Avant
la Seine où Paris se mire, la Seine vers laquelle les façades se tournent
jusqu’à en oublier, derrière elles, toute contrainte d’équerre, il y a la Seine
que l’on travaille, que l’on fend, que l’on bat, que l’on mange et que l’on
boit. Une Seine aux berges hérissées de pontons en dents de peigne, au bout
desquels les porteurs d’eau tentent de prémunir leurs seaux de la vase du bord
et, entre ces pontons, des attelages qui reculent, munis de barriques d’une
capacité plus grande. Une Seine où l’on pêche, une Seine où le poisson frétille
partout dans les viviers, et s’y vend. On n’imagine plus aujourd’hui la
quantité de poisson consommée, qu’imposait la stricte observance des jours
maigres et du Carême. La seule chambre spécialisée, des sept qui composent le
Parlement de Paris, est celle de la Marée, et c’est le poisson, l’assiette
fiscale sur laquelle se bâtit la ville. François
Ier confirme en 1530, et pour six ans, « l’aide de 6 deniers sur le
poisson vendu en la ville et faubourgs de Paris, 20 sols sur le thon blanc,
maquereaux et poissons salés », accordée par son prédécesseur pour
« fortification des fossés, quais de cette ville ».
En 1583, reconstitution de Hoffbauer, éd. de 1875-1882. Gallica |
Les
pompes élévatrices accrochées aux ponts battent le fleuve sans relâche de leurs
roues à aubes, celle de la Samaritaine, au Pont-Neuf, depuis Henri IV ; celles du Grand et du
Petit Moulins, aux deuxième et troisième arches en partant de la Ville, côté
aval du pont Notre-Dame, depuis Louis XIV.
Et les moulins à farine, amarrés dans le courant, pétrissent pareillement le flot,
et aussi les bras des lavandières. « Il y avait grand vacarme de
blanchisseuses, elles criaient, parlaient, chantaient du matin au soir le long
du bord, et y battaient fort le linge, comme de nos jours », écrit Hugo. “Comme de nos jours“,
c’est-à-dire en 1831, tandis que le passé qu’évoque Hugo est celui de 1482.
« Ce n’est pas la moindre gaieté de Paris. »
Ajoutons,
sur « la “nourricière Seine”, comme dit le père Du Breul », que cite
Hugo, quantité de ports où abordent les bateaux avalants, qui peuvent atteindre
facilement toutes les berges du « trapèze central de la Ville »,
tandis que les navires montants s’arrêtent à sa lisière, avant le Pont-Neuf,
seuls des produits manufacturés de haute valeur, en provenance de Normandie ou
de la Manche, pouvant supporter les coûts d’un halage à contre-courant.
Côté
Ville, « le quai avec ses mille boutiques et ses écorcheries
saignantes », ses tanneurs et teinturiers qui ne partiront pour la Bièvre
qu’après 1673, et les sergents racoleurs qui les remplacent sous la
Régence ; le pittoresque quai de Gesvres, entre pont Notre-Dame et
Pont-au-Change, posé sur des arcades pour ne pas rétrécir le lit du fleuve, au
haut duquel Rose Bertin, la modiste
de Marie-Antoinette, a sa première boutique jusqu’en 1772.
Le
côté Université « était le moins marchand des deux, les écoliers y
faisaient plus de bruit et de foule que les artisans, et il n’y avait, à
proprement parler, de quai que du pont Saint-Michel à la tour de Nesle. Le
reste du bord de la Seine était tantôt une grève nue, comme au-delà des
Bernardins, tantôt un entassement de maisons qui avaient le pied dans l’eau,
comme entre les deux ponts ».
On
n’oubliera pas les bains flottants, bains chauds ou étuves, dont on compte une
dizaine à la fin du règne de Louis XVI ;
et, plus tard, les bains froids ou écoles de natation qui fleurissent sous le
Second Empire : Bains du Pont-Royal, Bains Henri-IV, quai du Louvre ;
Bains de la Samaritaine et, pour les femmes, Bains des Fleurs, au port de
l’École.
La Seine
publique et le bassin royal
Le 24 mars 1722, en l'honneur du mariage espagnol de Louis XV, qui finalement n'aura pas lieu. Vue prise depuis le Louvre. Gallica |
Dans
cette Seine industrieuse, ce fleuve du quotidien, celui des harengères et des
crocheteurs, Louis XIV a pourtant su isoler une naumachie, une scène de
grand opéra, en demandant à Jules
Hardouin-Mansart et Jacques-Ange
Gabriel ce pont Royal inutile à la circulation, situé non dans le
prolongement d’une rue, mais dans celui du palais des Tuileries, au bout du
Pavillon de Flore, simple balcon au-dessus du bassin dont il trace le quatrième
côté, face au Pont-Neuf, entre le Louvre, rive droite, et le collège des
Quatre-Nations sur l’autre. Ici, pour le mariage prévu avec l’infante d’Espagne,
lors des naissances du duc de Bourgogne ou du duc de Bretagne, dix mille lampes
font de la grande galerie du Louvre l’astre même du Roi-Soleil, tandis
qu’au-dessous, sur le fleuve, flottent palais allégoriques aux colonnes et
portiques surchargés de tous les attributs de la mythologie, qu’entourent des
musiciens sur d’autres nefs, au milieu des embrasements des feux d’artifice.
D’autres jours, les remplacent joutes ou fêtes vénitiennes.
Ce
« bassin du Louvre », ce « côté des Tuileries et du
Pont-Royal », était pour Voltaire
– qui écrit en 1751, avant la création de la place Louis-XV –, le modèle
absolu, l’aune à laquelle juger les villes, l’esquisse de la perfection urbaine :
si Louis XIV « avait dépensé à Paris la cinquième partie de ce qu’il en a
coûté pour forcer la nature à Versailles, Paris serait, dans toute son étendue,
aussi beau qu’il l’est du côté des Tuileries et du Pont-Royal, et serait devenu
la plus magnifique ville de l’univers ».
Paris qui gèle,
Paris qui brûle
Quand
la Seine est gelée, Paris meurt, comme en ce terrible hiver qui commence en
décembre 1708 et, durant près de deux mois, aura « rendu les rivières
solides jusqu’à leurs embouchures », note Saint-Simon. La disette des grains, les épidémies, une température
qui descend jusqu’à 21° au-dessous de zéro font plus de vingt mille victimes
dans la capitale.
Et
quand la Seine s’embrase, Paris brûle. Le 22 avril 1718, une femme, dont le
fils a disparu noyé, abandonne au fil de l’eau, devant le couvent des
Miramionnes, une planche munie d’un pain bénit et d’un cierge allumé, censé
s’éteindre là où gît le corps de son enfant et lui en révéler le
lieu. Sous le Petit-Pont, le cierge heurte une barque chargée de foin, les
flammes montent jusqu’aux maisons de bois, le grand incendie dure trois jours
et trois nuits. Le maître des pompes, Dumouriez,
un ancien de chez Molière, n’y peut rien : les vingt-deux maisons du pont
sont détruites. On ne les reconstruira plus.
Quand la cour
était à Choisy
Qui
vit à Paris a donc affaire à la Seine. Dans l’exercice ordinaire de son emploi,
le jardinier du duc d’Orléans et du comte d’Artois, un Écossais, Thomas Blaikie, s’y retrouve tout
naturellement, traversant Paris et ses faubourgs par deux fois en trois jours,
dans un sens et dans l’autre. Le 3 octobre 1777, il prend le coche d’eau au
port Saint-Paul, en compagnie d’un pépiniériste de Covent Garden, pour
rejoindre avec lui la cour, à Choisy, où elle se trouve à ce moment-là. Le port
Saint-Paul, entre le débouché de la rue Saint-Paul et le pont de Gramont, qui
prolonge la rue du Petit-Musc sur l’île Louviers, est le terminus des coches
d’eau pour Corbeil, Montereau, Nogent et Briare. C’est là qu’un peu plus tard,
le jeune Bonaparte, 15 ans,
débarquera, le 25 octobre 1784, arrivant de son collège de Brienne pour
s’inscrire à l’École militaire.
C’est
d’en face – il n’y aura plus d’île Louviers – que partira le Frédéric Moreau de
L’Éducation sentimentale :
« Le 15 septembre 1840, vers six heures du matin, la Ville-de-Montereau,
près de partir, fumait à gros tourbillons devant le quai Saint-Bernard. »
« Des
gens arrivaient hors d’haleine ; des barriques, des câbles, des corbeilles
de linge gênaient la circulation ; les matelots ne répondaient à
personne ; on se heurtait ; les colis montaient entre les deux
tambours, et le tapage s’absorbait dans le bruissement de la vapeur, qui,
s’échappant par des plaques de tôle, enveloppait tout d’une nuée blanchâtre,
tandis que la cloche, à l’avant, tintait sans discontinuer. »
« Enfin
le navire partit ; et les deux berges, peuplées de magasins, de chantiers
et d’usines, filèrent comme deux larges rubans que l’on déroule. »
Les
bateaux que croise Blaikie sur ce tronçon de la Seine sont, pour l’essentiel,
des avalants, portés par le courant, chargés des bois du Morvan, des blés de la
Brie, des vins de Bourgogne, de charbon de bois ; souvent des
« sapines » ou « sapinières » à usage unique, que les
« déchireurs » vont démonter sur la berge pour en faire du bois de
charpente. Quand les mariniers sont montés à bord pour les piloter dans la
traversée de la ville, rendue difficile par une infinité d’obstacles et de
forts courants entre des berges rétrécies, la première chose qu’ils voient en
abordant Paris, et que Blaikie vient de laisser dans son dos, c’est
« après le Sérail, le bâtiment du monde le mieux situé » :
l’hôtel de Bretonvilliers qui, avec l’hôtel Lambert, forme la proue sculptée de
l’île Saint-Louis au-dessus du fleuve.
En 1867, les bains. Hoffbauer. Gallica |
Puis,
au pas du cheval sur le chemin de halage, tirant le coche d’eau, c’est, à
gauche, la forteresse imposante de la Bastille et, à droite, devant l’abbaye de
Saint-Victor, le quai Saint-Bernard, où Henri IV et son fils, le futur Louis XIII, se baignaient nus, et où
les hommes avaient continué de le faire à la grande satisfaction des dames.
« Tout le monde connaît cette longue levée qui borne et qui resserre le
lit de la Seine, du côté où elle entre à Paris avec la Marne, qu’elle vient de
recevoir : les hommes s’y baignent au pied pendant les chaleurs de la
canicule ; on les voit de fort près se jeter dans l’eau ; on les en
voit sortir : c’est un amusement. Quand cette saison n’est pas venue, les
femmes de la ville ne s’y promènent pas encore ; et quand elle est passée,
elles ne s’y promènent plus », écrivait ironiquement La Bruyère, dans ses Caractères,
en 1688.
La
bête de somme tire maintenant au milieu des empilements de pierres du port au
Plâtre. La Rapée est déjà « fameuse pour préparer le poisson en ce qu’on
appelle “matelotes” ». Des barques toilées assurent la traversée vers
l’énorme ensemble de l’Hôpital général ; bientôt, la patache d’octroi
complètera, sur le fleuve, le mur des Fermiers généraux. Les joutes des
mariniers, que Raguenet nous a
montrées devant la Cité, auront alors lieu ici et, un peu avant 1830, le
canotage bruyant, tandis que son pendant sélect s’organise dans la Société des
régates et le Club des canotiers qui, sous le Second Empire, regrouperont
quelque six mille passionnés, du côté de Charenton et, de l’autre côté de
Paris, d’Asnières.
Derrière
les chantiers de bois, s’étendent les domaines de La Croix, du Petit-Château de
Bercy, du Pâté-Pâris, puis l’immense étendue du château de Bercy. Les vins
viendront à partir du Premier Empire et, avec eux, un surcroît de canotiers et
de guinguettes, dont celle de Jullien
qui, quand le quai sera gravement endommagé par la débâcle des glaces, en
janvier 1880, ira ouvrir sur l’île Fanac, à Joinville-le-Pont, le restaurant
décrit par Zola dans Au Bonheur des dames.
Sur
l’autre rive, passé l’abri semi-circulaire de la gare d’eau entamée en 1764 et
abandonnée, ce sont, partout dans les champs, de grandes roues qui servent à
extraire les pierres des carrières profondément souterraines d’Ivry, Gentilly,
Montrouge, Arcueil et Villejuif.
À l’ouest, le
Point du Jour !
Deux
jours plus tard, le samedi 5 octobre 1777, Thomas Blaikie rembarque à bord d’un
coche d’eau, avalant cette fois, au pont Royal, avec le même Mr. Hairs et le jardinier allemand de
Monceau, M. Ettingshaussen. De ce
même embarcadère, à partir de 1826, de petits bateaux à vapeur effectueront le
premier service régulier reliant, pendant la belle saison, Paris à Saint-Cloud.
Blaikie descend la Seine jusqu’au pont de Sèvres, où il prendra une voiture
pour Versailles.
Ici,
le trafic est moins dense : la remontée du courant étant particulièrement
épuisante, les bateaux ne vont pas au-delà du port de l’École. Mais il faut
déjà, pour l’atteindre, passer le pont Royal et, dans ce sens, les mariniers
n’ont pas seulement à piloter les bateaux et à guider leur accostage, les
avaleurs de nefs, ou maîtres des ponts, doivent encore les tirer du haut du
tablier, le chemin de halage se trouvant souvent interrompu.
Sur
l’autre rive, le port de la Grenouillère, sous le quai ombragé entrepris par Charles Boucher d’Orsay, prévôt des
marchands, est rempli de bois flotté qui a traversé tout Paris. Le coche d’eau
longe le quai des Tuileries, et la place Louis-XV. On trouvera amarrée en face,
sous Napoléon III, l’École impériale de natation, « ses 350 cabinets
et ses 16 salles, son vaste divan et ses salles de cafés ». Passés les
Invalides, on arrive très vite à l’île des Cygnes, qui épouse la courbe de la
rive gauche jusqu’à la hauteur du château de Grenelle. Entre cette île et la
berge, bien plus d’un millier de cadavres étaient venus s’agglutiner lors de la
Saint-Barthélemy, ceux des protestants jetés à la Seine. Ils avaient été
inhumés sur place, et Louis XIV avait fait vivre là, plus tard, des cygnes
amenés de Scandinavie.
Quand
Blaikie la croise, l’île est spécialisée dans la fabrication de l’huile,
extraite de la cuisson des tripes, destinée aux réverbères à miroirs de métal
qui, depuis quelques années seulement, ont remplacé au long des rues les
lanternes à chandelles. Le lieudit Gros-Caillou, plus bas, est connu pour des
mijotages plus appétissants, ceux du ragoût de poissons au vin. « Ce lieu
peuplé de guinguettes, écrit Mercier,
est sur le bord de la rivière, au-dessous des Invalides. Là, on mange des
matelottes, objet définitif et chéri des gageures parisiennes. Une bonne
matelotte coûte un louis d’or ; mais c’est un manger délicieux, quand elle
n’est pas manquée. Les cuisiniers les plus fameux baissent pavillon devant tel
marinier qui fait mélanger et apprêter la carpe, l’anguille et le goujon. Ils
cèdent ce jour-là leur emploi à la main grossière qui manie l’aviron. Les
cuisiniers ont beau être jaloux ; ils accommodent les autres plats,
excepté la matelotte : ainsi l’ordonne tout maître friand ou connaisseur. »
Il
y aura ici, dix ans après le passage de Blaikie, la seconde paire de pompes à
feu des frères Périer, en aval de
l’égout des Invalides ! Et l’on apercevra derrière, en 1841, la tour de
42 mètres, élevée au milieu de la place de Breteuil, qui sert de château d’eau
au puits artésien de Grenelle, dont le débit est d’un million de litres par
jour.
En 1867 toujours, les lavandières, devant la même place de l'Hôtel de Ville qu'en 1583. Hoffbauer. Gallica |
Mais
au moment où son coche d’eau atteint l’extrémité du quai de la Conférence, les
frères Périer sont seulement en train de créer leur Compagnie des eaux de Paris
et de prévoir ici l’installation de « pompes à feu », c’est-à-dire à
vapeur, pour élever l’eau de la Seine vers des réservoirs situés sur la colline
de Chaillot et, de là, la redistribuer chez les particuliers.
La
grand-route de Paris à Versailles passe ici au pied de la Savonnerie, la
manufacture d’où sortit l’essentiel des tapis du Louvre, de Versailles, de
Trianon et de Marly, puis, sur le bord escarpé du fleuve, arrive le couvent de
la Visitation-Sainte-Marie, qui descend jusqu’à la route de la Reine, permettant
aux recluses d’y voir passer de brillants équipages. Enfin, aussi contigu au
monastère des femmes que le permet la règle, ce qui signifie deux murs de
séparation, le couvent des Bons-Hommes ou minimes de Chaillot s’étage, lui
aussi, presque jusqu’au sommet du coteau. À son extrémité sud-ouest, la patache
d’octroi dite de la Conférence viendra matérialiser, sur le fleuve, la barrière
des Fermiers généraux comme, de l’autre côté de Paris, son homologue de la
Rapée.
À
gauche, l’École militaire se prolonge jusqu’au fleuve « d’un vaste
terre-plein enclos » appelé Champ-de-Mars. Puis vient la « belle
plaine de Grenelle ». En face, Passy a succédé à Chaillot, avec son
établissement thermal, au bord du quai, « supérieur à Spa et à Forges-les-Eaux »,
mais plus animé l’été qu’en ce début d’octobre. C’est à son appontement qu’une
litière, qu’accompagne Thomas Jefferson,
amènera Benjamin Franklin, malade,
de l’hôtel de Valentinois, afin de l’y faire s’embarquer pour Le Havre et les
États-Unis. La Seine va jusque là : sous le Second Empire, des lignes
régulières de vapeurs partiront du quai du Louvre pour Rouen, Le Havre et
l’Angleterre.
Enfin,
c’est le petit village appelé Point du Jour. À compter de l’Exposition
universelle de 1867, il sera une station importante et l’un des garages des
« bateaux-mouches » parisiens qui, de Suresnes à Charenton, sur
quarante kilomètres et avec quarante-sept escales, vont transporter
annuellement de dix à vingt millions de Parisiens laborieux jusqu’en 1934.
Laborieux, il leur en coûte dix centimes les douze kilomètres, mais oisifs, le
dimanche, le double, quand c’est aux guinguettes du Point du Jour et d’ailleurs
qu’ils se rendent. Martin Nadaud
évoque le sujet, contre lequel « la population se montre pleine d’une
juste colère », à la Chambre des députés, en 1876, et Léo Claretie vingt ans plus tard encore : « Vous imposez
la joie et la santé populaires ! ».
Ensuite,
Blaikie ne verra plus, fermant la plaine plate au nord, que le mur du parc du
bois de Boulogne.
Le
métro a fini par tuer le bateau-mouche, mais, dernier écho de la période du
transport fluvial populaire, c’est encore quai du Louvre que l’on embarque pour
la « Fête de l’Humanité », et Garches, en 1938. Dix ans plus tard, et
après la guerre, la Seine est devenue officielle : la préfecture de police
se dote d’une vedette de prestige, et le Conseil municipal traite ses hôtes de
marque à l’hôtel Lauzun, dans l’île Saint-Louis. Le samedi 15 mai 1948, pour la
première fois, le préfet de police et Pierre
de Gaulle, président du Conseil municipal depuis huit mois et frère du
Général, accueillent à l’embarcadère d’Iéna la princesse Élisabeth d’Angleterre et le duc
d’Édimbourg et, en dépit du temps orageux qui menace, leur font remonter la
Seine jusqu’à l’île Saint-Louis au milieu d’une foule énorme et enthousiaste,
massée sur les deux rives – par prudence, la police a fait évacuer les ponts.
Le
25 mai 1950, le président de la République et Mme Vincent Auriol accompagnent sur la Seine la reine Juliana et le prince des Pays-Bas. Cette fois, la Préfecture
a fait le vide sur le parcours fluvial. À l’escale de l’Hôtel de Ville, il y a
néanmoins beaucoup de monde pour saluer les souverains. Du coup, bousculant
l’itinéraire prévu, le préfet fait faire à la vedette le tour des îles, et
passer la reine sous des ponts ouverts au public comptant sur l’effet de
surprise pour déjouer un geste de malveillance toujours possible.
Ensuite,
les voies sur berges auront, en dépit de bien des défauts, cet effet paradoxal
de revivifier la Seine d’usage quotidien perdue depuis les bateaux-mouches de
ligne, et d’offrir à chacun, principalement la nuit et à quelques heures
creuses du jour, les deux plus fabuleux travellings latéraux du monde, que
l’Unesco a inscrits au Patrimoine de l’humanité. Tandis que les opérations
Paris-Plage ramènent la familiarité avec un fleuve qui n’était plus que
l’instrument technique du transport des matières pondéreuses.