L'expression
est de Petrus Borel, dans la préface
de novembre 1831 à ses Rhapsodies : "une époque où
l'on a pour gouvernants de stupides escompteurs, marchands de fusils, et pour
monarque, un homme ayant pour légende et exergue : "Dieu soit loué, et mes
boutiques aussi!" Elle caractérise bien la monarchie de Juillet et son roi
bourgeois, Louis Philippe, annonçant une balade, menée pour Virgin Grands Boulevards, riche en
appui-corps et vantaux de porte de fonte moulée.
Entre la rue
Vivienne et la rue Montmartre, on est sur l’emplacement des jardins de l’hôtel
de Montmorency-Luxembourg.
5, bd Montmartre
(Virgin Megastore), PLU : sur le boulevard, cet immeuble à usage mixte, de
la fin du 19e siècle, en U, abritait dès 1906 la salle
luxueuse de l’Omnia-Pathé ;
7, bd Montmartre,
Théâtre des Variétés, de 1807. C'est là que triomphera Hortense Schneider dans La Belle Hélène, d'Offenbach, en 1864, puis dans La grande Duchesse de Gerolstein, du même, trois ans plus tard.
En face, de
l'autre côté du boulevard, le n°8, PLU, est l’Hôtel de Quinsonas construit par
l'architecte Cheveny de la Chapelle vers 1778-1780. De style Louis XVI, il
apparaît comme l'un des rares témoignages subsistants de la période faste pour
les Grands Boulevards que fut la fin de l'Ancien Régime. La marquise de
Quinsonas hérite de l'hôtel en 1792 et sa famille y réside encore sous la
Restauration. Les éléments les plus notables consistent en un balcon soutenu
par des consoles ornées de guirlandes, et en un escalier à rampe en fer forgé
Louis XVI, qui témoignent du style néo-classique en vigueur à la veille de la
Révolution.
Musée Grévin : ce fut d'abord un
titre de presse, magazine en 3D ou JT paralysé, d’un type nouveau puisqu’il
s’agissait d’un « journal plastique », ouvert en 1882 au bout du
passage Jouffroy. A l’aide de cent cinquante figures de cire, le journaliste Arthur Meyer, fondateur du Gaulois,
et le caricaturiste Alfred Grévin y
mettaient en scène toutes les rubriques de l’actualité, y compris les faits
divers les plus sanglants.
À côté, le Petit Casino était un café-concert
aménagé comme une salle de spectacle : les seuls espaces prévus pour poser
les consommations y étaient les tablettes accrochées au dos des fauteuils du
rang précédent. Damia, la
« tragédienne de la chanson », qui a eu le bon goût de naître pour le
centenaire de la Révolution et qui personnifiera la Marseillaise dans le film
d’Abel Gance, fera là ses débuts. Le Petit Casino, le dernier café-concert de
Paris à maintenir la tradition, réussira à faire venir un public de quartier
pour une matinée et une soirée quotidiennes jusqu’en 1948.
11, bd Montmartre,
Passage des Panoramas ; sous le
Consulat, au paysage à portée de vue, on ajoute ceux, artificiels, peints sur
les murs circulaires de vastes rotondes qu’on appelle des
« Panoramas » : "Paris tel qu’on le voit du haut du château
des Tuileries", Toulon et, plus tard, Rome et Jérusalem. Ouvert dès 1800,
le Passage des Panoramas, qui tient son nom des salles précitées, est le 1er du
genre; éclairé au gaz en 1817.
Dans les années
1830, quand un républicain suit une princesse qu’il aime d’un amour platonique,
ça se passe sur les Grands Boulevards : Michel Chrestien, membre du cénacle de Lucien de Rubempré et d’Arthez,
suit la princesse de Cadignan, de Balzac.
Elle raconte :
« La
veille des funérailles du général Lamarque, je suis sortie à pied avec mon fils
et mon républicain nous a suivis, tantôt derrière, tantôt devant nous, depuis
la Madeleine jusqu’au passage des Panoramas où j’allais.
— Voilà tout ?,
dit la marquise.
— Tout,
répondit la princesse. Ah ! le matin de la prise de Saint-Merry, un gamin a
voulu me parler à moi-même, et m’a remis une lettre écrite sur du papier commun,
signé du nom de l’inconnu.
—
Montrez-la-moi, dit la marquise.
— Non, ma
chère. Cet amour a été trop grand et trop saint dans ce cœur d’homme pour que
je viole son secret. Cette lettre, courte et terrible, me remue encore le cœur
quand j’y songe. »
Sous le 2nd
Empire, Zola, fait pleurer au même
endroit le comte Muffat, chambellan
de l’impératrice, quand l’entrée des artistes du théâtre des Variétés, où il attend Nana, reste pour lui désespérément vide. « Sans pouvoir
expliquer comment, il se trouvait le visage collé à la grille du passage des
Panoramas, tenant les barreaux des deux mains. Il ne les secouait pas, il
tâchait simplement de voir dans le passage, pris d’une émotion dont tout son
cœur était gonflé... Alors, il avait repris sa marche, désespéré, le cœur empli
d’une dernière tristesse, comme trahi et seul désormais dans toute cette ombre.
Le jour enfin se leva, ce petit jour sale des nuits d’hiver, si mélancolique
sur le pavé boueux de Paris. Muffat était revenu dans les larges rues en
construction qui longeaient les chantiers du nouvel Opéra. Trempé par les
averses, défoncé par les chariots, le sol plâtreux était changé en un lac de
fange. Et, sans regarder où il posait ses pieds, il marchait toujours,
glissant, se rattrapant. »
Vingt ans plus
tard, le simple fait de stationner dans le passage des Panoramas, pour une
femme, est équivoque, comme l’apprend Mme
Eyben à ses dépens. Ayant rendez-vous avec ses enfants passage des
Panoramas, elle y est interpellée, le 29 mars 1881, par la très arbitraire police des mœurs, que sa vigoureuse
campagne de presse réussira néanmoins à faire abolir.
- à droite, 11,
rue St-Marc / 3, rue des Panoramas, et à gauche 7-9, rue St-Marc / 4, rue des
Panoramas, PLU. Dans cette rue des Panoramas ouverte en 1782 par le duc de
Luxembourg, dont tout l’îlot était la propriété, maisons fin 18e siècle,
symétriques avec angles curvilignes sur la rue St-Marc, ouverte en 1780.
- 1, rue des
Panoramas (16, rue Feydeau) - 2, rue des Panoramas (14, rue Feydeau), PLU: sur
ces maisons de la fin du 18ème siècle, symétriques, des arcades en plein cintre
embrassent rez-de-chaussée et entresol.
La rue Feydeau conserve
au plan de Paris la trace de la nouvelle enceinte de Louis XIII, faite non
plus d’une muraille et de tours, mais de bastions en as de pique reliés par des courtines.
- 24, rue
Feydeau, PLU: bâtiment à façade plissée de Fernand Colin, 1932, à destination mixte de bureaux et habitations.
- 23, Feydeau
et 6, Colonnes : La rue des Colonnes, ouverte en 1793-95, est d’abord un
passage, celui du théâtre Feydeau, et quand elle est privée de sa couverture,
sous le Directoire, elle garde néanmoins, avec ses arcades, tout ce qu’il faut
pour continuer d’être l’abri de l’attente et de l’entracte. Le percement de la
rue de la Bourse en 1826, l’a coupée.
Sous la
Restauration, la Bourse n’est encore qu’une construction provisoire en planches
et en pans de bois, formant une salle ronde où l’on entre par la rue Feydeau.
La spéculation va meilleur train autour, comme l’explique le banquier Claparon à César Birotteau : « Eh ! cher
monsieur, si nous ne nous étions pas engagés dans les Champs-Élysées, autour de
la Bourse qui va s’achever, dans le quartier Saint-Lazare et à Tivoli, nous ne
serions pas, comme dit le gros Nucingen, dans les iffires ».
En 1827, le temple antique
qu’avait imaginé Brongniart, et que la mort l’a empêché de voir, est tout de
même terminé, et Balzac décrit les alentours : « La place de la Bourse est
babillarde, active, prostituée ; elle n’est belle que par un clair de lune, à
deux heures du matin : le jour, c’est un abrégé de Paris ; pendant la nuit,
c’est comme une rêverie de la Grèce ».
La rue Ménars,
comme la rue Feydeau, marque l’emplacement de la nouvelle enceinte de
Louis XIII ; entre elles s'élevait la porte Richelieu qui ne fut
abattue qu’en 1701.
- 86, rue de Richelieu,
PLU : maison de rapport néoclassique d’aspect Louis XVI ; garde
corps du balcon à motifs Louis XVI en fer forgé comme appuis de fenêtres.
- 24, rue
Saint-Marc, PLU : de1894, bâtiment d’activité de Salomon Dalsace (draps,
broderies, dentelles, passementerie) préfigurant ceux de la rue Réaumur.
- 18, rue
Saint-Marc, PLU : maison construite en 1734 pour le Fermier Général Le Magon de
La Balue ; voir aussi façade sur cour.
- 16 rue
Saint-Marc, PLU : mitoyen et de même date, 1734, appuis de fenêtres en fer
forgé conservés aux 2 premiers étages.
- 14, rue
Saint-Marc, PLU : maison d’aspect début 19e (nouvel alignement
en 1826), faux appareil de pierre ; appuis de fenêtre en fonte.
- 39 à 47, rue
Vivienne (de la rue St-Marc au bd Montmartre), PLU : peu après 1830,
contemporains du percement de cette partie de la rue (entre Feydeau et bd
Montmartre), type ordonnancé néo-classique, bel ensemble de portes à vantaux
Louis-Philippe à croisillons et têtes de lions bien conservé.
- 44, rue
Vivienne, PLU : façade Restauration conservée.
53, rue
Vivienne et 15-17, bd Montmartre, à partir de 1837 pour le comte d’Osmond,
riche propriétaire foncier, l’une des locations les plus chères de Paris au 19e siècle.
Du 15 au 23, opération unique entre Vivienne et Richelieu ; l’absence de
porte et de passage cocher du n° 17 laisse penser que le rez-de-chaussée était destiné
dès l’origine à un usage commercial.
19, 21-23 bd Montmartre
(et 112, Richelieu) idem.
En face :
- 14, bd Montmartre, PLU :
années 1930, entresol et rez-de-chaussée commerciaux, balcons baignoires à
l’étage d’habitation.
- 16, bd Montmartre,
PLU : ancien hôtel de 1778, occupé par le comte Florimont de
Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche à Paris de 1783 à 1790 ; l’une des
1ères maisons apparues sur le Boulevard. Le côté nord ne commence à se
construire qu’à ce moment. S’arrêtait à la corniche avant surélévation. L’hôtel
conserve un vestibule monumental, un bel escalier et, au 1er étage,
un salon 18e, une salle à manger sculptée de Charles Garnier de 1890 : ces 2 éléments sont ISMH depuis 1958.
De la rue
Vivienne à la rue de Richelieu, une terrasse de bois longeait le Boulevard en
une gloriette brillamment éclairée, c'était Frascati, un hôtel particulier Louis XIV, devenu sous le
Directoire, entre les mains du glacier napolitain Garchi, un hôtel meublé assorti d’un restaurant et d’une maison de
jeu. Autour, une végétation méditerranéenne d'importation, ponctuée
d’architectures éphémères. Dix ans après la présence de Chopin boulevard Poissonnière, vers 1841 donc, Balzac occupe une
maison d’angle à la situation semblable : il a deux pièces donnant sur le
boulevard, une sur la rue de Richelieu. C’est Buisson, son tailleur, qui a fait
construire « cette espèce de phalanstère colyséen », « dans la
cour de l’hôtel où tous les joueurs de Paris ont palpité pendant trente-cinq
ans », celle de Frascati, « dont le nom est religieusement conservé
par un café, rival de celui dit du Cardinal, qui lui fait face ».
À l’époque de
Balzac, on ne parle plus de vue, comme du temps de Chopin, on parle
d’argent : « Admirez les étonnantes révolutions de la propriété dans
Paris ! Sur la garantie d’un bail de dix-neuf ans qui oblige à un loyer de
cinquante mille francs, un tailleur construit, et il y gagnera, dit-on, un
million ; tandis que, dix ans auparavant, la maison du café Cardinal, dont
le rez-de-chaussée rapporte aujourd’hui quarante mille francs, fut vendue pour
la somme de deux cent mille francs ! ».
106 à 110, rue
de Richelieu, PLU : 1840, immeubles de rapport typiquement Louis Philippe: fontes
des vantaux des 3 portes cintrées caractéristiques ; au 108, voir plafond du
vestibule donnant accès à la cour ; ferronneries des balcons filants.
- 103, Richelieu et 1-1bis, bd
des Italiens : immeuble de rapport de la 1ère moitié du 19e
siècle, (entresol sans doute rajouté ultérieurement) sur la rue de Richelieu :
garde-corps en fonte, portail Louis-Philippe à 3 ouvertures dont, au centre,
une porte à vantaux ajourés de grilles de fonte.
- 101, en face, passage des Princes. On a vu le 1er du genre, celui des
Panoramas, voici le dernier de la série, celui des Princes. Inscription ISMH 11
août 1975 pour Façades, verrière et sol du passage. L’inauguration en 1860 du
Passage Mirès, qui deviendra le Passage des Princes, annonçait tout à la fois,
la fin des passages parisiens et celle du financier Mirès qui venait de faire
faillite.
- 5, bd
Haussmann / 16, bd des Italiens, PLU : Couvrant un îlot, l'immeuble des
"Italiens" de la Banque Nationale de Paris a été construit en 1932
par les architectes J. Marrast et Charles Letrosne pour la Banque Nationale du
Crédit et de l'Industrie. Élevé sur dix niveaux, cet immeuble de facture
Art-Déco, se termine par des gradins posés sur une corniche saillante décorée
de gros modillons. La volumétrie monumentale et la décoration des chapiteaux
selon des motifs géométriques donne à cet immeuble la dimension d'un temple égyptien. Sur chaque boulevard, trois portes de ferronneries sont dues au
ferronnier Raymond Subes.
Années 1870: au
café Riche, au n° 16, à l’angle de
la rue Le Peletier se partage, à cinq, un « dîner des auteurs sifflés » : Flaubert en est pour l’échec de son Candidat, un canevas
laissé par son ami Bouilhet qu’il a
fini pour le Vaudeville voisin, Zola
pour Les
Héritiers Rabourdin, Edmond de
Goncourt pour Henriette Maréchal, Daudet
pour son Arlésienne. « Quant à Tourgueniev,
expliquera Daudet, il nous donna sa parole qu’il avait été sifflé en Russie,
et, comme c’était très loin, on n’y alla pas voir. »
Dans les premières
années 1880, les Impressionnistes
s’y retrouvent pour un dîner mensuel, décidé à leur 6e exposition, afin de
célébrer les retrouvailles avec Monet,
Renoir et Sisley. On y voit parfois Mallarmé.
L’unanimisme
sera de courte durée : à leur 8e exposition – il n’y en aura pas d’autre
–, qui ouvre le 15 mai 1886 pour un mois à la Maison Dorée, au coin de la rue Laffitte, les trois prodigues ont à
nouveau fait sécession, tandis que Degas
y a accepté Seurat et Signac, les Pissarro père et fils, en un mot, pour le moins des « Néo ». Le groupe impressionniste
finit sur le Boulevard comme il y a commencé.
Odette « n’était pas chez
Prévost ; il voulut chercher dans tous les restaurants des boulevards.
Pour gagner du temps, pendant qu’il visitait les uns, il envoya dans les autres
son cocher Rémi, écrit Proust. Mais
le cocher revint lui dire qu’il ne l’avait trouvée nulle part… Swann se fit conduire dans les derniers
restaurants… Il ne cachait plus maintenant son agitation, le prix qu’il attachait
à cette rencontre et il promit en cas de succès une récompense à son cocher… Il
poussa jusqu’à la Maison Dorée,
entra deux fois chez Tortoni [Flaubert vantait déjà sa fricassée de poulet
froid] et, sans l’avoir vue davantage, venait de ressortir du Café Anglais,
marchant à grands pas, l’air hagard, pour rejoindre sa voiture qui l’attendait
au coin du boulevard des Italiens, quand il heurta une personne qui venait en
sens contraire : c’était Odette ».
Il monte avec
elle dans la voiture qu’elle avait, disant à la sienne de suivre. Elle tient à
la main un bouquet de catleyas, elle en a dans les cheveux, et dans
l’échancrure de son corsage. Après un écart du cheval, qui les a déplacés,
Swann se propose de « les enfoncer un peu » de peur qu’elle ne les
perde. C’est à compter du moment qui suit que faire l’amour, pour eux, se dira
« faire catleya ».
7-9 bd
Haussmann, marbres du Bistrot romain.
- 4, rue Drouot, PLU : maison 18e
siècle, rectifiée sous Louis-Philippe, remarquable balcon en fonte à
l’étage noble.
- mairie du 9e, hôtel Aguado. Alexandre Aguado, marquis de Las
Marismas, d’origine espagnole, acquiert l’hôtel particulier qui abrite
aujourd’hui la Mairie du 9ème arrondissement de Paris, rue Drouot, en 1829, et il
en fait sa demeure. Banquier de profession, il s’intéresse à l’art lyrique (il
est ami de Rossini et il en assure la fortune par de judicieux placements) et
aussi à la peinture. [Il achètera aussi en 1843 la "maison du
pont-de-fer" (voir plus loin)]
- 8, rue
Drouot, (et 5, Rossini), PLU : maison 18e rectifiée sous
Louis-Philippe, remarquable balcon en fer forgé 18e siècle ;
porte cochère.
Le coude de l’actuelle
rue Rossini dessine encore l’angle sud-est de la Grange-Batelière, une ferme anciennement fortifiée, en ordre de
« bataille », ce qui, par altérations successives, avait donné
« batelière ».
- 3, rue Rossini,
PLU : Immeuble de rapport destiné à la haute bourgeoisie datant de
1848-1876. Le style Empire de cet immeuble est donné par la composition
régulière des façades en pierre de taille agrémentées d'éléments décoratifs
relativement sobres et l'emploi de l'ordre dorique pour le portique et les
pilastres des façades ouvertes sur la cour.
Au n° 10 de la
rue de la Grange-Batelière, l’hôtel de Michel Le Duc de Biéville, des années
1770, a été acquis dès la Restauration par le riche agent de change Tattet. Alfred, le fils de la maison,
d’un an plus âgé que Musset, sera le
maître en débauche du jeune poète, doublé d’un ami sûr qui s’attirera ses vers
reconnaissants : « Dans mes jours de malheur, Alfred, seul entre
mille / Tu m’es resté fidèle où tant d’autres m’ont fui ».
Musset passe
beaucoup de temps chez les Tattet, aussi bien, chaque automne, dans leur
château de Bury, près Montmorency, qu’à leur hôtel de la Grange-Batelière.
C’est ici qu’il leur donne lecture de son Rolla. Il a 23 ans, il se sent avoir
été privé de tout rapport possible à la divinité, de tout élan de foi par le 18ème
siècle déicide, et en accuse Voltaire
en ces vers dont l’expression fera florès : « Dors-tu content, Voltaire,
et ton hideux sourire / Voltige-t-il encor sur tes os décharnés ? ». Le
« hideux sourire » et le mal
du siècle, dont il est la cause, trouvent donc à se dire pour la première
fois dans ce salon de la rue de la Grange-Batelière avant que la publication de
Rolla, immense succès de librairie de l’année 1833, ne les porte partout.
Sous le Second
Empire, témoigne La Bédollière, on voyait passage
Jouffroy (1845, sur les jardins de l’hôtel Aguado), passage Verdeau (1846), dans celui de l’Opéra, celui des Panoramas,
le plaid des Écossais, les fourrures des gens du Nord, les sombreros de Madrid
ou de La Havane, les fez de Constantinople ou du Caire. Les étrangers, comme
les provinciaux, apparaissaient à partir de midi. À 17h, les journaux du soir,
particulièrement nombreux sur le Boulevard – Le Constitutionnel, L’Écho de
Paris, L’Événement, Le Figaro, Le Gaulois, Le Gil Blas, La Libre Parole, Le Mousquetaire d’Alexandre Dumas, Le Petit-Journal, Le Soir,
Le Temps –, étaient distribués dans
les kiosques et l’on se cognait alors à ceux qui les lisaient en marchant. À
18h, les habitantes des quartiers Bréda et Notre-Dame-de-Lorette prenaient des
positions stratégiques depuis le passage Jouffroy jusqu’à la rue de la
Chaussée-d’Antin.
Dans les
derniers jours de l’Empire, la librairie
Gabrie, au n° 25 du passage Verdeau, prend en dépôt les deux fascicules, à
cinq cents exemplaires chaque, des Poésies de Lautréamont. Isidore Ducasse, qu’on a vu 15, rue Vivienne au mois
de mars et 7, rue du Faubourg-Montmartre à l’été.
"Les
cartes qui viennent d'être caressées par mes mains s'annoncent comme étant
terriblement ravageuses. - Les enseignes se décrochent difficilement, et le fou
du passage Verdeau court toujours. C'est sans doute à cause de ce dernier qu'il
m'est impossible d'avancer mes pions." Marcel Noll, in La Révolution Surréaliste n°1, 1er
décembre 1924.
D’une étendue
bien moindre que la Grange Batelière étaient les terres de Geoffroy et de son épouse Marie
qui, dans les années 1260, en avaient fait une pieuse donation à l’Hôtel-Dieu.
Après 1840, au moment de lotir le lieudit qu’on appelait maintenant la Boule
Rouge, qui faisait maison close, les financiers Pène et Mauffra ressuscitèrent
de leur lointain passé les admirables donateurs afin de profiter
publicitairement de la vogue gothique créée par le Notre-Dame de Paris de
Hugo.
- 18-20, rue Montyon / 2-4, rue Geoffroy-Marie,
PLU : immeuble de rapport construit après 1840 dans le lotissement de la
Boule Rouge, cour en demi-cercle ouverte sur rue par porche en plein cintre,
disposition rare et originale.
- 10-12, rue
Montyon / 10-10 bis, rue Geoffroy-Marie, PLU : immeuble de rapport, après
1840, dans lotissement de la Boule Rouge par financiers Pène et Mauffra ; belle grille de balcon en fonte. Un passage
couvert, de Montyon à Richer, de même date, s'étirait dans l'axe de la rue
Saulnier : passage Richer au nord, galerie Bergère au sud, annexée depuis
1927 par un restaurant à son ex débouché nord, un garage à l'ex débouché sud.
Folies-Bergère : derrière le bar
au grand miroir immortalisé par Manet,
c’est, en avril 1926, la première de La Folie du jour avec cette Joséphine Baker qu’on s’arrache depuis
qu’elle a triomphé l’année précédente dans la Revue nègre du Théâtre des Champs-Élysées.
Au long de huit
tableaux, les « girls » très peu vêtues des Folies-Bergère
interprètent des touristes américaines tentées par les vitrines de magasins de
luxe parisiens, qui, en une sorte de strip-tease à l’envers, enfilent toutes
les emplettes qu’elles viennent d’y faire. Après quarante minutes où la tension
est ainsi montée de manière insoutenable, Joséphine Baker arrive enfin sur
scène en descendant d’un palmier, vêtue seulement de bananes, pendant autour
d’une ceinture, que les mouvements de ses hanches et de son ventre redressent vigoureusement.
Le potager de
Guillaume Berger fut à l’origine de la rue Bergère,
- 29-35, rue Bergère, PLU : période
Louis-Philippe; sur soubassement à bossage, garde-corps et balustrades des
balcons en fonte.
- 7, rue du fbg Montmartre, PLU :
imm. de rapport seconde moitié du 19e ; sur cour, bouillon Chartier de 1895.
Isidore Ducasse
y meurt, à l’hôtel, juste après la proclamation de la IIIe République, le 24
novembre 1870. Ceux qui vont manger chez Chartier, suiveur de Duval, passent
aujourd’hui devant une plaque qui reprend le début de la strophe 10 du premier
des Chants
de Maldoror : « Qui ouvre la porte de ma chambre
funéraire ? J’avais dit que personne n’entrât ».
À peu près au
même moment, Chopin, quittant le 27, boulevard Poissonnière, s’est installé au
n° 4 de la cité Bergère pour partager un appartement avec un compatriote
fraîchement émigré, le médecin Aleksander Hofman. Heinrich Heine, "fils de la Révolution"
française, accouru à Paris sitôt les Trois Glorieuses, va trouver à se
loger dans la même cité d’hôtels destinés aux étrangers venant visiter les
Boulevards, au n° 3. Il se traduit avec quelques aides, dont celle de Nerval ; il écrit aussi
directement en français, et les complaisants l’ont vite qualifié de
« Nouveau Voltaire », ce qui ne l’empêche pas de se lier avec Musset.
Le Comptoir
d’Escompte, partant du 14, rue Bergère, s’agrandit de tous les hôtels mitoyens.
Martin Nadaud, qui travaillait rue
Saint-Fiacre l’année où le Siècle arrivait dans le quartier,
voyait partout à la ronde, du haut de son échafaudage, « de grands
magasins de marchandises d’exportation qu’on chargeait ou déchargeait dans la
cour ou même dans la rue. On sait que ce quartier est le centre du grand
commerce d’exportation de Paris ». Dans ces rues « silencieuses et mornes
dès 8 heures du soir, confirme La Bédollière, loge une foule d’exportateurs,
agents acheteurs, commissionnaires en marchandises, agents de transports
maritimes, représentants de maisons de commerce et de manufactures ».
A gauche, on a le 14, bd
Poissonnière, qui porte l'inscription Pont-de-Fer
au dessus de sa porte. Mais il la tire de sa voisine : la vraie Maison du Pont-de-fer, autrefois numérotée
14, est à l'actuel n°12, PLU : de 1838, par Théodore Charpentier (1797-1867) ;
achetée en 1843 par Alexandre Aguado, marquis de Las Marismas ; derrière
l’immeuble donnant sur le boulevard, deux autres se succèdent, reliés entre eux
par un « pont de fer », (au ras de ces passerelles, des ateliers à
grandes baies) jouant avec le dénivelé induit par la butte des anciens
remparts. Elle s'ouvrait par une large entrée à double arcade, le pont de fer
partait à la hauteur du 1er étage ; on pouvait aussi accéder à la cour par le 3,
rue du Fbg Poissonnière. En 1842, on y trouve Léonard, fabricant de lits en fer.
Le bazar d'Alexis Godillot s'y ouvre
en juillet 1845. On le voit sous le sang et la mitraille lors du coup d'état de
Louis Napoléon Bonaparte.
« Un témoin
dit : "... A trois heures et un quart un mouvement singulier a lieu.
Les soldats qui faisaient face à la porte Saint-Denis opèrent instantanément un
changement de front, s'appuyant sur les maisons depuis le Gymnase, la maison du
Pont-de-Fer, l'hôtel Saint-Phar, et aussitôt un feu roulant s'exécute sur les
maisons et sur les personnes qui se trouvent au côté opposé, depuis la rue
Saint-Denis jusqu'à la rue Richelieu. Quelques minutes suffisent pour couvrir
les trottoirs de cadavres" ... Un autre : "... Les glaces et les
fenêtres de la maison du Pont-de-Fer furent brisées. Un homme qui se trouvait
dans la cour était devenu fou de terreur. Les caves étaient pleines de femmes
qui s'y étaient sauvées inutilement. Les soldats faisaient feu dans les
boutiques et par les soupiraux des caves. De Tortoni au Gymnase, c'était comme
cela. Cela dura plus d'une heure. » Hugo,
Napoléon
le petit.
Puis le fameux Bazar général des voyageurs s'y
installe en octobre 1855. Il y avait aussi, bien sûr, un café ; dans les années
1873-74, un groupe d'environ 25 républicains (donc illégal, il faut se déclarer
au-dessus de 20) de "tendance gambettiste" selon la police, s'y
réunit tous les soirs. Quand, en 1882, naît un "journal républicain
indépendant", Le Matin, qui s'installe au 1, rue des Panoramas, le café prend
son nom ; il le porte toujours.
-15, bd Poissonnière, PLU :
immeuble de rapport de style néo-Louis XVI.
- 20, bd Poissonnière, PLU :
fin monarchie de Juillet, pour Marquis, chocolatier établi passage des
Panoramas et rue Vivienne ; garde-corps des balcons en fonte ; certains des
« grands et beaux appartements bien décorés » des étages, décrits ainsi en
1852, subsistent en partie ; cour exceptionnelle : ornements,
fontaine.
- 17, bd Poissonnière, PLU :
propriété de M. d’Ailly au 18e, antérieure à l’ordonnance
d’alignement de 1826 ; un passage latéral dessert la cour.
- 19, bd Poissonnière, PLU :
hôtel élevé sur terrain acquis en 1788 pour Cousin de Méricourt, ancien
caissier des Etats de Bourgogne ; 5 niveaux d’origine, surélevé au 19e ;
garde-corps en fer forgé à motifs d’ogives sur les trois balcons filants, porte
en ferronnerie à motifs de couronnes de lauriers.
-
24, bd Poissonnière, PLU : immeuble de rapport 1792, porte
monumentale ; à l’arrière, rez-de-chaussée et 1er étage fin 18e surélevés
au 19e.
- 26, bd Poissonnière, PLU :
immeuble de rapport 1792, même architecte que n°24, figures féminines sous
l’attique, formant frise.
- 21, bd Poissonnière, PLU :
immeuble de rapport à façade Louis XVI, réputé avoir été construit pour
son compte par le maître maçon Trou qui construisait le n°19.
- 25, bd Poissonnière, PLU : vers
1788-89 par une famille de la noblesse auvergnate sur le jardin de leur hôtel
de la rue Montmartre ; au 1er étage subsiste un décor intérieur
sculpté et décoré ; garde-corps en fonte à motifs de navettes 19e
s.
Chopin se domicilie au 27, la
plaque est sur 25. Il a 21 ans, il s'est réfugié à Paris après la chute de
Varsovie.
Frédéric Chopin, sera le dernier à profiter – et à nous en
transmettre le souvenir – de la vue que l’on a de ce balcon de Paris qu’est la
façade méridionale du Boulevard. Au-dessus du trottoir, qui commence à
remplacer les bas-côtés de terre battue simplement séparés de la chaussée par
de grosses bornes de pierre, et plus haut que ses deux rangées d’arbres, Chopin
s’installe à l’automne de 1831 dans l’immeuble du Grand Bazar de l’Industrie française, au coin de la rue Montmartre.
« Dans mon cinquième étage (j’habite boulevard Poissonnière n° 27) – tu ne
pourrais croire combien est joli mon logement ; j’ai une petite chambre au
délicieux mobilier d’acajou avec un balcon donnant sur les boulevards d’où je
découvre Paris de Montmartre au Panthéon et, tout au long ce beau monde. Bien
des gens m’envient cette vue mais personne mon escalier. »
-29, bd Poissonnière (et 178, rue
Montmartre), PLU : immeuble de rapport typique haussmannien.
- 32, bd Poissonnière / 2, rue du
fbg Montmartre, PLU : façade d'aspect premier tiers du 19e
siècle, balcon filant conservé sur l’étage d’attique.
En face du balcon de Chopin, le Brébant, à l’angle des 32, boulevard
Poissonnière et 2, rue du Faubourg-Montmartre, est un autre des restaurants
fameux du Boulevard. C’est là que Flaubert fait déplacer la « société Magny » après les décès de
Gavarni et de Sainte-Beuve.
- 2, bd Montmartre/1, rue du fbg
Montmartre, PLU : immeuble de rapport 1839, grilles de porte et balcons en
fonte Louis-Philippe.
1, bd Montmartre/169, Montmartre,
PLU : façades début 19e, remarquables garde-corps.
3, bd Montmartre, PLU : 1844,
garde-corps en fonte ouvragée.