BOBIGNY, ILLUSTRATIONS

Bobigny n’est pas une commune limitrophe de Paris et n’entre pas, du coup, en tant que telle, dans le corpus De la banlieue rouge au Grand Paris. Une rencontre étant organisée dans les locaux d’A la librairie, 23 bd Lénine, le jeudi 28 mai à 18h30, j’évoque brièvement, ci-dessous, quelques-unes des histoires qui auraient constitué le chapitre Bobigny si… - ce qui donne du même coup une idée des monographies des communes qui figurent dans l’ouvrage.
 
L'imprimerie modèle de l'Illustration. Gallica
Les années 1930 sont une période faste pour le théâtre ouvrier. Les premiers groupes s’appellent la Phalange du 18e, l’Amicale artistique des coopérateurs du 14e, l’Aube artistique de Bobigny, etc. Cette dernière est la première à changer son nom en celui de Blouses bleues, et son animateur, Gaston Clamamus, le fils du maire de la ville, une fois devenu trésorier de la Fédération du Théâtre ouvrier de France (FTOF), va tenter d’étendre cette appellation de “blouses bleues” à tous les groupes de la fédération, de faire de la blouse bleue le costume de scène, avec derrière l’expression une ligne politique à l’imitation des groupes homologues soviétiques. À la fin d’août 1931, la FTO F pense réunir 30 groupes de “Blouses bleues” à Bezons pour son assemblée régionale parisienne ; seize seulement se présentent, dont neuf en mesure de participer à un “spectacle” de démonstration. Mais la Fédération va bientôt compter plus de cent groupes dont, pour Paris intra-muros, Masses, Mars, et Octobre, outre ceux des 13e, 14e, 18e et 20e arrondissements. La FTOF, est alors animée par le compositeur Robert Caby, l’un des derniers amis d’Erik Satie, journaliste musical de l’Humanité et gérant de la Revue du cinéma de Jean-Georges Auriol, et par Jean-Paul Dreyfus (J.-P. Le Chanois). Robert Caby, membre du PC depuis la fin des années 1920 mais ami de Léon Sedov, quittera plus tard le parti pour militer à l’aile gauche du PS.
Tyler Stovall, le second « urbagraphe », après Annie Fourcaut, de Bobigny (The Rise of the Paris Red Belt. Berkeley:  University of California Press,  1990), donne comme animateur des Blouses Bleues de la ville le compositeur Hermann Berlinski, réfugié communiste juif allemand, qui donne aussi à Bobigny des leçons de piano, et dirigera la Chorale populaire allemande, fondée en 1936, qui sera au programme de tous les grands rassemblements organisés par le Comité Thaelmann.
Au répertoire des Blouses bleues de Bobigny, pour la fête de l’Huma de Garches, en 1932, la saynète Les Flics ; en soutient des Citroën en lutte, le 21 avril 1933, à la salle des fêtes de Clichy, 172 millions de bénéfices.
Peu après, les Blouses bleues sont sélectionnées, en compagnie du groupe Octobre davantage resté dans les mémoires parce que Jacques Prévert lui a fourni ses textes, pour l’Olympiade théâtrale internationale qui se tiendra à Moscou du 24 au 30 mai 1933. Paul Gsell, qui en rend compte dans Comœdia, écrit qu’aux Olympiades, les Blouses bleues de Bobigny « jouèrent un sketch d’une ironie cinglante contre la stupidité du cinéma bourgeois. Il y a là une très saisissante libération de la jeune classe ouvrière à l’égard des bobards ineptes de notre société fatiguée. Bobigny donna également des chœurs parlés qui faisaient appel à la grève contre d’impossibles conditions de travail. » Le groupe Octobre y donnait la Bataille de Fontenoy, « d’une verve primesautière » que Gsell place dans la lignée d’Aristophane, et « un sketch contre Citroën, improvisation qui fut écrite en deux heures à la demande des ouvriers en grève. »
Retour de Moscou, les Blouses bleues sont le 6 août 1933 à la grande fête champêtre du Secours Rouge International à Argenteuil, puis à la fête de l’Huma, avec le groupe Mars, et la Phalange du 18e, où elles donnent En avant !, l’Antifasciste, Quittez les machines !, Guerre à la guerre !, le Chant des paysans, Front rouge ; des saynètes comme Coup de balai ou Hitler ; un chœur parlé : Pars à la guerre ! Le 30 sept 33, elles sont au 7e congrès de la CGTU, avec l’Allemagne hitlérienne, et le chœur Allons ! Debout ! nous, les jeunes !
L'entrée principale de l'Illustration. 1933. Gallica
Le 23 janvier de l’année suivante, elles clôturent par leurs chants l’anniversaire de la mort de Lénine devant 8 000 travailleurs, salle Bullier. Le 27 février, c’est au meeting de Magic City, pour l’anniversaire de l’incendie du Reichstag, qu’elles interprètent le Chant de Dimitrov, l’Antifasciste, l’Allemagne de Hitler. Le 7 mars, à la fête de la jeunesse du Moulin de la Galette, elles donnent Hier, Aujourd’hui, Demain. Le 30 juin, au théâtre de l’Ambigu, les Blouses bleues retrouvent le groupe Octobre pour la manifestation artistique et sportive de la FTOF et de la FST (Fédération sportive du Travail) avec Qui veut la guerre ?, grande revue politique réunissant 30 acteurs.
Le 8 juin 1935, à la fête de l’ARAC, au Pré-St-Gervais, les BB font découvrir O.G.A. (Organisation Générale de l’Abrutissement), une pièce de O'Brady en 9 tableaux. « Dans O. G. A., un jeune poète sans ressources ni idéologie finit par aimer une vedette de cinéma. Cette personne qui n’est qu’un jouet entre les mains du « chef » fasciste entraînera le poète dans l’OGA, dont il est bien difficile de sortir. Le poète cependant, guidé par un jeune chômeur, dont il avait autrefois fait la connaissance sur un banc, découvrira petit à petit quel est l'envers de l'O. G. A. et s’en délivrera. » A la fête de l’Huma, un chœur parlé fait dire au métallo, au chômeur, au petit commerçant, au soldat ce qui l’attache à l’Humanité.
Le 13 sept 1936, Tristan Rémy, qui fut le complice d’Henry Poulaille durant les années 1920 dans la défense de la littérature prolétarienne, explique dans un article de l’Humanité que « le music-hall se rajeunira en bénéficiant des recherches et des réalisations que les frères Marc (le futur chanteur Francis Lemarque et son frangin), par exemple, les chœurs parlés, les groupes de la Fédération populaire du Spectacle : Proscenium, Mars, les Blouses bleues de Bobigny ont pu entreprendre par un contact de plus en plus étroit avec les masses »
Gaston Clamamus, né en 1906, sera victime, le 26 août 1944, de l’attentat qui visait son père.

Aujourd'hui à l'heure de Paris 13
L’imprimerie modèle de l’Illustration a été inaugurée le 30 juin 1933, en présence du ministre de l’Intérieur, du président du conseil municipal de Paris, du préfet de police et de celui de la Seine. Elle marque le paysage par sa tour château d’eau de 64 m de haut (visible aujourd’hui depuis le toit de la Philharmonie de la Villette, cf. http://www.alain-rustenholz.net/2015/05/le-gd-paris-vu-du-toit-de-la.html), flanquée d’horloges dont les aiguilles font 5 m de long et les chiffres 1 m 10 de haut. C’est dire qu’elle rappelle à ses horaires de travail le salariat à des kilomètres à la ronde. La proximité de l’aéroport du Bourget lui impose des angles munis de lampes rouges.
La rédaction et l’administration sont restées au siège historique de la rue Saint-Georges (Paris 9e), relié à l’imprimerie de Bobigny, où sont tirés les 200 000 exemplaires du périodique, par deux lignes de téléphone privées.
L’imprimerie modèle n’est pas un bastion rouge. L’Humanité du samedi 6 juin 1936, sous le titre « Les grèves à Bobigny », se contente d’une liste : L'Illustration ; les lampes Philippe ; les Bonneteries Gérard ; le Bronze Industriel ; Mécano ; les Glaces de Saint-Gobain ; les Grandes Boulangeries de la Seine ; la Compagnie des Émeris ; la Maison Loutil. Le Populaire du même jour est plus précis : « Tard dans la soirée de vendredi, un accord provisoire a été signé entre M. Baschet, directeur de l'Illustration, et ses ouvriers de l'imprimerie de Bobigny qui étaient en grève depuis jeudi. En attendant l’application du tarif syndical, ils obtiennent 15% d’augmentation, pas de sanctions, heures de grève payées et reconnaissance du droit syndical. Alors qu’il n’y avait aucun syndiqué dans la maison, tous les ouvriers ont pris leur carte. »
La chaufferie qui assurait au papier la stabilité hygrométrique nécessaire
Le 19 janvier 1937, la photogravure se met en grève sur des questions de salaire dans quinze maisons dont Georges Lang, l'Illustration, le Petit Parisien, Crété, à Corbeil. Le Populaire du 6 février annonce que « Le personnel de la photogravure de l'Illustration a reçu hier matin une feuille de rupture de contrat et de licenciement. Une autre circulaire sera envoyée à ceux que la direction voudra bien reprendre. » 

En 1935 a été inauguré, non loin de l’Illustration, un hôpital franco-musulman. L’État semble reconnaître ainsi, comme pour la grande mosquée de Paris dix ans plus tôt, le rôle des 300 000 soldats musulmans qui ont combattu pour la France pendant la guerre de 14-18. Les repas y sont halal, l’imam de la mosquée y est comme chez lui, un laboratoire de pointe doit permettre l’étude de maladies spécifiques exotiques. Il y a aussi, à côté de la loge du gardien, un commissariat de police. L’hôpital aujourd’hui Avicenne, réservé alors aux seuls musulmans, et unique hôpital qui leur soit autorisé, dépend en effet du Service des Affaires Indigènes nord-africaines (SAINA), service sous la double tutelle de la préfecture de Police et de la préfecture de la Seine, en l’occurrence de ses Office d’hygiène sociale et Bureau des œuvres charitable.
L'inauguration de l'hôpital franco-musulman vue par l'Illustration, sa voisine, dont on voit la tour château d'eau dépasser
Le SAINA, créé en 1925, avait vite géré un dispensaire, au 6, rue Leconte (Paris 17e), (et un second à la grande mosquée), puis une infirmerie de 10 lits, dotée d’un centre de radiologie, dans la rue Clairaut perpendiculaire ; bientôt un foyer 8, rue Lecomte, un deuxième 75 rue d’Argenteuil, à Colombes, et enfin un troisième à Gennevilliers.
Le SAINA était surtout doté d’une « Brigade Nord-Africaine », section de la PJ, soit 32 inspecteurs et 5 gradés. A leur arrivée en région parisienne, les Nord-Africains devaient venir y faire viser leurs papiers. C’est là aussi que se faisait le pointage des cartes de chômage, et la perception de l'indemnité était soumise à enquête préalable ayant trait à l'identité, aux conditions de séjour et de travail dans le département de la Seine. Un bureau de placement et un café maure, ouvert toute la journée, complétaient les installations de « l’officine de la rue Lecomte », comme on dit à gauche, qui mêlait étroitement l’action sociale à la surveillance policière, sans parler de l’action antigrèves : en mai 1937, pendant le grand mouvement des laveurs de taxis, la Brigade nord-africaine expédiera à Levallois, pour y faire les jaunes en remplaçant les lock-outés de la G7, les quelques malheureux qu’elle loge dans ses foyers.
L'officine de la rue Lecomte aujourd'hui. Capture d'écran Google streetview
On estime qu’il y a, en 1928, en région parisienne, entre 35 et 40 000 travailleurs venus d’Afrique du Nord, très majoritairement des Algériens et, parmi ceux-ci, majoritairement des Kabyles. En 1933, ils sont évalués à  65 000 dans le département de la Seine, et à 77 000 en 1936, dont 5 500 inscrits au chômage.
En 1935, avant l’ouverture de Bobigny, 20 000 malades sont passés au dispensaire et au centre de radiologie de la rue Lecomte. Mais la situation géographique du lieu est favorable : les Algériens sont nombreux dans les 17ème, 15ème et 13ème arrondissements, ainsi que dans la banlieue ouest de la construction automobile : Clichy, Levallois, Puteaux, Billancourt (voir http://www.alain-rustenholz.net/2015/04/50-nuances-de-rouge.html). En revanche, l’hôpital franco-musulman de Bobigny est très excentré.
Cet hôpital réservé, et la ségrégation qu’il implique, est loin d’être considéré comme un cadeau, les ouvriers nord-africains veulent une égalité de traitement, le droit commun hospitalier. Le 23 juillet 1937, 1 500 Nord-Africains des industries chimiques sont rassemblés à la Grange-aux-Belles, entendent orateurs syndicaux des métaux, du bâtiment, de la chimie, puis désignent une délégation qui se rendra à la présidence du Conseil. Reçue par le directeur de cabinet de Chautemps, elle lui expose les « dangereuses anomalies » auxquelles font face les Algériens : « les 2 mois de congé tous les deux ans,  les allocations familiales, la suppression de l'officine de la rue Lecomte, le scandale de l'hôpital de Bobigny qui doit cesser, les intolérables brimades de la brigade Nord-Africaine ». On lui répond que le Haut Comité méditerranéen a examiné tous ces problèmes, qu’un projet pour les résoudre doit être remis au président du Conseil en septembre. « Nous déclarons avec beaucoup de force que le mécontentement est grand parmi nos camarades, rapporte l’Humanité. Il serait extrêmement dangereux de laisser traîner en longueur la réalisation du désir si légitime de ces travailleurs : ne plus se voir traités en parents pauvres. L’Union des syndicats de la RP organise donc pour le samedi suivant, salle Japy, un grand meeting où seront invités tous les travailleurs coloniaux de Paris. Une délégation sera envoyée à nouveau à Matignon afin d’insister pour que très rapidement une solution favorable intervienne. » Cette délégation, reçue le16 septembre 37 réitère les revendications des travailleurs nord-africains concernant les allocations familiales, les lieux de pointage pour les chômeurs, l'éligibilité aux fonctions de délégué d'atelier, l'hôpital de Bobigny et les services de la rue Lecomte.
L'angle rue Clairaut/rue Lecomte. Google streetview
Rebelote le 30 mars 1938 où des délégués de l’union des syndicats ouvriers de la RP sont reçus par le secrétaire particulier du président du Conseil et le secrétaire général du Haut Comité méditerranéen, qui se disent d’accord sur le fond avec les revendications de la CGT. « Aux questions précises posées par la délégation ouvrière concernant les allocations familiales et l’hôpital de Bobigny, il nous a été répondu que le haut comité méditerranéen avait envisagé favorablement l’application des allocations familiales pour les travailleurs nord-africains résidant dans la métropole et ayant des enfants en Algérie. En ce qui concerne la question de l’hôpital de Bobigny, il nous a été déclaré que le droit pour les travailleurs nord-africains de recevoir des soins dans les différends hôpitaux de la métropole n’était plus qu’une question de formalité administrative. » Si les compte-rendu de l’entrevue sont en tous point identiques dans l’Humanité et le Populaire, où il est signé de Marcel Brenot secrétaire de l’Union des syndicats ouvriers de la RP, et chef de la délégation, la phrase concernant l’hôpital de Bobigny (omise par l’un ? rajoutée par l’autre ?) ne se retrouve que dans l’Humanité.
Le 12 mai 1938, c’est au tour d’Henri Lozeray, député communiste du XIe arrondissement, vice-président de la commission parlementaire de l’Algérie et des colonies, d’adresser une lettre  au ministre de l’Intérieur. Il y revient sur le problème des allocations familiales, qui pourrait recevoir une solution rapide par la voie des décret-loi, et conclut ainsi : « ne voulant pas trop allonger cette lettre, je me réserve de vous faire parvenir à bref délai les plaintes dont j’ai été saisi par de nombreux Nord-Africains concernant l’hôpital de Bobigny, les services de la rue Lecomte, le placement des chômeurs et leur pointage. »

LE GD PARIS VU DU TOIT DE LA PHILARMONIE (SUITE)

Le jeudi 14 mai, avec seulement un téléphone pour profiter de l'aubaine d'un chantier dépourvu de tout signe visible d'interdiction au public :
Du stade de France à la tour La Villette

Les Grands Moulins, la cheminée de la blanchisserie Ellis et le beffroi de l'Illustration, auj. Paris 13, à Bobigny
Le regard poursuit jusqu'au lanternon de la mairie de Pantin

La cité de la Marseillaise et, au-delà, le Pré-Saint-Gervais

LE GRAND PARIS VU DU TOIT DE LA PHILARMONIE

Le jeudi 14 mai, avec seulement un téléphone pour profiter de l'aubaine d'un chantier dépourvu de tout signe visible d'interdiction au public :
La rencontre d'un parapluie et d'un ciel couvert sur le toit de la Philarmonie resté ouvert
De la tour Montparnasse à la tour Eiffel
De la tour Eiffel au Sacré-Cœur
Du Sacré-Cœur à la Défense

Derrière la Cité des Sciences la tour Pleyel
A la cime de l'arbre, l'anneau de saturne du Stade de France