PARIS Ier. 2 LE QUARTIER DES HALLES


La fontaine de la Croix-du-Trahoir. Atget. Gallica
La Croix-du-Trahoir, carrefour en T de la rue de l’Arbre-Sec et de la rue Saint-Honoré, est l’épicentre de Paris au XVIIe siècle. Elle se situe à l’intersection des routes des « entrées solennelles » arrivant de l’est – de Vincennes – par les rues Saint-Antoine et Saint-Honoré, et arrivant du nord – de Saint-Denis – par la rue éponyme, celles de la Ferronnerie et Saint-Honoré. Elle est entre la Ville (les Halles) et le Roi (le Louvre). Elle est enfin, pendant quatre-vingts ans, sur la route dominicale des protestants, entre leur temple de Charenton, bientôt capable d’accueillir cinq mille fidèles, et « la Petite Genève » de la rive gauche, la rue de l’Arbre-Sec étant la voie d’accès au Pont-Neuf.
Là, une fontaine, au beau milieu de ce carrefour qui n’est pas plus vaste alors qu’il ne l’est aujourd’hui, offerte par François Ier à la ville qui manque cruellement, et manquera si longtemps, d’eau. La fontaine est, comme le carrefour, à un confluent, celui de deux adductions : les eaux de source du Pré-Saint-Gervais qui, avec celles de Belleville, alimentent la rive droite, et les eaux que Marie de Médicis fait venir par l’aqueduc d’Arcueil en son Luxembourg, qui poursuivront jusqu’à la Croix-du-Trahoir en passant dans le tablier du Pont-Neuf.
« Par la Croix-du-Trahoir ! », c’est l’itinéraire qu’Henri IV indique à son cocher au sortir du Louvre alors qu’il va visiter Sully, le 14 mai 1610. Il sera arrêté, on le sait, par les coups de Ravaillac dans la rue de la Ferronnerie, rétrécie par les boutiques bâties contre la muraille du cimetière des Innocents. Henri II avait déjà demandé, cinquante-six ans plus tôt jour pour jour, que fussent démolies immédiatement les constructions empiétant sur la voie publique dans cette rue de la Ferronnerie « qui est notre passage pour aller de notre château du Louvre en notre maison des Tournelles ».
S’il y a croix, c’est qu’il y a potence, exemplaire bien sûr en ce lieu si passant, une potence qu’ont vue Cyrano de Bergerac, né d’un côté, rue des Prouvaires ou rue Dussoubs, en 1619, et Molière, né de l’autre côté, trois ans plus tard, à l’angle de la rue Sauval et de la rue Saint-Honoré. Et Ragueneau, le rôtisseur poète, installé tout près, que fréquentent les gamins devenus grands avec Chapelle, Scarron, Tristan L’Hermite, d’Assoucy... C’est chez Ragueneau, le verre levé, que Cyrano donne « à [ses] amis les buveurs d’eau » une ironique « description de l’aqueduc ». C’est chez Ragueneau, sous l’ombre portée de la potence et de la croix qu’il vulgarise les idées de Gassendi ou de La Mothe Le Vayer, de ces libertins qui pouvaient, au début du siècle, faire profession d’athéisme si la répression les oblige désormais à plus de prudence.
La Fronde commence ici, en mai 1648, telle que la raconte celui qui est alors le coadjuteur de l’archevêque de Paris et sera plus tard le cardinal de Retz : « Une foule de peuple, qui m' avait suivi depuis le Palais-Royal, me porta plutôt qu’elle ne me poussa jusques à la Croix-Du-Tiroir [du Trahoir], et j' y trouvai le maréchal de La Meilleraie aux mains avec une grosse troupe de bourgeois, qui avoient pris les armes dans la rue de l’Arbre-Sec. Je me jetai dans la foule pour essayer de les séparer, et je crus que les uns et les autres porteraient au moins quelque respect à mon habit et à ma dignité. Je ne me trompai pas absolument ; car le maréchal, qui était fort embarrassé, prit avec joie ce prétexte pour commander aux chevau-légers de ne plus tirer ; et les bourgeois s’arrêtèrent, et se contentèrent de faire ferme dans le carrefour ; mais il y en eut vingt ou trente qui sortirent avec des hallebardes et des mousquetons de la rue des Prouvelles [Prouvaires], qui ne furent pas si modérés, et qui ne me voyant pas ou ne me voulant pas voir, firent une charge fort brusque aux chevau-légers, cassèrent d’un coup de pistolet le bras à Fontrailles, qui était auprès du maréchal l’épée à la main, blessèrent un de mes pages, qui portait le derrière de ma soutane, et me donnèrent à moi-même un coup de pierre au-dessous de l’oreille, qui me porta par terre. Je ne fus pas plus tôt relevé, qu’un garçon d’apothicaire m’appuya le mousqueton dans la tête ».
Mazarin et la reine mère, au prétexte que le parlement de Paris refuse depuis plusieurs mois l’enregistrement de sept nouveaux édits fiscaux, ont fait arrêter l’un des membres de la compagnie, Pierre Broussel, très populaire : « parmi le peuple ils l’appelaient leur père, c’était un homme de bien et de vertu », selon les Mémoires de Mlle de Montpensier. Le Parlement va réclamer sa libération, se satisfait des promesses de la régente, et les deux premières barricades qu’il rencontre au retour s’en contentent également. « La troisième, qui était à la Croix-Du-Tiroir, poursuit Retz, ne se voulut pas payer de cette monnaie ; et un garçon rôtisseur, s’avançant avec deux cents hommes, et mettant la hallebarde dans le ventre du premier président, lui dit : “tourne, traître ; et si tu ne veux être massacré toi-même, ramène-nous Broussel ou le Mazarin et le chancelier en otage”. Vous ne doutez pas, à mon opinion, ni de la confusion ni de la terreur qui saisit presque tous les assistants... »
Ce rôtisseur – le Journal d’Olivier d’Ormesson ne parle pas de garçon –, on jurerait que ce fût Ragueneau. « Le mouvement fut comme un incendie subit et violent qui se prit du Pont-Neuf à toute la ville. Tout le monde, sans exception, prit les armes. L’on voyait les enfants de 5 et 6 ans avec les poignards à la main ; on voyait les mères qui les leur apportaient elles-mêmes. » Plus de douze cents barricades s’élèvent en moins de deux heures, « bordées de drapeaux et de toutes les armes que la ligue avait laissées entières ».
Soixante ans après la Ligue, pour la deuxième fois, les barricades parisiennes chassent le roi de la ville, en l’occurrence la reine mère, régente du royaume. « Elle s’enfuit de Paris, écrira Voltaire, avec ses enfants, son ministre, le duc d’Orléans, frère de Louis XIII, le Grand Condé lui-même, et alla à Saint-Germain, où presque toute la cour coucha sur la paille. On fut obligé de mettre en gage chez les usuriers les pierreries de la couronne. »
Le Grand Condé met Paris en état de siège, la ville forme une armée de quatorze mille hommes de pied et quinze cents chevaux, qui est défaite à Charenton. Le 11 mars 1649, le président du parlement de Paris, Mathieu Molé, accepte de signer « la paix de Rueil » qui vaut renoncement des magistrats à limiter le pouvoir royal. Le 13 mars, Paris accueille cette paix par une nouvelle émeute où Molé manque être massacré.
Dans cette fronde, le duc de Beaufort-Vendôme, fils d’un bâtard légitimé d’Henri IV, « l’idole du peuple, et l’instrument dont on se servit pour le soulever », selon Voltaire ; celui auquel Alexandre Dumas père fera dire de lui-même « Moi, le Parisien par essence, moi qui ai régné sur les faubourgs et qu’on appelait le roi des Halles », a joué un rôle « important ». Il y a ainsi un roi du Louvre et un roi des Halles, un roi de la ville et un roi de la nation, et la ville, ce sont les Halles.

Des idées mises au pilori
Le pilori des halles, 2e moitié du 18e s. C.-L. Desrais. Gallica
Les Halles et le cimetière des Innocents, c’était tout un, les légumes que les vivants mangeraient par le haut et, à côté, ceux qui les mangeaient par la racine dans quelque fosse commune, dont toujours deux ou trois en service, par roulement, mal couvertes de planches disjointes. Les corps qui mangeaient la chair arpentaient la terre qui mangeait les corps avec une rapidité remarquable : « en vingt-quatre heures de temps », s’étaient laissé dire les voyageurs De Villers, qui n’en eurent néanmoins aucune preuve.
Aux Halles, installées dans leurs murs depuis Henri II et ceintes sur presque trois côtés de maisons à arcades dites Piliers, était aussi le pilori, au débouché du prolongement aujourd’hui imaginaire de la rue Mondétour dans la rue Rambuteau. On trouvait évidemment ici ce qu’il fallait de trognons de choux à jeter au visage des six malheureux mis au carcan. Sous le pilori était le logement de fonction du bourreau de Paris.
Le 6 septembre 1683, le service funèbre de Colbert avait eu lieu de nuit dans la proche église Saint-Eustache, protégée par la garde tant le défunt était haï. « Ci-gît l’auteur de tous impôts / Dont à présent la France abonde / Ne priez point pour son repos / Puisqu’il l’ôtait à tout le monde », ironisait un libelle que Coysevox, qui dressait le mausolée entre les statues de l’Abondance et de la Fidélité, ne faisait naturellement pas figurer sur son socle. Vauban, lui, était l’auteur d’un projet de réforme fiscale qu’il avait adressé à Louis XIV, et dont certains ont pu penser qu’il aurait été susceptible d’éviter la Révolution, mais on fit lapider, à ce pilori, en février 1707, sa Dixme royale.
Vauban n’avait fait imprimer qu’à trois cents exemplaires son projet et ne l’avait distribué qu’à un public sélectionné, c’était donc curieux de le faire « connaître » – certes de nom seulement, et par sa reliure – en l’exposant.
Quand le cimetière des Innocents fut clos d’arcades, celles-ci, loin de l’isoler, le transformèrent en marché couvert et en promenoir, sauf que vendeurs et acheteurs y avaient au-dessus de la tête, dans des combles servant de séchoir, un épais ciel de crânes et d’ossements et, aux pieds, toujours les mêmes fosses pestilentielles. Alors que les tombereaux, par trois portes, venaient y déverser leurs macabres chargements, on continuait d’y vendre des babioles à la mode, des colifichets et articles de Paris pendant que les écrivains publics, sur tout le côté jouxtant la rue de la Lingerie, vous troussaient billets doux et requêtes pour cinq ou six sols « en bas stile », pour dix, douze ou vingt « en haut stile ». Pour trois siècles, jusqu’à l’ouverture du Pont-Neuf en 1603, le charnier des Innocents aura été, avec la galerie du Palais de Justice, l’endroit le plus couru, le plus animé de Paris. Il est amusant de penser que le Forum des Halles est aujourd’hui le plus grand centre commercial d’Europe, et la Fnac qui s’y trouve la plus grande librairie de l’Union.

Du fer, puis défaire
La fontaine des Innocents et la halle aux draps, 1793, Swebach. Gallica
Dès la veille de la Révolution, le cimetière, qui l’était déjà grandement de fait, était devenu un marché authentique ; les ossements avaient été soigneusement rangés aux Catacombes, où ils sont encore. La fontaine des Innocents, inaugurée pour l’entrée solennelle d’Henri II, le 16 juin 1549, et que Jean Goujon avait adossée à l’église éponyme, à l’angle des rues Saint-Denis et Berger, était remontée au milieu du marché, mais mise aussi au régime sec. Quand Bonaparte demanda ce qui le ferait apprécier des Parisiens, il lui fut répondu, comme il l’aurait été à chaque règne et à chaque siècle, de leur donner de l’eau. Le canal de l’Ourcq suivit, et la fontaine des Innocents jaillit à nouveau en 1812 après avoir été tarie un quart de siècle.
À peu près au même moment, Napoléon décidait : « Il sera construit une grande halle qui occupera tout le terrain de la halle actuelle, depuis le marché des Innocents jusqu’à la halle aux farines ». Baltard n’était pourtant nommé que le 4 août 1845, et ses plans déposés en juin 1848, quelques jours donc avant les terribles journées qui brisaient la révolution de février. La première pierre des Halles posée le 15 septembre 1851 par le Prince-Président, les plans étaient bientôt refaits pour suivre l’injonction de Napoléon III : « du fer, rien que du fer ». Le « ventre de Paris », tel que le décrira Zola, a désormais sa rondeur même si ses deux derniers pavillons, sur douze, ne seront achevés qu’en 1936.
Dès 1854, Eugène Flachat et Édouard Brame avaient présenté un projet de chemin de fer souterrain pour alimenter les halles de Paris depuis la gare de l'Est, et les Halles avaient été construites pour cela sur une dalle. C’est pourtant le passage du RER qui sera le prétexte de leur destruction, en 1973, parce que l’on creuse moins cher à ciel ouvert. Il y eut ensuite un « trou des Halles », sur lequel restèrent penchés plusieurs années des décideurs perplexes, avant d’en garnir les bords de nervures blanches formant vitrines à des boutiques.

La philosophie à la mode
Au mois de novembre 1650, quatre hommes ont encore été pendus à la Croix-du-Trahoir pour une tentative supposée d’assassinat du « roi des Halles ». Le duc de Beaufort a su présenter comme ordonné par Mazarin ce qui n’était peut-être qu’un acte crapuleux car, comme le note alors Mlle de Scudéry, « depuis un mois ou six semaines, on vole si insolemment dans les rues de Paris, qu’il y a eu plus de quarante carrosses de gens de qualité arrêtés par ces messieurs les voleurs, qui vont à cheval, et presque toujours quinze ou vingt ensemble ». Cyrano de Bergerac, partisan de la Fronde quand elle était celle du Parlement, lui devient hostile quand elle se transforme en celle des Princes et, chez Ragueneau, se brouille avec ses anciens amis.
La fontaine, qui gênait la circulation dans la rue Saint-Honoré, a été adossée aux immeubles d’angle où elle est encore. Elle a été dotée d’un petit logement pour le fontainier, dont dispose Francine, le magicien des eaux de Versailles, où est officiellement, depuis 1678, la résidence du Roi-Soleil. Les prétentions des grands se limitent désormais à des problèmes de plomberie quand il s’agit de départager, au-delà de la Croix-du-Trahoir vers la nouvelle place des Victoires, « le tuyau du roi » des leurs.
C’est par la rue Saint-Honoré que le roi fait retour à Paris, en la personne du petit Louis XV, 5 ans, dans un carrosse violet attelé de six chevaux blancs. Quand il est sauvé, après qu’on a craint qu’il mourût d’une indigestion de cerneaux, c’est à la Croix-du-Trahoir qu’est tiré le feu d’artifice. L’ambassadeur de la Sublime Porte, qui vient voir le roi aux Tuileries alors qu’il atteint ses 11 ans, emprunte cet itinéraire où l’on a tendu les façades de tapisseries, et pareillement le curieux czar de Moscovie, qui le parcourt sans gants ni perruque.
« Tous les deux jours au plus tard, malgré des occupations très exigeantes », Jean-Jacques Rousseau, qui est du quartier, fait le chemin seul ou avec Mme Diderot pour aller passer l’après-midi avec son ami Denis, « sorti du donjon » en cette fin de 1749, et à qui l’on a « donné le château et le parc de Vincennes pour prison, sur sa parole, avec permission de voir ses amis ». Quelques mois plus tard, c’est chez Mme Dupin, sa voisine – il habite à côté du jeu de paume de la rue Verdelet (emportée par la rue Étienne-Marcel), et l’hôtel du Fermier général est rue Plâtrière (nord de l’actuelle rue J.-J.-Rousseau) –, qu’on présente Voltaire à Jean-Jacques. À deux pas, s’achève la démolition de l’hôtel de la Reine, devenu hôtel de Soissons, naguère rempli de plus d’une centaine d’échoppes des agioteurs de Law, et Paris n’en sauve que la « colonne astrologique » de la superstitieuse Catherine de Médicis, aujourd’hui accolée à la Bourse de commerce.
St-Eustache, les Halles de Baltard, la Poste de la rue du Louvre, la colonnne de Catherine de Médicis, 1903. Gallica
Le quartier des Halles, devenu philosophique en diable, est aussi celui de l’élégance, mais, pour Voltaire, on le sait, luxe et lumières ne font qu’un. Rue de la Ferronnerie est installé Labille, chez qui une certaine Jeanne Bécu se place comme modiste, en 1761, à 18 ans. Elle s’y lie avec une des filles de la maison, Adélaïde, miniaturiste, plus tard assez bon peintre pour être la rivale de Mme Vigée-Lebrun. Adélaïde lui présente ce Jean du Barry qui, par l’intermédiaire de son frère, lui ouvrira le chemin de la cour.
À la Croix-du-Trahoir, dans les mêmes locaux, les bonnets de plumes dits Panaches à la Quèsaco occupent la place « des oies, des canards, des paons blancs » accrochés au dais en fer forgé de Ragueneau. Rose Bertin en a lancé la mode, et ce n’est que la première d’une longue série. « Le deuil du roi [Louis XV meurt le 11 mai 1774] arrêta un peu une nouvelle mode assez ridicule qui remplaçait les quèsaco, celle des poufs au sentiment. C’était une coiffure dans laquelle on introduisait les personnes ou les choses qu’on préférait. Ainsi le portrait de sa fille, de sa mère, l’image de son serin, de son chien, etc., tout cela garni des cheveux de son père ou d’un ami de cœur. C’était incroyable d’extravagance », écrit la baronne d’Oberkirch.
Coiffeur à l'œuvre à la fin du 18e.
De la maison du « ministre de la mode », « singulière personne, gonflée de son importance, traitant d’égale à égale avec les princesses », part désormais « la poupée de France », ce mannequin articulé, « attifé, coiffé à la dernière mode, qu’on envoyait dans les pays étrangers pour y apprendre les modes de la cour de France. Elle va du Nord au Midi, raconte Mercier, elle pénètre à Constantinople et à Saint-Pétersbourg et le pli qu’a donné une main française se répète chez toutes les nations, humbles observatrices du goût de la rue Saint-Honoré ».
Quel contraste avec la vie que mène Rousseau, revenu rue Plâtrière (aujourd’hui 52-54 de la rue qui porte son nom), au quatrième étage : une cage aux oiseaux sur le rebord de la fenêtre, une caisse où il range plantes et attirail à herboriser, une table pour écrire et s’acquitter de la copie de musique qui lui assure quelque revenu... Et il trouve le moyen de retourner le vin qu’ont apporté ses invités quand il en reste d’inentamé.
La fontaine de la Croix-du-Trahoir tombe en ruine, le roi Louis XVI la fait restaurer, l’architecte Soufflot en a la charge : fontaine, château d’eau et logement s’étagent sous des congélations, et une naïade inspirée de celle de Jean Goujon sur le monument d’origine. Mais si l’on a soin de l’eau, le pain manque, toutes les boulangeries sont pillées, la halle aux grains, coiffée de sa « casquette de jockey », comme dira Hugo, et qui intéresse tant Thomas Jefferson, doit être défendue par un solide cordon de troupes. Turgot cède la place à Necker, Rose Bertin, jamais démontée, lance les bonnets « à la révolte ».
En 1786, la fermeture définitive de la foire Saint-Germain porte un coup sérieux à l’importance de l’axe du Pont-Neuf. Si le trafic de la rue Saint-Honoré reste intact, d’autant plus que l’activité économique se concentre désormais sur la rive droite, l’affluent de l’Arbre-Sec se met tout à coup à mieux mériter son nom. Sous les pieds de la fontaine de la Croix-du-Trahoir passe la Seine des frères Périer, dont la Compagnie des eaux de Paris, société en commandite, grâce à ses machines à vapeur aspirantes-refoulantes et à la colline de Chaillot, a inventé la distribution de l’eau à (quelques) domicile(s), jusqu’au premier étage.
Au XVIIe siècle, Regnard, dans son Divorce, mettait en scène un Arlequin condamné à être pendu à la Croix-du-Trahoir. On lui permettait de boire à la fontaine, il y plongeait tête la première et parvenait à s’enfoncer dans le tuyau, seuls ses souliers restant aux mains des archers, rejoignait la Seine, Le Havre puis l’Inde. Le Forum des Halles est devenu, aujourd’hui cette bonde de Paris ; huit cent mille personnes s’y engouffrent chaque jour, dont les deux tiers habitent la banlieue.