PARIS IIIème. 9 LES ARTS-ET-METIERS


Le beau bourg Saint-Martin
L’axe nord-sud qui traverse la Gaule de part en part prend ici le nom de rue Saint-Martin, qu’il tient de l’un des plus riches prieurés du grand Paris. Reconstruit et fortifié après l’an mille et les destructions des Normands, sa juridiction s’étend sur le bourg dit Beau jusqu’aux murs de Paris au sud et, à l’ouest, aux terres du Temple. C’est l’un des rares territoires parisiens bien approvisionnés en eau, les bénédictins de Saint-Martin-des-Champs possédant une source dans la vallée de Ménilmontant, au lieudit Savies, d’où un aqueduc construit à frais communs avec les Templiers la conduit, dès le début du XIIe siècle aux deux fontaines de l’abbaye et de la rue Maubuée, alors que la rive droite n’en compte encore que cinq, en tout et pour tout, trois siècles plus tard.
Avec de tels atouts, l’abbaye de Saint-Martin a loti son domaine méridional dès le XIIIe siècle, créant une troisième rue parallèle, entre celles de Saint-Martin et du Temple, et leur quadrillage perpendiculaire, de la rue Michel-le-Comte à la rue au Maire. Il en reste la plus vieille maison de Paris, celle que Nicolas Flamel et Pernelle, son épouse, donnèrent comme refuge aux pauvres, au 51, rue de Montmorency. Il ne lui manque aujourd’hui que le pignon pointu que Balzac pouvait encore voir surmonter la Maison du Chat-qui-pelote[1].
La maison de Nicolas Flamel, en 1900 hôtel Helvetia. Atget. Gallica
Au voisinage de l’enceinte de Philippe Auguste, où les jeux de paume sont la chose qui manque le moins, Mondory s’installe en 1629 dans celui de Jean Berthaud, au cul-de-sac Beaubourg (auj. impasse Berthaud), et révèle Corneille au public parisien en y jouant Mélite, la première pièce de l’auteur. Devant le succès, Mondory enchaîne avec Clitandre et La Veuve, du même Corneille, puis, au jeu de paume de la Fontaine, 25, rue Michel-le-Comte, où il a déplacé sa troupe, avec La Galerie du palais, La Suivante puis La Place royale, son auteur rouennais étant assez habile pour consacrer une pièce à chacun des lieux parisiens à la mode.
Pendant qu’on joue Mélite, Valentin Conrart, « le secrétaire d’État des belles-lettres », ainsi que le désigne Nicolas Schapira parce que son magistère, qui n’est basé sur aucune œuvre, est tout politique, réunit chez lui, au 135, rue Saint-Martin, dans le corps de logis donnant sur la cour, les neuf premiers membres de la future Académie française. « Elle ne fut d’abord composée que de ses plus chers amis ; sa probité, la douceur de ses mœurs, l’agrément de son esprit les avait rassemblés ; et quoiqu’il ne sût ni grec ni latin, tous ces hommes célèbres l’avaient choisi pour le confident de leurs études, pour le centre de leur commerce, pour l’arbitre de leur goût. Ils lui confièrent même la charge de secrétaire, la seule qui soit perpétuelle dans l’Académie », écrit d’Olivet, son historien. Valentin Conrart sera Théodamas dans le Grand Cyrus de Mlle de Scudéry, et l’objet des railleries de Boileau autant que l’est Chapelain.
La circulation des idées nécessite celle des personnes, et Paris est « un peu crotté », comme l’on dit, à en croire Molière, chez la marquise de Rambouillet où fréquente Conrart, « mais nous avons la chaise. – Il est vrai que la chaise est un retranchement merveilleux contre les insultes de la boue et du mauvais temps ». Les fiacres seront davantage encore les vraies « commodités (d’avant) la conversation ». Un nommé Nicolas Sauvage, descendu à l’auberge du Grand-Saint-Fiacre, 212, rue Saint-Martin, a l’idée de voitures de louage et, l’ayant traduite dans les faits, remise ici ses voitures, faisant de l’auberge leur bureau central, et du saint de l’enseigne un nom commun.
La paroisse a saint Nicolas. Le bourg formé au pied de l’abbaye avait son bailli – dont le souvenir se retrouve rue au Maire –, il lui fallait son église, qui ne pouvait être celle des moines réguliers. Dès 1184, la paroisse était constituée ; la construction de l’actuelle Saint-Nicolas commençait, pour la façade, en 1420. Et une paroisse, ce n’est pas rien : il suffit d’ouvrir une porte pour se retrouver dans une autre, et devant les tribunaux. « Au reste, il semble que M. de Beaufort soit destiné à porter la division partout », écrit Madeleine de Scudéry, en pleine Fronde, à propos du roi des Halles, « car il n’a pas plus tôt loué une maison dans la rue de Quinquenpoix, où jamais prince n’a logé, qu’il y a eu division entre deux paroisses, qui prétendent l’avoir toutes deux pour paroissien, l’une parce que de tout temps la maison où il va demeurer a été de Saint-Nicolas, et l’autre qui est de Saint-Leu, parce que M. de Beaufort, voulant être voisin des marchands de la rue Saint-Denis, a fait faire une porte qui y donne, de sorte que, comme cet endroit de la rue Saint-Denis est de la paroisse Saint-Leu, le curé de cette église prétend que, faisant une porte plus grande dans cette rue que n’est l’ancienne porte dans la rue Quinquenpoix, la maison doit changer de paroisse et être de la sienne. On verra ce que les juges en ordonneront ».

L'hôtel de Montmor. Atget. Gallica
L’hôtel de Montmor et l’anneau de Saturne
Rue du Temple, on est déjà dans l’aristocratique Marais des beaux hôtels. C’est au n° 79 – alors rue Sainte-Avoye –, qu’en 1623, Jean Habert – « Montmor le Riche », selon Tallemant des Réaux –, se fait construire l’hôtel fastueux qu’on connaît encore comme l’hôtel de Montmor. Il a pour voisin celui bâti par Le Muet, aux nos 71-75 (auj. Musée d’art et d’histoire du Judaïsme), pour le comte d’Avaux, ambassadeur de Louis XIV, hôtel qui passera ensuite au gendre de Colbert. Son aile gauche est un « mur renard », une façade plaquée, ici contre la muraille de Philippe Auguste sur laquelle vient partout buter le bourg. Un autre hôtel important, celui dit de Jean Bart, où se succèderont divers financiers, s’élève à l’entrée de la rue Chapon, l’une des cinq de la rive droite qui, depuis Saint Louis, ne parvenaient pas à contenir la prostitution.
Henri-Louis Habert, fils de Montmor le Riche, né en 1603 comme Valentin Conrart, est déjà, à 22 ans, conseiller au parlement de Paris. Ses cousins Germain et Philippe sont tous les deux membres de l’Académie, et des familiers de l’hôtel de Rambouillet. Il les y rejoint et « Les Trois Habert » aident à tresser la Guirlande de Julie[2], y nouant Narcisse, Souci, Rose et Perce-Neige. À 31 ans, Henri-Louis est à son tour de l’Académie, et il en héberge les séances durant trois mois dans l’hôtel paternel. Mais son intérêt va davantage aux sciences et il reçoit, au milieu d’une collection de tableaux qui ne regroupe pas moins de cent quatre-vingt-sept pièces, et de manuscrits anciens dont Colbert trouvera soixante-treize dignes de sa bibliothèque, l’abbé Mersenne, Étienne Pascal et son fils Blaise, Roberval, Gui Patin, l’Italien Campanella, l’Anglais Hobbes, l’Allemand Kepler.
Leur père mort, Jacqueline et Blaise Pascal se sont installés 44, rue Beaubourg, au bord de la muraille, aux deuxième et troisième étages. C’est d’ici que Jacqueline part pour le couvent de Port-Royal : « La veille de ce jour-là, rapporte leur sœur Gilberte, elle me pria d’en dire quelque chose à mon frère le soir, afin qu’il ne fût pas si surpris. Je le fis avec le plus de précaution que je pus ; (...) il ne laissa pas d’en être fort touché. Il se retira donc fort triste dans sa chambre, sans voir ma sœur qui était lors dans un petit cabinet où elle avait accoutumé de faire sa prière. Elle n’en sortit qu’après que mon frère fut hors de la chambre, parce qu’elle craignait que sa vue lui donnât au cœur ».
C’est ici que Blaise connaît sa « période mondaine » : « Il se trouva plusieurs fois à la Cour, où des personnes qui y étaient consommées remarquèrent qu’il en prit d’abord l’air et les manières avec autant d’agrément que s’il y eût été nourri toute sa vie », écrit Gilberte. « Ce fut, conclut-elle, le temps de sa vie le plus mal employé » : Pascal passe beaucoup de temps en compagnie du duc de Roannès, de savants, de « libertins » comme le chevalier de Méré, passionné par le jeu, ou le riche Damien Mitton, et il fait beaucoup de mathématiques.
À l’hôtel de Montmor, Gassendi finit ses jours chez Henri-Louis Habert, auquel il lègue la lunette qu’il a lui-même reçue de Galilée, à condition que son hôte sera l’éditeur de ses œuvres complètes. Henri-Louis fait enterrer son ami à Saint-Nicolas-des-Champs, dans la chapelle de la famille Habert de Montmor, auprès de Guillaume Budé, son grand-oncle, le célèbre helléniste, fondateur du Collège de France, qui s’était éteint en 1540 au 203 bis, rue Saint-Martin.
En 1657, ce qui était une sorte de salon scientifique se formalise et adopte une constitution en neuf règles qui en fait l’Académie Montmorienne. Jean Chapelain, versificateur ennuyeux, mais correspondant de Huygens, y rend compte des découvertes de ce dernier : l’horloge à balancier, Titan, l’anneau de Saturne… 
On donne souvent Chapelain comme le modèle de Molière pour le Philinte du Misanthrope, en tout cas, après l’interdiction de Tartuffe dès le lendemain de sa création, le 12 mai 1664, c’est devant des membres de l’Académie Montmorienne – Jean Chapelain, Gilles Ménage, l’abbé de Marolles – que Molière en donne une lecture.
C’est encore ici qu’en 1667, deux médecins du roi font la première expérience de transfusion du sang : celui d’un veau sur un malheureux valet de chambre de Mme de Sévigné, amie et voisine des Habert de Montmor.
L'hôtel de Montmor. Atget. Gallica

Paris et l’Internationale
Leur hôtel, acquis par un Fermier général au milieu du XVIIIe siècle, a été refait alors pour devenir l’un des chefs-d’œuvre de l’architecture Louis XV. Au règne suivant, un autre hôtel emblématique s’est édifié non loin, quasiment à l’angle de la rue Michel-le-Comte et de la rue Beaubourg, celui d’Hallwyll, propriété de la banque des Thélusson, où les Necker, leurs alliés, ont vécu jusqu’à la naissance de leur fille, la future Mme de Staël. L’hôtel est l’œuvre de Ledoux, qui a fait peindre derrière son jardin, pour étendre une vue un peu courte, un paysage en trompe-l’œil sur le mur aveugle d’en face, rue de Montmorency, celui du couvent des carmélites de la rue Chapon. L’hôtel d’Avaulx et celui d’Hallwyll, distants d’un bon siècle, anticipent l’un et l’autre le placage et la fausse fenêtre qui vont devenir les caractéristique du Beau bourg, si démoli, le sommet de l’illusion étant au 29, rue Quincampoix, l’ouvrage de ventilation déguisé en immeuble par Fabio Reti, sans parler de l’atelier factice de Brancusi sur le parvis, la « piazza », du Centre.
Le privilège des théâtres étant tombé avec l’Ancien Régime, en 1791, Jean-François Boursault[3], enrichi dans les boues et vidanges de Paris, crée aussitôt le sien, qu’il place sous le patronage de Molière, et l’inaugure avec le Misanthrope – il pressentait sans doute déjà que la méchanceté publique l’appellerait « le prince Merdiflore ». Danton interviendra en faveur de ce « théâtre qui n’a jamais présenté au public que des pièces propres à accélérer les progrès de la Révolution ». Au XIXe siècle, le théâtre était devenu un bal qui aurait été plutôt bien fréquenté « si quelques femmes éhontées de la rue aux Ours ne venaient s’y mêler ». C’est maintenant la Maison de la poésie.
Au carrefour de la rue Chapon avec la rue Beaubourg, une ancienne indication reste gravée sur le mur d’angle : « rue Transnonain ». L’immeuble du massacre du lundi 14 avril 1834[4] était à l’angle de la rue suivante, celle de Montmorency, adossé à l’ancienne chapelle des carmélites. Aux deux premiers étages étaient installés des artisans et de petites entreprises, dont un bijoutier, propriétaire de « la Comédie bourgeoise de la rue Transnonain », un théâtre installé dans les parties hautes de la nef. Hormis ce dernier, qui s’échappe par une fenêtre, presque tous les habitants du n° 12, hommes, femmes et enfants, sont tués au pied de leur lit par la troupe, à coups de baïonnette.
« Dans cette maison, trente “actifs” exercent, pour la plupart sur place, des métiers très divers et se répartissent dans les étages en fonction de leur fortune : au rez-de-chaussée, les boutiquiers ou artisans ; au premier et au deuxième étage, des artisans plus cossus ou des petites entreprises ; aux étages supérieurs, des employés, ouvriers, apprentis et journaliers sont bijoutier, chapelier, doreur sur papier, gainier, monteur sur bronze, peintre en bâtiment, tailleur de pierre, couturière, artiste peintre, peintre-vitrier, polisseuse en pendules ou ravaudeuse », rapportent Luce-Marie Albigès et Martine Illaire de l’examen des pièces du procès de l’année suivante.
Le crime est « effacé » par un changement du nom de la rue, devenue Beaubourg en 1851, puis par la démolition de la maison dans l’élargissement de celle-ci en 1897. Le quartier Saint-Martin reste celui de la petite industrie en chambre de « l’article de Paris », tandis que les manufactures plus importantes ont occupé les hôtels du Marais. C’est donc assez logiquement qu’on retrouve au 37, rue Michel-le-Comte, dès 1849, l’Union des associations ouvrières, soit cent quatre de celles-ci, animée par Jeanne Deroin, créatrice du journal L’Opinion des femmes, Pauline Roland et Gustave Lefrançais ; puis au 44, rue des Gravilliers, le siège de la première Internationale.
Dans cette rue dont les hautes et étroites façades, souvent de deux travées seulement, attestent d’une présence laborieuse, la section parisienne en est constituée dès les premiers jours de janvier 1865. Elle compte trois secrétaires : le bronzier Henri Tolain, le passementier Charles Limousin et le graveur-décorateur Eugène Fribourg. « Un petit poêle de fonte cassé, apporté par Tolain, rue des Gravilliers, une table en bois blanc servant dans le jour d’établi à Fribourg [qui habitait 26, rue Saint-Martin], pour son métier de décorateur, et transformée le soir en bureau pour la correspondance, deux tabourets d’occasion auxquels quatre sièges de fantaisie furent adjoints plus tard, tel fut, pendant plus d’une année, le mobilier qui garnissait un petit rez-de-chaussée exposé au nord et encaissé au fond d’une cour, où se condensaient sans cesse des odeurs putrides. C’est dans cette petite chambre de quatre mètres de long sur trois mètres de large que furent débattus, nous l’osons dire, les plus grands problèmes sociaux de notre époque », écrira Eugène Fribourg, cité par Jean Maitron.

Les cotillons du prolétariat
Au carrefour des deux saignées toutes fraîches du baron Haussmann, celle de la rue Réaumur (1854) et celle du boulevard de Sébastopol (1858), Jean-Louis Félix-Potin inaugure en 1860 la première grande surface d’épicerie sur deux niveaux, à la façade décorée de couleurs foisonnantes et d’abeilles, symboles du Commerce et de l’Abondance, et rappel du Premier Empire pour faire plaisir au maître du Second. En 1910, le magasin se voit coiffer d’un grand dôme, poivrière obligée de l’immeuble bourgeois de l’époque, tandis qu’au 71, rue Beaubourg, est construit l’immeuble-dortoir de ses employés. Dix numéros plus loin, au 81, la boutique d’Henri Audouin, Au Cotillon du Prolétariat, affiche : « Spécialité de drapeaux rouges, bannières, brassards, cordons, draps mortuaires, insignes pour sociétés. Grand choix d’épingles de cravate artistiques représentant les Grands Hommes de la Révolution, Jean Jaurès, la Confédération Générale du Travail, Prolétaires de tous les Pays, unissez-vous... ».
Au n° 23 de la rue Pastourelle, maison du culottier Bérard, l’auteur de la Carmagnole, au cabaret qui avait déjà eu pour habitués les membres du Tribunal révolutionnaire et du club des Cordeliers, se réunissent les conspirateurs de la Société des Saisons. Le cordonnier Edmond Bellemare en part, le 8 septembre 1855, pour aller décharger son fusil sur l’escorte de Napoléon III. En 1900, la salle Bertin, au 35 de la rue, est le lieu habituel des goguettes de la Jeunesse socialiste du 3e arrondissement.
« Comme ils sont émouvants les vieux communards qui occupent les sièges des premiers rangs de la salle » du palais des Fêtes, à l’angle des rues Saint-Martin et aux Ours, en réalité aux Oies, la rue étant célèbre dès le XIIIe siècle pour la rôtisserie de ces volailles mais, au XIXe, plutôt pour les femmes de mauvaises mœurs qui déparaient au bal du 6, passage Molière. Ce 18 mars 1914, Jean Allemane, Camélinat, Nathalie Lemel... « tous groupés, avec leurs têtes blanches, les traits durcis par les implacables rides de la vieillesse » assistent à une représentation, au Cinéma du Peuple, du film consacré à la Commune de leur jeunesse par Armand Guerra, qui raconte la séance : « Ils sont et continueront à être des révolutionnaires tenaces jusqu’à la mort, malgré leur grand âge, car ils gardent en eux l’impérissable souffle des combats des barricades… ».
Le Palais des Fêtes en 1914. Agence Rol. Gallica
Au début des années 1930, on abat le côté nord de la rue aux Ours et le côté sud de celle du Grenier-Saint-Lazare afin de mettre en œuvre le vieux projet haussmannien de prolongement de la rue Étienne-Marcel, quand la Fédération du théâtre ouvrier de France, qui vient de se constituer, installe sa permanence au 68, rue des Archives, tous les samedis de 14 à 17 heures. Sa revue, La Scène ouvrière, explique la décision du récent congrès de transformer les troupes de théâtre amateur en groupes d’agit-prop, et leur fournit un répertoire, dont Aux métallos !, par exemple, un chœur parlé pour douze à vingt personnes qui s’adresse à ceux de chez Citroën, Renault et Peugeot : « Vive le front unique des travailleurs ! À bas les chefs traîtres réformistes ! À bas la guerre contre l’URSS ! Vive l’unité syndicale de classe CGTU ! ».

De l’épanchement romantique au Front populaire
Hors les murs, avant d’être entre deux murs, celui de Philippe Auguste, dont le quartier de l’Horloge a détruit ce qui restait en même temps que quatre-vingt-cinq maisons anciennes, dont certaines du XVIe siècle, et la muraille de Charles V que Louis XIV transformera en boulevard, le prieuré royal de Saint-Martin-des-Champs était naturellement fortifié. Le coude de la rue Bailly nous conserve le tracé sud-est de son ancienne enceinte, et la maison du n° 7 sa tour d’angle. Au coin opposé, à l’intersection des rues Saint-Martin et du Vertbois, la tour nord-ouest avait été donnée à la Ville pour en faire le château d’eau de la fontaine qu’elle édifiait là en 1712. Menacée par de nouveaux aménagements du Conservatoire des Arts et Métiers, cette tour était défendue par la Société des antiquaires et finalement sauvée par Victor Hugo qui s’écriait : « Démolir la tour ? Non ! Démolir l’architecte ? Oui ! ». Une inscription y rappelle que l’on a cédé au « vœu des antiquaires parisiens », et tait les menaces du poète.
La tour qui mit Hugo en colère. 1880. Gallica
Au début du XVIIIe siècle, les bénédictins avaient fait refaire et agrandir leur maison et, au creux de l’enceinte soulignée par la rue Bailly, ils avaient ouvert, en 1765, un marché pour le poisson, les légumes et les herbages. Le Conservatoire des Arts et Métiers, dérivé de la collection de Vaucanson, qui avait rassemblé puis légué au roi, dès 1783, plus de cinq cents machines, était institué par la Convention nationale en 1794 et, joint aux machines de l’hôtel d’Aiguillon, logé dans le bâtiment de l’ancien prieuré royal cinq ans plus tard. On y garde l’une des machines à calculer signées « Blaise Pascal, d’Auvergne, inventeur ». On peut y voir, au mur de la bibliothèque, une « bouteille de Leyde », cette espèce de condensateur découvert en 1746 par Cuneus et deux de ses collègues, que tient une allégorie de la Physique de Jean-Léon Gérôme, parfaitement anachronique en femme du Moyen Âge. En revanche, les colonnettes qui divisent la salle, l’ancien réfectoire des moines, ont été repeintes comme au XIIIe siècle.
Devant, le square des Arts-et-Métiers était créé à la fin de 1857, et le théâtre municipal de la Gaîté cinq ans plus tard. Si le marché des bénédictins n’avait été supprimé sous le Premier Empire, et remplacé par un autre plus au nord, il aurait été emporté, de toute manière, par le Second Empire. Pour le percement de la rue de Turbigo se coalisent les banques de Seillière, Cahen d’Anvers, Dominique André, Mirabaud et Deutsch, associées aux industriels Schneider et Delessert. Elles ne font qu’une bouchée des Madelonnettes, couvent créé en 1620 pour rédimer les filles perdues. « Le despotisme monarchique [avait détourné] l’œuvre pieuse de sa louable destination, écrit La Bédollière, et les Madelonnettes devinrent prison d’État. Des lettres de cachet la peuplèrent de femmes ou de filles détenues par ordre du roi, sur la demande des maris ou des parents. » Ce que la Révolution avait entériné en y enfermant des détenues pour dette, d’autres qui l’étaient par voie de correction paternelle, puis des femmes publiques.
La bibliothèque des A&M au 19e s. Gallica
En 1831, les femmes quittaient les Madelonnettes pour Saint-Lazare ; à partir de 1838, c’était une maison d’arrêt qui, une décennie plus tard, accueillerait pas mal de politiques, dont le communiste utopique Cabet, « le vieux camarade » dont Engels donnait des nouvelles à Marx au sortir d’une visite.
L’industrie à domicile n’était déjà, pour le même Marx, que « l’arrière-train de la grande industrie ». En 1933 se bâtit pourtant encore, au 39, rue Volta, une vaste maison à usage industriel et d’habitation, aux appartements équipés d’origine de moteurs électriques, que leur coût destine plutôt aux artisans d’art : 600 francs par an et par cheval vapeur, en sus du loyer.
Dans la rue Meslay où, un siècle plus tôt, Marie Dorval était raccompagnée à son domicile, au sortir de la première d’Antony, d’Alexandre Dumas, par une foule au cœur incendié de la passion brûlante de la pièce, ainsi que le rapporte Théophile Gautier, pleurant et applaudissant, s’élève alors le siège de la Fédération de la Seine du Parti socialiste SFIO, que tient la tendance de la Gauche révolutionnaire, de Marceau Pivert. À l’épanchement romantique a succédé l’exaltation du Front populaire : « Tout est possible ! ».


[1] Voir chapitre 8, le Sentier, ci-dessous (posté en février 2016).
[2] Voir chapitre 3, le Louvre, posté en septembre 2015.
[3] Voir chapitre Nouvelle-Athènes, à venir.
[4] Voir chapitre Hôtel de Ville, à venir.