Cet après-midi-là Aragon fut rue de Bretagne; Jules Vallès allait à la Corderie


L'occasion de ce parcours est une emmenée promener autour de la librairie Publico, 145 rue Amelot dans le 11ème.

1925. Meurisse. Gallica
- Théâtre du Château d’Eau (plus tard Alhambra), 50 rue de Malte. Y est donné, en mars 1871, un vaudeville, Le Procès des francs-fileurs, d’après le qualificatif inventé par le Tintamarre pour ceux qui, lors du siège de Paris, avaient prudemment fui en province ou à l’étranger.
- Alhambra (puis "Alhambra Maurice Chevalier"), 50 rue de Malte (démoli en 1967; l'actuel parking souterrain y porte encore ce nom d'Alhambra). En 1936, Gilles et Julien y chantent « La Belle France : il était question de bleuets et de coquelicots, on aurait dit du Déroulède » ironise Simone de Beauvoir, mais ils ont aussi à leur répertoire La chanson des 40 heures.

Des bâtiments contemporains de Marie Dorval au soir d'Antony, le 3 mai 1831 :
- 21, rue Meslay, PLU: maison de la première moitié du XIXe  siècle, dernier étage en retrait desservi par un balcon filant. Balcon central de deux travées au second étage soutenu par de puissantes consoles. Persiennes.
- 22, rue Meslay, (en face du 21) PLU: accès cocher d'une grande cour pavée très régulière (formant un rectangle) de l'immeuble de rapport de style néo-classique, fin 18ème, du 15 bd St-Martin.
- Au n°19, maison du début du XIXe siècle. La façade est encadrée de deux chaînes. Le décor du rez-dechaussée simule un faux appareil. Porte cochère.
- 18, rue Meslay, PLU: 1ère moitié du 19ème, arrière du 11 boulevard Saint-Martin, donnant sur la large cour pavée comportant deux anciennes fontaines en fonte.
- n°17, PLU: remarquable grande maison Louis-Philippe présentant un riche décor de moulures inspiré de la Renaissance française et un grand balcon en pierre sculpté desservant les trois travées centrales de l'étage noble. Oeuvre non attestée de Ballu (construit sur un terrain propriété de Ballu père).

- Appartement de Marie Dorval, 15 rue Meslay. Là qu’on raccompagne l'actrice le soir d’Antony. Voir la balade Hugo en anarcho-autonome dans le ravin du bd Saint-Martin.
 (Elle quittera l'adresse pour le 44, rue Saint-Lazare, en 1833, avec Alfred de Vigny, sa nouvelle liaison. Puis, en octobre 1835, Marie Dorval, la Kitty Bell de Chatterton, drame en prose que Vigny a écrit pour elle, emménagera au 1er étage du 40, rue Blanche, parce qu’il y là pavillon d’écurie et remise où la voiture et les chevaux qu’elle possède désormais pourront trouver place).
George Sand la connaît après Indiana, en 1832 ; elle lui écrit, Marie Dorval accourt (elle a 34 ans, Sand six de moins), long portrait dans Histoire de ma vie : « Elle était mieux que jolie, elle était charmante ; et cependant elle était jolie, mais si charmante que cela était inutile. Ce n'était pas une figure, c'était une physionomie, une âme. » C'était une époque où « se manifestait un paroxysme de passion peu voilé », où l'on aimait les poitrinaires parce que leur amour était plus brûlant, où l'on ouvrait les tombes pour revoir l’aimé. On connaît des lettres enflammées de Sand, de Vigny à Marie Dorval, datées de 1833-34, et de l'une, de Vigny, Léon Séché écrira qu'elle est « l’acte d’un malade et d’un fou » : « Il fallait vraiment que Vigny eut perdu la raison pour avoir écrit la lettre qui commence par « Pour lire au lit » ». Cette lettre a été détruite en 1913.
D'autres maisons contemporaines de ce temps de feu :
- 14, rue Meslay (en face du 9), arrière du 3 boulevard Saint-Martin, PLU: Immeuble de rapport de la fin du XVIIIe siècle.
- 11, rue Meslay, PLU: Grande maison à loyer vers 1800 présentant une façade néo-classique très bien conservée. La façade est bornée par deux chaînes d'angle. Le rez-de-chaussée est orné de refends. Trait de refends dans l'enduit sur le reste de la façade. Garde-corps à motif de losanges. Persiennes ajoutées ultérieurement. Hiérarchisation de la taille des baies en fonction des étages. Porte cochère surmontée d'un fronton triangulaire inspirée par Ledoux et ouvrant sur une cour pavée. Escalier à barreaux ronds sur limon conservé.

- Fédération de la Seine du Parti Socialiste S.F.I.O., 7 bis rue Meslay. C’est du même coup l’adresse de la Librairie fédérale, et aussi le siège d’une coopérative de production et de distribution de films, l’Equipe, créée vers février 1937.
Le 16 mars 1937, une militante du 18e arrondissement de la Gauche révolutionnaire, la tendance de Marceau Pivert, sera parmi les six victimes de la police de Marx Dormoy, à Clichy. « Les forces de police tirant sur les ouvriers antifascistes, et sous un gouvernement du Front populaire à direction socialiste, est-ce la rançon de la politique de confiance exigée par les banques ? » demande sur les murs de Paris une affiche de la Gauche révolutionnaire, qu’en réponse la police va lacérer, tandis que le PS aura interdit la tendance dès la fin d’avril. Désormais sans nom, les amis de Pivert n’en auront pas moins conquis la direction de la Fédération de la Seine neuf mois plus tard. C’est alors sa Fédération de la Seine toute entière que la direction du PS dissout, le 11 avril 1938. Les dissous s’entêtent et se maintiennent de force dans les locaux de la rue Meslay : « Ils veulent la dissolution pour mieux trahir, nous répondons, la Fédération continue », affirme Juin 36, leur hebdomadaire. Mais ils s’inclineront devant le congrès qui, en juin, confirme la dissolution. Marceau Pivert y annonce alors la création du Parti Socialiste Ouvrier et Paysan (PSOP).
Dans cette même rue, les Gerhardt, réfugiés antinazis, ouvrent en 1933 une librairie qui sera un lieu de rencontre d’immigrés politiques allemands.

- les Editions Sociales, 168, rue du Temple, dans les années 1970 encore. S’y trouve aussi La Pensée, revue du rationalisme moderne.
On descend la rue Turbigo pour passer devant la rue du Vertbois:

- table d’hôte de la mère Caviole, rue du Vertbois. C’est la cantine du noyau de la Révolution prolétarienne, alors rue du Château d’eau : Monatte, Robert Louzon quand il passe à Paris, le Dr Louis Bercher, médecin de la marine marchande qui signe J. Péra, Daniel Guérin.

Puis par le passage Ste-Elisabeth, le long d'une église que l'on doit au maître-maçon Michel Villedo, dédiée à sainte Élisabeth de Hongrie et à Notre-Dame de Pitié, consacrée en 1646 par Jean-François Paul de Gondi, futur cardinal de Retz, alors coadjuteur de l'archevêque de Paris (MH), on rejoint la :

Rue Dupetit-Thouars. Atget. Gallica
- salle du 10 rue Dupetit-Thouars. (Et 22, rue de la Corderie), PLU: Maison d'angle vers le milieu du XIXe  présentant une façade bien proportionnée composée de sept travées sur la rue Dupetit Thouars et de deux travées principales sur la rue de la Corderie et de trois étages carrés sur rez-de-chaussée. Des bandeaux séparent les étages. Persiennes en bois.
C'est dans cette salle que juste après l’armistice de 1918, la Muse Rouge vient se produire. (Voir pour ce groupe la balade Hugo en anarcho-autonome dans le ravin du bd Saint-Martin). La Muse Rouge y sera de retour une douzaine d’années plus tard, quand déclarée par le PC « en dehors du mouvement culturel de lutte de classe », elle aura été chassée de la Maison Commune, devenue communiste, du 3e arrondissement.
La Muse Rouge aura son siège entretemps à l’Union des coopératives, (voir plus bas).

- 16, rue de la Corderie, siège du Parti Socialiste (SFIO) en 1910. PLU : Maison ancienne présentant une façade composée de quatre travées principales et d'un étage carré sur rez-de-chaussée. Persiennes. Lucarnes en "chiens assis". Passage cocher ouvrant sur une cour.

Le 2, rue de la Corderie. Atget. Gallica
- L’Assommoir, 6 place de la Corderie-du-Temple (auj. 14, rue de la Corderie), au rez-de-chaussée. Le cabaret était connu dans tout l’arrondissement sous ce nom, même s’il n’en portait aucun ; il inspirera Zola, dont le roman éponyme, publié en feuilleton en 1876 dans le Bien public, propriété d’Emile Menier, le célèbre chocolatier, sera immédiatement accusé « d’insulter la classe ouvrière », et sa publication interrompue pour ne se poursuivre qu’avec des coupures, un mois plus tard, dans la République des lettres dirigée par Théodore de Banville.

- Bal Montier, 6 place de la Corderie-du-Temple, au 1er étage. S’y réunissaient jusque vers 1858, trois sociétés chantantes, les mardi, jeudi et samedi, au public exclusivement composé d’ouvriers. Dans celle dite Les Enfants du Temple, le jeudi, sous la présidence de Dalès aîné, se retrouvaient les chansonniers Auguste Alais, horloger, Eugène Baillet, ouvrier bijoutier, Charles Colmance, graveur sur bois pour impression sur étoffes, qui y chanta l’anticolonialiste Chant de l’Arabe vers 1850, Charles Gilles, coupeur de corsets, Gustave Leroy, brossier, Victor Rabineau, sculpteur marbrier.

- Chambre Fédérale des sociétés ouvrières, 6 place de la Corderie-du-Temple. Formée entre mars et décembre 1869, elle réunit les principales sociétés ouvrières de la capitale ; tous ses animateurs, dont Varlin, sont des Internationaux. Elle siège à la « Corderie ».
Il a fallu une décennie, après la répression des années 1850, pour que des grèves éclatent à Paris, les plus retentissantes étant, de 1862 à 1864, celles des typographes. Elles ont été sanctionnées de peines sévères mais l’empereur a ensuite accordé sa grâce, et demandé au Corps Législatif de voter une loi abolissant le délit de coalition (de grève), ce qui sera fait au printemps 1864. Les bronziers se mettent en grève dès l’année suivante sur la durée du travail. Si le droit de coalition a été acquis, le droit d’association (de se syndiquer) n’existe toujours pas, et les délégations ouvrières à l’Exposition de 1867 revendiqueront le droit de constituer des chambres syndicales. L’Empire, sur sa fin, laisse à peu près faire, tandis qu’il impulse une Caisse des Invalides du Travail - où siège le coupeur de chaussures Jacques Durand, futur membre de la Commune -, et que préfectures et municipalités développent des Sociétés de Secours Mutuels qui vont intégrer 15 à 20% de l’effectif ouvrier. De nombreuses grèves visent à obtenir un droit de contrôle, voire de gestion, des caisses de secours qu’alimentent les amendes dont les ouvriers sont frappés. La Chambre des cordonniers, sans doute la première en ce domaine, a dès 1866 des statuts prévoyant, en leur article 2, que les ouvrières seront consultées, et qu’elles exerceront le même ordre de contrôle que les hommes. La tolérance est quasi officialisée en août 1868, et les grèves de 1868-1869 vont multiplier les chambres corporatives.
Une Fédération des sections parisiennes regroupe, le 3 mars 1870, des sections qui se sont constituées par quartier à côté de la fédération de métiers. Le 4 septembre 1870, les délégués des chambres syndicales ouvrières, les membres de l’Internationale et les socialistes les plus connus comme orateurs des réunions publiques se réunissent place de la Corderie. Ils adoptent une adresse au peuple allemand, à la fois aux autorités pour les prendre au mot de leurs déclarations de non ingérence, et aux ouvriers allemands pour les conjurer de cesser de prendre part à cette lutte fratricide. Mais comment la diffuser largement à l’armée allemande ? La réunion nomme aussi une délégation pour aller à l’Hôtel de Ville assurer la Défense nationale de son concours, sous réserve d’un certains nombre de conditions, dont la deuxième est « la suppression de la préfecture de police et la restitution aux municipalités parisiennes de la plupart des services centralisés à cette préfecture ». La délégation sera reçue à 1 heure du matin par Gambetta pour l’entendre multiplier des promesses vagues.
Dans l’intervalle, l’assemblée a également décidé de susciter 20 comités d’arrondissement, ou comités républicains de vigilance, élus dans les réunions populaires de leur arrondissement et qui, par l’envoi de quatre délégués chacun, constitueraient un Comité Central. Celui-ci sera sur pieds dès le 11 septembre et s'installera à la Corderie. Trois jours plus tard, il fait placarder un avis, - « Le Comité central républicain des 20 arrondissements aux Citoyens de Paris », signé Cluseret, Napoléon Gaillard, Charles Longuet, Benoît Malon, Edouard Vaillant, Jules Vallès, entre autres -, qui reprend les conditions portées par la délégation, dont le premier est maintenant « Supprimer la police telle qu’elle était constituée sous tous les gouvernements monarchiques pour asservir les citoyens et non pour les défendre ».

- section parisienne de l’Internationale, 6 place de la Corderie-du-Temple, 3e étage. Elle s’installe ici après la rue des Gravilliers : « Connaissez-vous, entre le Temple et le Château-d’Eau, pas loin de l’Hôtel de Ville, une place encaissée, tout humide, entre quelques rangées de maisons ? Elles sont habitées, au rez-de- chaussée, par de petits commerçants, dont les enfants jouent sur les trottoirs. Il ne passe pas de voitures. Les mansardes sont pleines de pauvres !
On appelle ce triangle vide la Place de la Corderie.
C’est désert et triste, comme la rue de Versailles où le tiers état trottait sous la pluie ; mais de cette place, comme jadis de la rue qu’enfila Mirabeau, peut partir le signal, s’élancer le mot d’ordre que vont écouter les foules.
Regardez bien cette maison qui tourne le dos à la Caserne et
jette un œil sur le Marché. Elle est calme entre toutes. – Montez !
Au troisième étage, une porte qu’un coup d’épaule ferait sauter, et par laquelle on entre dans une salle grande et nue comme une classe de collège.
Saluez ! Voici le nouveau parlement !
C’est la Révolution qui est assise sur ces bancs, debout contre ces murs, accoudée à cette tribune : la Révolution en habit d’ouvrier ! C’est ici que l’Association internationale des travailleurs tient ses séances, et que la Fédération des corporations ouvrières donne ses rendez-vous. » Ainsi la décrivait Jules Vallès, dans le Cri du Peuple du 27 février 1871, repris dans L’Insurgé.
Le 21 mars 1871, le Comité central républicain, réuni à la Corderie, entend Camelinat, Malon, et Vaillant faire le point de la situation, qui conduit, deux jours plus tard à un appel, « Aux urnes, citoyens ! », signé aussi par Eugène Pottier et Vallès.
Le cortège funèbre de Paul et Laura Lafargue, née Marx, à la fin de novembre 1911, derrière des corbillards chargés d’immortelles rouges, est parti de la Corderie. Par la rue des Fontaines, et la rue du Temple, il monte vers le père Lachaise. Jean Longuet, leur neveu, le fils de Jenny Marx (deux des filles de Karl ayant épousé des internationalistes parisiens: « Le dernier proudhonien et le dernier bakouniniste, que le diable les emporte ! », bougonnait le papa), marche en tête de 15 000 personnes ; Alexandra Kollontaï y représente le bureau étranger du parti socialiste russe, Lénine le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie. Lui qui ne parle jamais français en public fera pour ces funérailles sa seule exception.
Les 3 et 5 rue Béranger vus de la rue Charlot. 1898. Atget. Gallica. Remarquez sur le mur pignon la trace des fenêtres qui avaient donné sur la basse-cour de l'hôtel Bergeret de Frouville

- 3 rue Béranger, restes de l'Hôtel Bergeret de Frouville, 1720, qui semble aujourd'hui ne former qu'un seul ensemble architectural avec l'immeuble voisin dit hôtel de la Haye, du fait de leur acquisition à la fin du 19e siècle par la Ville de Paris. La symétrie dans la composition des deux hôtels semble avoir été voulue dès l'origine. Au 18e siècle, une basse-cour entourée de bâtiments s'étendait au sud, à l'emplacement de l'actuelle rue de la Franche-Comté. On voit aujourd'hui à cet endroit un vaste mur pignon où l'on devine encore les anciens percements de la façade sur la basse cour de l'hôtel. A noter, à l'intérieur, le bel escalier à rampe en fer forgé inscrit à l'Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1925 ainsi que de fort belles caves voûtées assez semblables à celles de l'hôtel de la Haye au 5 rue Béranger.
- 5, rue Béranger, donnant sur 2 rue de la Corderie. Hôtel de 1720. Son état actuel est fort semblable à la description qui en est faite en 1776. L'entrée de l'hôtel se fait par une très belle porte monumentale, inscrite sur l'Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1926. A l'intérieur de l'hôtel subsistent un très bel escalier déjà inscrit en 1926, ainsi que de très belles caves voûtées transformées en réfectoire. Du très beau décor intérieur, il subsiste un ensemble de boiseries fin 18e siècle, dans une pièce du premier étage dans l'aile de droite. Ce serait dans cette pièce que Béranger serait mort, après y avoir vécu 3 ans, le 16 juillet 1857. Il était né rue Montorgueil, « Dans ce Paris plein d’or et de misère, / En l’an du Christ mil sept cent quatre-vingt, / Chez un tailleur, mon pauvre et vieux grand-père ». Il avait été admis, en 1813, comme membre du Caveau Moderne, ou Rocher de Cancale, qui se réunissait chez le marchand d’huîtres de la rue ; il avait été, sous la Restauration, « un poète libéral, le seul vrai », dirait Sainte-Beuve. Béranger avait sous-titré sa Conspiration des chansons d’un Instructions ajoutées à la circulaire de M. le Préfet de Police concernant les réunions chantantes appelées goguettes. Au moment où il meurt, d’autres chansonniers, dont Louis-Charles Colmance, se réunissent dans une goguette de la rue, dite Les Épicuriens. Et au n° 10 habite Frédérick Lemaître.
On remarque également dans certaines pièces des vestiges de corniches à rinceaux et rubans, ainsi qu'à l'entrée de la cave un très beau bas-relief représentant un jeune Bacchus (inscrit à l'Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1926).

1901. Atget. Gallica
- fontaine Boucherat : MH : Édifiée en 1697 par l’architecte parisien Jean Beausire, elle porte le nom du chancelier Louis Boucherat.

- Union des coopératives, immeuble situé 29-31 bd du Temple et 85 rue Charlot (auj. annexe de la Bourse du Travail). Acquise au début de 1919, grâce au concours financier du Magasin de Gros, de la Verrerie ouvrière d’Albi et de la Bellevilloise, cette Maison de la Coopération remplace le siège installé auparavant au 13, rue de l’Entrepôt, dans le 10e. Suivant les résolutions du congrès coopératif de 1912, qui préconisaient la fusion, l’opération s’est faite avec La Prolétarienne du 5e, l’Avenir social du 2e, et la Bercy-Picpus, tandis qu’est en cours un rapprochement avec l’Economie parisienne du 3e, La Lutèce sociale, et l’Union des coopérateurs parisiens. L’Union des Coopératives compte maintenant 39 168 sociétaires, emploie 1 398 personnes et possède 230 établissements à Paris, en banlieue et dans l’Oise, y compris trois colonies de vacances et trois entrepôts. Rien qu’au cours de l’année écoulée, ont été ouverts à Paris, quatre restaurants, sept épiceries et trois boucheries. Une blanchisserie est désormais commune à l’Union des coopératives, à la Bellevilloise, à l’Union des coopérateurs parisiens et aux restaurants ouvriers de Puteaux.
L’assemblée générale de 1919 vote une subvention de 500 F en faveur de la Fédération sportive du Travail (FST), et la création d’un challenge de 3 000 F ; et une autre subvention à l’Ecole coopérative. Elle entérine la création en faveur des sociétaires, de cartes de réduction pour le Théâtre Antoine et pour le Cirque d’hiver. Elle se préoccupe de l’organisation d’une bibliothèque centrale à la Maison de la Coopération, que doublerait une bibliothèque circulante. Un restaurant et une brasserie y sont déjà installés, là où étaient Bonvalet et le café Turc son voisin. Elle vérifie le fonctionnement du bulletin de l’Union des coopératives, tiré à 28 000 exemplaires. Clamamus, député-maire de Bobigny, est membre de sa Commission de surveillance.
La Muse Rouge y a son siège dans les années 1920, après qu’elle a quitté la salle Jules. La société chantante organise toujours des fêtes pour les organisations d’avant-garde ; elle édite aussi, sous un titre éponyme, une « revue de propagande révolutionnaire par les arts ». Le 21 février 1931, son assemblée générale se prononce, à la majorité des membres, contre l’adhésion à la FTOF qui lui a été proposée. La sanction ne se fait pas attendre : un mois plus tard, l’Humanité demande à toutes les organisations que le parti influence de ne plus faire appel au groupe qui, par son refus, s’est placé « en dehors du mouvement culturel de lutte de classe ».

1928. agence Meurisse. Gallica
On revient sur nos pas, en descendant vers le carreau du Temple. L’enclos du Temple, avec son église, son couvent, son cloître, ses vastes cours meublées d’hôtels particuliers et de maisons d’artisans, était une ville à part dans Paris, presque un État, jouissant de privilèges spéciaux, d’une justice, d’une police, d’une voirie particulières. C’est de ces atouts qu’entendit profiter la spéculation qui y construisit « La Rotonde » en 1788, galerie ovale de quarante-quatre arcades s’ouvrant devant des boutiques dont le logement était à l’entresol, tandis que les étages supérieurs étaient faits de petits appartements.
Le donjon du Temple a été abattu dans le même temps et quatre hangars construits devant la rotonde, faisant de l’ensemble un colossal marché aux puces : on les désignait des sobriquets pittoresques de Palais-Royal pour la mode, Pavillon de Flore pour le meuble, Pou-Volant pour la ferraille, et Forêt-Noire pour la chaussure. On n’y parlait à peu près que l’argot, et « être à court d’argent » s’y disait, au choix, « nib de braise » ou « nisco braisicoto ». En 1863, des halles type Baltard les remplacent, qui ne conservent qu'un vestige 8, rue Perrée.

1898. Atget. Gallica
- Le marché des Enfants-Rouges, Petit Marché du Marais en 1628, tira son nom ensuite de la proximité de l'Hospice des Enfants-Rouges créé par Marguerite de Navarre pour des orphelins dont l'uniforme était rouge. Il a été rénové à la fin des années 1990. MH.

- siège de la Fédération de Paris du parti socialiste, 49 rue de Bretagne. Au premier étage, une salle toute en longueur dotée d’une petite scène. Lénine y avait donné, le 21 mai 1909, à 20h30, sous l’égide du Club du Proletari, une conférence consacrée au « parti ouvrier et la religion ». Le dimanche 2 janvier 1910, il écrivait à sa sœur : « aujourd’hui même, je compte aller dans un cabaret pour une goguette révolutionnaire avec des chansonniers » (en français dans le texte), reprenant ainsi les termes mêmes d’un programme de la Muse Rouge, ce qui a fait penser à Robert Brécy que c’est elle qu’il allait voir, et ici. La salle Jules étant devenue trop petite, la Muse Rouge se produisait en effet rue de Bretagne depuis 1910, si son siège était resté boulevard Magenta.
André Breton, alors correcteur d’épreuves à la NRF, puis conseiller artistique du couturier Jacques Doucet, aux appointements de 800 francs par mois, nouveau « salarié » donc (il vient d’abandonner médecine à l’hôtel des Grands Hommes), s’en va, en compagnie d’Aragon, adhérer au Parti socialiste, comme l’on dit encore dans l’immédiat après-congrès de Tours : « Voilà, nous sommes à votre disposition, nous ne sommes pas des communistes, mais nous ferons ce que nous pourrons pour le devenir... » Mis en vers ensuite par Aragon dans les Yeux et la mémoire, ça aura beaucoup d’allure : « Il m’eût fallu une âme bien mesquine / Pour ne pas me sentir cet hiver-là saisi / Quant au Congrès de Tours parut Clara Zetkin / D’un frisson que je crus être la poésie (...) Cet après-midi-là je fus rue de Bretagne (...) Le ciel gris de Paris au sortir du local / J’errais Il y avait par là dans ce quartier / Le siège de la Première Internationale / On vient de loin disait Paul Vaillant-Couturier ». Sauf que ce jour de janvier 1921, d’y voir un « gros homme » nommé Georges Pioch, et son « espèce de fausse bonhomie » suffit à leur faire faire demi-tour.
Le restaurant de la Maison commune à midi

Quelque temps plus tard, c’est Hô Chi Minh qui vient profiter ici des goguettes de chaque premier dimanche des mois d’octobre à mai, où il retrouve ses amis Voltaire et Renan, vrais prénoms d’état civil des fils du gérant des lieux.
La Fédération Nationale des Cercles de Coopératives Révolutionnaires, qui s’est constituée en avril 1925 pour « le redressement et l’assainissement de la Coopération française au moyen de la Coopération révolutionnaire, lutte de classes, par opposition avec le Coopératisme dit de neutralité politique, imposé aux Coopératives de consommation » comme l’écrit Georges Marrane dans sa brochure, a fait triompher la ligne du parti au 49 rue de Bretagne. Quand, le 26 mars, l’Humanité publie une « Mise en garde contre le groupe la Muse Rouge », la Muse Rouge n’a plus qu’à quitter les lieux.

En face, au 46: Mairie du 3e arrondissement édifiée sous le Second-Empire. De style néo-Renaissance, la façade s'inspire des châteaux des XVIe et XVIIe siècles français et italiens. La partie la plus spectaculaire est l'escalier d'honneur se développant dans le hall d'entrée.
Ayant accédé au péristyle, le visiteur découvre un plafond concave décoré de bas-reliefs de Jean Lagrange. Dans les angles, les symboles des arts et des métiers; dans les caissons octogonaux, les différentes étapes de la vie du citoyen, et c'est pour les anars que l'on fait le détour : après La Naissance et Le Mariage, Le Vote y précède La Mort. Ils furent achevés en 1866.

- 90, rue des Archives, MH : Vestiges de l'ancienne chapelle Saint-Julien-des-Enfants-Rouges, de 1533.

78, rue des Archives. Atget. Gallica
- 78, rue des Archives (et 12 rue Pastourelle), MH : Ancien hôtel Amelot de Chaillou, ou hôtel de Tallard du 18ème siècle, de Pierre Bullet.

- 76, rue des Archives (et 19-21 rue Pastourelle), MH : Hôtel Le Pelletier de Souzy, de 1642.

70, rue des Archives. Atget. Gallica
- 70, rue des Archives, MH : Hôtel de Michel Simon ou de Montescot, de 1728.

- rédaction de la Scène Ouvrière, 68, rue des Archives, durant l’année 1931. L'ex hôtel Pomponne de Refuge, puis de Vougny à compter de 1728, fut le premier siège de la Fédération du Théâtre Ouvrier de France (permanence tous les samedis de 14 à 17h), dont le congrès constitutif avait eu lieu le 25 janvier 1931.
La création de la FTOF a mis à l’ordre du jour la transformation des troupes de théâtre amateur en groupes d’agit-prop, et instauré le sectarisme : le numéro 3 de la Scène Ouvrière, en mars 1931, lance à son tour l’anathème sur La Muse Rouge. Mais la revue a surtout pour rôle de fournir un répertoire : son numéro suivant propose une saynète, « A bas le sport bourgeois », qui a pour épilogue : « Travailleurs, le sport bourgeois est pourri, le sport bourgeois c’est le militarisme. Adhérez à votre organisation sportive de classe, à la FST. Formez des comités de spartakiade pour envoyer des délégués à Berlin en juillet. »  On y trouve encore un appel « Aux métallos ! », chœur parlé pour 12 à 20 personnes s’adressant à ceux de chez Citroën, Renault et Peugeot, qui scanderont « Vive le front unique des travailleurs ! A bas les chefs traîtres réformistes ! A bas la guerre contre l’URSS ! Vive l’unité syndicale de classe CGTU ! » Dedans, un portrait de M. Citroën, « qui perd 12 millions par nuit », deux ans avant les « actualités » que Prévert fournira sur le même thème. Enfin un autre chœur parlé, pour une douzaine de participants, proteste contre l’enlèvement du militant communiste N’Guyen van Tao par la police de Chiappe.

- en tournant rue Pastourelle, on marche entre les flancs de l'hôtel Amelot de Chaillou, ou de Tallard à gauche, et l'hôtel Le Pelletier de Souzy à droite, puis:

- 6, rue Pastourelle, MH : Immeuble dit hôtel Beautru de la Vieuville ou Bertin de Blagny, du 18ème siècle.

- 29, rue de Poitou (et 15, rue de Saintonge), MH : boulangerie de 1900. Le décor est d'une grande qualité ; il provient du célèbre atelier de décoration Benoist et Fils spécialisé dans le décor des magasins d'alimentation (1885-1936) ; l'installateur est Ripoche. La façade de la boutique se compose d'un coffrage de bois très simple, mouluré et décoré par quatre toiles peintes fixées sous verre : une inscription, un paysage (moulin), une semeuse et un moissonneur (ce panneau a été refait). L'intérieur est entièrement décoré dans ses parties hautes de toiles peintes fixées sous verre. Le plafond se compose d'un grand ciel délimité par un feston ; il rappelle un plafond de Watteau. Ce thème est très fréquent dans l'atelier Benoist ; aux angles, les quatre saisons sont représentées par des paysages... Deux autres fixés représentent la moisson et les semailles. Les corniches sont ornées de guirlandes de fleurs : anémones - roses - lilas. L'ensemble de ce décor est très caractéristique de l'atelier de Benoist. Le mobilier ancien subsiste : une caisse et deux dessertes de marbre.

- domicile de Karl Marx, 10 rue Neuve-de-Ménilmontant (auj. Commines). Marx y arrive en mars 1848 et y restera un gros mois ; il apporte avec lui le Manifeste communiste, qu’Ewerbeck veut se charger de faire traduire, à Paris, en italien ("Uno spettro s'aggira per l'Europa - lo spettro del comunismo.") et en espagnol ("Un espectro se cierne sobre Europa: el espectro del comunismo."), et il attend des fonds pour ce faire.

Les bâtiments contemporains de Marx:
- 14 rue Commines, PLU : Remarquable immeuble Louis-Philippe. Façade ornée au premier étage d'une serlienne à colonnes corinthiennes que surmonte un fronton. Garde-corps en fonte à motifs de palmette. La porte cochère avec ses vantaux en bois sculptés et une belle imposte en fonte, est encadrée de pilastres doriques laurés. Le passage-vestibule, voûté d'arêtes, a conservé une torchère dans une niche. L'aile de droite renferme un grand escalier dont les barreaux sont parfaits en leurs extrémités d'un motif végétal qui s'enroule sous la main courante. Remarquable revers de la façade sur rue avec un balcon au premier au-dessus de l'entresol. La cour, aujourd'hui parasitée, se terminait par un mur en hémicycle avec une fontaine.
-16 rue Commines, PLU : Immeuble de la première moitié du XIXe siècle présentant une façade en avant-corps bornée de refends composée de quatre travées et de trois étages carrés sur rez-de-chaussée. Le rezde-chaussée simule un faux appareil de pierre. Décor de pilastres au troisième étage. Dais sur consoles au-dessus des fenêtres du premier étage. Chambranles moulurés. Persiennes. Porte piétonne et fenêtre du rez-de-chaussée en plein cintre. Corniche à modillons à la retombée du toit.
- 19 rue Commines, PLU : Immeuble de rapport Louis-Philippe construit par l'architecte Villemsens en 1847 et présentant une façade en pierre de taille composée de cinq travées et de quatre étages carrés sur rez-de-chaussée. Elle est percée de baies aux embrasures biaises peu courantes.

- le café Schiever, passage Saint-Pierre-Amelot. Un lieu de réunion de la Ligue des justes, le café Schiever, était juste de l’autre côté du boulevard des Filles-du-Calvaire, passage Saint-Pierre-Amelot dans le 11e arrondissement.

- bistrot et goguette, rue de la Folie-Méricourt, face à la cité Popincourt. A la fin de 1933, Lazare Fuchsman, l’un des membres du groupe Octobre, y vit arriver Jacques Prévert vêtu d’une soutane, et se mettre à tenter de ramener à Dieu tous les enragés communistes présents. Après quoi, naturellement, tout finit par des chansons.

De la Mouffe à la Mutu

L'occasion de ce parcours a été une balade menée pour l'Arbre à lettres Mouffetard de la rue Édouard Quenu.
En 1899. Atget. Gallica

En 1926. Agence Meurisse. Gallica

- les Temps nouveaux, 4 rue Broca (auj. Edouard Quenu). La revue anarchiste s’est installée là au début de 1902. Pierre Monatte y succède, à la rubrique syndicale, à Paul Delesalle, avant de céder sa place au docteur Marc Pierrot. Hebdomadaire de grand format, paraissant le samedi, puis bi-mensuel, ses quatre pages passeront à huit en 1904, et il gardera inchangé son supplément littéraire, aussi volumineux que lui jusqu’à cette date, auquel collabore Lucien Descaves, académicien Goncourt, et richement illustré de dessins, portraits, lithos de camarades artistes anarchistes comme Signac, Pissarro ou Luce. Il compte environ 1 100 abonnés et 4 000 acheteurs au numéro. Des cartes postales, qui reprennent les illustrations d’artistes du supplément, soixante-douze brochures éditées à plusieurs milliers d'exemplaires, complètent son activité éditoriale. Le responsable de ces brochures, justement, Charles Benoît, manquera à la déclaration de guerre, en 14, d’être jeté dans la Seine, par-dessus le pont d’Austerlitz, par une foule qui voit dans tout pacifiste un probable espion allemand. Autant dire que les Temps nouveaux n’arriveront plus à paraître après le 8 août 1914.

- on évoque le banquet réformiste du 12e, rue Pascal. Le banquet réformiste des typographes, l’une des nombreuses sociétés ouvrières que compte le 12e arrondissement d'alors, est prévu pour le dimanche 19 janvier 1848, à midi, "rue Pascal, établissement des Cordeliers" dit la demande au préfet de police, à 3 francs par tête, les invités étant soit électeurs, soit membres de la Garde Nationale. La réforme que l’on demande alors, avec l’opposition dynastique, dont Odilon Barrot est la figure la plus connue, comme avec l’opposition républicaine des journaux Le National (3 000 abonnés) et La Réforme (2 000 abonnés), où se côtoient Ledru-Rollin, Marc Caussidière, et Bakounine durant son séjour parisien, est celle d’un élargissement du système censitaire de 240 000 à environ 500 000 personnes. Après le refus notifié par un commissaire de police qui parle, lui, d'un "local situé rue Pascal, aux Cordelières" [disons donc quelque part en face de l'hôpital Lourcine qui deviendra Broca], et pour apaiser les craintes de l’opposition dynastique, il est décidé de repousser le banquet sur la colline de Chaillot, un mardi midi, à 6 francs par tête ! Malgré quoi on allait passer, ce 22 février-là, de la réforme à la révolution.

- Le Révolté, La Révolte, 140 rue Mouffetard. Le titre, qu’Elisée Reclus a confié à Jean Grave, arrivé ici de Suisse à la fin de 1883, y change de nom : « une vieille maison un peu basse du vieux Paris, percée de fenêtres irrégulières, dont quelques-unes ont un étranglement de meurtrières. Et c’est tout au sommet, dans cette mansarde qui fait une petite maison, qu’est posé ce nid d’anarchistes, en plein vent et en plein ciel, comme un nid d’hirondelles... », écrira L’Illustration du 2/3/1889, citée par Jean Maitron. Jean Grave, bientôt connu comme « pape de la rue Mouffetard », porte sinon la soutane, du moins la longue blouse noire des typos qu’il n’a jamais quittée.
Aux élections de 1885, Elisée Reclus accepte de figurer sur la liste de Lissagaray, et dans le même temps il écrit à Jean Grave une lettre que publie la Révolte du 11 octobre, et que le groupe de propagande anarchiste de Paris colle en affiche électorale, qui conseille : « Ne votez pas ! Au lieu de confier vos intérêts à d’autres, défendez-les vous-mêmes, au lieu de prendre des avocats pour proposer un mode d’action future, agissez. » Jean Grave en prison à Sainte-Pélagie, c’est Paul Reclus qui administre la Révolte à sa place, et qui y défend le vol, partage expéditif sans doute mais partage tout de même. Le titre compte 767 abonnés pour la France entière en 1894. Il devient Temps Nouveaux (un nom trouvé par Kropotkine), avec le numéro du 4 mai 1895, aucun journal n’ayant vu le jour depuis quatorze mois en conséquence des lois hyper-scélarates. Pierre Monatte, à 19 ans, en visite à Paris à l’occasion de l’exposition universelle de 1900, y passe et y rencontre Jean Grave, Emile Pouget, Paul Delesalle. Il y retournera pour y écrire dès qu’il s’établira dans la capitale, deux ans plus tard.

- restaurant, 117 rue Monge, épicerie, 1 rue Laplace, deux établissements de l’Union des coopératives, en 1919.

- le Paria d’Hô Chi Minh, 3 rue du Marché des Patriarches. C’est la seconde adresse de cette « Tribune des populations des colonies », qui deviendra « Tribune du prolétariat colonial » au début de 1924, mensuelle, bi-mensuelle, enfin à parution irrégulière quand le futur Hô Chi Minh la dirigera de Moscou. Nguyên Ai Quôc le rédigera presque seul, à l’exception de quelques articles du leader syrien Rachid Rida, de Marcel Cachin et d’Hadj Ali Abdel Kader, le fondateur du Parti communiste algérien, durant ses 38 numéros, entre 1922 et 1926.

- domicile de Pierre Monatte, 22, rue Daubenton. Après la rue Cuvier dont il a été déménagé « à la cloche de bois », Monatte habite ici des premiers jours de 1908, en même temps qu’il devient correcteur à l’imprimerie de la CGT, jusqu’au début d’août, quand il en a prudemment découché, si bien que la police passe en vain l’arrêter après la tuerie de Villeneuve-Saint-Georges, avant de filer en Suisse, moustache rasé et vêtu de la redingote de son avocat. Son domicile est aussi le siège de L’Action directe, qui réunit Griffuelhes, Merrheim, Pouget, Delesalle, Dunois et quelques autres, de son premier numéro, qui paraît le 15 janvier 1908, jusqu’à ce même mois d’août, après quoi l’hebdomadaire poursuivra sa courte carrière 122 quai de Jemmapes jusqu’à son trente-deuxième et dernier numéro daté du 3 octobre.

- Institut pour l’étude du fascisme (Institut zum Studium des Faschismus ou INFA), 25 rue Buffon; contrôlé par le Komintern, financé par les syndicats français, des intellectuels et universitaires, Arthur Koestler en est le pilier en 1934 et y mange le midi une énorme bolée de soupe aux pois qui est la bienvenue. Manès Sperber et le critique d'art yougoslave Oto Bihalji-Mérin en sont avec lui les figures les plus connues.

- La Prolétarienne du 5e, 76 rue Mouffetard (auj. Bibliothèque Mouffetard-Contrescarpe) Coopérative fondée vers 1900. Cet immeuble avec salle de réunion est aussi le siège de l’Université populaire l’Union. Les militants de la revue le Mouvement socialiste – des coopérateurs comme Xavier Guillemin et Alfred Hamelin, le philosophe Marcel Mauss, l’ingénieur agronome Philippe Landrieu, et Georges Sorel – y enseignent, comme ils le font à La Semaille, l’Université populaire du 20e. A la Prolétarienne se tient aussi l’Ecole socialiste, fondée en 1901 autour de la Société nouvelle de librairie et d’édition de la rue Cujas. La 5e section du PS s’y réunit régulièrement en 1910. Lucien Herr, Léon Bloy, Jean Jaurès, Trotski, Lénine y donneront des conférences avec parfois Montéhus en première partie. Deviendra la Maison pour tous en 1922; pour cette période, cliquez ici.

- rue Mouffetard, ou rue du Faubourg Saint-Marceau. En 1837, Nadaud a des travaux « rue Mouffetard, quartier qui était alors un des plus pauvres et des plus sales de notre capitale, surtout dans les gargotes où nous devions prendre nos repas. » Le 7 septembre 1840, sommet d’un vaste mouvement de grève qui touche de nombreuses professions – « Jamais auparavant, on n’avait vu un mouvement d’une telle ampleur dans la classe ouvrière » écrit Le National -  les serruriers, mécaniciens et 1 200 ouvriers des filatures se réunissent rue Mouffetard. Le quartier est toujours le cœur de la pauvreté parisienne en décembre 1846 : pour un peu moins de 90 000 habitants, on y recense 14 605 indigents. C’est là que résident les émigrés Polonais après l’échec de leur révolution de 1830-31 : « Les Polonais, règle générale, sont tous du faubourg Saint-Marceau » affirme l’Education sentimentale. Le 23 Juin 1848, on comptera plus de soixante barricades rue Mouffetard, qui remonte alors jusqu’à la place d’Italie, où les carriers de Gentilly et d’Arcueil sont venus prêter main forte aux chiffonniers.
Quand il veut montrer par l’exemple comment on déménage en force plus encore qu’à la cloche de bois, c’est une lettre d’un « peinard du faubourg [Saint-]Marceau » que publie, en 1890, le Père Peinard, qui dé-sanctifie Marceau au passage : une douzaine de chevaliers de la cloche, alertés dans un bistrot où on sait les dégotter, rue Mouffetard, sont allés neutraliser Vautour ou son concierge « vers le boulevard Masséna, aux fortifs où perche la turne du copain. »

- le futur général Boulanger à l'oeuvre pendant la Semaine Sanglante : alors colonel, commandant le 114e de ligne, « à la tête de sa colonne, rue Mouffetard, il fut blessé grièvement par une balle de pistolet que lui tira, quasi à bout portant, un gamin de 10 à 12 ans qui était perché à cheval sur la botte d'une enseigne de cordonnier (l'enfant fut aussitôt abattu par la troupe) » selon le rapport du général Alfred Bocher. Une autre version nous en est rapportée dans les Mémoires d'un communard de Jean Allemane, qui situe l'incident rue du Pot de Fer Saint-Marcel : « atteint par une balle à l'épaule, le colonel Boulanger donne le signal de la retraite… » dans Thomas André, « Les enfants perdus de la Commune », Cultures & Conflits, 18, été 1995.

- caserne Mouffetard. Un officier lui demandant le chemin de la caserne Mouffetard, Nadaud l’y accompagne et voit « les soldats qui, des croisées de leur caserne, tendaient leurs fusils à la foule qui poussait des cris étourdissants de "vive la ligne !" » (voir plus bas)

- 5ème section du PC, 11 rue Gracieuse. Elle compte des ouvriers du bâtiment, des ouvriers du meuble du Faubourg Saint-Antoine, qui tous habitent rue Mouffetard, et le quincaillier Hadj Ali Abdel Kader, rédacteur au Paria sous les pseudonymes d'Ali Baba ou Hadj Bicot ["Hadj Ali fut ainsi un pionnier de la technique des opprimés renvoyant à la face des oppresseurs leur propre langage" souligne Ian Birchall], 1er candidat communiste pour les peuples des colonies aux législatives de mai 1924, qui fondera deux ans plus tard l’Etoile nord-africaine - pour « défendre les intérêts matériels, moraux et sociaux des Musulmans nord-africains » -, dont Messali Hadj prendra la direction en 1928.
La prison en août 1898. Atget. Gallica

- prison de Sainte-Pélagie, au coin de la rue Lacépède et de la rue de la Clef. Prison politique, de 1831 à 1895, elle verra passer tous les républicains, dont un certain nombre s’échappent le 12 juillet 1834 grâce à un souterrain « préparé par un long et pénible travail de deux mois » donnant rue Lacépède. Laurent Luquet, « le fondateur du parti républicain parmi les ouvriers de la Creuse », l’ami de Martin Nadaud, y a été enfermé pour 3 mois après sa participation à l’insurrection des 13 et 14 avril 1834 qui faisait suite à l’écrasement des canuts lyonnais. Proudhon, que cite La Batut,  écrit le 28 septembre 1849 : « Je sors une fois par semaine, ainsi que la plupart des détenus politiques qui se trouvent dans les prisons de Paris ». Le jour du coup d’Etat, le 2 décembre 1851, il est précisément de sortie mais comme il a donné sa parole qu’il regagnerait sa cellule, il répond à Victor Hugo qu’il n’est pas disponible pour défendre la République. Tous les représentants arrêtés au coup d’Etat y seront logés dans l’aile gauche, jusqu’à ce que l’Officiel leur apprenne qu’ils sont exilés à perpétuité. Dans la première période, c’est Nadaud qui aide Proudhon à allumer son poêle. Le règlement deviendra vite plus sévère sous le Second Empire.

Masses, n°4, avril 1933. Voir site de la Bataille socialiste
- mensuel Spartacus, 23 rue Mouffetard. Ici, Daniel Guérin réunit en 1933 les antifascistes allemands, ceux du SAP en particulier. René Lefeuvre, alors membre de la Gauche Révolutionnaire (dont le journal éponyme, qu’il dirige avec Marceau Pivert et Michel Collinet, siège ici), lance la collection en 1935. Les Cahiers Spartacus, publieront en octobre 1936, Seize fusillés : où va la Révolution russe ?, analyse des premiers procès de Moscou, ceux de Kamenev et Zinoviev, par Victor Serge, expulsé d’URSS, déchu de la nationalité soviétique. Un autre texte de Serge, Puissance et limites du marxisme paraîtra, au printemps 1939, et dans Masses, la revue de Lefeuvre, et dans Juin 36, l’organe de la fédération socialiste de la Seine. En août 1939, la police saisit la totalité de l’édition du cahier Spartacus que Juan Andrade consacre à l’assassinat d’Andreu Nin ; quelques jours plus tard, c’est la déclaration de guerre.

- salle d’Arras, ou salle des Ecoles, 3 rue d’Arras. Dans cet immeuble construit avant la guerre de 70 pour l’association l’Epargne mobilière par l’Association des Maçons, d'Antoine Cohadon et Martin Nadaud, ce dernier donnera de nombreuses conférences consacrées au bâtiment, aux caisses de retraite, aux sociétés de secours mutuel, aux écoles d’apprentissage et, surtout, à « la nécessité absolue » de les lier aux écoles primaires.
Un club Blanqui y siègera durant la Commune. « La section française de l’Internationale dissoute ; les révolutionnaires fusillés, envoyés au bagne ou condamnés à l’exil ; les clubs dispersés, les réunions interdites ; la terreur confinant au plus profond des logis les rares hommes échappés au massacre », comme l’écrit Fernand Pelloutier, le 1er Congrès national ouvrier d’après la Commune, ne se tiendra là qu’en 1876, du 2 au 20 octobre. Les courants mutuellistes, coopératistes et réformistes, en gros proudhoniens, à l’écart de toute préoccupation politique, y sont encore majoritaires ; le patron progressiste Emile Menier en invite les délégués dans ses usines de Noisiel. Le renversement de tendance au profit du courant socialiste conduit par Jules Guesde, ne se fera qu’en 1879, au congrès de Marseille, où sera lancé un appel à la formation d’un Parti des Travailleurs Socialistes de France.
Joséphine Butler. Elliott & Fry-Wikipedia
Au début de 1877, un meeting contre la police des mœurs, organisé par Yves Guyot, avec la féministe anglaise Joséphine Butler, y réunit plus de 2 000 personnes.

- l’Evolution sociale, 34 rue de Pontoise. Cette boulangerie coopérative a une succursale 16 rue Linné, dans le même arrondissement, et une autre 56 rue Mirabeau, à Evry. Elle fournit une vingtaine de coopératives de consommation entre 1909 et 1911.
Rue de Pontoise depuis la rue St-Victor: le chantier de Nadaud est à g. Charles Marville, 1869. BAVP/Roger-Viollet

- rue de Pontoise. Nadaud y travaille en 1844, pendant la grande grève des charpentiers. Il refuse de collaborer avec les soldats envoyés pour remplacer les grévistes, dont quelques-uns sont arrêtés et condamnés. « Du second étage de notre bâtiment, nous apercevions dans une grande cour [celle du collège dirigé par l’abbé Dupanloup, sur l’emplacement duquel est la Mutualité] les rejetons de notre vieille noblesse et de notre nouvelle aristocratie cléricale, élevés pour nous dominer et pour combattre nos droits et nos libertés. » Alors que la place Maubert, à deux pas, est le lieu de la pire misère.

- Palais de la Mutualité, 24 rue Saint-Victor. Construit en 1931, propriété de la FMP (Fédération des Mutuelles de Paris) qui, en 2009, l'a loué pour 30 ans à GL Events qui est en train de la transformer en "palais des congrès fonctionnel". Du coup, le centre médical mutualiste Saint-Victor (220 000 consultations par an dans 20 spécialités), mitoyen, a un avenir plus qu'incertain.
Le 26 mai 1933 s’y est constitué un Front commun contre le fascisme sous l’égide de Gaston Bergery : Georges Monnet (SFIO), Bernard Lecache (Lica), Paul Langevin, Jean-Richard Bloch, Charles Vildrac. Benoît Frachon et Doriot y sont observateurs pour le PC.
Puis la « Mutu » verra miroiter tous les aspects de la vie communiste. La solidarité, d’abord : en août 1934, alors que Hitler vient de se faire proclamer Reichsführer, un grand meeting de la section française du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme, rend publique la liste des victimes féminines, que publient les éditions du Secours rouge international dans Les Femmes sous la terreur fasciste, les femmes sur le front de solidarité et de combat. Le 16 octobre de la même année, le Comité national des Jeunes contre la guerre et le fascisme y offre un vin d’adieu monstre aux conscrits de Paris.
Le sport, ensuite : le 31 juillet 1935, 2 000 personnes s’y pressent, après avoir payé 1 franc l’entrée, pour entendre « 25 travailleurs ordinaires », envoyés quinze jours en URSS par la Fédération Sportive et Gymnique du Travail (FSGT), raconter le sport soviétique, après la projection d’un film qui a enthousiasmé la salle en lui montrant une parade de 120 000 gymnastes, hommes et femmes.
Conseil national du PS. 1933. Agence Mondial. Gallica
La culture, bien sûr : le 12 juin 1936, La Maison de la Culture y donne un gala au profit de la caisse de secours du syndicat des contributions directes, auquel participent le groupe Octobre avec Le Tableau des Merveilles, Regards, et la Chorale Populaire de Paris. Le 1er juillet 1936, Octobre y présente « le meilleur spectacle de variétés de la saison (actualités, chœurs parlés, tours de chant, acrobatie, jazz, musette, etc.) », suivi à nouveau du Tableau des Merveilles, adapté de Cervantès par Jacques Prévert. Réductions pour les membres de la Maison de la Culture et de l’Université Ouvrière. C’est l’apothéose du Front populaire culturel avant le départ en tandem vers le camping. Le 21 septembre 1937, y a lieu la première du Temps des cerises de Jean-Paul Dreyfus-Le Chanois. En 1952, le gala annuel du Mouvement de la Paix met sur la même scène Pierre Dac, Francis Blanche, et Yves Montand.
Le culte aussi : le 28 avril 1947 est célébré à la Mutualité le 47e anniversaire de Maurice Thorez, qui fait occuper la « une » de l’Huma, par le « fils du peuple, guide ferme et clairvoyant de la Nation française », en une litanie qui enfle depuis maintenant dix ans et le congrès d’Arles.
La politique n’avait jamais été oubliée : le 6 mai 1936, Thorez avait donné à la Mutu la conférence de presse qui annonçait le soutien sans participation du parti au gouvernement de Front populaire. Le 30 octobre 1936, dans une réunion d’information des militants de la région parisien, il y dénonçait la politique de non intervention en Espagne du gouvernement Blum. Les réunions d’information et les compte-rendus des travaux du Comité central y devenaient incessantes : le PC était partout à l’étroit, qui venait d’encarter cette seule année 1936, 200 000 nouveaux adhérents sur la France.
Il en gagnera encore 500 000 de plus en 1945, et le 30 mars de cette année-là, c’est à la Mutualité que le Congrès des Jeunesses Communistes changera son nom, selon la décision du parti, en Union des Jeunesses républicaines de France (U.J.R.F.).
Le 1er avril 1951, environ 1 500 Nord-Africains sont interpellés alors qu’ils se dirigent vers la Mutualité où leur meeting a été interdit. Plus de 550 sont conduits au poste, chiffre que la presse minore à 150. Le 18 décembre 1959, le Comité de défense du directeur politique de La Voie communiste, Gérard Spitzner, présidé par le vieux militant socialiste Elie Bloncourt, réclame à la Mutualité, au minimum, pour l’inculpé, le régime politique, qui sera refusé par la juridiction militaire. Le 27 octobre 1960, une salle archicomble écoute un unique discours du président de l’U.N.E.F. au nom de tous les appelant à ce bref meeting que sont outre l’U.N.E.F., la C.F.T.C., F.O. et la F.E.N., auxquels s’est rallié le syndicat C.G.T. des charpentiers malgré les consignes de la Confédération. A la sortie de la salle, à 19 heures, des milliers de policiers massés aux alentours matraquent tout ce qui bouge. L’Humanité du lendemain verra dans ce meeting unitaire la « seule manifestation séparée », et dans les cortèges organisés ailleurs en France par les seuls PC et CGT, « des actions unies ».

- Ecole pratique des hautes études, 47 rue des Ecoles. Lénine y donne, en 1902, trois conférences consacrées à la question agraire, à l’invitation de professeurs chassés des universités russes. Trotski est dans l’assistance.

- rédaction de Pages libres, 8 rue de la Sorbonne. La formation de Merrheim doit beaucoup aux études publiées par Francis Delaisi, professeur d’histoire devenu spécialiste des questions économiques dans Pages Libres [sous ce titre du 5 janvier 1901 au 2 octobre 1909, administrée par Charles Guieysse puis par Maurice Khan], si bien qu’on dira que c’est Delaisi qui lui écrit les articles qu’il consacre à l’industrie métallurgique. Beaucoup de leurs échanges se déroulent chez Delaisi, 11 rue de Navarre, qui écrit par ailleurs pour la Guerre Sociale et la Vie Ouvrière. C’est Delaisi qui proposera à Merrheim les fonds que Joseph Caillaux est tout prêt à verser à la Bataille Syndicaliste, au tout début de 1913, dans le but d’affaiblir l’Humanité, ce qui amènera leur rupture.

- une chambre rue Saint-Jacques, postalement au 6 rue Soufflot. A la fin de 1846, c’est le nouveau domicile de Nadaud, où la femme qu’il a épousée au pays creusois sept ans plus tôt, en février 1839, va enfin venir le rejoindre. C’est là que Bouyer vient chaque soir, et que discute le petit groupe qui s’occupe de mettre sur pieds une société des maçons. Elle aura pour gérants ledit Bouyer, et Cohadon, deux compagnons de remplissage du chantier de Nadaud, et deviendra la plus importante de toutes les associations ouvrières, avec 83 associés plus une centaine d’auxiliaires qu’elle n’intéresse pas aux bénéfices, et « il n’y eut pas dans Paris d’entrepreneurs qui occupassent un nombre plus considérable d’ouvriers, ni qui eussent surtout un matériel supérieur au leur ». Forte d’autant d’atouts, la société soumissionna l’importante gare d’Orléans (auj. d’Austerlitz), et des hôtels pour les ministres de Louis Napoléon, Rouher et Fould, et pour Jérôme Bonaparte, notamment sur la place de l’Europe. Elle avait su, affirme Nadaud, « supprimer la maîtrise et par conséquent l’exploitation de l’homme par l’homme ». Mais celui-ci revint à Paris, après l’amnistie de 1860, et qu’il s’attendit à y retrouver sa place, les gérants lui répondirent : « Votre présence parmi nous, mon cher Nadaud, pourrait faire croire à notre clientèle que nous songeons à revenir à 1848 ; mais telle n’est pas notre intention. » L’exilé s’en retourna donc à Londres, tandis qu’à la chute de l’empire, les gérants Bouyer et Bagnard, et le caissier Frisert « vendirent chevaux et voiture, en un mot tout le matériel de l’association, et ils se mirent à travailler à leur compte. » Cohadon seul refusa de s’associer à cette trahison.

- rue Saint-Jacques. On y compte 68 barricades, le 23 Juin 1848, entre la Seine et le Panthéon. Jusqu’en 1860, le 12e arrondissement correspond à l’actuel 5e et aux quartiers Croulebarbe et Salpêtrière de l’actuel 13e, que délimitent le sud du 5e et les boulevards Auguste Blanqui et Vincent Auriol de part et d’autre de la place (ex-barrière) d’Italie. Ce 12e, qu’on appelle aussi le faubourg Saint-Marcel, est particulièrement turbulent au XIXe siècle, et seul le faubourg Saint-Antoine peut rivaliser avec lui en ferveur républicaine. La Charbonnerie française est née là, Michelet y a rêvé le Peuple. Sous la monarchie de Juillet, les terrassiers allemands étaient très nombreux sur cette rive gauche de la Seine, employés pour beaucoup dans la construction des voies ferrées. Le quartier était laborieux, au beau milieu de l’été, « on entendait toutes sortes de bruits paisibles, des battements d’ailes dans des cages, le ronflement d’un tour, le marteau d’un savetier », nous rappelle l’Education sentimentale.

– chantier de la mairie du 12e (auj. du 5e), place du Panthéon. Nadaud qui y travaille depuis mai 1847, voit du haut de son échafaudage, en février de l’année suivante, les troupes de ligne envahir la place d’un côté, tandis que la garde nationale arrive de l’autre. Vers 14h, le colonel de la garde est informé de l’abdication du roi. Un officier lui demandant le chemin de la caserne Mouffetard, Nadaud l’y accompagne et voit « les soldats qui, des croisées de leur caserne, tendaient leurs fusils à la foule qui poussait des cris étourdissants de « vive la ligne ! » » ; avec trois ou quatre cents autres, Nadaud va prendre l’ancienne mairie, alors 262, rue Saint-Jacques, en face de la rue des Ursulines.
Ensuite, c’est place du Panthéon qu’aura lieu chaque soir la paye des ouvriers des ateliers nationaux. Nadaud verra « dans ce milieu désordonné d’hommes affamés » progresser les idées bonapartistes : ils « eussent écharpé celui qui aurait fait entendre autour d’eux un autre cri que celui de « vive Napoléon ! », et trois de ses ouvriers allemands, les frères Larr, - dont l’un sera condamné à mort pour avoir pris part au meurtre du général Bréa -, alors qu’il va les chercher chez le marchand de vin où ils se sont attardés après le repas de 10 h, portent des toasts « à la santé du petit Louis ».
C’est toujours sur le chantier de la mairie que Nadaud, qui n’est même pas allé faire campagne dans sa circonscription, apprend qu’il est élu : « Un matin, au moment où j’étais occupé à prêter la main à mes camarades pour jeter le grand plafond de la salle des mariages de la mairie, Antoine, mon garçon, nous arriva tenant à la main une lettre que ma femme venait de lui remettre au pied de l’échelle, pour me la monter. Il riait de toutes ses forces. L’enveloppe portait : « Citoyen Nadaud, représentant du peuple. » Bouyer la lui arracha des mains et en donna lecture pendant que je continuais à breteler ma part de plafond. La joie manifestée par tous les ouvriers maçons, tailleurs de pierre, charpentiers et menuisiers fut très grande. Cinq minutes après, nous étions tous chez le marchand de vin. Inutile de le dire, on but un bon coup. Les jours suivants, on venait de toute part me complimenter, tant cela paraissait étrange alors de voir arriver à la chambre des députés un simple ouvrier maçon. » Que dire alors de le voir arriver à la tête de l’Etat. « Pour qu’on se moque du peuple, ils veulent nommer à la présidence Nadaud, un maçon, je vous demande un peu ! » s’insurgera Dussardier dans l’Education sentimentale.

- Panthéon. Le 23 novembre 1927, c’est le transfert des cendres de Jaurès au Panthéon. Plus de 100 000 personnes suivent le catafalque, « les ouvriers de banlieue, la masse des quartiers denses de l’Est et du Nord de la ville ; ils tenaient la chaussée d’un bord à l’autre bord, le fleuve finalement s’était mis à couler. » Et Nizan, sur la rive, va se jeter à l’eau : « Il n’y a pas de question... On sait avec qui il faut être. » Quelques milliers de membres de la Jeunesse communiste marchent au pas, chantant la Jeune Garde, encadrés de deux groupes de combat. On dénonce le Cartel des gauches, on réclame la mise en jugement des responsables de la guerre par un tribunal révolutionnaire.
Le 17 novembre 1948, c'est le cortège des funérailles nationales de Paul Langevin et de Jean Perrin qui arrive au Panthéon en un long cortège depuis le Palais de la Découverte.

- barricade de la rue de la Vieille-Estrapade (auj. de l’Estrapade) Le 24 juin, derrière le Panthéon, le général Damesme qui a repris la mairie du 12e, se fait tuer en enlevant la barricade de la rue de la Vieille-Estrapade (auj. de l’Estrapade).

- ancienne mairie du 12e, alors 262, rue Saint-Jacques, en face de la rue des Ursulines. Avec trois ou quatre cents autres, Nadaud va prendre l’ancienne mairie, peut-être depuis la caserne Mouffetard.

Meeting de commerçants, 1933. Agence Mondial. Gallica
- bal Bullier, 33 av. de l’Observatoire (auj. av. Georges Bernanos).
Sous le Second Empire, Henriette danse au bal Bullier. Pendant la Commune, Maxime Vuillaume, l’un des trois rédacteurs du Père Duchêne, s’entend héler rue du Croissant par « la charmante et vaillante citoyenne Henriette, cantinière à l’une des compagnies du 248e », et qui arrive de Vanves, où ça chauffe. C’est l’occasion pour lui de ce commentaire : « Curieux type que cette Henriette – nous ne lui connaissions pas d’autre nom – qui s’était jetée, comme bien des femmes, et de jeunes et jolies femmes, à corps perdu dans le combat, hardies comme des hommes, et même davantage, braves comme des lionnes, courant à travers les balles et les éclats d’obus avec la même désinvolture que lorsqu’elles trottaient à travers les bosquets du père Bullier, allant verser l’eau de vie aux blessés sans peur de la mitraille, avec un sourire d’une ineffable gentillesse, ou un dernier baiser d’ami pour ceux qui allaient mourir. »
Le père Bullier, ancien garçon du bal de la Grande Chaumière, s’était mis à son compte au carrefour de l’Observatoire en 1847. Ses bosquets étaient pour beaucoup d’entre eux des lilas, ce qui n’était pas rare dans ce coin de Paris, aux maisons rustiques dispersées au milieu de la verdure des couvents. Ses bosquets, ses jardins, Bullier les illumine, et il baptise son bal la Closerie des Lilas. Dans les années qui précèdent la Commune, on y danse les lundis, jeudis et dimanches, et seul les hommes y acquittent un droit d’entrée de 1 F.
Sous la troisième république, le café d’en face lui chipe son nom et l’on n’appelle plus le bal que du nom de son patron, Bullier. La salle de danse, surélevée, est précédée d’un escalier majestueux et, quand arrive le modern style, d’un portique on ne peut plus nouille. Jane Avril y a débuté, à 18 ans, en 1886. Sonia Delaunay peint en 1913 Le Bal Bullier, et Un tango au bal Bullier, cette danse venant d’arriver d’Argentine ; Les ouvriers parisiens y dansent toujours jusqu’à ce qu’il soit l’heure de la der des ders. L’armée réquisitionne alors la vaste salle pour y faire tailler les uniformes qui habilleront les prolos en poilus. « Le célèbre bal Bullier est fermé », note Trotski dans un carnet de l’été 1916 ; au Quartier Latin, on ne rencontre plus d’étudiants. « En revanche, on y trouve de nombreuses étudiantes, y compris des Russes, de celles qui, comme le dit un journal français, possèdent l’art secret de vivre avec 26 francs par mois. »
Les rescapés de la Grande Guerre y reviennent danser, mêlés aux étudiants des Beaux-Arts, à Kiki de Montparnasse. l’Union des artistes russes y donne souvent ses bals comme, en 1924, le « bal banal » au profit de sa caisse de secours ; le bal annuel de l’Aide Amicale Aux Artistes s’y tient également. Ils y reviennent aussi tenter de conjurer le retour des tranchées : meetings et réunions s’y succèdent désormais, particulièrement après la faillite de la Bellevilloise et la perte de sa grande salle où avait eu lieu encore le 7e congrès du parti. Alors que l’on vient d’enterrer Zéphyrin Camélinat, c’est à Bullier où dansait Henriette la jolie cantinière de la Commune que, le 27 juillet 1932, le service d’ordre du Parti communiste, encouragé de la tribune par les dirigeants nationaux, agresse pour la première fois physiquement des militants trotskistes venus mettre en cause la politique allemande de l’Internationale et son refus de rechercher, pour lutter contre le nazisme, le front unique avec les sociaux-démocrates.
Le 31 octobre 1932, Ernst Thaelmann, le leader du P.C. allemand, venu clandestinement, y est à la tribune à côté de Maurice Thorez.
Au début de février 1933, c’est salle Bullier que le groupe de la FTOF Octobre, dont Jacques Prévert est le librettiste, donne des « actualités ». Celles-ci commencent par une revue de presse : les évènements de Chine, la crise économique aux Etats-Unis et la mutinerie à bord du navire néerlandais Sept Provinces. Les marins de ce navire, las de leurs conditions de vie, sont partis avec le bateau pendant que leurs officiers dansaient à terre. On a envoyé à leur poursuite un hydravion qui les a bombardés, tuant 22 marins.
Puis vient le cœur du sujet : la bourgeoisie cherche un homme, un homme de main. Elle le déniche au fond d’un vieux bidon de peinture, l’appelle pour l’en faire sortir :
„- Hitler !... Hitler !... Hitler !...“ Et à chaque appel, c’est la tête de Prévert qui apparaît, mèche sur le front, tunique brune, air hébété.
Le 21 avril 1933, dans la même salle Bullier, c’est l’une des fêtes de section des Comités de défense de l’Humanité. Marcel Jean, un peintre récemment arrivé aux surréalistes et plus récemment encore à Octobre, traverse l’estrade, une lampe de poche à la main. Sous le faisceau, il déplie une feuille de papier : « A la porte des maisons closes, / c’est une petite lueur qui luit. / C’est la lanterne du Bordel capitaliste. / Avec le nom du tôlier qui brille dans la nuit. / Citroën... Citroën... »
Aperçoit-on la tour Eiffel à travers les lilas de Bullier ? Et les milliers d’ampoules qui y déploient le nom du patron, au-dessus de son usine de Javel où s’installe, cette année-là, une chaîne de montage d’un seul tenant, à l’américaine ?
« le voilà qui se promène... qui prend l’air. / Il prend l’air des ouvriers / il leur prend l’air, le temps, la vie... »
Et le texte, - c’est encore du Prévert -, se termine par l’évocation de la riposte, de la grève. Pendant les dernières phrases, dans l’obscurité, tous les membres du groupe Octobre sont venus se regrouper autour de l’orateur. La lumière se rallume et du chœur fuse un « Vive la grève ! » que la salle reprend à l’unisson.
Le 8 novembre de cette même année 1933, seizième anniversaire de la révolution d’octobre, le Parti communiste remplit Bullier « pour défendre l’Union soviétique et sauver Dimitrov et ses compagnons » arrêtés par les nazis comme incendiaires du Reichstag ; 3 200 participants, selon la police, et le droit d’entrée est toujours de 1 F, comme au bal sous le second empire. A la tribune, André Gide, Jacques Duclos, Paul Vaillant-Couturier, Jacques Doriot, mais surtout la vieille mère du leader du Komintern. « Mon fils, Dimitrov, a donné trente-cinq ans de son existence au prolétariat... je vous appelle à lutter pour le libérer... » On finit de traduire ses paroles du bulgare et Duclos se fait, lui, l’interprète de l’auditoire : « Je suis sûr de traduire votre pensée et votre volonté à tous, ouvriers de Paris, fils de la Commune. Vous lutterez avec la dernière énergie pour arracher les accusés de Berlin aux griffes du fascisme. »
« - Oui ! » répond la salle en un seul cri. Et elle dira pareillement oui, pas même un an plus tard, au Front populaire, expression née à Bullier, Thorez y parlant pour la première fois le 9 octobre 1934 de « large Front populaire contre le fascisme ». Auparavant, le 19 février, un orateur trotskiste aura pu parler pour la 1ère fois, pendant 10 minutes, à un grand meeting communiste.
Le 16 septembre 1934, le 65e anniversaire de Marcel Cachin y est fêté en grande pompe. On retrouve Cachin avec Léon Blum, des radicaux, Gaston Guiraud de la CGT, et Arrachart de la CGTU, le 18 janvier 1935, pour la première réunion commune des principales organisations de gauche, sous la présidence de Victor Basch. Le 17 mai 1935, Thorez y explique aux militants des cinq fédérations de la région parisienne en quoi « Staline a raison » d’avoir signé le traité avec Laval. Le 10 juin 1935, s’y déroule un meeting « pour soutenir les travailleurs sarrois contre Hitler, contre le fascisme et la guerre, pour une puissante unité d’action », qui réunit Gabriel Péri et Marcel Gitton pour le PC, Léo Lagrange et Zyromski pour le PS.