Les souliers trop serrés de Lénine


Une balade 100% prolétarienne (avec de vrais morceaux de jaunes dedans), que le promeneur pourra mixer avec une seconde, plus interclassiste, prochainement sur le site.

- Travail et Liberté, 38 av de l'Opéra. Le mensuel du Comité d'Etudes Economiques et Syndicales, contrôlé par Irving Brown, délégué du syndicat américain AFL, lequel a depuis 1946 une antenne à Bruxelles chargée de rassembler les « syndicats libres », paraît pour la première fois en février 1947. C’est autour de ce titre que vont se former les premiers « syndicats indépendants », dans lesquels on trouve essentiellement des vichystes, ex-syndicalistes et ex-communistes : Marcel Boucher, ancien secrétaire général du syndicat des Ports et Docks de la Région Parisienne, ex-secrétaire de l'Union des Syndicats de la R.P. ; Balsière, exclu du syndicat du personnel des services centraux de la SNCF ; Sulpice Dewez, ancien vice-président national des J.C., député communiste de Valenciennes de 1932 à 1940 ; et Parsal (Puech, dit Parsal), député communiste de la Seine de 1936 à 1940, qui participa en juin 1942 à la création du Comité d'information ouvrière et sociale chargé de la propagande pour la relève, et qui sera condamné à la dégradation nationale à vie et à la confiscation de ses biens au procès de l'ex POPF, le 8 avril 1948.

- Vorwärts, à l’angle des 32 rue des Moulins et 49 rue Neuve-des-Petits-Champs (auj. des Petits-Champs). C’est dans un appartement du premier étage de cet immeuble d’angle, loué par les frères Börnstein pour y installer leur agence de presse, que se tiennent plusieurs fois par semaine les réunions de rédaction du Vorwärts, le bi-hebdomadaire fondé au début de 1844 par Henri Börnstein, avec l’aide du compositeur Meyerbeer. « Outre Bernays et moi-même, qui étions les rédacteurs, raconte Heinrich Börnstein dans ses mémoires, écrivaient pour le journal Arnold Ruge, Karl Marx, Heinrich Heine, Georg Herwegh, Bakounine, Georg Weerth, G. Weber, Fr. Engels, le Dr Ewerbeck, et Heinrich Bürgers ». Et il en oublie quelques-uns, dont German Mäurer, l’un des dirigeants de la Ligue des Justes, soit une douzaine de personnes, pour ne rien dire des discussions qui sont menées par ailleurs avec Proudhon, Louis Blanc, le typographe Pierre Leroux (avec lequel George Sand avait créé la Revue indépendante trois ans plus tôt), ou Victor Considérant, le disciple de Fourier. L’ouvrage de référence du milieu ouvrier allemand est alors les Garanties de l’harmonie et de la liberté, publié par « le garçon tailleur Weitling » en 1842, dont Marx fera l’éloge dans le Vorwärts du 10 août 1844 : « Pour ce qui est de la culture des ouvriers allemands ou généralement de leur capacité à se cultiver, je rappellerai l’œuvre géniale de Weitling, qui dépasse souvent Proudhon lui-même au point de vue théorique ». « Il faut reconnaître que le prolétariat allemand est le théoricien du prolétariat européen, écrira-t-il ailleurs, de même que le prolétariat anglais en est l’économiste et le prolétariat français le politique. »

- La Vérité des Travailleurs, 64 rue de Richelieu. C’est l’organe du PCI, Section française de la IVe Internationale. « Toutes nos forces pour la révolution algérienne » titre son numéro de février 1961. Et ces forces ne seront pas mises au seul service de manifestations de rue. A peine quatre mois plus tard, Michel Raptis, dit Pablo, et Salomon Santen, étaient jugés, à Amsterdam, pour une aide au F.L.N. qui s’était traduite par l’impression de faux papiers et de fausse monnaie : 960 000 faux billets de cent nouveaux francs avaient été saisis. Ils allaient être condamnés à quinze mois ferme. Au même moment devenait opérationnelle, à la frontière algéro-marocaine, une usine d’armements secrète que Pablo et ses camarades, selon Les Porteurs de valises d’Hervé Hamon et Patrick Rotman, avaient aidé à mettre sur pied. Pour la faire tourner, le F.L.N. avait rapatrié ses meilleurs métallos de chez Renault ou Citroën. Et le PCI avait encore monté un réseau pour l’aide médicale aux blessés.

- La Guerre Sociale, 121, rue Montmartre, à compter de décembre 1906, puis rue Saint-Joseph en 1911. Diffusant 15 000 exemplaires à son lancement, 20 000 un an plus tard, puis 50 000, vendu abondamment à la criée, c’est, selon les intentions de Gustave Hervé, un « organe de liaison entre les anarchistes de la CGT [...] et les socialistes unifiés les plus avancés ». Gustave Hervé est membre de L’Association internationale antimilitariste, dont il a signé, parmi trente, l’« Appel aux conscrits » qui, en octobre 1905, s’est étalé sur les murs de Paris. A la SFIO, ses amis et lui sont organisés en tendance. A compter de la mi-1909, ces syndicalistes anarchistes et ces socialistes avancés qu’il veut lier, Almereyda, Merrheim, chaudronnier, secrétaire de la fédération des métaux CGT depuis 1905, Sébastien Faure et quelques autres, mettent sur pied l’Organisation de combat, pour préparer la grève révolutionnaire, et des Jeunes Gardes, que la police estimera à 600 membres vers la fin de 1911, formés en groupes de 10 hommes armés « à la moderne », commandés par un chef qui est le seul à être en rapport avec le comité exécutif.
Au matin des manifs, la Guerre Sociale ouvre ses colonnes à Gaston Couté ou à Montehus et publie « les chansons que l’on chantera ce soir », sans compter « La Chanson de la semaine sur un thème d’actualité » à compter du 22 juin 1911 : « Chaque semaine nous publierons une chanson satirique de Gaston Couté. L'auteur des Conscrits, des Gourgandines, du Christ en Bois et de tant d'autres poèmes d'une langue si savoureuse et si forte, vulgarisera à sa façon les idées de révolte et d'émancipation qu'il a toujours défendues. »
Des chansons et des armes, oui ; des colifichets, non ! « Rien n'est devenu plus piteux que le commerce des insignes rouges soi-disant socialistes ou révolutionnaires. Bien que destinés à affirmer, moyennant 10 centimes, l'héroïsme de celui qui les porte, ils ont depuis longtemps perdu toute signification protestataire ou combative. Il en est de ces insignes comme du pèlerinage annuel de la Semaine sanglante, comme de l'épithète "sociale". L'usage les a galvaudés, en a fait de simples démonstrations fétichistes. » Voilà comment La Guerre sociale des 10-17 juillet 1907 rend compte, sous ce titre, d’« Une Manifestation ».
N° du samedi 13 juin 1936 (Gallica)

- l’Humanité, 142 (dès le début 1913) puis 138 (à compter de 1931) rue Montmartre. Dans les mêmes immeubles sont logés Bonsoir, Le Journal du Peuple de Fabre, exclu du PC en mai 1922 à la demande de l’Internationale ; le Merle Blanc, créé en 1919 par Eugène Merlot dit Merle, ex secrétaire adjoint de l’Association Internationale Antimilitariste, collaborateur du Libertaire, et qui tirera à plus de 800 000 exemplaires dès 1922 ; La Volonté ; La Victoire, ex Guerre Sociale d’un Gustave Hervé devenu patriote, et qui a pris ce nouveau titre au 1er janvier 1916 ; Paris-Magazine, ou encore Le Populaire de Paris, journal socialiste du soir, avec comme directeur politique Jean Longuet, comme rédacteur en chef Paul Faure et comme directeur littéraire Henri Barbusse. En bas, la Librairie de l’Humanité. Rédaction et administration du Conscrit sont, en 1923, 142 rue Montmartre. Des cartouches y proclament : « L’armée, c’est le revolver du voleur capitaliste », ou « Conscrit ! à la caserne, fais l’apprentissage de la violence ». « Devenez des Marty » est le titre de l’article de « der ». Les cahiers du Bolchévisme y ont leur adresse ; la rédaction de l’Avant-Garde est logée au 138 rue Montmartre.
Marcel Cachin et Jacques Doriot sont arrêtés dans les bureaux de l’Humanité le 18 juillet 1927, après que le ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut, a dénoncé le travail antimilitariste et anticolonialiste du parti : « le communisme, voilà l’ennemi ». Une toile de Dali, « Autoportrait avec l’Humanité », le montre en bleu de chauffe, muni du quotidien daté du 24 juillet 1928, plié et ne laissant voir de son titre que « mani », en quoi l’on peut voir l’intention que l’on voudra mais pourquoi pas « manie », ce numéro tombant en plein milieu du VIe congrès du Komintern à Moscou, celui de la période « classe contre classe » où la social-démocratie, présentée comme « social-fascisme », devenait l’ennemi principal. Le 17 juillet 1929, une action judiciaire pour atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat ayant été ouverte contre Louis Cassiot, le responsable de la rubrique militaire du quotidien, des perquisitions y sont faites, et poursuivies le 25 juillet quand l’inculpation est étendue au journal dans son ensemble. Des documents sont saisis, l’action judiciaire encore élargie et 154 personnes inculpées, dont de nombreux membres du comité central. La police a pris les devants, le Parti préparant sa « Journée rouge », la journée internationale de lutte contre la guerre du 1er août 1929, 15e anniversaire du déclenchement de la guerre de 1914. L'Humanité écrivait dès le 12 juin, ainsi que le cite Danielle Tartakowsky : "La journée du premier août doit être une étape [...] Elle n'est pas la révolution ni l'insurrection mais en constituera un chaînon (...). Elle n'est pas l'émeute mais l'organisation consciente de la résistance [...] à la répression [...]. Elle n'est pas le putsch mais la journée où les prolétaires cesseront le travail et manifesteront [...] pour leurs revendications immédiates, leur droit à la rue en même temps qu'ils affirmeront leur volonté puissante de lutte contre la guerre impérialiste et la solidarité avec l'URSS". De tout ce qu’elle n’était pas, le pouvoir avait retenu le mais.
Dans le numéro du 13 juin 1936 de l'Humanité (Gallica)
En septembre de cette même année, ce n’est plus la police qui investit les lieux mais les Jeunesses, venues débarquer les « vieux » ; c’est la « révolution culturelle » à l’Humanité. Un groupe de militants du bâtiment, emmené par Marcel Gitton, occupe des bureaux où Marcel Cachin n’a que la ressource de s’enfermer à clef, en expulse sept rédacteurs et menace les autres et leurs déviations de sa vigilance révolutionnaire. Enfin ils destituent le rédacteur en chef, et installent à sa place Florimond Bonte. Dans le numéro qui suit, le 3 septembre, une déclaration du Bureau politique avalise le changement, qu’elle situe dans le cadre du « travail d’épuration entrepris dès le lendemain du VIe Congrès mondial ». L’initiative « de la base » répondait en fait à une suggestion des responsables de l’action antimilitariste et anticolonialiste, auxquels l’Internationale venait de confier le parti français : Barbé, membre de l’exécutif de l’International communiste des Jeunes et officieux premier dirigeant du PC, et Célor
En 1934, l’Humanité n’a toujours que 6 pages comme à la veille de 1914. Dans ces années-là, à la rubrique « Convocations », carnet de rendez-vous pour toutes les organisations de l’univers communiste, les cours d’espéranto de l’Université ouvrière sont encore réguliers, comme les sorties du groupe des naturistes, pendant que dans les colonnes voisines, l’Humanité propose sa vente directe de charbon comme le fait le Populaire à la même époque. C’est alors leur seul point commun. Le Front Populaire en amènera d’autres, et même un dialogue inattendu, l’Humanité répondant au « Tout est possible » affirmé dans le Populaire par Marceau Pivert, sous la plume de Marcel Gitton : « Non, non, il ne s’agit aucunement « d’un changement radical, à brève échéance, de la situation économique et politique » comme l’écrit le camarade Pivert. Non, non, Marceau Pivert, il n’est pas question pour le gouvernement de demain « d’opérations chirurgicales ». » Le 28 mai, un article de Frachon disait déjà : « Nous approuvons et soutenons l’action des travailleurs parisiens. Il y a cependant des régions où la misère est encore plus grande. » Et l’Humanité du 13 juin 1936 enfoncera encore le clou, Thorez y rappelant la « riposte que nous avons faite à Pivert » : « nous et nous seuls, nous avons répondu : « Non, tout n’est pas possible maintenant. » »

L'hôtel Colbert (porche), 16 rue du Croissant, en 1914 (Gallica)
- L’Humanité, 16 rue du Croissant. Et Librairie de l’Humanité. Le 24 avril 1908, L’Humanité de Jean Jaurès, arrivant du 110, rue de Richelieu, s’installe à l’hôtel Colbert ; elle y restera jusqu’au 25 janvier 1913, pour s’installer ensuite à deux pas, au 142 rue Montmartre.

- Imprimerie du Croissant, 19 rue du Croissant. Dans les années 1960, c’est dans cette imprimerie centenaire, auprès des militants de la CGT - le syndicat ayant le monopole de l’embauche dans la branche -, que les étudiants de l’Unef viennent chercher le job d’été qui leur fera nettoyer les locaux de l’International Herald Tribune ; et dans ces mêmes sous-sols syndicaux que sont diffusés les premiers films porno suédois.

L'inauguration de la plaque en 1924 (Gallica)
- café du Croissant, 146 rue Montmartre. « J’ai visité, écrit Trotsky le 17 juillet 1915 dans la Kievskaya Mysl dont il est le correspondant parisien, le café, désormais célèbre, du Croissant, situé à deux pas de l’Humanité. C’est un café parisien typique : plancher sale avec de la sciure de bois, banquettes de cuir, chaises usées, tables de marbre, plafond bas, vins et plats spéciaux, en un mot ce que l’on ne rencontre qu’à Paris. On m’a indiqué un petit canapé près de la fenêtre : c’est là qu’a été tué d’un coup de revolver le plus génial des fils de la France actuelle. » Il s’agit bien sûr de Jaurès assassiné ici un an plus tôt dans sa 55e année.

- rue Saint-Fiacre. Martin Nadaud y travaille en 1835, souvent de 4h du matin à 8h du soir, à démolir de vastes ateliers qui avaient servi à une maison de roulage – « on sait que ce quartier est le centre du grand commerce d’exportation de Paris ». Il y a deux autres chantiers à côté du sien. « En face de notre bâtiment, il y avait de grands magasins de marchandises d’exportation qu’on chargeait ou déchargeait dans la cour ou même dans la rue. Les emballeurs s’adressaient à nous en répétant les noms que nous donnions à nos garçons, puis ils riaient aux éclats en nous regardant. » L’affront ne restera pas impuni : on en viendra aux mains, chaque bande envoyant son champion pour une rencontre à la régulière.

- FTOF, AEAR, 12 rue Saint-Fiacre. La Fédération du Théâtre Ouvrier de France (FTOF), la permanence qu’elle assure du lundi au samedi de 15h à 18h, et la rédaction de la Scène Ouvrière, arrivent ici, au 4e étage, à la mi-1932, en même temps que la toute jeune Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires (AEAR), dont l’assemblée constitutive vient de se tenir le 18 mars, et qui avait occupé depuis, provisoirement, le 3 rue Valette.
A la fin d’août 1931, alors que la FTOF avait pensé réunir 30 groupes de « Blouses Bleues » à Bezons pour son assemblée régionale parisienne, seize seulement s’étaient présentés, dont neuf en mesure de participer à un « spectacle » de démonstration. Mais la Fédération allait bientôt compter plus de cent groupes dont, pour Paris intra muros, Masses, Mars, et Octobre, outre ceux des 13e, 14e, 18e et 20e arrondissements. La FTOF, dont le trésorier est l’orthodoxe Gaston Clamamus, est alors animée par le compositeur Robert Caby, l’un des derniers amis d’Erik Satie, journaliste musical de l’Humanité et gérant de la Revue du Cinéma de Jean-Georges Auriol, et par Jean-Paul Dreyfus (Le Chanois). Robert Caby, membre du PC depuis la fin des années 1920 mais ami de Léon Sedov, quittera plus tard le parti pour militer à l’aile gauche du PS.

- cinéma Le Rex, 1 bd Poissonnière. Il est Soldatenkino durant l’occupation, et sera de ce fait la cible d’une attaque de la résistance qui marque un tournant dans l’opinion, se rappelle Simone de Beauvoir : « L’explosion de bombes à retardement au cinéma Garenne-Palace et au cinéma Rex, l’attaque à la grenade d’un détachement allemand rue d’Hautpoul [19e], furent chèrement payées : on fusilla quarante-six otages communistes au fort de Romainville. (...) A présent, l’immense majorité des Français appelait avec impatience la défaite allemande. »

- la SNEP, 6 bd Poissonnière. Le Populaire s’y installe à la Libération. En vertu de la loi du 11 mai 1946, les biens de presque tous les journaux apparus sous l’occupation sont regroupés dans un holding d’Etat, la Société Nationale des Entreprises de Presse (SNEP), à charge pour celui-ci de les revendre ou les louer à bail à la presse nouvelle, après indemnisation des titres non coupables de collaboration. Mais la mise en œuvre de la loi dépendra des ministres de l’Information successifs, socialistes, MRP ou RGR, qui y feront preuve d’un zèle très divers. André Ferrat, qui avait dirigé la Section coloniale du Parti communiste à partir de 1931, et qui avait à ce titre réorganisé le parti en Algérie au printemps de 1934, en en confiant la direction à Amar Ouzegane, futur ministre du gouvernement algérien de 1962 à 1965, est directeur de l’imprimerie Réaumur, filiale de la SNEP, en 1946. C’est là qu’est imprimé le journal du MTLD, l’Algérie Libre. Quand le préfet de police veut le faire saisir, le 17 juin 1950, il trouve la SNEP peu coopérative, pour ne pas dire complice. Le 1er septembre 1950, il est à nouveau question de saisie, et la police s’étonne que le ministère de l’Information, tutelle de la SNEP, n’interdise pas tout bonnement à celle-ci d’imprimer le titre. On doit se borner à conduire au poste ses vendeurs. Le 8 septembre, la SNEP renonce à l’impression de l’Algérie libre, André Ferrat ayant été prévenu qu’il se trouvait pénalement responsable ; dix jours plus tard, plus de 1 100 Nord-Africains sont interpellés préventivement alors qu’ils tentaient de manifester en direction de l’imprimerie Réaumur. A la fin du mois, l’Algérie libre reparaît chez un autre imprimeur, non identifié, elle est alors saisie dans la rue. Elle l’est à nouveau à la mi-octobre.

- L’Humanité, 8 bd Poissonnière, face au cinéma Rex. La Librairie Nouvelle est au rez-de-chaussée, le quotidien au 4e étage, L’Humanité Dimanche au 5ème. Le 29 novembre 1947, l’Humanité et Ce Soir sont saisis en vertu de l’article 10 ; la manifestation de protestation organisée autour des locaux, le lendemain, ne regroupe que 2 000 personnes selon la police. Le 2 décembre, l’Humanité est à nouveau saisie, sur mandat de justice, en même temps qu’une affiche du Comité central de Grève, présidé par Benoît Frachon. Le 6 décembre, une Commission rogatoire assez largement conçue donne toute latitude à la police de saisir les tracts, affiches et journaux sans être obligée d’obtenir l’accord préalable du Parquet. L’immeuble de l’Humanité va être, dans les années d’après guerre, le lieu autour duquel on se regroupe en défense, et parfois en faisant parler le plomb, qui est encore l’outil de travail des typos ; devant lequel on se réunit aux soirs d’élections pour l’affichage des résultats ; devant lequel on se recueille les jours de funérailles. Le 17 mai 1963, le cercueil de Pierre Courtade est exposé dans le hall de l’Humanité. En 1967, c’est celui de Georges Sadoul, devant lequel Aragon prononce, juge Pierre Daix, « un discours non dénué de nostalgies, où se lisait une interrogation sur le chemin qu’ils avaient pris ensemble, comme aussi leur regret commun de n’avoir pas su retrouver Breton. » Au début de juin 1970, c’est Elsa Triolet qui y repose, et c’est de là que part, après un « discours déchirant » de Pablo Neruda, un petit cortège d’intimes et de dirigeants du parti en direction du moulin de Saint-Arnoult en Yvelines.

- siège de la FTOF, et de l’A.E.A.R., 13 rue du Fbg Montmartre. Le troisième congrès de la FTOF, à la Bellevilloise, le 15 janvier 1933, est l’occasion de représentations de La Bataille de Fontenoy – dont Masses, de René Lefeuvre, juge qu’elle passe «  par-dessus la tête de l’ouvrier » -, par le groupe Octobre, et de Prolos en scène par la chorale de l’AEAR. L’assemblée décidera également d’envoyer comme représentants aux Olympiades du théâtre ouvrier de Moscou, ce même groupe Octobre, dont fait partie Jacques Prévert, et les Blouses bleues de Bobigny. L’AEAR publie maintenant un journal-tract, Feuille rouge, en Une duquel André Breton explique que « M. Renault est très affecté » : l’explosion d’une chaudière vient de faire dans son usine 5 morts et 150 blessés. Ce n’est qu’une conséquence de sa politique de rationalisation et d’exploitation, explique Breton.
A la « Fête de l’Huma » qui suit, à Garches, outre les deux groupes retour de Moscou, la FTOF présente encore Mars, et la Phalange du 18e, à côté de la chorale juive et de sa centaine de choristes. Les Blouses Bleues seront à la fête commémorative de la Révolution russe, le 8 novembre, comme elles étaient allé animer le congrès de la CGTU. Trois ans plus tard, ce sont 120 groupes de la FTOF de Paris et de la région parisienne que l’on retrouvera dans le défilé du 14 juillet 1936.

- permanence de la Seine du Parti socialiste, 12 rue Feydeau. A cette adresse est d’abord édité Le Populaire, en 1921, après le congrès de Tours, quand le PS maintenu a perdu l’Humanité et aussi tous ses locaux. De journal socialiste du soir, le Populaire en devient quotidien du matin, avec Jean Longuet et Léon Blum comme directeurs politiques. Les excercices d’espéranto que publie le Populaire resteront à expédier au 12 rue Feydeau, qui les  corrige et les retourne, longtemps après que le quotidien sera passé rue Victor-Massé et l’adresse devenue celle de la Fédération de la Seine. C’est cette fédération, en effet, qui assure l’enseignement de l’espéranto par correspondance.
A la Fédé (on dit aussi l’Entente) de la Seine, domine d’abord le courant de « la Bataille socialiste » dans lequel Jean Zyromski, en charge de la page sociale du Populaire, a regroupé dès 1927 les éléments hostiles à la participation socialiste au gouvernement. Marceau Pivert, qui partage bientôt le leadership de ce courant, manifestera plus tard ses désaccords.
Le local ayant été mis à sac par les Croix de Feu le 7 avril 1935, Marceau Pivert accepte l’offre des Bolcheviks-Léninistes (trotskystes), qui viennent d’adhérer au PS, d’organiser une milice : ce seront les TPPS (Toujours Prêts Pour Servir), organisés en dizaines, trentaines et centaines, entonnant dans les défilés leur « Marche des TPPS ».
Au 5e étage du même immeuble, se trouve la Fédération des Jeunesses Socialistes, qui y inaugure un foyer le 11 mai 1935. L’Entente de la Seine des Jeunesses dispose, à partir de décembre 1934, d’un mensuel fédéral, Révolution, « organe de lutte et de combat de la jeunesse ouvrière », dont Fred Zeller représente la rédaction, et qui est beaucoup plus virulent que l’organe national, le Cri des Jeunes. A l’été 1935, les Jeunesse de la Seine comme celles de la Seine-et-Oise sont dissoutes. Les exclus continuant de se maintenir rue Feydeau, le Populaire doit rappeler que, dorénavant, « le seul organisme régulier des Jeunesses Socialistes pour la fédération de la Seine est rue Victor-Massé », et pour la Seine-et-Oise, rue Rodier. Dans ces conditions, la grande fête des J.S. à Boulogne-Billancourt, le 15 septembre n’est pas un franc succès. En janvier 1936, les Jeunesses « maintenues » rompront avec la SFIO pour constituer les Jeunesses Socialistes Révolutionnaires.
Chez les adultes, Marceau Pivert a finalement fondé sa tendance, la Gauche révolutionnaire, en septembre 1935 ; elle aura son mensuel éponyme, comme journal de courant, interne à la SFIO, et la revue Masses de René Lefeuvre, membre de la tendance, pour faire connaître ses idées à l’extérieur. Dans la Gauche révolutionnaire du 25 février 1936, René Lefeuvre théorisait la « grève sur le tas » en pratique aux Etats-Unis comme une nouvelle forme d’action directe. C’est cette grève sur le tas (ou encore « avec occupation ») qui allait être mise en œuvre dans les entreprises de l’aéronautique deux mois et demi plus tard. En décembre 1936, indépendamment de Marceau Pivert alors au gouvernement, sa tendance constituait un Comité d’action socialiste pour la levée de l’embargo, qui devenait Comité d’action socialiste pour l’Espagne quand les zyromskistes l’eurent rejoint.
Marceau Pivert acceptera de dissoudre sa tendance en 1937, avant de quitter finalement la SFIO en 38, avec la majorité de la fédération de la Seine, pour fonder le Parti Socialiste Ouvrier et Paysan (PSOP). Après la guerre, il reviendra pourtant à la SFIO et sera secrétaire de la Fédération de la Seine à partir du 4 juillet 1947. Jean Zyromski, qui avait été comme lui le champion de l’unité organique et le dénonciateur de la politique de non-intervention en Espagne, a choisi pour sa part l’adhésion au PC en 1945.
Dès la fin de 1946, les Jeunesses du PS étaient à nouveau mises en accusation dans la SFIO. A la mi-47, 80% des JS de la Seine suivaient André Essel, condamné aussi bien par le Comité directeur du PS que par une Fédération de la Seine dont Marceau Pivert était désormais le secrétaire.

- Travail et Liberté, 100 rue de Richelieu puis 18 rue Saint-Marc. A la fin de 1947, le mensuel cité plus haut est devenu un « hebdomadaire de combat pour la CGT indépendante, libre et démocratique ». A la même adresse siège bientôt l’Union Départementale de la Confédération générale des Syndicats indépendants, dont les premières sections sont, fin 1947, aux Wagons-Lits, avec Raymond Doubre comme secrétaire général ; aux Grands Moulins de Paris, sous la responsabilité d’Emile Ganne, et chez Bozel-Malestra, entreprise chimique dont le président est aussi le trésorier du RPF. Si le journal a été fondé par une équipe vichyste, la très grande majorité des syndiqués et une importante partie des dirigeants fédéraux seront vite des militants du RPF, « le devoir des compagnons étant de favoriser la création de syndicats autonomes, apolitiques », comme l’a écrit L'Etincelle ouvrière du 9 janvier 1948, et comme l’a confirmé de Gaulle en personne, dans sa conférence de presse du 17 novembre : "Nous serons amenés à constituer des syndicats nouveaux". Dès le 10 avril 1948, le bientôt fameux commissaire Jean Dides a entamé rue Saint-Marc un cycle de conférences éducatives pour la formation des "syndicalistes indépendants" aussi bien ouvriers que policiers. Les conflits, au sein de la confédération, deviendront très violents et, au début d'avril 1949 par exemple, Dewez et Houssard, c’est-à-dire la tendance RPF, s’empareront par la force des locaux de l'U.D. Le congrès de la C.G.S.I. d’octobre 1952 connaîtra les mêmes affrontements. La Confédération éclatera ensuite entre un "syndicat Simca", la C.F.S.I. animée par Charles Delarue, ex-inspecteur des RG, ancien policier collaborateur, et la « C.F.S. Travail et Liberté ».

- Opéra Comique, 5 rue Favart. Trotsky se rappelle y être allé avec Lénine, à la fin de 1902, lors d’un bref séjour qu’ils firent à Paris alors qu’ils résidaient à Londres. Avec leurs compagnes Kroupskaia et Sedova, selon certains, ou sans la Kroupskaïa mais avec Martov, dans le souvenir de Trotsky ; bref, Lénine avait acheté des chaussures à Paris, qui s’avérèrent trop étroites. Justement, les chaussures de Trotsky étaient à bout. Lénine lui donne donc sa paire trop petite ; à première vue, elle lui va parfaitement. Durant le spectacle, ça commence à être moins sûr et, sur le chemin du retour, « je souffrais atrocement et Lénine me raillait tout le temps, d’autant plus impitoyable qu’il avait enduré lui-même plusieurs heures le supplice de ces chaussures. »

- chantier de Nadaud, 29 rue de la Chaussée-d’Antin. Pendant qu’il travaille là, en 1830, la gargote où il prend ses repas est fréquentée par d’anciens soldats de Napoléon qui appartiennent à l’état-major du général La Fayette, alors commandant en chef des gardes nationales et qui habite la rue. « Parmi eux, deux ou trois qui racontaient les évènements de la journée où Louis XVI fut guillotiné. C’était la première fois que j’entendais parler de république... »

Emile Pataud devant le lycée Voltaire le 9/9/1908
- théâtre du Vaudeville, 2 bd des Capucines. Le 12 janvier 1910, Lénine y assiste, quatre jours après la création, à une représentation de la Barricade, de Paul Bourget, dont le personnage central est inspiré d'Emile Pataud, le chef du Syndicat des électriciens, et l’auteur, avec Pouget, d’un roman : Comment nous ferons la révolution. Les électriciens avaient, en 1907, plongé la ville lumière dans le noir deux nuits durant, avant d’être réquisitionnés sur ordre de Clémenceau.

- Union des Jeunes Filles de France, 9 bd des Capucines. Le premier congrès de l'Union des jeunes filles de France s’est tenu le 26 décembre 1936, et a réuni 600 déléguées, représentant 9 643 adhérentes. "Au début, quelques unes d'entre nous se sont demandées si ce n'était pas tourner le dos à nos principes que de vouloir organiser séparément les jeunes filles, y a confessé Danièle Casanova, citée par Jacques Varin dans, Jeunes comme JC... Disons franchement qu'une organisation mixte ne nous permettait pas un bien large recrutement. Depuis que notre organisation est constituée, nous avons découvert des militantes nouvelles et courageuses. Notre travail les intéresse, elles ont pris leur tâche à cœur, et pour la première fois nous pouvons dire, les jeunes filles participent nombreuses à la vie politique de la fédération des Jeunesses communistes de France." Outre qu’elles publient un mensuel, Jeunes filles de France, elles vont créer un millier de foyers de jeunes filles en France et compter 20 000 adhérentes en 1939.

- ministère des Affaires étrangères, 37 à 43 bd des Capucines (de 1820 à 1853). Le 23 février 1848, vers 9h30 du soir, à la hauteur du ministère des Affaires étrangères, un détachement du 14e de ligne ouvre le feu sur des manifestants, arborant des drapeaux rouges, qui arrivent du faubourg Saint-Antoine et se dirigent vers la Madeleine. Il y a plus de 100 morts. La foule, à la lumière des torches, promène toute la nuit des cadavres dans Paris. « Dans un chariot attelé d’un cheval blanc, que mène par la bride un ouvrier aux bras nus, seize cadavres sont rangés avec une horrible symétrie, écrit Marie d’Agoult. Debout sur le brancard, un enfant du peuple au teint blême, l’œil ardent et fixe, le bras tendu, presque immobile, comme on pourrait représenter le génie de la vengeance... » Un autre ouvrier, à l’arrière du chariot ne fait pas qu’incarner la vengeance, il la crie : « Vengeance ! Vengeance ! On égorge le peuple ! – Aux armes ! » répond la foule ». Les corps seront finalement déposés à la mairie du 4e de l’époque, place du Chevalier-du-Guet (auj. rue Jean Lantier).
"Décharge sur le bd des Capucines", gravure de l'Histoire de la Révolution de 1848 de Marie d'Agoult (Gallica)