LE PARIS DU JEUNE AROUET (II. 1711-1718)

(deuxième épisode de Paris, la ville rêvée de Voltaire, commencée le mois dernier)

Le peuple est le miroir de l’âme

Le 5 août1711, après sept ans du régime épuisant des jésuites, François-Marie Arouet quitte le collège Louis-le-Grand et, donnant ainsi des gages à son père, commence des études de droit. Mais il songe plus sérieusement à la carrière des lettres, et la voie royale pour y entrer, c’est le théâtre. A dix-sept ou dix-huit ans, il ne craint pas de se mesurer, sur le sujet d'Œdipe roi,  et à Pierre Corneille, auquel il reproche la galanterie surannée qu’il a ajoutée au sujet, et à Sophocle dont « la grossièreté » choque à présent le goût. Il s’en ouvre régulièrement au Temple, où il a désormais loisir d’être tout à fait assidu. « Je me souviens bien, écrira-t-il à l'abbé de Chaulieu le 20 juin 1716, des critiques que M. le grand-prieur, et vous, me fîtes dans un certain souper chez M. l'abbé de Bussy [-Rabutin]. Ce souper-là fit beaucoup de bien à ma tragédie, et je crois qu'il me suffirait, pour faire un bon ouvrage, de boire quatre ou cinq fois avec vous. Socrate donnait ses leçons au lit, et vous les donnez à table : cela fait que vos leçons sont sans doute plus gaies que les siennes. »
La guerre des Couplets opposant les gens de lettres nés dans les années 1670 connaît alors son acmé au café de la veuve Laurens. Nicolas Boindin, ancien mousquetaire entré en littérature, dont les pièces sont interdites sitôt qu’écrites, et que les épigrammes attribués à Jean-Baptiste Rousseau dépeignent comme un athée, a déplacé son incrédulité ergoteuse chez Procope, où l’on se presse pour l’entendre discuter avec son ami Fréret sur les questions les plus ardues de la métaphysique.
Chez Procope, écrira Montesquieu dans ses Lettres persanes, « l’on apprête le café de telle manière qu’il donne de l’esprit à ceux qui en prennent : au moins, de tous ceux qui en sortent, il n’y a personne qui ne croie qu’il en a quatre fois plus que lorsqu’il y est entré. » Que dire de ceux qui en avaient déjà beaucoup en arrivant ! Boindin « était raisonnable dans le tête-à-tête, assureront les Mémoires de Duclos, mais avait-il un auditeur, il n’ambitionnait plus que les applaudissements, il se livrait au paradoxe ; il avait la contradiction dure. »
Nicolas Fréret, le compère, d’une douzaine d’années son cadet, étudiant en droit par complaisance filiale, est surtout passionné d’histoire, celle des religions comme celle des peuples. Il soutient que les Francs n’étaient qu’une ligue de tribus barbares et non des descendants de la grande Grèce ayant préservé leur intégrité dans un environnement hostile. La Bastille est au bout de cette « diffamation de la monarchie ». Il s’y adonne à l’étude du chinois, étant l’un des premiers en Europe à le faire.
Hôtel de Nevers/Lambert. Atget. Gallica
Un provincial du même âge, Marivaux, pareillement étudiant en droit à Paris, y préfère le salon qu’Anne-Thérèse de Lambert a ouvert à 63 ans à l’hôtel de Nevers, au-dessus de cette arcade dont est encore visible le départ, qui enjambait la rue Colbert parallèlement à celle de Richelieu, recevant le mardi savants, artistes et écrivains ; le mercredi, des gens du monde. De cet observatoire, aussi bien que des marchés populaires, Marivaux prépare ses Lettres  sur les habitants de Paris, qu’il publiera dans le Mercure : « Il est de certains endroits à Paris, madame, où le peuple est en possession d'une liberté despotique dans le langage, et souvent dans les actions : il y règne souverainement ; il y parle de tout et n'y craint personne : achetez-vous quelque chose aux marchés publics, par exemple ; votre honneur, votre taille, votre visage y sont à la discrétion des marchandes (…) Je connais un de mes amis, homme d'esprit et de bon sens, qui me disait un jour, en parlant du génie du peuple : le moyen le plus sûr de connaître ses défauts et ses vices serait de familiariser quelque temps avec lui, et de lui chercher querelle après. On a trouvé l'invention de se voir le visage par les miroirs : une querelle avec le peuple serait la meilleure invention du monde pour se voir l'esprit et le corps ensemble. »
Ce peuple a beaucoup souffert : la grande famine consécutive au terrible hiver de 1709 a tué à Paris vingt mille personnes, la ville a subi ensuite des inondations qui se sont répétées trois ou quatre années durant et, comme l’ensemble du pays, les conséquences de cette guerre dite « de succession d’Espagne » impliquant l’Angleterre, l’Autriche, la Hollande et la Prusse.
Le ministre Desmarets a tenté de faire face en créant un nouvel impôt, pour la première fois universel, au moins en théorie, assis sur la déclaration des revenus et leur contrôle par des services institués à cet effet. D’Argenson le cadet en décrit à sa tante, la marquise de La Cour de Balleroy, née Caumartin, les effets sur le monde qu’il fréquente :
« Les taxes, ma chère tante, font maintenant ce que tous les prédicateurs du monde n'auraient jamais osé entreprendre ; le luxe est absolument tombé, et une simplicité noble, mais modeste, a pris sa place. Les vices sont à la vérité plus modérés, mais les financiers commencent à goûter le repos que donne la bonne conscience. Les bals de l'Opéra [à l’angle sud-est du Palais-Royal, le long de la future rue de Valois alors cul-de-sac de l’Opéra] et de la Comédie sont aussi déserts que l'antichambre de M. Desmarets ou de M. de Pontchartrain. Les églises sont un peu plus fréquentées : on y voit, par exemple, des gens d'affaires qui n'ont pas encore été taxés, demander au pied des autels un sort plus doux que celui de leurs compagnons ; on y voit de pauvres molinistes, effrayés du triomphe de leurs adversaires, soupirer après le rétablissement de la puissance des jésuites. On y voit mainte jeune fille en pleurs regretter la bourse des traitants qui les entretenaient avec tant d'éclat et de profusion, et se plaindre de la dureté de ceux qui ont maintenant part au gouvernement, et qui travaillent à bâtir leur fortune avant de songer à faire celle de leurs maîtresses ; on m'y voit moi-même quelquefois fort embarrassé de savoir où aller dîner ou souper, et devenu dévot à force d'être désœuvré... »

Le crépuscule du roi-soleil

Le 1er septembre 1715, Louis XIV s’éteint, et s’achève un interminable règne, long de cinquante-cinq années. L’oraison funèbre est dite par un nommé Antoine Louis Lebrun :
Tristes et lugubres objets, 
J’ai vu la Bastille et Vincennes, 
Le Châtelet, Bicêtre, et mille prisons pleines 
De braves citoyens, de fidèles sujets : 
J’ai vu la liberté ravie, 
De la droite raison la règle poursuivie : 
J’ai vu le peuple gémissant 
Sous un rigoureux esclavage (…)
J’ai vu ces maux, et je n’ai pas vingt ans.

On attribue ces vers à François-Marie Arouet. C’est qu’on le sait capable de tout rimer. A Louis-le-Grand, pour qu’on lui rendît sa tabatière confisquée, il faisait des vers – mais, cette fois-là, il n’y était pour rien, c’est la forme de punition qu’on lui imposait. Au collège encore, quand le père Porée lui demanda de se charger d’un solliciteur de passage, en une demi-heure il alignait la vingtaine de vers qui vaudrait au vieux soldat invalide une pension du Dauphin. En ce temps, la dédicace, la supplique, le remerciement, la colère, la statue, le frontispice, tout s’exprime en vers. Arouet pouvait poétiser les unes comme les autres, mais les « J’ai vu » disent aussi : « J’ai vu les traitants impunis, J’ai vu Port-Royal démoli », et de cela il n’avait cure, sans compter cette charge, qu’il n’aurait pas écrite, contre le marquis d’Argenson, le père de ses amis : « J’ai vu dans ce temps redoutable Le barbare ennemi de tout le genre humain Exercer dans Paris, les armes à la main, Une police épouvantable ».
Le Régent à peine en place rappelle Philippe de Vendôme, le grand-prieur du Temple, et chasse le ministre Desmarets. Pour sembler prendre néanmoins en compte les souffrances du peuple, il recourt à l’expédient traditionnel de la monarchie : l’édit du 12 mars 1716 inaugure une Chambre de justice, qui tiendra ses séances au couvent des Grands-Augustins. Quatre mille quatre cents dix financiers y seront finalement taxés. A la foire Saint-Germain, d’Orneval monte aussitôt les trois actes de son Arlequin traitant : « l'établissement d'une Chambre de Justice et la recherche qu'on faisait alors des gens d'affaires, écriront les frères Parfaict dans leur répertoire du théâtre de foire, procurent le succès de cet ouvrage, où l'on voyait des portraits connus traités comiquement. »
Une Ode sur la Chambre de justice, dirigée au contraire contre « le tribunal infâme » censé jeter l’épouvante et la consternation dans tout Paris, est attribuée au jeune Arouet. On prétend que l’ode lui a été demandée par MM. Pâris et Héron, receveurs des finances de Champagne, qui trouvaient que « cette Saint-Barthélemy de traitants » avait assez duré.
Le Pâté-Pâris à Bercy. Gallica
Dans le parc du grand château de Bercy, dont Charles-Henri de Malon leur a vendu, cinq ans plus tôt,  une parcelle, les frères Antoine et Claude Pâris ont fait bâtir, à la pointe d’un triangle dont la base est le fleuve, (aujourd’hui à l’emplacement du 5, rue Nicolaï), un château carré aux coins coupés. Surmonté d’une terrasse, qu’en domine une autre entourant la lanterne, sans qu’aucune cheminée ne vienne gêner une vue où la vaste orangerie, à l’est du jardin, pose sa chaude couleur, sa compacité le fait désigner comme « le Pâté-Pâris », bientôt au centre d’un jardin des mille-et-une nuits : outre les orangers innombrables, des lauriers roses, des myrtes, des jasmins, un palmier dattier, trois oliviers, dix grenadiers, des pistachiers...
Les bords de Seine, du côté de Bercy, agrandissent ainsi le territoire de François-Marie, déjà répandu dans l’hôtel de la rue des Saints-Pères, que M. de Mimeure, maréchal de camp et membre de l’Académie française, et la marquise, qui a pour eux un faible, ouvrent aux artistes et aux gens de lettres. Il fréquente aussi, place Royale, l’hôtel de ce baron de Breteuil qui a été pendant plus de quinze ans, jusqu’à la mort de Louis XIV, l’introducteur des ambassadeurs à la cour ; on le voit à Sceaux lors des fameuses « grandes nuits » de la duchesse du Maine, parmi « le président (de la Première chambre des Enquêtes du parlement de Paris) Hénault », Fontenelle bientôt sexagénaire, les inévitables Chaulieu et La Fare.
Le grand-prieur a pu maintenant donner sur Œdipe l’avis qu’on a pu lire dans la lettre de François-Marie à Chaulieu ; la duchesse du Maine, M. le cardinal de Polignac, et M. de Malézieu en ont également apprécié la lecture. Les Comédiens-Français eux, veulent de l’amour, et le développement du rôle de Philoctète dans cette direction. L’auteur débutant ronge son frein.
Son domicile, depuis qu’il a quitté celui de son père, est resté modeste : une maison garnie, à l’enseigne du Panier-Vert, dans la rue de la Calandre recouverte aujourd’hui par notre boulevard du Palais. Dans cette rue, à chaque fête de l’Ascension, depuis des siècles, le clergé de Notre-Dame vient faire station devant la maison natale présumée de Saint-Marcel ou Marceau, le plus parisien des bienheureux, le seul natif, le neuvième évêque de la ville, qui, au 5ème siècle, l’a débarrassée du dragon hantant le marais de la Bièvre.

La Pentecôte de François-Marie

Concernant le jeune Arouet, rue de la Calandre, c’est à la Pentecôte que ça se passe, et c’est la police qui stationne devant sa porte :

Or ce fut donc par un matin, sans lune,
En beau printemps, un jour de Pentecôte,
Qu’un bruit étrange en sursaut m’éveilla. (…)
Fallut partir. Je fus bientôt conduit
En coche clos vers le royal réduit
Que près Saint-Paul ont vu bâtir nos pères
Par Charles Cinq. Ô gens de bien, mes frères,
Que Dieu vous gard’ d’un pareil logement ! (…)
Me voici donc en ce lieu de détresse,
Embastillé, logé fort à l’étroit.


En prose, l’exempt rend compte ainsi au marquis d’Argenson, lieutenant général de police, ce 16 mai 1717 : « J’ai l’honneur de vous donner avis que j’ai conduit à la Bastille le sieur Arouet, en exécution des ordres du Roi, dont vous m’avez fait celui de me charger. Il a beaucoup goguenardé, en disant qu’il ne croyait pas que l’on dût travailler les jours de fêtes, et qu’il était ravi d’être à la Bastille, pourvu qu’on lui permît de prendre son lait, et que, si dans 8 jours, l’on voulait l’en faire sortir, il supplierait que l’on l’y laissât encore 15 jours, afin de le prendre sans dérangement, et qu’il connaissait fort cette maison, qu’il avait eu l’honneur d’y aller plusieurs fois rendre ses devoirs à M. le duc de Richelieu [sans doute lorsque celui-ci y avait été envoyé pour la deuxième fois l’année précédente, suite à un duel] mais qu’il ne croyait pas dans ce temps être obligé d’y venir un jour faire sa demeure, que tout ce qui le consolait, était qu’il n’avait rien à se reprocher. »
Rue de la Calandre en 1850 Hoffbauer. Gallica
Quelques jours plus tôt, un espion de police, nommé Beauregard, l’était allé voir chez lui rue de la Calandre, avait fait rouler la conversation sur ces libelles qui circulaient contre le Régent et sa fille, avait prêché le faux pour savoir le vrai ; François-Marie, par vantardise, avait tout endossé : « Il m’a dit, rapporte l’indicateur, que puisqu’il ne pouvait se venger de M. le duc d’Orléans d’une certaine façon, il ne l’épargnait pas dans ses satires. Je lui demandai ce que M. le duc d’Orléans lui avait fait. Il était couché en ce moment ; il se leva comme un furieux, et me répondit : Comment, vous ne savez pas ce que ce bougre-là m’a fait ? Il m’a exilé, [un an plus tôt, pas si loin et pas bien longtemps : quatre mois, à Sully-sur-Loire, dans le château du duc Maximilien-Henri de Béthune, qu’il connaît depuis ses douze ans], parce que j’avais fait voir en public que sa Messaline de fille était une p.... »
« Je sortis, et y retourne le lendemain, où je retrouve M. le comte d’Argental ; je sortis de mes tablettes le Puero regnante. Il me demanda sur-le-champ ce que j’avais de curieux. Je l’ai montré; quand il eut vu ce que c’était: « Pour celui-là, je ne l’ai pas fait chez M. de Caumartin, mais beaucoup de temps avant que je parte. » »
Le Puero regnante était en vers latins mais se traduisait ainsi : « Sous le règne d’un enfant, sous l’administration d’un homme fameux par un empoisonnement et des incestes, sous des conseillers ignorants et indécis ; la religion étant instable, le trésor épuisé, la foi publique violée, la fureur de l’injustice triomphante, le danger d’une sédition générale imminent, la patrie sacrifiée à l’espoir inique et anticipé de l’héritage d’une couronne, la France doit bientôt périr. »
Pour François-Marie, c’est sans doute un exercice de style plus que l’expression d’une indignation civique ; encore moins une opposition au régime ou un appel à la révolte : une vengeance sans doute mais personnelle, des vers comme un bon mot, comme une répartie qui fait mouche dans un salon.
Toujours est-il qu’en janvier 1718, Arouet est toujours à la Bastille, très exactement dans une tour de celle-ci dite de la Basinière, située pour nous au débouché du boulevard Henri-IV, côté impair, sur la place de la Bastille. Il met ce temps à profit, bien que privé de papier et d’encre, pour composer les premiers chants de sa Henriade, soit en les écrivant au crayon entre les lignes d’un livre, soit en se les récitant pour les retenir par cœur, selon l’une ou l’autre version de ses récits ultérieurs.
Le 28 de ce mois de janvier, le marquis d’Argenson, lieutenant général de police, est élevé à la dignité de garde des Sceaux. On le retrouve peu après, rue de Charonne, dans toute la pompe de sa charge.
« Mlle de Vichy de Champron était pensionnaire au couvent de la Madeleine de Traisnel, [dont il reste quelques traces au 100, rue de Charonne], au faubourg Saint-Antoine ; elle était jolie comme un ange, et n’était pas alors âgée de plus de seize ans. M. d’Argenson, le Garde-des-Sceaux, connaissait la supérieure de cette maison, qui était une fille d’esprit et de mérite, et qui s’appelait, je me souviens parfaitement du nom, Mme de Véni d’Arbouze. C’était un grand événement, dans une communauté, qu’une visite de M. le Garde-des-Sceaux, qui n’en faisait à personne, et qui n’allait jamais qu’au pas dans les rues, tout seul au fond d’un grand carrosse et sur un fauteuil à bras, escorté par ses hoquetons et suivi par un autre carrosse avec la cassette où l’on gardait les sceaux de France, et de plus, par trois Conseillers Chauffe-Cire, qui ne le quittaient non plus que son ombre ou sa croix du Saint-Esprit. La Supérieure vint le recevoir au parloir. — Je n’ai pas le temps de m’arrêter, lui dit-il en la saluant, vous avez ici la fille du comte de Champron ? — Oui, Monseigneur. — Je vous conseille de la renvoyer à ses parents secrètement, sans bruit et le plus tôt possible ; je n’ai voulu dire ceci qu’à vous-même. Adieu, Madame. »
Les mémoires de Mme de Créquy sont apocryphes : quand d’Argenson devient garde des Sceaux, Marie-Anne de Vichy de Champron n’a plus seize ans mais vingt-et-un, elle va être mariée quatre mois plus tard au marquis du Deffand ; sa liaison avec le Régent, que d’Argenson semble vouloir prévenir ici, est encore postérieure. Qu’importe, c’était l’occasion de présenter la future célèbre salonnière.
En face, Charles Pinot Duclos, qui un jour remplacera Voltaire, partant pour la Prusse, dans sa charge d’historiographe de France, achève cinq ans d’internat à « l’académie » de Charonne. « Cette pension, très célèbre autrefois, écrit-il en ses fragments de Mémoires, mérite que j’en parle. Le marquis de Dangeau, à qui Boileau a dédié sa cinquième Satire, forma cet établissement. Comme il était grand’maître de l’Ordre de Saint-Lazare, il se chargea généralement de l’entretien et de l’éducation de vingt jeunes gentilshommes, qu’il fit chevaliers de cet Ordre, et les rassembla dans une maison de la rue de Charonne, en bon air, avec un jardin, mur mitoyen du couvent de Bon-Secours. Il y établit un principal instituteur qui choisissait les autres, ce qui n’empêchait pas le marquis et l’abbé de Dangeau, son frère, de venir de temps en temps inspecter la manutention et l’ordre de la maison. Les enfants qu’il y plaçait étant trop jeunes pour les armes et l’équitation, la base des exercices était la lecture, l’écriture, le latin, l’histoire, la géographie et la danse. On imagine bien que la sublime science du blason n’était pas oubliée dans une éducation destinée à des gentilshommes dont chacun l’aurait inventée, si elle ne l’était pas. (…) Quoique la maison que le marquis de Dangeau avait établie fût originairement et particulièrement destinée à des élèves chevaliers, il avait permis qu’on y admît d’autres enfants dont les parents payaient la pension, ne fût-ce que pour exciter l’émulation commune. »
La tour de la Basinière est en bas à droite (marquée H). Gallica
Onze mois après la Pentecôte de 1717, le secrétariat de la maison du roi écrivait ces mots : « 10 avril 1718. L’intention de S. A. R. est que le sieur Arouet fils, prisonnier à la B., soit rendu libre et relégué au village de Châtenay, près Sceaux, où son père, qui a une maison de campagne, offre de l’y retenir. »
C’était l'usage qu'un prisonnier libéré de la Bastille fût tenu un temps à l'écart de Paris. Ici, l’écart n’est pas grand, et Arouet est renvoyé chez Arouet. Il en reviendra Voltaire.