On invite Rimbaud au dîner des Vilains Bonhommes, appellation que les Parnassiens ont reprise à leur compte après qu’elle leur a été distribuée par la presse au sortir de la première du Passant, de Coppée, à l’Odéon, deux ans plus tôt, dîner qui se tient place Saint-Sulpice, au coin de la rue Bonaparte, au premier étage d’un café. Rimbaud y lit son Bateau ivre. L’enthousiasme est tel chez les petits parnassiens – les grands : Coppée, Mendès, Heredia n’y seront guère sensibles – qu’on emmène le prodige chez Banville pour un bis, dont Rimbaud sort en marmonnant : « Vieux con ! », le maître s’étant montré réservé quand au fait de faire parler un bateau, vaisseau lui semblant d’ailleurs un mot plus approprié dans un poème.
Le Cercle zutique mettant fin à une existence qui n’était vieille que de deux mois, ses ex membres se cotisent pour louer au diable d’Ardennais une piaule infecte dans un hôtel assorti de la rue Campagne-Première, au coin du boulevard d’Enfer (auj. Raspail). Quand tout le Parnasse est au complet à l’Odéon, « circulant et devisant au foyer, sous l’œil de son éditeur Alphonse Lemerre », la presse dénombre le blond Catulle Mendès et le flave Mérat, Léon Valade, Dierx, Henri Houssaye, et « le poète saturnien Paul Verlaine [qui] donnait le bras à une charmante personne, Melle Rimbaud. »

Le nouveau dîner des Vilains Bonshommes, à la fin de janvier 1872, porte encore mieux son nom que les précédents : Rimbaud y interrompt un diseur de vers, Etienne Carjat le rappelle à l’ordre et Rimbaud, affreusement ivre, empoigne une canne épée, se rue sur le photographe-poète, lui éraflant la main en espérant pire si Verlaine n’avait réussi à se saisir de l’arme pour la briser sur son genoux. Désormais, les gentils resteront bonshommes mais le vilain n’y sera plus admis, et Carjat, de retour chez lui, détruit les plaques photographiques qu’il a faites jusque-là du faux poupon aux yeux bleus sous la tignasse châtain-clair, dont deux seulement réchappent au massacre.
Fantin-Latour avait en projet « un anniversaire », le cinquantième de la naissance de Baudelaire qui, sur le modèle de « l’hommage à Delacroix », aurait réuni autour d’un portrait du poète, « les douze apôtres » que son ami Edmond Maître était chargé de réunir : Hugo, Gautier, Leconte de L’Isle, Banville, etc.
1er rg: Verlaine, Rimbaud, Valade, d'Hervilly, Pelletan et fleurs en guise de Mérat; 2e rg: Bonnier, Blémont, Aicard
Les vedettes s’étant récusées, Fantin-Latour était passé au second cercle, en commençant par Verlaine et Rimbaud mais quand les Goncourt sont dans son atelier, le 18 mars, « il y a sur le chevalet une immense toile représentant une apothéose parnassienne de Verlaine, de d’Hervilly, etc., apothéose où il se trouve un grand vide, parce que, nous dit-il naïvement, tel ou tel n’ont pas voulu être représenté, à côté de confrères qu’ils traitent de maquereaux, de voleurs », ou de quasi criminel, comme Mérat Rimbaud, ce qui obligera le peintre à le remplacer par un pot de fleurs, à droite, au premier plan. Verlaine, lui, a posé. A tout le moins, il y a trouvé le prétexte de journées entières d’absence et de retards quotidiens à dîner rue Nicolet.

Le pardon et le couteau.

Pour obtenir le pardon de sa femme et de sa belle famille, Verlaine a réexpédié Rimbaud dans ses Ardennes, d’où ils correspondent secrètement par l’intermédiaire de Louis Forain. Mais après deux mois, n’y tenant plus, il le fait revenir, ce qui a lieu le 4 mai. Un peu plus tard, ils sont tous deux, en compagnie de Charles Cros, au café du Rat mort, 7 place Pigalle, au coin de la rue Frochot, qui a déjà sorti sa terrasse d’été. Rimbaud les convainc de participer à une expérience, leur demande de mettre les mains sur la table mais, le couteau nécessaire sorti de sa poche, il incise brutalement les poignets de Verlaine, qui se lève en reculant, et Rimbaud en profite pour le frapper, par deux fois, à la cuisse. C’est la vengeance, après deux mois de mise au rencard.
Le 16 mai, Théodore de Banville rend compte du tableau de Fantin-Latour, et y décrit Rimbaud « un tout jeune homme, un enfant de l’âge de Chérubin, dont la jolie tête s’étonne sous une farouche broussaille inextricable de cheveux, et qui m’a demandé un jour s’il n’allait pas être bientôt temps de supprimer l’alexandrin. » Huit jours plus tard, Verlaine est invité à dîner par Victor Hugo, à deux pas du café du crime : le poète habite 66 rue La Rochefoucauld mais prend ses repas en face, 55 rue Pigalle, chez Mme Drouet. Verlaine boite encore très bas, et doit expliquer à son hôte qu’il a des furoncles aux jambes. 
Rimbaud est de plus en plus irascible, irrité de toutes les compromissions de Verlaine à l’égard de ses famille et belle-famille, et Verlaine, comme pour prouver le contraire, en rajoute dans l’odieux à leur égard. La chaleur de l’été parisien vient aviver les tension, Rimbaud, déménagé d’un hôtel de la rue Monsieur-le-Prince à une chambre de « trois mètres carrés » à l’hôtel de Cluny, rue Victor-Cousin, n’en peut plus et, le 7 juillet 1872, vers dix heures du soir, à la gare du Nord, les deux compères prennent le large.

Cellulairement.

Puis c’est la Belgique, l’Angleterre, la prison, la province, pour Verlaine une absence de dix ans. Pendant cet exil, on ne parle plus guère de lui, à Paris, que chez Nina de Villard, où Germain Nouveau entretient son souvenir. Verlaine a rencontré Nouveau à Londres, curieux de connaître celui qui lui avait succédé, comme compagnon de fugue, auprès de Rimbaud. A l’été de 1874, Nina vient de s’installer avec sa mère, Mme Gaillard, veuve d’un riche avocat lyonnais, dans une maison qui n’a pas quatre ans, 82 rue des Moines. On avait vu, dans son précédent salon, rue Chaptal, avant la Commune, beaucoup de Parnassiens ; ils ne la fréquentent plus depuis qu’elle a suivi dans son exil genevois, son amant, Edmond Bazire, opposant à l’Empire puis journaliste au Tribun du peuple de P.O. Lissagaray. La troisième édition du Parnasse contemporain – ou Banville, Coppée et Anatole France font le tri pour Leconte de L’Isle et Alphonse Lemerre – vient de refuser et les envois de Verlaine, et l’Après-midi d’un faune de Mallarmé, et les poèmes de Charles Cros. On a donc toutes raisons, dans le salon du premier étage, le mercredi et le dimanche, d’écouter quand Nina quitte le piano dont elle joue merveilleusement, les Dizains réalistes et vengeurs de Nouveau, qui parodient les bonzes parnassiens.
On voit ici Manet et Mallarmé, qui y font connaissance, Villiers de l’Isle-Adam, qui collabora lui aussi au Tribun du peuple et qui frappé par le guignon s’exclame « Ah ! je m’en souviendrai de cette planète ! », Ernest Cabaner, le musicien zutique, Maurice Rollinat et Émile Goudeau, qui sont les seuls à demander qu’on leur serve de la bière, Charles Cros à qui l’hôtesse a inspiré le Coffret de Santal et les tendres sentiments qu’il renferme.
Manet fait le portrait de Nina, dans la Dame aux éventails, et celui de Mallarmé, avec le même tissu en toile de fond ; le poète publie sur le peintre, dans Renaissance, un article louangeur qui scelle une grande amitié qui durera jusqu’à la mort du second. Mallarmé connaît Villiers depuis plus de dix ans - comme Nina, rencontrée en forêt de Fontainebleau quand il enseignait à Sens. Par celui-ci, qui a connu Baudelaire, qui parle en tous cas beaucoup de leur familiarité, il est relié au plus grand poète du demi-siècle, auquel il s’est identifié au point de craindre de devenir fou quand il a appris l’attaque dont il était victime, et « qu’il n’a jamais vu, si ce n’est pendant quelques secondes énigmatiques sur l’impériale d’un omnibus, en allant mettre une lettre à la poste, rue d’Amsterdam ». C’est le même lien à Baudelaire qu’il cultivera auprès de Manet.

En allant au collège, passez à l’atelier.

Mallarmé va maintenant parfois au café Guerbois, à la Nouvelle-Athène, place Pigalle, qui sera le cadre de l’Absinthe de Degas, au Riche du dîner mensuel mais il est tous les jours dans l’atelier de la rue Saint-Petersbourg, alors que Manet ne lui rendra sans doute jamais ses visites. Il est vrai que c’est sur son chemin, entre le quatrième étage du 29 rue de Moscou, où il habite, et le lycée Fontanes (auj. Condorcet) où il enseigne : « En allant au collège, passez à l’atelier. J’aurai grand plaisir à vous serrer la main. » Au 4 de la rue de Saint-Petersbourg, une ancienne salle d’escrime en rez-de-chaussée, quatre fenêtres sur la place de l’Europe et la rue Mosnier (auj. de Berne), Mallarmé rencontre ainsi Duranty et Zola, Berthe Morisot, Degas, Monet, Pissarro.
Manet illustrera la traduction par Mallarmé du Corbeau, d’Edgar Poe, en 1875, et l’Après-midi d’un faune l’année suivante. M. De Callias, l’ex-mari de Nina, lui écrit pour le menacer de poursuites au cas où le tableau représentant celle-ci porterait son nom d’épouse, c’est à dire le sien. Villiers de l’Isle-Adam préfère, chez l’hôtesse, le dimanche : « les soirées y sont plus intéressantes » - ou les repas plus copieux ? – « parce que, ce jour-là, ceux qui ont des parents dînent en famille ». Il est loin le temps de sa splendeur, et il n’aura duré que trois mois. Peu après son arrivée à Paris, ayant fait un héritage, il a eu une calèche et deux chevaux, qui stationnaient toute la journée devant le café de Madrid où fréquentaient ses amis Catulle Mendès et Léon Dierx. Quand la voiture bougeait, c’était pour traverser le boulevard et attendre devant le café des Variétés. Et puis il avait fallu tout vendre. La veille du jour fatal, il aurait bien fait une promenade mais laquelle ? Le cocher lui avait suggéré : « Monsieur le comte, si nous allions au Bois ? », et ils étaient partis pour un tour du lac sans précédent ni suite. Il habitait maintenant une modeste chambre, 10 rue Clairaut, où il écrivait à plat ventre sur le tapis. Verlaine et Germain Nouveau s’occupaient, épistolairement, d’un projet d’édition des Illuminations de Rimbaud.
Dans son atelier de la place de l’Europe, sous la devise « Faire vrai, laisser dire » que portent les invitations, et l’écriteau  « A la concurrence du Jury » que ses jeunes collègues ont placé sous ses fenêtres, Manet expose, à compter du 15 avril 1876, les deux toiles refusées par le Salon : l’Artiste, un portrait de Marcellin Desboutin, et Le Linge. Pendant le même temps, dix neuf Impressionnistes, qui depuis deux ans ne se soucient plus du Salon, exposent pour la deuxième fois leur peinture. Près de quatre-cents personnes vont défiler chaque jour chez Manet, dont Méry Laurent, qui habite trois étages en-dessous de chez les Mallarmé et dont le poète est amoureux comme un collégien.

Ce siècle avait 82 ans...

« Ce sera l’originale gloire de Paul Verlaine d’avoir conçu, vécu et bâti une œuvre d’art qui, à elle seule, reflète, en l’agrandissant, la renaissance d’idéalité et de foi dont ces dernières années ont vu s’épanouir la floraison. » Émile Verhaeren, Impressions III.

A l’instigation d’Edmond Bazire se prépare la fête des 80 ans de Victor Hugo. Ce jour-là, 600 000 personnes vont défiler devant le 124 de l’avenue qui déjà, de son vivant, porte son nom, et où il va demeurer de 12h à 18h à son balcon, hiératique, en attendant que Rodin, auquel Bazire le présente, coule ce buste dans le bronze.
Méry Laurent, a été le modèle de Manet pour l’Automne, un Bar aux Folies Bergères et quelques pastels. Elle a transféré son salon de la rue de Rome à la villa Les Talus, 9 boulevard Lannes, dont Manet a peint la fenêtre, vue du jardin, avec ses fleurs grimpant le long des volets. Au bout du siècle, elle sera un modèle de Proust.
Au Quartier latin, le cénacle a été remplacé par le cercle, assemblée, auditoire devant lequel chacun, fût-il le plus novice des débutants, vient déclamer son poème. Au cercle des Hydropathes, ils sont de soixante-quinze à trois cent cinquante le vendredi après-midi, souvent au Café de l’avenir, à l’angle de la place et du quai Saint-Michel, qui ce jour en écoutent un qui leur déclare : « Messieurs, c’est un ami qui vous salue. On dit / Qu’au pays de Murger enfin on se réveille. (...) / On dit que le Pays-latin s’agite et vente. (...) / Que le combat est proche et qu’il faut se compter : / On n’a pas oublié ceux de mil huit cent trente... »
Le 25 juillet, Verlaine fait sa rentrée dans l’arène littéraire en publiant dans la revue de Léon Vanier, Paris-moderne, Le Squelette ; ce sont ses premiers vers acceptés par une revue depuis dix ans. Il habite pour l’heure à Boulogne, à l’hôtel du Commerce, 5 rue du Parchamp, mais le tram à un cheval de la ligne Auteuil-Saint-Sulpice le relie au Voltaire de la place de l’Odéon, où il retrouve ses vieux amis Valade et Mérat, Catulle Mendès, auxquels se sont ajoutés Jacques Madeleine et Georges Moinaux, dit Courteline, les jeunes directeurs de ce Paris-moderne créé en mars 1881. C’est encore dans cette revue, dans le numéro du 10 novembre, que paraît son vieil Art poétique qui date de 1874 et de la prison de Mons : « De la musique avant toute chose, / Et pour cela préfère l’Impair, / Plus vague et plus soluble dans l’air, / Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. »
Grâce à quoi il entre en contact avec les gens de la Nouvelle Rive Gauche, revue que fondent précisément le même jour, rue du Cardinal-Lemoine, d’ancien « cercleux » comme dit Edmond de Goncourt : Léo Trézenik, Georges Rall et Charles Morice. La rencontre débute en malentendu et se retourne en son contraire : elle mettra la revue au service de Verlaine qu’elle place en position de Maître, dont Charles Morice se fait le dévoué serviteur. Le poète de l’Impair s’est avancé dans Paris, avec sa mère, jusqu’à un 5e étage du 17 rue de la Roquette, où il reçoit maintenant le « prince des jeunes éphèbes », Charles Morice, ou le « gentilhomme du Péloponnèse », monocle et moustache en pointe d’yatagan, qui s’en va répétant « Je suis un Baudelaire avec plus de couleur », Jean Moréas.

Un ennui d’on ne sait quoi qui vous afflige !

Steinlen 1896 Gallica
L’efflorescence des cercles se poursuit : Charles Cros ressuscite des Zutistes à la Maison de bois du 139 de la rue de Rennes, tandis qu’Émile Goudeau, l’ancien animateur des Hydropathes, s’est associé avec le peintre Rodolphe Salis dans la création d’un « cabaret Louis XIII », le Chat noir, au 84 du boulevard Rochechouart. Comme les Hydropathes auparavant, le Chat noir a une revue de même titre, qui paraît le samedi. C’est dans son numéro du 26 mai 83 que paraissent sous l’intitulé « Vers à la manière de plusieurs », quelques poèmes de Verlaine dont Langueur : « Je suis l’Empire à la fin de la décadence, / Qui regarde passer les grands Barbares blancs / En composant des acrostiches indolents / D’un style d’or où la langueur du soleil danse. (...) / Ah ! tout est bu, tout est mangé ! Plus rien à dire ! (...) /  Seul, un ennui d’on ne sait quoi qui vous afflige ! »
Un autre groupe, d’élèves du lycée Fontanes, qui compte René Ghil, Stuart Merrill, Tristan Bernard, se fonde, sur des valeurs romantiques et parnassiennes, autour d’un journal polycopié, Le Fou. Puis un jour, Catulle Mendès leur donne une conférence, à la fin de laquelle il leur lit, presque du bout des lèvres, des vers « dissidents », ceux de Verlaine, et ceux de « ce petit homme, le plus effacé des maîtres, dont nous aurions oublié le nom si par la suite... », de Stéphane Mallarmé donc, professeur dans l’établissement, l’Après-Midi d’un Faune. « Je me rappelle notre émotion commune et soudaine, écrira René Ghil : nous aurions voulu crier et nous multiplier, d’un coup nous sentîmes que quelque chose d’inconnu et qui nous hantait était là en puissance. »
Mallarmé est à nouveau mis à l’honneur par la publication dans Lutèce, nouveau nom de La Nouvelle Rive gauche, maintenant 16 boulevard Saint-Germain, des études, accompagnées de longues citations, que Verlaine y consacre aux Poètes Maudits : Tristan Corbière, Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé. Pour leur édition en volume, illustrée, Verlaine fera s’inspirer le graveur du portrait de Mallarmé fait par Manet. Le peintre vient de mourir ; « J’ai, dix ans, vu tous les jours mon cher Manet, dont l’absence aujourd’hui me paraît invraisemblable », écrit Mallarmé à Verlaine.
Au 87 rue de Rome, Mallarmé fume sa pipe en écume de mer et corne, dont le tuyau est orné d’un cheval courant tête baissée, face au tableau qui le montre dans un costume et avec un cigare qui sont une mise en scène du peintre. Aux murs, on voit encore, quand on vient chez lui le mardi, toujours de Manet, « le baryton Faure dans Hamlet d’Ambroise Thomas » ; et une aquarelle de Berthe Morisot. Il a rencontrée celle-ci dans l’atelier de Manet, dont elle a épousé le frère, Eugène, et il fréquente parfois, le jeudi soir, le haut salon rose du rez-de-chaussée du 40 rue de Villejust (auj. Paul Valéry), attenant à un jardin où Mme Eugène Manet travaille.

La décade décadente.

Huysmans est maintenant l’un des familiers des mardis de la rue de Rome. Tournant le dos au naturalisme, il a contacté Mallarmé à propos des illustrations que Gustave Moreau avait faites pour son Hérodiade, dont il avait besoin pour documenter A Rebours. Moreau a exposé pour la dernière fois au Salon de 1880 et, avec la mort de sa mère, et celle de son ami Fromentin, il est devenu tout à fait ermite, même s’il est « un ermite qui sait l’heure des trains », comme le dit Degas. A rebours, paraît en 1884 ; il dépeint un héros, Des Esseintes, dégoûté de « la vulgaire réalité » et des « manières américaines », qui n’aime que les écrivains latins de la décadence et les modernes Baudelaire, Verlaine et Mallarmé, qui collectionne les œuvres de Gustave Moreau et d’Odilon Redon, et dont les recours à l’artifice, lui qui « voulait des fleurs naturelles imitant des fleurs fausses » ne sont que « des élans vers un idéal ».
Le mouvement « décadent », si l’étiquette flotte encore quelque peu, est maintenant affirmé, tellement que, rançon du succès, il a déjà sa caricature avec les Déliquescences, poèmes décadents d’Adoré Floupette, chez Lion Vanné, éditeur, félidé en qui il faut voir bien sûr Léon Vanier qui, jaloux paraît-il des lauriers d’Alphonse Lemerre, veut faire du 9 quai Saint Michel la « bibliopole des modernes » ;  et le mouvement gagne au-delà des lettres. En mai 1884, s’ouvre le premier Salon des Indépendants, ces refusés du Salon officiel. Seurat y donne sa Baignade, aux côtés d’œuvres de Signac, de Henri-Edmond Cros, de quelques autres que Félix Fénéon, le rédacteur en chef de la Revue indépendante qu’Édouard Dujardin lance au même moment, défend presque seul.
Un mois plus tard, ces artistes achèvent de s’organiser en une Société des Artistes Indépendants, aux statuts de laquelle collaborent Paul Signac et Georges Seurat, âgés respectivement de 21 et 25 ans, et Odilon Redon qui, leur aîné de vingt ans, en devient le président. Ils se retrouvent, le soir, au Café d’Orient, au Café Marengo et, le lundi, chez Signac, au 6e étage du 130 boulevard de Clichy tandis que Félix Fénéon entraîne aux réunions « symbolistes » qu’il organise dans son bureau du 79 rue Blanche, Seurat, le peintre scientifique, celui qui a assimilé les ouvrages de théoriciens comme Charles Blanc, selon lequel « la couleur, soumise à des règles sûres, se peut enseigner comme la musique ».
Dans le premier numéro de la Revue Indépendante, les « Notes sur le théâtre » de Mallarmé s’agrémentent de quatre dessins de James Whistler, et bientôt le jeune Édouard Dujardin, qui porte le cygne de Lohengrin épinglé à son veston, demande à Mallarmé un article pour une autre revue qu’il envisage de lancer, la Revue wagnérienne, dont le premier numéro sera vendu le 8 février 1885 à la porte de ces « Concerts » créés par Charles Lamoureux quatre ans plus tôt dans le but de faire connaître la musique de Wagner en France.

Tout ce que nous n’avions pas encore écrit.

« Richard Wagner, rêverie d’un poète français », n’y paraît qu’à l’été, puis Mallarmé est plus affirmatif encore dans un sonnet, Hommage à Wagner, publié au numéro de janvier 86, aux côtés de poèmes de Verlaine, Charles Morice, René Ghil, Stuart Merril, d’articles de Huysmans et Wyzeva qui ont vu les idéaux de Bayreuth dans les toiles de Degas et de Moreau. Théodore de Wyzeva, l’un des co-fondateurs du titre, musicologue français né en Russie d’ascendance polonaise, classera un peu plus tard dans « la littérature wagnérienne », Huysmans, Zola, Villiers de l’Isle-Adam, Verlaine et Mallarmé.
Des lithos d’Odilon Redon et de Fantin-Latour orneront les pages de la revue durant ses trois ans d’existence et, une fois de plus, Fantin-Latour fait poser l’époque, Autour du piano, cette fois. On y voit au clavier Emmanuel Chabrier, musicien dont l’audition de Tristan et Isolde a décidé du destin ; celui qui lui tourne les pages, Benoît Camille, est un traducteur du Faust de Goethe et des Souvenirs de Wagner, Adolphe Julien, en haut de forme, en est le biographe – comme il sera celui de l’auteur du tableau -, Antoine Lascoux, à la droite d’Edmond Maître, est un champion de la cause wagnérienne qui organise chez lui des soirées musicales en son honneur ; Vincent d’Indy (fume-cigarette) est un autre propagandiste de l’Idée, et l’influence de Wagner sur sa musique est considérable, enfin Amedé Pigeon, est le correspondant pour l’Allemagne du Figaro.
A la brasserie Pousset, rue du faubourg Montmartre, un jeune Belge dont le séjour parisien est une récompense à la fin de ses études de droit, Maurice Maeterlinck, voit passer quelquefois Catulle Mendès, toujours charmeur, et surtout y rencontre Villiers de l’Isle-Adam. Pendant sept mois, il viendra presque tous les jours, de son hôtel de la rue de Seine, pour l’entendre : « Il nous traitait en égaux comme s’il avait lu tout ce que nous n’avions pas encore écrit. Il avait vingt ans de plus que le moins jeune d’entre nous, se souviendra-t-il. Il avait des yeux voilés d’énigmes, fanés et fatigués de regarder dans l’âme ou dans l’au-delà et d’y voir ce que d’autres ne voient point et n’y verront jamais (...). Vêtu d’un pardessus et d’une redingote élimés, il portait sa discrète misère avec la dignité d’un roi provisoirement détrôné. Il achevait d’écrire l’Ève future dans une chambre nue et sans feu », 45 rue Fontaine.
Émile Verhaeren a lui aussi rencontré Villiers, quelques années plus tôt, à Sèvres, chez Léon Cladel, puis Huysmans l’a introduit chez Mallarmé, où il est assidu. « Mallarmé tournait des pages de Redon, comme s’il eût avec crainte soulevé des plis de plus en plus sacrés, au travers desquels transparaissaient les formes du Mystère », dira René Ghil. Ces pages ce sont celles de la suite de lithos intitulée Hommage à Goya, puis celles inspirées par la Tentation de Saint-Antoine. Et Mallarmé, l’ami de Manet, « chef de l’école impressionniste » avait-il écrit, qui fréquente aussi Monet et Renoir, - chez Manet puis chez Berthe Morisot, il est vrai, Renoir ne vient jamais aux mardis sous prétexte qu’il n’est pas un intellectuel -, Mallarmé va aider à la première exposition, chez Durand-Ruel, d’un Odilon Redon qui a tracé son chemin à l’écart de l’impressionnisme parce qu’il le trouvait « bas de plafond ».

Paris lumineux, ténébreux et formidable.

De fait, le groupe impressionniste n’existe plus, Monet, Renoir, Sisley se sont retirés de la 8e exposition impressionniste – il n’y en aura plus d’autre -, qui s’ouvre le 15 mai 1886 pour un mois, 1 rue Laffitte, où Degas a accepté Seurat et Signac, les Pissarro père et fils, qui exposent dans la même salle, ceux que Félix Fénéon nomme Néo et Camille Pissarro scientifiques, qui pratiquent la fragmentation méthodique de la touche basée sur le contraste des tons. Le peintre réaliste Théo Van Rysselberghe qui, avec Ensor et quelques autres, fait partie du Cercle des XX, formé autour de l’Académie de Gand et animé par l’écrivain Octave Mauss, rejoignant à Paris son ami Verhaeren est séduit par l’art de Seurat et va opter pour le divisionnisme.
Dans son domaine, le supplément littéraire du Figaro, le 18 septembre 1886, ressent lui aussi un besoin de démarcation : « Depuis deux ans, la presse parisienne s’est beaucoup occupée d’une école de poètes et de prosateurs dits « décadents ». Le conteur du Thé chez Miranda (en collaboration avec M. Paul Adam, l’auteur de Soi), le poète des Syrtes et des Cantilènes, M. Jean Moréas, un des plus en vue parmi ces révolutionnaires de lettres, a formulé, sur notre demande, pour les lecteurs du Supplément, les principes fondamentaux de la nouvelle manifestation d’art. » Et Jean Moréas est péremptoire : « Nous avons déjà proposé la dénomination de Symbolisme comme la seule capable de désigner raisonnablement la tendance actuelle de l’esprit créateur en art. Cette dénomination peut être maintenue. »
N’est-ce pas un paradoxe que d’accorder tant d’importance aux mots quand, loin d’un art de la nomination, on entend pratiquer celui de l’évocation ? « Symboliste, Décadente ou Mystique, les écoles se déclarant ou étiquetées en hâte par notre presse d’information adoptent, comme rencontre, le point d’un Idéalisme qui (pareillement aux fugues, aux sonates) refuse les matériaux naturels et, comme brutale, une pensée directe les ordonnant : pour ne garder de rien que la suggestion », précise Mallarmé en février 1887.
Émile Verhaeren, peu après, illustre la définition d’un exemple, en proposant de l’appliquer aux murs de l’école, à la capitale : « Un poète regarde Paris fourmillant de lumières nocturnes, émietté en une infinité de feux et colossal d’ombre et d’étendue. S’il en donne la vue directe, comme pourrait le faire Zola, c’est à dire en le décrivant dans ses rues, ses places, ses monuments, ses rampes de gaz, ses mers nocturnes d’encre, ses agitations fiévreuses sous les astres immobiles, il en présentera, certes, une sensation très artistique, mais rien ne sera moins symboliste. Si, par contre, il en dresse pour l’esprit la vision indirecte, évocatoire, s’il prononce : « une immense algèbre dont la clé est perdue », cette phrase nue réalisera, loin de toute description et de toute notation de faits le Paris lumineux, ténébreux et formidable. »

Le dernier retour de Verlaine

Après une nouvelle absence ardennaise de près de deux années, Verlaine est revenu à Paris, dans une chambre à l’arrière de la boutique d’un marchand de vin, qu’il faut traverser pour la rejoindre, au fond d’une cour de la rue Moreau qui joint celle de Charenton à une voûte du viaduc du chemin de fer de Vincennes. Adresse que Mallarmé donne presque plus simplement, sur une lettre qu’il lui envoie : « Tapi sous ton chaud macfarlane / Ce billet, quand tu le reçois / Lis-le haut ; 6 cour Saint-François / Rue, est-ce Moreau ? cher Verlaine. »
Mais cette joliesse est sans grand rapport avec les lieux que décrits Francis Viélé-Griffin : « une grande cour  aux larges pavés gras de lessive et de déchets alimentaires... un lavoir laissait échapper la vapeur de son essoreuse et des gaillardes aux manches retroussées vidaient à même le ruisseau leurs baquets d’eau bleue... Une chambre de rez-de-chaussée, triste et nue : deux chaises ; une table devant la fenêtre sans rideaux portait des livres, parmi lesquels nous reconnûmes, non sans émotion, nos premières plaquettes ; un lit, à rideaux de lustrine verte, faisait face à la fenêtre et, l’œil fixe vers la cheminée sans glace où s’accumulaient brochures et journaux, un mauvais portrait de Verlaine, toile nue et sans cadre, pendait à un clou. C’était sinistre. »
Mallarmé vient le visiter dans son taudis, avec René Ghil, le disciple qui à 24 ans, publie son premier Traité du Verbe avec un Avant-dire du professeur de Fontanes : « Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets. » Ghil « vit intensément cette heure unique, qui dresse face à face les deux maîtres du symbolisme.
- Et ! mais, nous voici célèbres maintenant, Mallarmé ! Des chefs d’École, quoi !, lance Verlaine.
- Oui. Qui eût dit cela ? »
Verlaine au François Ier
A quarante ans un peu passés, Verlaine en fait plus de soixante, sa chambre misérable n’est que le point de départ, et de chute, d’une tournée quotidienne des cafés, qui va du François Ier, 69 boulevard Saint-Michel, (remplacé plus tard par la gare du Luxembourg), au Cluny, en passant par le Vachette, au 27 du boulevard Saint-Michel, le fief de Moréas, pour ne s’en tenir qu’à l’axe du quartier Latin. Et elle alterne avec celles d’hôpitaux, que Verlaine va fréquenter maintenant vingt fois, dont neuf à Broussais, où « la petite salle de six lits, qu’il affectionnait, se trouvait à l’entrée sur la gauche, le long du chemin de fer de ceinture », chambre carrée avec une seule fenêtre donnant sur le jardin.

Le Paris des Bicchons II

(sixième épisode de Paris des avant-gardes, commencé avec l'article d'août 2012)


Le naturalisme, c’est la République mise en mots

Les Goncourt à Auteuil.

C’est chez Jeanne de Tourbey que Courbet a rencontré Khalil Bey, l’ambassadeur turc qui lui a commandé L’Origine du monde. Mais cette demeure extraordinaire échappe aux Bichons et ils se rabattent sur une autre qui ne l’est guère : 53 (auj. 67), boulevard Montmorency, à Auteuil, dans un lotissement aménagé par le même architecte, Charpentier.
Dans la lointaine plaine de Passy, il n’y avait guère que Jules Janin, qui y occupait une parfaite copie de chalet suisse aux galeries de bois découpé et au toit largement surplombant : « Il fallait un certain courage pour s’installer dans ce désert, sur une voie à peine tracée, et pendant trois hivers, nous restâmes seuls, effrayés de cette solitude et de ce grand silence. »
Désormais, sur le parc et le château de Boufflers, qu’a achetés Émile Pereire pour faire passer le chemin de fer de ceinture, la « Villa Montmorency » s’ouvre par un portail monumental où quatre cariatides supportent un linteau affichant son nom, derrière lequel une cinquantaine de maisons, souvent occupées par des Anglais, ont déjà été construites en 1860, autour d’un rond-point orné d’une fontaine, parfois en brique et généralement du type qui s’élève au même moment à Trouville, Dinard ou Arcachon. C’est dans une maison louis-philipparde que les Goncourt emménagent le 19 septembre 1868, six semaines après l’avoir achetée. Au rez-de-chaussée, un vestibule, la cuisine, la salle à manger ainsi qu’un grand et un petit salon. Le 1er étage est celui d’Edmond : bureau, chambre, salle de bains, cabinet dit « de l’Extrême-Orient ». Le 2e est à Jules, avec sa chambre et deux petites pièces inoccupées.
Après le long bagne journalistique qui vient de le conduire à la rubrique théâtrale du nouveau Journal Officiel, Gautier est nommé bibliothécaire de la princesse Mathilde, aux appointements de six mille francs par an. Il vient de l’apprendre de la bouche de Sainte-Beuve, et il demande aux Goncourt si la princesse « a vraiment une bibliothèque ? »
A la fin de l’année, les deux frères font la connaissance de Zola, qui dîne chez eux dès le 14 décembre et, lorsque leur roman suivant, Madame Gervaisais, est prêt de sortir, ils lui préparent ce qu’il pourrait en dire : « Un livre où les auteurs de Germinie Lacerteux ont essayé de donner une note nouvelle et inattendue ; un livre qui, sous la forme émouvante du roman, va entrer dans la bataille religieuse du temps présent. »
Zola fera effectivement ce papier de lancement, doublé deux mois plus tard d’une longue étude, qui se résume ainsi : « C’est là tout le livre : un cas psychologique, compliqué d’un cas physiologique. » Un autre jeune homme de 28 ans, comme Zola d’origine provençale et monté pauvre à Paris, vient de publier le Petit Chose, conte où est décrite la maison qu’il habita au coin de la rue des Abbayes et de la rue Bonaparte (emplacement actuel du square Laurent Prache) et que la formation de la place Saint-Germain-des-Prés a fait disparaître.

Le premier des Rougon.

Zola, et sa compagne, tout en restant aux Batignolles, sont passés du 4e sur la cour du 23 rue Truffaut, lieu de l’écriture de Madeleine Féra, à un pavillon avec jardin de la rue La Condamine, au n° 14, où il est possible d’accueillir un ami aixois,  Paul Alexis. De là, Zola expédie à l’éditeur Lacroix une liste de dix romans, le premier, La Fortune des Rougon, étant joint à l’envoi, le tout devant former L'Histoire d'une famille, fresque satirique, commençant au coup d'Etat du 2 décembre 1851, des groupes sociaux bénéficiaires du régime impérial. Albert Lacroix accepte aussitôt et lui propose un contrat à long terme lui garantissant une rémunération mensuelle de 500 francs.

Le 19 juillet 1869, le portier du 42 boulevard du Temple réveille Flaubert, à l’aube, pour lui remettre une dépêche qui annonce la mort de Bouilhet, à quarante-sept ans. Flaubert, à qui sa mère a pu reprocher que « la rage des phrases [lui ait] desséché le cœur », rien qu’en apercevant par la vitre du train les clochers de Mantes, où Bouilhet a vécu si longtemps, a « cru devenir fou », - « et je suis sûr que je n’en ai pas été loin », écrira-t-il. Arrivé à Rouen, dans le jardin de son ami, il « se roule sur l’herbe, profère des choses inintelligibles ».
Brébant en 1933. Meurisse. Gallica
Sainte-Beuve meurt trois mois plus tard, Flaubert et Sand suivent tous deux son enterrement mais ne parviennent pas à se rejoindre tant la foule est considérable. Flaubert a transporté ses pénates parisiennes dans la toute récente rue Murillo, au 4e étage du n° 4, - « Vue admirable » écrit Georges Sand qui le visite alors qu’il est encore en travaux -, et Magny étant trop attaché au souvenir de Sainte-Beuve, Flaubert fait déplacer la société chez Paul Brébant, à l’angle des 32 boulevard Poissonnière et 2 rue du faubourg Montmartre.
Et avec tout ça, l’Éducation sentimentale a quand même fini par être mise en vente chez Michel Lévy le 17 novembre 1869, à quatre jours des élections complémentaires de Paris, alors que l’empereur tarde toujours à convoquer le Corps législatif après le succès de l’opposition en province. A part celle de Zola, les critiques favorables ne sont guère nombreuses dans la presse, et les bourgeois de Rouen trouvent qu’« on devrait empêcher de publier des livres comme ça, (textuel), » écrit Flaubert à Sand, « que je donne la main aux rouges, que je suis bien capable d’attiser les passions révolutionnaires, etc. ! etc. ! »
Le 12 janvier 1870, Gautier se trouve au milieu des mouvements populaires qu'a provoqués la mort de Victor Noir : cent mille personnes accompagnent la dépouille au cimetière de Neuilly, et la rue de Longchamp est derrière. Il n’en va pas moins dîner chez la princesse Mathilde. Cinq jours plus tard, à un autre dîner, sans doute chez Flaubert, Maxime Du Camp, de façon assez inattendue, propose à Tourgueniev de suivre par le menu, de l’intérieur, l’exécution capitale de l’assassin Troppmann, affaire dont tout Paris résonne. Du Camp ne fait pas de la littérature réaliste mais de la sociologie ; il rassemble depuis plusieurs années déjà ses enquêtes sur Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIXe siècle
L'enterrement de Victor Noir. Les hommes ont coupé les traits des chevaux pour tirer eux-mêmes le corbillard. Gallica

Rendez-vous est pris pour le lendemain soir à 11 heures, devant la statue du prince Eugène, (à l’emplacement de l’actuelle place Léon Blum) d’où l’on montera jusqu’à la Grande-Roquette toute proche (168, rue de la Roquette).

Une exécution capitale.

A leur arrivée, la foule qui attend là tous les jours est parcourue d’une onde ; « - On vous prend pour le bourreau », explique Du Camp au géant russe qui en a la stature. On gagne les bureaux du commandant de la place, on ressort voir assembler la guillotine, et retour à l’appartement directorial où l’on somnole entre le punch et le chocolat, servi à l’arrivée de l’aumônier, à 6 heures. A 6 h 20, un groupe de quatorze personnes se dirige vers la cellule du condamné pour quarante minutes d’un cérémonial absurdement compliqué avant que sa tête ne tombe.
Du Camp et Tourgueniev hèlent ensuite un sapin, comme on appelle les fiacres, jamais si bien nommés qu’aujourd’hui, et ils rentrent sans naturellement pouvoir parler d’autre chose, Tourgueniev jusqu’au 50 rue de Douai, où il loge avec le couple Viardot, Du Camp descendant ensuite la rue de Saint-Petersbourg, pour retrouver le ménage Husson, qui partage son appartement depuis déjà cinq ans.
A quatre heures de l’après-midi, Tourgueniev est déjà chez George Sand, 5 rue Gay-Lussac ; elle ne l’a pas vu depuis plus de vingt ans, quand il commençait d’accompagner partout son amie Pauline Viardot : « Il est charmant, la vieillesse, les cheveux blancs, la barbe l’ont embelli. Il parle mieux français. » Tourgueniev lui raconte évidemment la fin de Troppmann.
Le surlendemain soir, George descend à pied jusque chez Magny, pour tomber sur le télégramme d’excuse de Théo : il est malade ; elle dîne donc seule avec Flaubert. Puis le « vieux troubadour » et sa « chère maître » reviennent à pied jusque chez elle, fument et causent une heure, enfin vont jusqu’à l’Odéon voir deux actes de l’Affranchi, supputant si la pièce va tomber, celle de Sand faisant la queue derrière.

Jules n’aura pas trouvé le calme dans la maison d’Auteuil, gêné par les enfants des voisins et par le train de la Petite Ceinture ; il s’y éteint le 20 juin 1870 ; il n’a pas quarante ans. Dans la période où il était si amoindri, Edmond a été sur le point de le tuer pour se suicider ensuite, ainsi qu’il l’avoue à Flaubert. Il demandera plus tard à son exécuteur testamentaire de publier cette lettre, en « témoignage que je n’ai pas été, ainsi que le dit Champfleury, un animal à sang froid, mais que j’étais un être sensible, et que j’ai vraiment, vraiment aimé sur la terre ! » Pareillement, « Théo, qu’on accuse d’être un homme sans cœur, pleurait à seaux » à l’enterrement de Jules, raconte Flaubert à sa nièce. Ces hommes aiment ; en tous cas, ils aiment leurs amis, leurs frères.

La faute au classicisme.

C’est maintenant la guerre qui s’annonce. Le 22 août 1870, Edmond de Goncourt note dans leur Journal où il a repris la plume de Jules : « Je vais voir Gautier qui pleure avec moi, la maison qu'il a arrangée, l'angelus ridens et artistique de sa vieillesse », et qu’il faut quitter devant l'avance allemande. La Fortune des Rougon, qui avait commencé d’être publiée dans le Siècle à la fin de juin, est interrompue par la guerre ; Zola quitte Paris le 7 septembre. Le 17, Gautier se réfugie avec ses sœurs à Paris, 12 rue de Beaune, dans un « logement d'ouvrier » comme le qualifie Edmond ; quelle injustice quand on songe aux fortunes que se font des auteurs comme Ponson du Terrail ! Dans son désespoir, il ne trouve qu’un responsable à tous les maux dont souffre la France : « c'est le classicisme ».
Le 10 décembre, Edmond note dans le Journal : « Tout le monde fond, tout le monde maigrit (..) Gautier se lamente de porter des bretelles pour la première fois : "son abdomen ne soutenant plus son pantalon ". » Néanmoins, Gautier demande à Victor Hugo une intervention en faveur de sa jument Catherine : « Théophile Gautier a un cheval, ce cheval est réquisitionné. On veut le manger. Gautier m'écrit et me prie d'obtenir sa grâce, note Hugo. Je l'ai demandée au ministre. J'ai sauvé le cheval. »
Mais la Commune tuera l’homme... deux ans plus tard, le 23 octobre 1872. C’est ce qu’affirme Flaubert à Sand : « Moi, je vous dis qu’il est mort du dégoût « de la charognerie moderne ». C’était son mot. Et il me l’a répété cet hiver plusieurs fois. « Je crève de la Commune ! », etc. »
Pour Flaubert, la Commune, le commun, le règne de la plèbe, la démocratie, la république, c’est tout un : « Le 4 septembre a inauguré un ordre de choses où les gens comme lui n’ont plus rien à faire dans le monde... » C’est pourtant le 4 septembre qui a éradiqué la Commune comme Rome l’avait fait de Carthage ; quand il écrit des romans, Flaubert est plus perspicace. Reste qu’à part Edmond de Goncourt et Tourgueniev tous les confrères l’horripilent, et qu’ils ne sont plus que « quelques fossiles qui subsistent, égarés dans un monde nouveau. »
Alors on serre les rangs mais on élargit un peu le cercle : Flaubert fréquente les jeudi de Pauline Viardot, rue de Douai, autant dire ceux de Tourgueniev - « Il n’y a que le bon Tourgueniev qui me cause une satisfaction complète ! Quel homme ! quelle conversation ! quel goût ! Je lui ai lu Saint Antoine ; il m’en a paru content... » - et y retrouve un peu de joie : à l’occasion du carnaval de 1873, il arrivera jusqu’aux oreilles de George Sand qu’il s’y est taillé « un si beau succès, en pâtissier ».

Après la Commune.

Dès l’été de 1869, Flaubert avait repris son vieux Saint-Antoine, trois ans plus tard, il en avait fini, mais il le gardait « dans un bas d’armoire », s’étant fâché avec Michel Lévy qui ne lui avait donné que 16 000 francs de l’Éducation sentimentale quand lui se rappelait avoir conclu à 20 000. Depuis, Flaubert s’amuse avec les éditeurs : « je leur fais monter mon escalier plusieurs fois, sans leur donner de réponse définitive, bien décidé à ne traiter avec aucun. » Georges Charpentier semble tout de même le mieux reçu ; l’éditeur vient de prendre le relais d'Albert Lacroix pour ce qui est du cycle de Zola : il a publié La Fortune des Rougon et La Curée et mensualise l’auteur aux conditions précédentes.
On voit maintenant Zola, et Daudet, chez Mme Viardot. Tourgueniev est invité à Auteuil. Le 16 mars 1873, Edmond de Goncourt rencontre Alphonse Daudet dans l'appartement parisien de Flaubert, au parc Monceau. Un an plus tard, les liens sont déjà assez forts pour que l’on se fabrique un mini-Magny à cinq, qui deviendra le « dîner des auteurs sifflés » quand Flaubert, attiré sur les planches par la reprise d’un canevas laissé par son ami Bouilhet, aura écrit et donné le 11 mars 1874, au Vaudeville, le Candidat. « Pour être un Four, c’en est un ! », écrit-il aussitôt à sa « chère maître ».
Flaubert en était donc pour l’échec de son Candidat, Zola avec Les Héritiers Rabourdin, Goncourt avec Henriette Maréchal, Daudet pour son Arlésienne. « Quant à Tourgueniev, expliquera Daudet il nous donna sa parole qu’il avait été sifflé en Russie, et, comme c’était très loin, on n’y alla pas voir. »

C'est au café Guerbois que Manet rencontre le graveur Émile Belot, qu'il peint dans le Bon Bock, et cet autre graveur, et poète, Marcellin Desboutin, qui est son modèle pour l'Artiste, comme il sera celui de Degas dans l'Absinthe, aux côtés de l'actrice Ellen Andrée. On a voulu voir dans le Bon Bock une protestation nationaliste, un de ces Alsaciens, doté de ses attributs provinciaux, pipe et bière, que la guerre venait de nous arracher. Il y avait plutôt là les armes du réalisme de la brasserie Andler, dans une truculente manière hollandaise qui allait être bien reçue du Salon. Mais dans ce qui se buvait chez Guerbois, dans le passage du bock à l’absinthe, se manifestait aussi la transition d’une école à l’autre.
Flaubert a finalement vendu son Saint-Antoine à Charpentier, « à d’excellentes conditions ». La Tentation est parue d’abord en Russie, en traduction, et elle est mise en vente à Paris le 31 mars. Aussi va-t-il pouvoir s’atteler, « dans 6 semaines », à un « effrayant bouquin » qui lui « demandera quatre ou cinq ans ». Il s’agit de Bouvard et Pécuchet. Depuis des mois déjà, il se livre à des lectures préparatoires, et rien que pour situer le domicile de ses deux bonhommes, il a fait des repérages à Dieppe, à Paris, à Saint-Gratien, dans la Brie et dans la Beauce, sans compter la route qui va de La Loupe à Laigle. En une journée, il a été de Paris à Rambouillet en chemin de fer, de Rambouillet à Houdan en calèche, de Houdan à Mantes en cabriolet, puis re-chemin de fer jusqu’à Rouen pour arriver à Croisset à minuit. « Prix : 83 francs ; car il en coûte pour faire de la littérature consciencieuse ! »

De l’indépendance de l’art.

Il en coûte aussi de faire de la peinture. Paul Alexis, dans l’Avenir national, conseille aux artistes de prendre en mains l’organisation d’une exposition indépendante régulière et de s’associer en corporation. C’est ce qu’essayaient de faire quelques peintres réunis autour de Monet, qui lui disent compter sur l’appui de son journal à leurs projets : se crée bientôt une « Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs » – Manet et James Tissot refusent pourtant d’y adhérer -, et une exposition de 165 œuvres s’ouvre pour un mois dans le local que leur prête Nadar, 35 boulevard des Capucines, à l'angle de la rue Daunou, au 2ème étage, le 15 avril 1874. L’entrée est payante, le catalogue également. Outre Impression, soleil levant, de Monet, est exposé aussi son Boulevard des Capucines, vu d’une fenêtre, en plongée, montrant une foule de passants réduits à des points minuscules sous un ciel d’hiver plombé.
« Quand on ne s’adresse pas à la Foule, il est juste que la Foule ne vous paye pas, écrivait Flaubert à George Sand au milieu de son conflit avec Michel Lévy. C’est de l’Économie Politique. Or je maintiens qu’une œuvre d’art (digne de ce nom et faite avec conscience) est inappréciable, n’a pas de valeur commerciale, ne peut pas se payer. Conclusion : si l’artiste n’a pas de rentes, il doit crever de faim ! Ce qui est Charmant. Et on parle de l’indépendance des lettres ! On trouve que l’Écrivain, parce qu’il ne reçoit plus de pension des grands, est bien plus libre, bien plus noble. Toute sa noblesse sociale maintenant consiste à être l’égal d’un Épicier. Quel progrès ! »
Edmond de Goncourt a en projet de léguer sa fortune à une académie, qui verserait à dix hommes de lettres une pension de 6 000 francs, et doterait un prix annuel de prose d’une récompense de 5 000 francs. Un premier testament, qu’il rédige le 14 juillet 1874, fait académiciens : Gustave Flaubert, Paul de Saint-Victor, Louis Veuillot, Théodore de Banville, Barbey d’Aurevilly, Eugène Fromentin, Philippe de Chennevières, conservateur du musée du Luxembourg, nommé six mois plus tôt directeur des Beaux-Arts, Émile Zola, Alphonse Daudet et Léon Cladel.
La Conquête de Plassans, le quatrième volet des Rougon-Macquart, est paru et, au mois de mars 1875, le cinquième, La Faute de L'abbé Mouret. Zola perçoit désormais une rétribution proportionnelle aux ventes, c’en est définitivement fini de ses problèmes financiers. Le couple emménage 21 rue Saint-Georges (auj. des Appenins), reçoit le jeudi. Henry Céard s’y rend, y amènera ensuite Huysmans ; Paul Alexis, qui a rencontré Maupassant chez Flaubert, le conduit chez Zola. « Et ce fut là que se rencontrèrent, pour la première fois, un groupe de jeunes hommes, que les journaux ont désigné sous cette appellation énormément spirituelle : « la queue de Zola » ».

Ils étaient une demi-douzaine...

Les mauvaises affaires du mari de sa nièce, à laquelle Flaubert sacrifie tout pour l’aider, le menacent d’une ruine complète. Il manque devenir fou, « très sérieusement ». Il abandonne son « grand roman », son « chien de roman », qui est au-dessus de ses forces, et songe à un petit conte, la légende de saint Julien l’Hospitalier, « pour voir [s’il est] encore capable de faire une phrase ». Il déménage et va occuper un appartement contigu de celui de sa nièce, à l’angle du Faubourg-Saint-Honoré et du boulevard de la reine Hortense (auj. av. Hoche). « Les fenêtres donnaient sur une mer de toits, hérissés de cheminées, raconte Zola. Flaubert ne prit même pas le soin de le faire décorer. Il coupa simplement des portières dans son ancienne tenture à ramages. Le bouddha fut posé sur la cheminée, et les après-midi recommencèrent dans le salon blanc et or, où l’on sentait le vide, une installation provisoire, une sorte de campement ». Ses fidèles du dimanche sont « d’abord le grand Tourgueniev qui est plus gentil que jamais, Zola, Alphonse Daudet et Goncourt. »
Ce qui ne signifie pas une totale identité de vues : « Voilà deux hommes que j’aime beaucoup et que je considère comme de vrais artistes : Tourgueniev et Zola, écrit Flaubert à George Sand. Ce qui n’empêche pas qu’ils n’admirent nullement la prose de Chateaubriand et encore moins celle de Gautier. Des phrases qui me ravissent leur semblent creuses. (...) Goncourt, par exemple, est très heureux quand il a saisi dans la rue un mot qu’il peut coller dans un livre. Et moi très satisfait quand j’ai écrit une page sans assonances ni répétitions. » Et, dressant plus loin un parallèle entre Daudet et Zola : « L’un a le charme et l’autre la Force. Mais aucun des deux n’est préoccupé avant tout de ce qui fait pour moi le but de l’Art, à savoir : la Beauté ! »
Pourtant quand il se terre à Croisset, à Paris, « on ne sait plus que faire le dimanche », lui écrit Zola à l’hiver de 1876, « au nom de tout le petit cénacle » ; Flaubert « lui gâte son hiver ».

Au printemps suivant, Flaubert surmonte sa répugnance pour la presse et laisse paraître Saint Julien, le petit conte écrit près de deux ans plus tôt, dans le Bien public ; deux autres, Un cœur simple et Hérodias sont publiés dans Le Moniteur universel. C’est le moment que choisit « la queue de Zola », ces jeunes nés autour de 1850 que sont Paul Alexis, Henry Céard, Léon Hennique, J.K. Huysmans, Guy de Maupassant et Octave Mirbeau, pour inviter à dîner chez Trapp, 109 rue Saint-Lazare, à côté de la gare, le lundi 16 avril 1877, Flaubert, Goncourt et Zola. « Ils étaient une demi-douzaine chez Trapp, lira-t-on dans les Cloches de Paris. Ils ont 3 maîtres : Gustave Flaubert, Ed. de Goncourt, Émile Zola ». L’habitude s’installera d’y voir le dîner de fondation du naturalisme, et l’on retrouvera l’étiquette dans Le Gaulois un peu plus tard : « les naturalistes admirent Flaubert, comme de raison. La perfection de son style les jette... dans un véritable découragement » ; ils savent l’Éducation sentimentale par cœur.

Flaubert maître d’école.

Une école ? « Mais je m’abîme le tempérament à tâcher de n’avoir pas d’école ! (...) Je regarde comme très secondaire le détail technique, le renseignement local, enfin le côté historique et exact des choses, ose-t-il écrire à George Sand, lui qui pour Bouvard et Pécuchet aura lu 1 500 volumes ! Je recherche par-dessus tout, la Beauté, dont mes compagnons sont médiocrement en quête. »
Ce qu’il préfère chez « les jeunes gens », comme il les appelle, ce qui lui paraît le plus « rafraîchissant », c’est la pochade de salle de garde qu’écrit Guy de Maupassant, et pour les répétitions de laquelle il hisse sa grande carcasse de vieux colosse jusqu’au 5e étage de l’atelier de Maurice Leloir, quai Voltaire, se déshabillant un peu plus à chaque étage, en compagnie parfois du Moscove. Il est vrai que Maupassant est le fils d’une amie d’enfance et, à ce titre, son protégé.
Le lit Valtesse/Barbedienne
A la deuxième représentation de A la feuille de rose, qui se donne dans l’atelier du peintre Becker, 26 rue de Fleurus, ils sont là, le Moscove et lui, en compagnie d’Edmond de Goncourt, de Zola, qui boucle le déménagement que lui a permis le succès de l’Assommoir, au 23 rue de Boulogne (auj. Ballu), et l’achat, à Médan, d’« une cabane à lapins » ; de la toujours truculente Suzanne Lagier, et de Valtesse de la Bigne que l’on reverra bientôt, elle, son hôtel du 98 boulevard Malesherbes et son lit par Barbedienne, dans Nana. Les «jeunes gens » qui n’y sont pas acteurs en sont, bien sûr, spectateurs eux aussi.
Flaubert ne va plus cesser de s’enquérir de cette récréation : « Et la feuille de rose, que devient-elle ? Quand la verra-t-on ? » demande-t-il à Zola quand il parle d’autre chose que de l’horreur des temps. « Mon ami Zola veut fonder une école. Le succès l'a grisé, tant il est plus facile de supporter la mauvaise fortune que la bonne, écrit-il à Edma Roger des Genettes. Je crois que personne n'aime plus l'art, l'art en soi. Où sont-ils ceux qui trouvent du plaisir à déguster une belle phrase ? Cette volupté d'aristocrate est de l'archéologie. » Ou encore, à la même : « Ah ! Pauvre littérature, où sont tes desservants ? Qui aime l'art, aujourd'hui ? personne. (voilà ma conviction intime.) les plus habiles ne songent qu' à eux, qu' à leur succès, qu' à leurs éditions, qu' à leurs réclames ! Si vous saviez combien je suis écœuré souvent par mes confrères ! Je parle des meilleurs. » 
Le 9 mai 1878, il rend à ses presque pas encore confrères, avec Zola et Goncourt, leur dîner Trapp, en invitant chez Riche les « jeunes réalistes, naturistes, naturalistes, qui nous ont traité l’année dernière », comme Edmond les nomme superlativement dans son Journal.
Miss Lala que se disputent Edmond et Degas
Edmond revient au roman, huit ans après la mort de son frère, un roman réaliste certes mais choisissant son sujet ailleurs que dans le peuple ; l’histoire de deux frères, justement, des clowns, des acrobates, dont une femme brise l’unité, provoquant un accident qui laisse le cadet infirme. Pour sa documentation, il va dans l’atelier de Degas, 19 bis rue Fontaine, voir Miss Lala, la fameuse acrobate du cirque Fernando, que le peintre, qui la fait poser à ce moment-là, met à sa disposition. Si le réalisme est le reflet de la réalité, il peut choisir, du réel, le beau plutôt que le laid.
[Miss Lala est au cirque Fernando, en gros, de la mi-décembre 1878 (exactement du mardi 10 décembre) à la mi-février 1879, avant le Cristal Palace de Londres. Elle y est à nouveau à partir du 25 octobre 1879; ce soir-là, Miss Kaira fait une chute (Le Figaro du lendemain, p.3). Et à l'Hippodrome du Champ-de-Mars à l'automne 1897. Il est question de la visite au cirque dans le Journal des Goncourt à la date du 11 février 1879 : "le travail de la note d'après nature, de la saisie rapide et fiévreuse pendant toute une soirée, dans un cirque, de ces riens qui durent une seconde..." Degas, lui, y était les 19, 21, 24 et 25 janvier.]

L’écriture qui sent bon et la République.

« Le Réalisme (...) est venu au monde aussi, lui, pour définir dans de l’écriture artiste, ce qui est élevé, ce qui est joli, ce qui sent bon », explique la préface des Frères Zemganno, qui paraît le 30 avril 1879 chez Charpentier. Au même moment, Zola affirme que le réalisme est la République mise en mots : « Aujourd’hui, notre République paraît fondée, et dès lors elle va avoir son expression littéraire. Il doit y avoir accord entre le mouvement social, qui est la cause, et l’expression littéraire, qui est l’effet. Cette expression, selon moi, sera forcément le naturalisme. »
Au réalisme, au nom si incertain, l’éditeur Charpentier fournit des fonts baptismaux, littéralement : après avoir demandé à Flaubert d’être le parrain de son deuxième enfant, et à Zola celui du troisième, voilà qu’il sollicite Edmond pour le dernier. Les « jeunes gens » ont en projet de lancer un hebdomadaire, La Comédie humaine, auquel Ed. de Goncourt a promis de collaborer, dont la sortie est annoncée pour le 15 octobre, puis pour le 6 novembre, et qui ne paraîtra jamais. Guy de Maupassant, accompagné de Tourgueniev, dîne ce mercredi chez Nina dite de Villard, 82 rue des Moines, au rez-de-chaussée devenu l’atelier de Franc-Lamy, le jeune et nouvel amant de l’hôtesse qui, massive maintenant et aux charmes débordants, joue au piano, en robe japonaise, du César Frank ; elle servira de modèle physique à la mère d’Yvette.
Et Flaubert est mort. « Au fond, nous étions les deux vieux champions de l’école nouvelle, et je me trouve bien seul aujourd’hui », confie Edmond à son journal, le 8 mai 1880.

A l’académie posthume des Goncourt, Flaubert est remplacé par Maupassant ; Eugène Fromentin, décédé en 1876, l’avait été par Paul Bourget. Paul de Saint-Victor, qui meurt en 1881, laisse prendre place Henry Céard. « Le grand russe Tourgueniev » s’est tu qui, rapporte Maupassant, de l’avis unanime de Médan était, de tous les raconteurs de vive voix, « le plus merveilleux à notre connaissance » et, chez Riche, les impressionnistes prennent la place des auteurs sifflés. Les peintres qui viennent de tenir leur 6e Exposition collective, 35 boulevard des Capucines, comme la première fois, et au complet alors que l’année précédente Monet, Renoir et Sisley avaient fait défaut au 10 rue des Pyramides, y ont décidé, pour célébrer l’unité retrouvée, d’un dîner mensuel auquel Monet continuera de se rendre même quand il habitera Giverny.

Les Daudet au grenier.

Les droits d'auteur de la réédition d’En 18..., ce livre qui avait été éclipsé par le coup d’État, permettent à Edmond de faire aménager par Frantz Jourdain, au deuxième étage de la maison d’Auteuil, ce « Grenier » qui ressemble à « une des plus riches huttes de l’Exposition universelle », à en croire Jules Renard. « Des trois chambrettes du second de la maison, dans l’une desquelles est mort mon frère, il a été fait deux pièces. La moins spacieuse ouvre sur la plus grande, par une baie qui lui donne l’aspect d’un petit théâtre dont la toile serait relevée. De l’andrinople rouge au plafond, de l’andrinople rouge aux murs, autour de portes, de fenêtres, de corps de bibliothèques peints en noir ; et sur le parquet, un tapis ponceau semé de dessins bleus, ressemblant aux caractères de l’écriture turque. Comme meubles, des ganaches, des chauffeuses, des divans recouverts de tapis d’Orient, aux tons cramoisis, aux tons bleus, aux tons jaunes, miroitants et chatoyants. »
Les Daudet viennent, en avant-première, visiter ce Grenier, qui ne sera inauguré que le dimanche 1er février 1885. Les rencontres dominicales y seront désormais rituelles pour les dix ans à venir, à l’exception des mois d'été. Quant aux Daudet, c’est le jeudi après-midi qu’on se rend 31 rue de Bellechasse, si l’on y va pour Monsieur : il est assis derrière son bureau du rez-de-chaussée, les quelques sièges, devant, sont réservés aux dames et les autres restent debout. Julia, sa femme, reçoit le mardi, dans une pièce décorée d’un marbre de Rodin et d’un de ses portraits, par Renoir.
Les jeunes fréquentent aussi un autre « grenier », d’un aussi jeune qu’eux, Robert Caze, un rescapé de la Commune, qui reçoit le lundi, 44 rue Rodier, dans le tabac et dans la bière - Edmond a cessé de fumer son paquet quotidien de Maryland le 10 mai 1882 -, Huysmans, Hennique, Alexis mais aussi Pissaro, Seurat et Signac, et les élèves de la classe de rhétorique du lycée Fontanes (auj. Condorcet), Rodolphe Darzens et Ephraïm Mikhaël.
L’été, Edmond et les Daudet se transportent chez la princesse Mathilde, à Saint-Gratien, et tout le monde à Champrosay, près de Draveil, dans l’Essonne, où les Daudet ont acheté une maison au bord de la Seine. La parution de l’Oeuvre brouille Zola avec Cézanne, l’ami de jeunesse mais aussi avec Renoir et Pissaro, qui ne le reverront pas. C’en est fini des jeux d’eau, « j’ai trois canots qui pourrissent à Médan », avoue Zola, au Grenier. A quoi Alphonse Daudet répond : « - Mais, il ne manque pas de jeunes gens, ici, qui ne demanderaient, peut-être, qu’à ramer... » Ironie, sans doute ; presque au même moment, à Champrosay, J.-H. Rosny aîné, pour « faire plaisir à Goncourt » rédige un « manifeste des Cinq », « jeunes hommes soucieux de défendre leurs œuvres – bonnes ou mauvaises – contre une assimilation possible aux aberrations du Maître », entendez Zola, qu’il donne au Figaro, où la publication de la Terre est en cours.

Des académies incompatibles.

On peut croire que le jeune homme a fait plaisir, en effet, puisqu’il prendra sur le testament de Goncourt la place d’Henry Céard, rayé pour l’occasion. Quant au Maître, il n’a guère de rancune et sera l'un des initiateurs, aux côtés de Daudet, Goncourt, Bourget, Barrès et Courteline, d’une pétition publiée par Le  Figaro en défense de Lucien Descaves, l’un des signataires du « manifeste », et de ses Sous-offs  poursuivis par le ministre de la Guerre.
A Auteuil, Edmond fait planter dans le jardin une quarantaine de pivoines envoyées du Japon par Hayashi, collectionneur et marchand d'art qu’il a rencontré à l’Exposition universelle de 1878, et revu à la galerie de Siegfried Bing, 22 rue de Provence, à l’angle de la rue Chauchat, où Van Gogh étudie les ukiyo-e de la maison et feuillette ses livres. Zola songe à l’Académie française, ce qui est incompatible avec celle des Goncourt : « Je vois avec peine M. Zola me quitter brusquement et abandonner, je ne dirai pas renier, ses convictions d’autrefois. » Le voilà remplacé, sur le testament, par Octave Mirbeau. La mort s’est chargée d’en ôter Barbey d’Aurevilly, auquel succède Léon Hennique. De tous les jeunes des soirées de Médan, seul Paul Alexis n’y figurera jamais.

Edmond fait placer sur la façade de la maison d'Auteuil, à la rampe du balcon, un double du médaillon de Jules qu’il a demandé à Lenoir pour la tombe de son frère. Dans son Là-bas, Huysmans enterre le naturalisme de Zola, mais fait l'éloge de Flaubert et des Goncourt. Edmond, dans le Journal, explique qu’il a certes voulu dématérialiser le naturalisme mais qu’il a tout de même inventé des personnes «vivantes» alors qu’il voit décadents et symbolistes se contenter de sonorités. Bourget et Maupassant s’effacent du testament au profit de Rosny jeune et de Paul Margueritte qui fut signataire du manifeste anti-Zola.
En 1892, des codicilles au testament d’Edmond prévoient, si la réalisation de ses biens ne donne pas tout de suite les produits escomptés, une période provisoire pour son académie avec, en place de pension, un dîner mensuel à 20 F par tête pendant les mois de novembre à mai, et 1 200 F pour le prix annuel. Ils indiquent également le critique d’art Roger Marx comme conseiller à la vente, et désignent Siegfried Bing pour la dispersion des japonaiseries.
En 1894, Quand Jean Grave est jugé, au nom des lois hyper-scélérates, pour son livre La Société mourante et l'anarchie, Edmond de Goncourt, que La Libre Parole de Drumont accuse d'être plus corrupteur encore que l'anarchiste, fait parvenir, par Frantz Jourdain, un témoignage en faveur de l'accusé.
Le 28 juin 1896, un dernier Grenier réunit à Auteuil Octave Uzanne, Georges Lecomte, romancier et critique d’art, et Gustave Toudouze, romancier. Edmond s’éteint trois semaines plus tard, le 17 juillet, à Champrosay. Zola lui rend hommage lors des obsèques.

Drumont et Zola aux cordons du poêle.

Le dernier état du testament listait : Alphonse Daudet, J.K. Huysmans, Octave Mirbeau, J.-H. Rosny l’aîné, Rosny le jeune, Léon Hennique, Paul Margueritte, le critique d’art Gustave Geffroy ; il y manquait deux noms pour arriver à dix. Les héritiers naturels attaquent le testament ; les héritiers littéraires l’emportent par un jugement du 5 août 1897, qui sera confirmé par la cour d’appel le 1er mars 1900. Entre temps, Alphonse Daudet, l’exécuteur testamentaire, est mort, à 57 ans, le 16 décembre 1897, au 41 rue de l’Université où il venait de déménager. Édouard Drumont, dont le défunt a été le témoin et dans un duel, et au tribunal, à la parution de la France juive, et Zola tiennent les cordons du poêle. Pas même un mois plus tard, Émile Zola écrira au Café Durand, 2 Place de la Madeleine, une lettre ouverte au président Félix Faure que publiera l'Aurore : J'accuse.

L’Académie Goncourt est définitivement constituée en 1903 : Alphonse Daudet y a été remplacé par son fils, Léon ; pour les deux noms manquants, on a élu Lucien Descaves et Elémir Bourges. Le roux Mirbeau grisonne déjà au-dessus de ses yeux jaunes et de son teint brique, sillonné de plis ; Hennique a été blond, il a toujours les yeux gris bleu ; Elémir Bourges, frileux au point de prendre ses repas en pardessus, sous lequel il porte plusieurs gilets de laine superposés, en semble encore élargi à côté de Paul Margueritte, très grand, très frêle. Tous ne reçoivent provisoirement que 3 000 francs de pension, la réalisation des japoneries, en baisse, n’ayant pas donné les produits escomptés.
Dans les années qui suivent, les Goncourt, nom sous lequel on n’entend désormais plus les frères mais les académiciens, éliront Jules Renard, en remplacement de Huysmans, Judith Gautier, puis Henry Céard pour lui succéder, en 1918, trente ans après qu’il eut été rayé du testament.