La polka du Marais


C’était dans les années polka, les années de « la belle Juive ». Il y avait rue Saint-Antoine, à côté du passage Charlemagne, un bal des Acacias qu’on appelait plus familièrement l’Astic : au-dessus de la porte cochère, une lanterne rouge avec, en réserve sur le fond coloré, les mots Café Bal. La cour intérieure avait été fermée par un toit qui, à la hauteur où il était placé, englobait dans le bal les fenêtres du premier étage de l’hôtel garni formant l’un de ses quatre côtés ; un plancher avait été posé directement sur le pavé. Là-dedans un grand poêle en fonte et l’estrade de l’orchestre (2 violons, 1 clarinette, 1 contrebasse) séparant la salle en deux : d’un côté tables et bancs, de l’autre valses, quadrilles et, à compter de 1840, polkas. Sur les tables, des saladiers de bischof (en gros notre sangria mais indifféremment au vin blanc ou rouge, et servi chaud ou froid); dans la salle, on paye à la danse : 2 sous l’une ; s’y faufilant pour l’encaissement et le service, une escouade de garçons.
A l’Astic (un polissoir, en argot), le samedi est exclusivement réservé aux modèles. La clientèle de l’Astic, nous dit Gustave Havard, dans ses Bals publics à Paris, « était presque exclusivement composée d’artistes et de jeunes israélites qui habitaient le quartier Saint-Antoine. Celles-ci n’avaient guère d’autre pratique de leur religion que de se recréer le jour du sabbat en se livrant au plaisir de la danse. Elles étaient couturières ou blanchisseuses, passementières ou brunisseuses ; mais bientôt elles quittaient le giron paternel et professaient un métier que leur type et leurs perfections physiques leur permettaient d’exercer. Elles étaient modèles. » Pour Charles Virmaître, dans son Paris oublié, « C'était le rendez-vous des grands peintres, qui venaient là pour y chercher des modèles. Chacun sait que le quartier était et est encore peuplé d'israélites. »
Des modèles, la reine est Marix, de son vrai nom Joséphine Bloch, née le 22 avril 1824 d’un père marchand de lunettes : Marix Bloc, selon l’orthographe de l’état-civil parisien, (né en 1801 ? à Zellwiller, Bas-Rhin ?) et de Gertrude Heimann, (née en 1803 ? à Ringerdorf, Bas-Rhin ?), qui demeurent au 6 rue du Poirier, quartier Sainte-Avoye, (rue emportée par le Centre Beaubourg, dans le prolongement de l’actuelle rue Brisemiche). Les témoins du père, à la déclaration de Joséphine, sont Marix Simon, 24 ans, marchand colporteur, 40 rue Vieille du Temple, quartier du marché St-Jean, et Isaac Lévy, 21 ans révolus, journalier, 5 cul de sac Berthault (auj. impasse Beaubourg), quartier Sainte-Avoye. Les deux témoins savent signer, le père non. Pas de trace d’acte de naissance de Marix Bloch à Zellwiller ni de Gertrude Heimann à Ringerdorf ; en revanche, le recensement de 1819 à Zellwiller donne une adresse pour un Marix Bloch, ayant épouse, 1 garçon, 1 fille, 1 servante, soit 5 personnes au total au foyer. Résidant à Paris à la naissance de Joséphine, la famille est établie ensuite à Lamarche, dans les Vosges, où naissent Henry (le 17/12/1825) puis Séraphine (le 24/1/1828) ; Marix père est dit alors « marchand colporteur » et ne sait toujours pas signer. Dans les annuaires de la fin des années 1830, on trouve un Bloch (ou Block) commissionnaire en marchandises, puis en quincaillerie, puis en marchandises en tout genre, au 10, rue Sainte-Apolline. Est-ce notre marchand colporteur ?
Parmi les grands peintres, Ary Scheffer, né en 1795, va faire poser Marix - elle a donc 14 ans - dans ce qui est aujourd’hui le Musée de la vie romantique de la rue Chaptal. Charles Steuben, la cinquantaine, (il est né en 1788), vient jusqu’à l’Astic depuis le quartier latin et y emmène Marix prendre la pose dans son atelier du 30, rue Hautefeuille, où il aura bientôt Gustave Courbet comme élève.

Transportons-nous maintenant au Louvre. Le musée n’est alors ouvert en semaine qu’aux seuls peintres (et aux voyageurs étrangers sur présentation du passeport) mais, du 1er mars à la fin du mois de mai, plusieurs dizaines de milliers de visiteurs y viennent au Salon. Pendant cette période, la collection permanente exposée dans le salon carré, la grande galerie et une ou deux autres salles, se trouve cachée derrière une charpente recouverte de tissu, où sont accrochés à cadre touchant et du sol au plafond plus de 1 500 tableaux contemporains : la production de l’année précédente. On essaye, à mi durée, d’organiser une rotation, parce que, comme le fait remarquer un critique, il y a des toiles dans des endroits où on ne pourrait pas lire l’heure à sa montre. Compte tenu des travaux de construction puis déconstruction des cimaises provisoires, de l’accrochage et du décrochage des toiles du Salon, la peinture ancienne reste totalement invisible au Louvre six mois de l’année, permise seulement le dimanche de 10h à 16h les six autres. Pendant un trimestre en revanche, on peut se repaître à loisir d’une production qui « appartient au domaine du commerce », voire à « celui de l’industrie ».

l'Esméralda, recadrée. Musée des Beaux-Arts de Nantes
Le Salon de 1839 présente au public, parce qu’il faut compter aussi les sculptures et autres objets, 2 404 numéros ! Marix y figure trois fois, en Esméralda et en Mignon ; dans toutes les recensions qui suivent, c’est de ses incarnations qu’il s’agit. Et le public, de surcroît, n’a d’yeux cette année que pour elle, au moins sous l’un de ses trois avatars. Théophile Gautier, dans la Presse : « les belles dames et les petits messieurs iront se pâmer devant l’Esméralda de M. Steuben ou les femmes à bouquets de M. Court. — Qu’ils y aillent. » Dans le Salon de 1839 édité par le Charivari, Laurent-Jan cite  « un tableau dont le public raffole et devant lequel un chœur de femmes répète sans cesse : Ah! C'est charmant, charmant, charmant, sur des notes plus ou moins veloutées. Ce tableau est de M. Steuben et représente une toute coquette jeune fille qui caresse un joli petit animal que nous croyons être une chèvre... Cette figure ne manque ni d'une certaine gentillesse ni d'une tournure assez gracieuse. On pourrait désirer les jambes plus fines, la tête moins mignarde et le tout moins cotonneusement fait ; mais enfin c'est une jolie peinture. »
Prosper Mérimée convient de ce grand succès dans la Revue des deux mondes : « La Esméralda de M. Steuben est un des tableaux que le public paraît goûter le plus ; les dames surtout l’ont pris sous leur patronage, et les éloges ne tarissent pas sur la gentillesse de la chèvre et celle de sa maîtresse. On ne peut nier en effet la grâce de cette figure ; la pose en est heureuse, et la tête, bien qu’un peu grosse pour le corps, est décidément fort jolie. Toutefois, je n’y trouve pas le caractère que M. Victor Hugo a donné à son héroïne ; le modèle qu’a choisi M. Steuben est une charmante grisette, et n’a pas cette noblesse naturelle que le poète a su toujours conserver à sa Bohémienne, même au milieu des exercices de sa profession. » Mérimée juge par ailleurs la robe bien courte.
Alexandre Barbier ne la trouve pas courte mais vide. Il commence par féliciter le peintre pour son modèle : « Vous avez eu le bonheur de rencontrer un admirable modèle qui ne s’est point encore prodigué. Il y a si longtemps qu’on nous montre toujours le même torse, les mêmes bras, les mêmes jambes et la même tête », avant de le critiquer pour sa peinture : « mais je ne comprends pas cette cuisse gauche : où est-elle ? (…) Ou la chèvre a des flancs, et alors c’est aux dépens de la cuisse de la fille, ou la cuisse de la fille est pleine et renflée comme la pose l’exige, et alors la chèvre n’a plus de flancs. Or, comme il me semble que la chèvre affecte passablement de ventre, il s’ensuit que la fille n’a pas de cuisse, ou au moins qu’elle est cruellement entamée. »
Mignon aspirant au ciel, gravée par Aristide Louis d'après Scheffer en 1853

Mérimée passe ensuite, parmi les cinq toiles d’Ary Scheffer juxtaposées dans ce capharnaüm, aux tableaux n° 1896 et 1897 : Mignon regrettant sa patrie et Mignon aspirant au ciel. « La couleur en est terreuse et désagréable. Le sujet demandait peut-être une couleur triste, mais non pas mate. La robe de Mignon est sale, ce qui n’est pas nécessaire. Jadis le goût du linge sale a été poussé fort loin par Greuze, qui prétendait ainsi faire ressortir la transparence des chairs. Ce n’est pas sur ce point qu’il faut l’imiter, surtout lorsqu’on n’imite pas ses suaves carnations. Les têtes, d’ailleurs, sont nobles et belles, les attitudes simples et vraies. Peut-être, dans le n° 1897, la pose de la figure laisse-t-elle quelque chose à désirer sous le rapport du naturel, ou plutôt la vérité n’est-elle pas rendue assez évidente, assez probable. Dans le n° 1896, les pieds de la Mignon sont d’un type vulgaire, d’ailleurs mal attachés aux chevilles. Il est évident que M. Scheffer n’a pas choisi son modèle. Toutes les dames à jolis pieds, et il y en a tant à Paris, se récrient devant ces chevilles osseuses. »
Gautier : « La Mignon regrettant la patrie a de beaux yeux maladivement noirs, un regard humide et profond, une bouche douloureuse, où s'épanouit comme une fleur de mélancolie un sourire faible et languissant; elle semble envier les ailes des oiseaux, dont la noire spirale tourbillonne sur le fond gris du ciel, toute son attitude est souffreteuse et indique la nostalgie la plus prononcée, il est dommage que la couleur soit bise et sans ressort. Cependant ce tableau, tel qu'il est, nous paraît le meilleur de tous ceux que M. Scheffer a exposés.
Mignon regrettant la patrie. Louis. Harvard Art Museums comme son pendant
La Mignon aspirant au ciel nous a rappelé la Médora assise sur une roche et guettant le retour du corsaire: cette figure quoique gracieuse et noble nous plaît moins que l'autre. Les bras sont jolis, mais un peu vides; la tête est mieux faite que le corps comme dans presque tous les personnages de M. Scheffer, qui traduit avec plus de bonheur la rêverie de l'âme que l'aspect de la nature physique. »

Les critiques savent-ils qui se cache derrière Esméralda ou Mignon ? Gautier assurément oui, qui est l’ami d’un peintre romantique de sa génération Fernand Boissard de Boisdenier, né en 1813, déjà l’amant de Marix depuis deux ans.
Outre Boissard, fréquente encore l’Astic une pittoresque bande de jeunes peintres unis par des liens matrimoniaux croisés et une association d’aide mutuelle. Meissonier, né en 1815, grandi rue des Blancs-Manteaux, vient d’épouser cinq mois plus tôt la sœur de son camarade Steinheil, débarqué de Strasbourg et alors occupé aux cartons de vitraux pour l’église Saint-Germain-l'Auxerrois. Trimolet a marié Rolande, la sœur de Daubigny, qui étouffe de devoir graver sur bois d’innombrables vues prises sur la route du chemin de fer de Paris à Saint-Cloud, puis autant de dessins de Paris.
Ils sont du quartier, on l’a dit pour Meissonnier, et Daubigny a fait son apprentissage auprès de son père dans cet hôtel du seizième siècle qui encoigne sa tourelle en surplomb au 54, rue Vieille du Temple ; on le retrouvera rue de la Cerisaie, quai d’Anjou puis quai de Bourbon. C’est à l’Astic qu’ils s’épanchent. Meissonnier voudrait bien, lui aussi, se consacrer à d’autres travaux que ceux, alimentaires, qu’il doit aux éditeurs Curmer et Hetzel pour la Bible de Royaumont ou les livres de Bernardin de Saint-Pierre. Alors un soir, ils signent là de leurs initiales une convention passée à cinq (s’est joint à eux le sculpteur Geoffroy-de-Chaume) : quatre d’entre eux travailleront d’arrache-pied à entretenir, durant une année, le cinquième à ne rien faire… d’autre que l’oeuvre de sa vie ! Évidemment, chacun sera  à son tour, par roulement, le bénéficiaire de cette sinécure. Ils parviennent à louer au 22, rue des Amandiers-Popincourt (auj. rue du Chemin-Vert, passée la rue Popincourt), autant dire à la campagne, un rez-de-chaussée avec jardin, et c’est Trimolet qui étrenne l’atelier.
Musée de l'AP-HP. Charmet/Bridgeman
Dans cette thébaïde, Trimolet a trouvé le moyen de peindre une scène toute urbaine, des sœurs de charité distribuant des secours aux pauvres, comme il a pu les voir faire rue du Cloître-Saint-Merri ou au passage Saint-Pierre de la rue Saint-Antoine (auj. rue de l'hôtel Saint-Paul). Et c’est ainsi qu’au Salon de 1839, où triomphe incognito Marix, on peut voir aussi, si l’on a des yeux pour voir, La Maison de secours.
Le Polytechnic journal de San Francisco, le remarque, qui fait de Trimolet l'égal de Raphael et de Dürer, rien moins, ainsi que le jury académique qui attribue une médaille d'or à cette œuvre bien hardie pour une époque où la misère n’est tolérée en peinture que revêtue d’oripeaux pittoresques autant qu’exotiques. Mais le tableau n’est pas acheté, et aucune commande ne suit. C’est une déception terrible pour le quintet.

En quittant le giron paternel, Marix est allée, soi-disant « fleuriste », prendre une pièce sur cour à l’hôtel Pimodan du 17, quai d’Anjou, à quelques pas de chez Boissard qui habite au numéro 3. Le 1er avril 1845, les inséparables amants, - « Dante avait Béatrix Mais Boissard a Marix », a pu écrire Pétrus Borel -, déménagent pour l’étage noble de l’hôtel Pimodan (auj. Lauzun). Geoffroy-de-Chaume succède à ce moment-là à Daubigny au 13, quai d’Anjou, tandis que Daumier, à son mariage, s’installe au 9. Geoffroy-de-Chaume obtient l’autorisation de prendre un moulage du corps de la belle que Paul Delaroche vient de peindre nue à l’hémicycle de l’école des Beaux-Arts ; Boissard en fait une fausse blonde, Madeleine oblige, pour un Christ déposé de la Croix aujourd’hui à la cathédrale Saint-Gatien de Tours.

Baudelaire, qui habite au-dessus, descend retrouver chez le couple Balzac, Delacroix, Gautier, le docteur Moreau, Apollonie Sabatier, dans un club des Haschischins resté célèbre.
Marix cesse de fréquenter l’Astic deux ans plus tard et rompt, après dix ans, d’avec son inséparable au bénéfice d’Ahlefeld, secrétaire d’ambassade, qu’elle épousera en 1851 : elle a 29 ans, lui 45 ; il mourra en 1855, tout ça loin du Marais, au Schleswig.

Les surréalistes : des amis exclusifs II.

(douzième et dernier épisode de Paris des avant-gardes, commencé avec l'article d'août 2012)


Nadja au nom d’ampoule.

Le 4 octobre 1926, « après m’être arrêté quelques minutes devant l’étalage de la librairie de l’Humanité et avoir fait l’acquisition du dernier livre de Trotsky », à savoir Europe et Amérique, écrit-il au début de Nadja, André Breton continue vers l’Opéra. Peu après être passé devant Saint-Vincent de Paul, il croise une jeune femme qui se rend, dit-elle, chez un coiffeur du boulevard Magenta ; il rebrousse chemin pour l’accompagner et ils iront s’attabler « à la terrasse d’un café voisin de la gare du Nord »
Le surlendemain, Breton va chercher un stylo donné à réparer après qu’il l’eut abîmé en tombant dans l’escalier. Le stylo s’était retourné contre lui et sa plume s’était plantée dans son portefeuille, auréolant sa chemise d’une large tache verte. « Poignardé par sa plume ! Quelle plus belle mort pour un écrivain ? », lui avait dit Prévert qui descendait avec lui. En allant chercher son stylo, Breton revoit Nadja, et c’est le premier baiser dans un taxi.
Le 21 mars 1927, Nadja, hallucinée, est emportée de son hôtel pour être internée. Restent de l’inscription de cette aventure dans la ville, 44 photographies, certaines de Jacques-André Boiffard, reproduites dans le livre éponyme : l’affiche lumineuse de « Mazda » sur les grands boulevards, qui rappelle que Nadja se figurait  sous l’apparence d’un papillon dont le corps serait formé par une ampoule de cette marque, au nom étrangement proche du sien ; la statue d’Etienne Dolet, place Maubert, qui causait à Breton « un insupportable malaise » ; un arc, n’ouvrant sur rien, avec cette légende : « Non : pas même la très belle et très inutile Porte Saint-Denis… »
Breton expliquera, dans Les Vases communicants, sa fascination « par l’isolement des deux portes (l’autre étant bien sûr la porte Saint-Martin) qui doivent leur aspect si émouvant à ce que naguère elles ont fait partie de l’enceinte de Paris, ce qui donne à ces deux vaisseaux, comme entraînés par la force centrifuge de la ville, un aspect totalement éperdu, qu’elles ne partagent pour moi qu’avec la géniale tour Saint-Jacques ».
L’alchimiste Nicolas Flamel, dont la maison se trouve 51 rue de Montmorency, aurait financé la reconstruction de cette tour Saint-Jacques et fait orner sa façade de hiéroglyphes. Dans ce quartier habitait enfant Robert Desnos qui, adolescent, avait travaillé rue Pavée. C’est le Paris qu’il décrira dans un poème presque classique, Quartier Saint-Merri  mais en 1927, dans La Liberté ou l’amour !, Paris n’est que le théâtre d’une lutte d’icônes publicitaires, Bébé Cadum contre Bibendum, à laquelle participent les trois peintres de Ripolin et les garçons de l’apéritif Saint-Raphaël.
La tour, elle est dans Deuil pour deuil : « Ces ruines sont situées sur les bords d’un fleuve sinueux. La ville dut avoir quelque importance à une époque ancienne. Il subsiste encore des bâtiments monumentaux, un réseau de souterrains, des tours d’une architecture bizarre et variée. »

Je veux bien faire acte d’obscurantisme...

« Sur ces places désertes et ensoleillées, poursuit le poème en prose, nous avons été envahis par la peur. Malgré notre anxiété, personne, personne ne s’est présenté à nous. Ces ruines sont inhabitées. Au sud-ouest s’élève une construction métallique ajourée, très haute et dont nous n’avons pu déterminer l’usage. Elle paraît prête à s’écrouler car elle penche fort et surplombe le fleuve. »
En juillet, Drieu La Rochelle publie une « lettre aux surréalistes sur l’amitié et la solitude » qui vante Le Paysan de Paris, d’Aragon, sur lequel la presse a fait le black-out, comme une « œuvre décisive qui semble ouvrir une espèce de Sturm und Drang du 20e siècle. »
La solitude, c’est Breton qui en souffre, Simone, sa femme, ayant décidé de passer ses vacances sans lui mais en compagnie de Morise, des Tanguy et de Marcel Noll. Dans l’atelier de Raymond Queneau, rentré du service militaire, square Desnouettes, près de la porte de Versailles, Georges Bataille rencontre Sylvia Maklès, la cadette de Bianca, femme de Théodore Fraenkel depuis 1922. Depuis son mariage, Bianca a laissé la médecine pour la comédie, chez Dullin, sous le pseudonyme de Lucienne Morand ; Sylvia, veut suivre la même voie et habite chez sa sœur comme elle serait pensionnaire au conservatoire.
Aragon poursuit sa ronde avec Nancy Cunard ; l’héritière aux bracelets d’ivoire s’achète le Puits carré, une vieille ferme, à La Chapelle-Réanville, à côté de Vernon, et y fait installer une presse vénérable pour y éditer, à l’ancienne, de la poésie contemporaine. Aragon s’y fait la main en traduisant la Chasse au snark de Lewis Carroll.
Au Cyrano, Emmanuel Berl vient demander à Breton une préface pour une réédition du Madame Putiphar de Petrus Borel. Il est accompagné d’une jeune fille dont Breton tombe immédiatement amoureux. Le lendemain, Suzanne Musard lui raconte son histoire : la pauvreté d’Aubervilliers, le bordel de la rue de l’Arcade, dont l’a sortie Berl qui y accompagnait son ami Drieu La Rochelle...
Il faut tirer Suzanne des griffes de ce libertin et Breton dépêche Marcel Duhamel, qui ressemble au prince de Galles, réclamer diplomatiquement la liberté de la jeune femme. Cela fait, Breton part avec elle dans le midi.
Le 27 janvier 1928, les surréalistes sont rue du Château pour une première séance de recherches sur la sexualité. Commencé par des banalités masculines, l’échange devient vif à propos d’homosexualité, Queneau et Prévert ne manifestant aucune phobie à cet égard. Le débat est carrément violent lors d’une seconde séance, quatre jours plus tard, quand Aragon y voit une habitude sexuelle comme les autres. Breton préfère alors « faire acte d’obscurantisme » pour mettre fin immédiatement à la discussion.

Une confiance quelle qu’elle soit...

A la cinquième séance, en février, à la question « Êtes-vous monogame ? », Breton, Ernst, Sadoul, Noll, Unik ont répondu par l’affirmative ; Queneau dit : Non ! On s’indigne, il persiste : « Aucune femme ne pourra me satisfaire ni me rendre monogame. Et puis merde ! » Breton proteste contre ce dernier mot, Queneau s’explique : « Je mourrais bien pour l’amour ou pour la révolution, mais je sais bien que je ne rencontrerai ni l’un ni l’autre.... Une confiance quelle qu’elle soit dans la vie me paraît anti-surréaliste. »
En même temps qu’elle rend compte de ces recherches, la Révolution surréaliste, en mars, célèbre le cinquantenaire de l’hystérie, « dont le type parfait nous est fourni par l’observation de la délicieuse X. L. entrée à la Salpêtrière dans le service du docteur Charcot le 21 octobre 1875, à l’âge de 15 ans ½. » C’est une occasion d’évoquer la figure de Babinski, « l’homme le plus intelligent qui se soit attaqué à cette question », dont Breton dira encore trente-cinq ans plus tard, en 1962 : « Je m’honore toujours de la sympathie qu’il m’a montrée – l’eût-elle égaré jusqu’à me prédire un grand avenir médical ! – et à ma manière je crois avoir tiré parti de son enseignement auquel rend hommage la fin du premier manifeste du surréalisme. »
On marie déjà, le 20 mars, Sylvia Maklès à Georges Bataille, avant que Théodore Fraenkel, son beau-frère, n’ait réussi à la séduire. Après la septième séance des recherches, du 6 mai, Queneau enlève Janine Kahn, la belle-sœur de Breton, et l’emmène au Lavandou. Or Janine était l’aimée de Pierre Unik ; Breton n’apprécie guère.
A l’été, Marcel Noll est chargé de vendre à Mme Cuttoli le Nu bleu de Braque, qu’Aragon lui a confié, et de lui en faire suivre à Venise, où il séjourne avec Nancy, les 25 000 francs, - plus de cent fois son prix d’achat ! -, nécessaires à tenir son rang. Cet été-là, Marcel Noll tente de se tuer parce qu’il a dépensé de l’argent qui ne lui appartenait pas.
Le chèque finira néanmoins par atteindre son destinataire mais Nancy s’est éprise d’un pianiste de jazz et, début octobre, Aragon débarque rue du Château, brisé. Dans la maison où l’un de ses poèmes est calligraphié sur la mezzanine, deux étudiants venus de Nancy, Georges Sadoul et André Thirion ont pris la relève de Prévert, Tanguy, Duhamel. Tous deux travaillent pour Hours Press, les éditions de Nancy Cunard, mais Aragon lui-même continue de se rendre un jour ou deux par semaine à la Chapelle-Réanville. « J’étais follement amoureux d’une femme extraordinairement belle. D’une femme en qui j’avais cru, comme à la réalité des pierres. D’une femme que j’avais cru qui m’aimait. J’étais son chien. C’est ma façon », écrira-t-il, d’une autre peut-être mais c’est toujours la même façon.
En novembre, au bar de la Coupole, qui vient d’ouvrir, une habituée du groupe réuni autour d’Ilya Ehrenbourg, liée aux futuristes et formalistes russes, veut lui parler. Elsa Triolet a lu le Paysan de Paris, il la prend pour une espionne.

L’examen critique du sort fait à Trotski.

 Puis Maïakovski arrive à Paris et Aragon en est curieux, Elsa organise la rencontre qui a lieu le 6, à la Coupole encore ou rue du Château. Aragon s’est alors lancé, pour oublier, dans une liaison avec une danseuse viennoise mais Elsa sera la plus forte.
Éluard et Gala sont à Arosa, dans les Grisons, la vallée voisine de celle de Davos. Breton a engagé une procédure de divorce avec Simone et espère bien refaire sa vie avec Suzanne Muzard ; contre toute attente, c’est Emmanuel Berl que celle-ci épouse, le 1er décembre, pour le quitter aussitôt et venir s’installer chez Breton.
Cette même année 1928, Benjamin Péret s’est marié avec la cantatrice brésilienne Elsie Houston et a fait ainsi la connaissance de Mario Pedrosa, son beau-frère, lequel a rallié l’opposition de gauche de Trotski. Les nouveaux époux iront prochainement habiter le Brésil.
Par un courrier du 12 février 1929, Breton demande à tous ceux qui s’étaient retrouvés contre la guerre du Maroc, soit près de quatre-vingts personnes, leur position idéologique actuelle et leur opinion sur les possibilités et la nature d’une action commune. Artaud, Vitrac, Leiris, Masson, Boiffard, Tual, Limbour, Soupault, Naville choisissent de ne pas répondre, signant ainsi, pour Leiris et ses amis, par exemple, qui n’ont jamais été exclus, leur retrait du mouvement.
Les autres sont convoqués par Aragon, Fourrier, Péret, Queneau et Unik, « le lundi 11 mars à 8 h 30 très précises, au bar du Château, 53 rue du Château, angle de la rue Bourgeois », c’est à dire pour Sadoul et Thirion de l’autre côté de la rue, avec pour thème de discussion « l’examen critique du sort fait récemment à Léon Trotski ».
Simone Breton vient s’y afficher au côté de Morise, qui préside la séance, Queneau fait un rapport introductif, et Breton interroge la « qualification morale » de chacun, mettant vite en cause les jeunes gens qui, dix mois plus tôt, ont fondé une nouvelle revue qui a pour titre Le Grand Jeu : Roger Vailland, René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte, etc. La réunion tourne au procès des tièdes et des déistes, dont Aragon et Breton donneront un compte-rendu à la revue belge Variétés, qui marquera la sortie de Desnos, l’ex prophète.
Le 3 juin, Michel Leiris devient secrétaire de rédaction de la revue Documents, fondée par Georges Henri Rivière et Georges Bataille grâce aux fonds du marchand d’art Georges Wildenstein, directeur de la Gazette des Beaux-Arts. Le Moulin Rouge et les Lew Leslie’s Blackbirds, puis Virginia West, chanteuse et « coloured girl » du cabaret, réunissent les uns et les autres par delà les opinions. Leiris et Bataille en écrivent dans le n° 4 de la revue, en septembre tandis qu’Eli Lotar, photographe d’origine roumaine, va pour elle, avec André Masson, visiter les abattoirs de la Villette et de Vaugirard d’où naît ce cliché de pieds de veaux alignés au garde-à-vous contre un mur noir comme des membres amputés de mutilés de guerre.

Le Surréalisme ASDLR.

Suzanne Musard a prolongé les oscillations de son incertitude, quittant une nouvelle fois Breton le 23 mai, lui revenant. Gala se tourne vers Salvador Dali tandis qu’Éluard fait la connaissance de Maria Benz, dite Nusch, une jeune artiste-médium. Une voyante aurait dit à Éluard, si l’on en croit Madeleine Riffaud, quand il était adolescent, avant son départ pour le sanatorium : "Quand vous aurez 17 ans, vous rencontrerez la première femme de votre vie. Vous resterez ensemble pendant dix-sept ans. Puis vous vous séparerez. Ensuite, vous rencontrerez la femme de votre vie d'homme. Ce sera le grand amour. Au bout de dix-sept ans, cette union sera brisée. Alors, vous rencontrerez la femme de votre mort."
Sur le conseil de Bataille, Leiris va voir le 6 septembre, pour commencer une analyse trois semaines plus tard, Adrien Borel, qui sera à l’écran, après la guerre, le curé de Torcy dans Le Journal d’un curé de campagne de Robert Bresson.
Le 15 décembre, le numéro 12 et seul de l’année de la Révolution surréaliste contient le Second Manifeste du surréalisme, qui tranche la question de l’art prolétarien : « Aussi fausse que toute entreprise d’explication sociale autre que celle de Marx est pour moi tout essai de défense et d’illustration d’une littérature et d’un art dits « prolétariens », à une époque où nul ne saurait se réclamer de la culture prolétarienne, pour l’excellente raison que cette culture n’a pu encore être réalisée, même en régime prolétarien. »
Dans sa publication en volume, en juin, le Second Manifeste est accompagné d’un prière d’insérer qui affirme que « Breton fait, dans ce livre, la somme des droits et des devoirs de l’esprit », au-dessus des signatures, qui délimitent le groupe à la date : Maxime Alexandre, Aragon, Bunuel, Char, Crevel, Dali, introduit par Miró dans le surréalisme dès son arrivée à Paris en mars de l’année précédente, Éluard, Ernst, Malkine, Péret, Sadoul, Tanguy, Thirion, Unik.
Les autres, sur une idée de Desnos, ont retourné le vieux cadavre d’Anatole France contre Breton avec, en ouverture du tract, un photo-montage qui le représente les yeux fermés, une larme de sang au coin des paupières, le front ceint d’une couronne d’épines : n’a-t-il pas 33 ans ? On retrouve dans les signataires Georges Bataille et ses collaborateurs de Documents issus du groupe de la rue Blomet, Ribemont-Dessaigne le dadaïste, Morise, Prévert et Queneau.
Sylvia Bataille venue demander une dédicace à Breton, tombe au Cyrano sur Prévert qui n’est plus surréaliste, ils en repartent ensemble, discutent toute la nuit en marchant, désormais, elle sera de sa bande.
Dans le premier numéro du Surréalisme ASDLR (au service de la Révolution), le nouveau titre de la revue, en juillet 1930, paraît L’âne pourri, un texte de Dali consacré à la paranoïa, que lit Jacques Lacan, un homme qui  à vingt ans avait rencontré Breton et Soupault chez Adrienne Monnier, avait écouté passionnément la lecture de l’Ulysse de Joyce chez Sylvia Beach, et avait lu les textes surréalistes.

Trotskisme et freudisme insolubles.

Lacan demande un rendez-vous à Dali, qui le reçoit dans sa chambre d’hôtel, un morceau de sparadrap collé sur le bout de nez, ce dont Lacan fait mine de ne pas s’apercevoir. Le même numéro rend hommage à Maïakovski, qui s’est suicidé le 14 avril, éreinte le dernier recueil de Desnos, et le dernier ouvrage d’Emmanuel Berl, ce qui n’est peut-être pas sans rapport avec des conflits personnels.
Au service de la Révolution, le surréalisme perd les deux tiers des lecteurs de sa précédente formule en tombant à 350 exemplaires.
Aragon part en URSS avec Elsa, qui doit y voir sa sœur éprouvée par le suicide de Maïakovski. Le voyage a été retardé par des soucis d’argent, Sadoul, sous le coup d’une condamnation à trois mois de prison, veut en profiter pour se mettre à l’abri, et Thirion propose, maintenant que l’on sait qu’à Kharkov se tiendra, du 6 au 11 novembre, la Seconde Conférence internationale des écrivains révolutionnaires, de constituer une délégation. Et quitte à partir au pays des Soviets, autant régulariser d’abord des adhésions au parti restées jusque-là bien formelles.
Avant qu’ils n’en reviennent, maintenant qu’ils sont dûment encartés, on leur demande de signer, le 1er décembre, une condamnation du trotskysme, du freudisme idéaliste, et du Second Manifeste en ce qu’il « contrarie le matérialisme dialectique » ; et ils le font.
Dans le n°3 du Surréalisme ASDLR, Aragon publie une longue lettre dans laquelle il tente de se justifier. Et voilà que Littérature de la Révolution mondiale publie de lui un poème militant, Front Rouge, qui lui vaut, le 16 janvier 1932, d’être inculpé d’incitation de militaires à la désobéissance et de provocation au meurtre dans un but de propagande anarchiste. Bien qu’hostile à la poésie de circonstance, Breton le soutient par un tract et une pétition, c’est l’Affaire Aragon.
La parution du n°4 du Surréalisme ASDLR vient envenimer des rapports qui semblaient devoir s’arranger. La revue publie un texte de Dali, Rêverie, conte érotique dont l’héroïne est une fillette de onze ans qui n’en sort pas tout à fait indemne. Les communistes : Aragon, Sadoul, Unik, Maxime Alexandre, sont aussitôt convoqués par leur parti, en les personnes de Léon Moussinac et Jean Fréville, pour s’entendre accuser de freudisme, de pornographie... et sommer « de ne plus puiser dans le domaine ou ces collisions [de la vie humaine] se montrent de beaucoup les plus riches, je veux dire le domaine sexuel », rapporte Breton qu’ils en informent et qui espère que « ce sera, un jour, l’honneur des surréalistes d’avoir enfreint une interdiction de cet ordre, d’esprit si remarquablement petit-bourgeois. »
Seulement Breton le rapporte dans une brochure qu’il consacre à l’affaire : Misère de la poésie. Aragon lui avait précisé que des propos internes au parti ne pouvaient être rendus publics. A leur parution, Aragon rompt avec Breton. L’éloignement se concrétise par un nouveau départ pour l’URSS ; il y restera un an.

Le docteur Jacques Lacan.

Le même Léon Moussinac, dans le même temps qu’il condamne Aragon et les autres déviationnistes, recommande à un groupe d’agit-prop en mal de textes, le futur groupe Octobre, Jacques Prévert comme fournisseur agréé.
Si les objets fétiches des communistes sont les ciseaux et le stylo à raturer, celui des surréalistes est maintenant « Tasse, sous-tasse et cuillère recouvertes de fourrure », dit « déjeuner en fourrure », que crée Meret Oppenheim qui leur a été présentée par Giacometti. Le 2 décembre, l’Affaire est dans le sac, le premier film des frères Prévert, est donné au Hollywood, le cinéma situé au rez-de-chaussée de l’immeuble où habite Breton.
La thèse de Jacques Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, est chroniquée à la fois par René Crevel dans le numéro de mai 1933 du Surréalisme ASDLR, par Dali, en juin, dans le premier numéro du Minotaure : « C’est à elle que nous devons de nous faire, pour la première fois, une idée homogène et totale du phénomène hors des misères mécanistes où s’embourbe la psychiatrie courante » ; enfin par Jean Bernier dans cette Critique sociale qu’ont fondée Boris Souvarine et Colette Peignot avec des anciens du PCF, et dont se sont rapprochés Queneau, Jacques Baron, Michel Leiris. Elle ne l’est nulle part ailleurs.
Les surréalistes étaient-ils à sa soutenance, à la fac de médecine, en novembre ? L’avaient-ils reçue, publiée par Le François d’après le manuscrit qu’avait tapé dans son grenier de la rue Garancière Olesia Sienkiewicz, la deuxième femme de son grand ami Pierre Drieu La Rochelle, devenue sa maîtresse ? Ils avaient pu constater, comme le note Élisabeth Roudinesco, qu’elle « ne mentionnait aucun des grands textes surréalistes qui l’avaient inspirée et passait sous silence les noms de Dali, [dont la rencontre avait été décisive] de Breton et d’Éluard », alors que, dès l’année précédente, son étude consacrée à la schizophrénie « prenait en compte les expériences de l’Immaculée Conception » que ces deux derniers avaient co-signée.
Pourtant, c’est encore à la table de Breton, au Cyrano, que Lacan est vu par Georges Bernier, un étudiant en philosophie intéressé par les avant-gardes, qui sera son premier et seul analysant de longue durée, d’abord dans le meublé « laid et sombre », au rez-de-chaussée d’un immeuble de la rue de la Pompe, que Lacan n’occupait guère quand il était interne à Saint-Anne, puis boulevard Malesherbes.
Mais c’est avec des dissidents, Queneau, Bataille, que Lacan assiste au séminaire d’Alexandre Kojève à l’École pratique des hautes études. Là, c’est Queneau qui note l’interprétation donnée de la Phénoménologie de l’esprit et qui en permettra la transcription. On ne voit Breton que rarement aux discussions de terrasse qui prolongent le séminaire, place de la Sorbonne, où se retrouvent Merleau-Ponty, Pierre Klossowski, Alexandre Koyré.

L’Ondine et les commissaires.

Avec l’Ondine, Jacqueline Lamba, rencontrée dans un café de la place Blanche, Breton marche au hasard toute la nuit du 29 mai 1934 au long d’un axe nord-sud, de Montmartre au Quartier Latin, mettant ses pas dans les étapes du poème automatique Tournesol, qui publié en 1923, s’avère rétrospectivement prémonitoire. Le 14 août, il l’épouse ; il a deux témoins : Éluard et Giacometti.
Éluard épouse Nusch, Rose Maklès se marie avec André Masson. Avec La Nuit du Tournesol, qui paraît dans le numéro 7 du Minotaure, en juin 35, illustrée par Brassaï, Breton reviendra sur le « hasard objectif » de sa rencontre avec Jacqueline, écrite onze ans plus tôt.
Leiris a retrouvé, le 29 juin 34, le chemin du divan d’Adrien Borel qui, en sa qualité de président de la SPP, inaugurait quelque mois plus tôt, au 137 boulevard Saint-Germain, l’Institut de psychanalyse fondé grâce à Marie Bonaparte.
Crevel, exclu du parti pour avoir signé Paillasse !, le tract dénonçant les palinodies d’Aragon, a tout fait pour y être réintégré mais de nouveau il soutient avec ses amis un manifeste contre l’exclusion de Trotski du territoire français.
Un an plus tard, il se donne entièrement à la préparation, par une organisation satellite du parti, du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture, quand Breton gifle Ehrenbourg, croisé par hasard, qui venait de traiter les surréalistes de pédérastes et de fainéants. Naturellement, on ne veut plus entendre parler, pour le congrès, ni de Breton ni des surréalistes. Crevel rame à contre-courant jusqu’à ce qu’il se suicide, le 18 juin 1935.
Le samedi suivant, Bertolt Brecht, Alexis Tolstoï, dont les symbolistes avaient apprécié les vers, Boris Pasternak et de nombreux Soviétiques quittent le Palace-Hôtel, au coin du boulevard Saint-Germain et de la rue du Four, pour la Mutualité et la séance solennelle d’ouverture. Les surréalistes attendent, jusqu’au lundi, qu’on leur permette d’y prendre la parole. Encore n’est-ce qu’à minuit passé qu’Éluard peut commencer de lire un texte de Breton appelant les intellectuels à prendre garde que le récent pacte Laval-Staline ne favorise pas le retour à l’idée de patrie et ne soit pas dirigé contre le peuple allemand. Déjà un organisateur annonce qu’il faut rendre la salle et la suite se perd dans le brouhaha de la sortie. 
En réaction au 14 juillet du vélodrome Buffalo, où se prête le serment du Front populaire, les surréalistes cherchent une nouvelle forme d'action commune et se rapprochent du groupe de La Critique sociale jusqu’à fonder un nouveau mouvement Contre-Attaque, qui se réunit chez Lacan, boulevard Malesherbes. Le 7 octobre 1935, une résolution explique que, face aux idées revivifiées de patrie et de nation, une nouvelle violence est à diriger contre les démocraties, et une intraitable dictature du peuple armé nécessaire. Le programme de Contre-attaque est publié le mois suivant dans Position politique du surréalisme.

L’indépendance de l’art.

Breton participe à la défense de Victor Serge, retenu en URSS contre sa volonté, avec le psychiatre Gaston Ferdière, celui qui essayera sur Artaud, à l’hôpital de Rodez, entre 1943 et 1945, le traitement nouveau que constitue alors l’électrochoc, et qu’on retrouvera en 1972 dans un Comité des psychiatres français contre l’utilisation de la psychiatrie à des fins politiques.
Le groupe Contre-Attaque, qui vient de donner une conférence dans les deux cents mètres carrés du grenier que Jean-Louis Barrault loue au 7 rue des Grands-Augustins, se dissout en mars 1936.
Le 2 février 1937 paraît L'Amour fou qui, avec dix-huit planches photographiques de Brassaï, Man Ray, Dora Maar, Cartier-Bresson, retisse les temps du Chien qui fume, des « petites rues du quartier des halles… » et de l’Ondine en train d’écrire à celui qu’elle ne connaît pas encore, dans le café des Oiseaux, au bas de la rue Lepic.
Breton dirige rue de Seine une galerie surréaliste, à l'enseigne freudienne de Gradiva, et Queneau entreprend une analyse avec Mme Lowtzky, à Passy : « Enfin me voilà donc couché / sur un divan près de Passy. / Je raconte tout ce qu’il me plaît : / je suis dans le psychanalysis. / Naturellement je commence / par des histoires assez récentes / que je crois assez importantes / par exemple que je viens de me fâcher avec mon ami... » Ne cherchez pas, il s’appelle Untel dans Chêne et Chien qui paraît cette année-là.
L'Exposition internationale du Surréalisme, montée avec la collaboration scénographique de Marcel Duchamp et l'aide de Georges Hugnet, ouvre à la galerie des Beaux-Arts du 140 rue du Faubourg Saint-Honoré, le 17 janvier 1938, et le déjeuner en fourrure de Meret Oppenheim en est le clou. En guise de catalogue, Breton et Éluard ont publié un Dictionnaire abrégé du surréalisme.
Trois mois plus tard, Breton et Jacqueline arrivent à Veracruz où ils sont accueillis par le peintre Diego Rivera, qui les héberge dans sa maison de San Angel. Avec Trotski s'élabore un manifeste invitant à la création d'une Fédération internationale de l'art révolutionnaire indépendant (la F.I.A.R.I.) que Breton et Diego Rivera signent seuls le 25 juillet. Pour un art révolutionnaire indépendant indique que « si, pour le développement des forces productives matérielles, la révolution est tenue d’ériger un régime socialiste de plan centralisé, pour la création intellectuelle elle doit dès le début même établir et assurer un régime anarchiste de liberté individuelle. Aucune autorité, aucune contrainte, pas la moindre trace de commandement !
Ce que nous voulons : l’indépendance de l’art – pour la révolution ; la révolution – pour la libération définitive de l’art. »

Ils s’ennuyaient beaucoup.

A leur retour à Paris, à l’automne, Breton veut persuader Éluard de se retirer de la revue Commune que dirige Aragon, et leur rupture devient définitive. Il étaient trois nés « de la conjonction d’Uranus avec Saturne, qui eut lieu de 1896 à 1898, et n’arrive que tous les quarante-cinq ans, comme Breton l’écrivait dans le Second manifeste, cette conjonction qui caractérise le ciel de naissance d’Aragon, celui d’Éluard et le mien ».
En novembre, au Flore, Lacan croise par hasard Sylvia Bataille. Ce jour-là, c’est le coup de foudre, alors qu’il l’a déjà courtisée, sans succès deux ans plus tôt ; ils ne se quittent plus.
La bande à Prévert fréquente le Flore depuis que Raymond Queneau, premier lauréat du prix des Deux-Magots, l’a emmenée par esprit de contradiction, arroser son prix chez le concurrent.
Simone de Beauvoir décrit cette terrasse, au printemps de 1939, devenue le rendez-vous des gens de cinéma : les frères Prévert, Grémillon, Aurenche, les anciens membres du groupe Octobre, de très jolies filles : « La plus éclatante, c’était Sonia Mossé ». « Parfois Jacqueline Breton faisait une apparition ».
Sartre et elle ont aimé L’affaire est dans le sac, Drôle de drame et le récent Quai des brumes, tous deux de Marcel Carné : « le dialogue de Prévert, les images de Carné, le brumeux désespoir qui enveloppait le film nous avait émus : là aussi, nous étions d’accord avec notre époque qui vit en Quai des brumes le chef-d’œuvre du cinéma français. Cependant les jeunes oisifs du Flore nous inspiraient une sympathie nuancée d’impatience ; leur anticonformisme leur servait surtout à justifier leur inertie ; ils s’ennuyaient beaucoup. (...) Ils passaient leurs journées à exhaler leur dégoût en petites phrases blasées entrecoupées de bâillements. Ils n’en avaient jamais fini de déplorer la connerie humaine. »
Dans sa garnison champêtre des confins frontaliers, Sartre en a pourtant la nostalgie, quand il écrit à Simone de Beauvoir, le 20 mai 1940 : « Je ne serais pas à la campagne, si c’était la paix. Je serais à la terrasse du Flore, avec vous autres, je mangerais des œufs brouillés sur toasts et nous tendrions l’oreille pour surprendre les propos de Sonia, de Prévert et d’Agnès Capri. »
Le 25 octobre 1942, dans Paris occupé, Michel Leiris rencontre Sartre et ils discutent de leurs livres respectifs, la Nausée et l’Age d’homme. Quatre mois plus tard, il note dans son Journal : « Rêve de cette nuit : je me rends dans un lieu qui participe plus ou moins de l’ancien 45, rue Blomet (où Masson et Miro avaient autrefois leurs ateliers) et de la rue du Château (où habitaient Prévert, Tanguy et Duhamel) ; il y a une ou plusieurs cours, avec de nombreux ateliers de rez-de-chaussée. Je dois retrouver là toutes sortes de personnes réunies pour un cocktail ou réunion dansante plus ou moins « zazou » : gens de l’entourage de Prévert {d’où j’ai appris, effectivement, il y a quelques jours, qu’il se trouve en ce moment à Paris}, Lili Masson... »

Les poètes à la vue immense.

En juillet 1943, on n’a pas cessé d’être, ou bien l’on est revenu à la terrasse du Flore. Là, Sartre, Simone de Beauvoir, Raymond Queneau, Maurice Merleau-Ponty, Albert Camus discutent d’un projet de revue pour l’après-guerre. Il est sûr que la NRF, que Drieu La Rochelle a fait basculer du côté de la collaboration, ne survivra pas à une défaite des Allemands, qui ne fait plus de doute depuis leur capitulation à Stalingrad. La conversation se poursuit souvent chez Michel et Zette Leiris.
Leiris a lu l’Invitée : « Ce livre est peut-être une peinture du « style de vie » propre à certains intellectuels français de ma génération ». L’Honneur des poètes est le fait des éditions de Minuit : vingt-deux poèmes anonymes qu’Éluard a écrits ou recueillis auprès d’Aragon, de Desnos, de quelques autres. Il en a rédigé la préface dans l’appartement qu’il occupe avec Nusch depuis la fin de 1940, au 3ème étage droite du 35 rue de La Chapelle, (devenue rue Max-Dormoy), devant des murs pleins de sous-verres protégeant des croquis de l’un ou de l’autre faits par Valentine Hugo, par Picasso : « Whitman animé par son peuple, Hugo appelant aux armes, Rimbaud aspiré par la Commune, Maïakovski exalté, exaltant, c’est vers l’action que les poètes à la vue immense, sont, un jour ou l’autre, entraînés. »
De Prévert, remonté à Paris comme l’a su Leiris, on vient de voir Lumière d’été, réalisé par Jean Grémillon, tandis que Carné s’apprête à tourner, aux studios de la Victorine, la première époque des Enfants du Paradis.
La production, arrêtée par la capitulation de l’Italie, est reprise par Pathé et, le 15 mars 1944, on tourne à nouveau, cette fois dans les studios de la rue Francœur, où l’on croise Sartre qui a été engagé par un tout nouveau « département des scénarios » chargé de fournir à l’écran des œuvres originales. Quoi de plus naturel alors que de retrouver Sartre à la terrasse des cinéastes, celle du Flore, que Prévert rejoint en quelques minutes depuis l’hôtel de Nice qu’il habite, rue des Beaux-Arts.
De nouvelles figures garnissent les tables, Michelle Vian et celle qui a été figurante dans Les Visiteurs du Soir comme dans Adieu Léonard sous le nom de Simone Signoret, et qui revient de la campagne où son compagnon, Yves Allégret, s’est caché pour échapper au STO, avec Serge Reggiani, Danièle Delorme et Daniel Gélin.
Les combats de la libération de Paris voient Leiris et Sartre, qui se sont engagés au Comité du Théâtre du Front National et ont pour mission, de ce fait, d’occuper la Comédie française, se hâter, être les spectateurs de l’histoire, ou mettre à l’abri leurs proches entre le 53 bis quai des Grands-Augustins, domicile des Leiris, les différents hôtels dont Sartre, le Castor et Jacques Bost sont des habitués : La Louisiane, 60 rue de Seine, le Welcome, à l’angle de la même rue et du boulevard Saint-Germain, le Chaplain, du 11 bis de la voie éponyme, et les appartements des Salacrou, rue de Montpensier, d’où l’on a une belle vue sur les jardins du Palais-Royal, et le 1 bis de l’avenue Foch.

L’existentialisme est un humanisme.

Quand Francis Lemarque, ancien d’un groupe Mars, frère d’Octobre, arrive au Flore, en avril 45, en descendant la rue de Rennes avec des béquilles depuis l’hôpital Léopold Bellan, des galons de lieutenant et une croix de guerre gagnée pendant la campagne d’Allemagne, il est accueilli comme un... déserteur du camp antimilitariste. Il aurait tout intérêt à payer à boire à tout le monde s’il veut faire taire les quolibets, comme le lui conseille le peintre Oscar Dominguez, surréaliste depuis plus de dix ans, avant de le remercier du verre par un croquis sur son plâtre. Ceux qu’il s’agit d’abreuver ce jour-là sont des anciens d’Octobre, Prévert, Queneau, et le jeune Boris Vian que La Rue, le vieux titre de Jules Vallès recréé par Léo Sauvage, a réunis.
En août, Jean-Louis Barrault part à la recherche de Desnos et apprend les circonstances de sa mort, à la libération des camps : « Il avait contracté le typhus. Il agonisait. Deux étudiants tchèques apportaient les derniers soins à ces moribonds. Ils étaient férus de surréalisme, ils avaient lu Nadja de Breton. Dans le livre, il y a une page de photos où les surréalistes se sont fait représenter imaginant leur masque de mort. Parmi ces masques, on peut voir celui de Desnos. Voyant Desnos mourant sur son lit, les étudiants se rappellent cette photo et vérifient dans Nadja. « C’est bien lui ! » Ils retournent à son chevet, se penchent à son oreille et prononcent son nom. Desnos se ranime et murmure : « Mon matin le plus matinal. » Ils firent tout pour le sauver : rien n’y fit. »
Début novembre, après la générale des Bouches inutiles, de Simone de Beauvoir, la fête est manquée. Aux Temps modernes, Leiris, en charge de la poésie, voit refuser la couverture proposée par Picasso, refuser une pièce de Tzara, et il n’est presque jamais d’accord avec Sartre et le Castor.
Sartre vient de donner sa conférence fameuse, qui sera publiée sous le titre l’Existentialisme est un humanisme, et Leiris note dans son journal, le 4 février 1946 : « Au temps du surréalisme j’ai fait, à point nommé, des rêves d’allure « surréaliste » ; puis, au cours de ma psychanalyse, un certain nombre de rêves typiquement « psychanalytiques ». Il semblerait aujourd’hui que mes rêves – au demeurant beaucoup plus rares et bien moins transposés – tendent à prendre [une] couleur « existentialiste ». »
Un an plus tard, Nico Papatakis, que Prévert a connu valet de ferme-hôtel, pendant la guerre, du côté de Tourette-sur-Loup, transforme un petit bistrot de la rue de la Harpe en cabaret, et sa cuisine en loge : cela s’appelle La Rose rouge et les « entraîneuses » en sont des intellos qui ont noms Anne-Marie Cazalis, Annabelle qui sera Buffet, et Gréco, la benjamine, qui a tout juste 20 ans.
Francis Lemarque vient y chanter, Michel de Ré, directeur d’une troupe qui compte parmi ses membres Juliette Gréco et Roger Vadim, y met en scène un sketch de Prévert, En famille.

Les nuits de Saint-Germain-des-Prés.

Gréco a déniché dans une imprimerie de la rue Dauphine un bar ouvert à peu près toute la nuit. Devenus des familiers du lieu, Roger Vadim, Roger Pierre, Jean-Marc Thibault et les filles de la Rose rouge ont demandé au patron la permission d’en débarrasser la cave, puis aux copains de s’inscrire et c’est devenu un club, le Tabou. Les chemises à carreaux, les jeans, les baskets étaient arrivés avec les Américains, c’est désormais la tenue des « rats de cave » pour danser le be-bop, ici ou au Lorientais de la rue des Carmes où Luter joue son jazz Nouvelle-Orléans.
Albert Camus, qui adore danser, est au Tabou tous les soirs, avec Jean Genet, les trois frères Vian, des musiciens américains de passage, Alexandre Astruc, Queneau... Entre les caves, la cour du Dragon, démolie dans les années trente, est un authentique terrain vague aux broussailles poussant sur les ruines restées en l’état.
L’existentialisme est dans les étages, dans la salle du premier, au Flore, où Sartre écrit le plus souvent, ou au quatrième de l’immeuble d’angle de la rue Bonaparte et de la place Saint-Germain-des-Prés, son appartement. Seule sa parodie est au sous-sol : Le Cercle vicieux, qu’a écrit Roger Pierre et qu’il interprète au Tabou avec Annabel, Jean-Marc Thibault, Frédéric O’Brady, figure du théâtre ouvrier des années 30, qui a été l’instructeur de Francis Lemarque, Boris Vian et d’autres, tous empêtrés dans des béquilles qui les rendent malhabiles à attraper les mouches sans se cogner dans le mur.
« Sartre est seulement venu regarder ici à quoi ressemblait la faune qu’il avait inventée », comme le dit Michel de Ré, ou plutôt que la presse lui avait fait parrainer en baptisant « existentialistes » ceux qu’on croyait jusque-là « zazous » ou « rats de cave ».
Et la diffusion est immédiate, Une nuit à Saint-Germain-des-Prés, le spectacle de Guillaume Hanoteaux, est en tournée dans le Midi tout l’été 1949 : Daniel Gélin y campe une sorte de Boris Vian, Alice Sapritch une intello façon Simone de Beauvoir, et il y a encore Pierre Tchernia, l’orchestre de Claude Luter, Moustache à la batterie et des boppers acrobatiques devenus quasiment une troupe professionnelle.
Au cinéma, c’est Rendez-vous de juillet, de Jacques Becker, avec Daniel Gélin, Brigitte Auber, Nicole Courcel, Maurice Ronet, et Claude Luter, le Lorientais ayant été reconstitué dans les studios de la rue Francœur ; puis La rose rouge, un film de Marcel Pagliero.
Pourtant, c’est sur la rive droite, au Bœuf sur le toit maintenant rue de Ponthieu que Juliette Gréco fait ses débuts professionnels, avec trois chansons seulement à son répertoire : de Queneau, « Si tu t’imagines fillette, fillette / Kça va kça va kça / Kça va kça va kça... », Dans la rue des Blancs-Manteaux, de Jean-Paul Sartre, où l’« On avait mis des tréteaux / Avec un bel échafaud... », enfin La Fourmi de Robert Desnos, « Une fourmi de 18 mètres / Avec un chapeau sur la tête, ça n’existe pas (bis) ». Joseph Kosma avait fait la musique de toutes.