Ce n’est pas moi qui le dis, bien
sûr, c’est Hugo, qui aurait dû plus
logiquement écrire : j’ai mis une niolle* au vieux dictionnaire.
*En 1788 avait été construit dans l’enclos du
Temple, « La Rotonde »,
une galerie ovale de 44 arcades s’ouvrant devant des boutiques dont le logement
est à l’entresol, tandis que les étages supérieurs sont faits de petits
appartements (les encadrements de pierre des entrées latérale de l’actuel
Marché du Temple en sont les vestiges). Au début du 19e siècle, quatre
hangars construits devant cette rotonde font de l’ensemble un colossal marché
aux puces : on les désigne des sobriquets pittoresques de Palais-Royal pour la mode, pavillon de Flore pour le meuble, Pou-Volant pour la ferraille, et Forêt-Noire pour la chaussure. On n’y
parle à peu près que l’argot, et « être à court d’argent » s’y dit au
choix « nib de braise » ou « nisco braisicoto ». Tromper un
client : monter un gandin. Venir vendre ses vêtements : bibeloter ses
frusques. S’habiller : se renfrusquiner. Le chapelier : un niolleur,
le chapeau d’homme étant une niolle. Le marchand qui répare et revend les vieux
habits : un resuceur ou rebouiseur
Les Misérables (1862) T IV, L 7,
chap. 1 : "Lorsqu'il y a trente-quatre ans, le narrateur de cette
grave et sombre histoire introduisait au milieu d'un ouvrage écrit dans le même
but que celui-ci un voleur parlant argot, il y eut ébahissement et clameur. –
Quoi! comment! l'argot! Mais l'argot est affreux! mais c'est la langue des
chiourmes, des bagnes, des prisons, de tout ce que la société a de plus
abominable! etc., etc., etc.
Nous n'avons jamais compris ce
genre d'objections.
Depuis, deux puissants
romanciers, dont l'un est un profond observateur du coeur humain, l'autre un
intrépide ami du peuple, Balzac et Eugène Sue, ayant fait parler des bandits
dans leur langue naturelle comme l'avait fait en 1828 l'auteur du Dernier
jour d'un condamné, les mêmes réclamations se sont élevées. On a
répété: – Que nous veulent les écrivains avec ce révoltant patois? l'argot est
odieux! l'argot fait frémir!"
Dans le n° 346 du Réformateur (20 septembre 1835), François-Vincent Raspail, après de nombreuses lettres consacrées aux prisons, fait paraître le glossaire d'argot qu'il a recueilli à la Force. On en lira ci-dessous quelque 90%:
Dans le n° 346 du Réformateur (20 septembre 1835), François-Vincent Raspail, après de nombreuses lettres consacrées aux prisons, fait paraître le glossaire d'argot qu'il a recueilli à la Force. On en lira ci-dessous quelque 90%:
Abouler de faire une chose : venir de faire une chose ;
Accroche cœurs : favoris ;
Achar :
acharnement ;
Affranchir : connaître une chose, un truc.
Affranchi : celui qui est au courant, au parfum.
Affure : gain
Affurer : gagner.
De l’ancre, de
l’anis : là où on dirait aujourd’hui Des clous !
Argot ou Arguche ou Jar ou Bigorne : patois dont se servent entre eux les voleurs ou les
filles de joie.
Arpion : doigt ;
Auto : autorité ;
Balancer dans la lance : jeter à l’eau ;
Barbillon : mac, macro, proxo, proxénète, homme
vivant des filles de joie.
Baron : compère du bonimenteur qui fait le
niais pour attirer le client.
Blave : mouchoir ; Blavin : bonnet.
Blot : manière, (du même Blot : de même
manière).
Bocson : cabaret.
Bogue : montre ordinaire.
Bonjourier : voleur qui s'introduit dans les
logements ouverts, où, s'il rencontre quelqu'un, s'excuse en saluant (bonjour)
et en prétextant qu'il s'est trompé.
Bonnir : dire, assurer ; je te
bonnis : je t ‘assure.
Bouloter : assister ; mon dabe me boulote au clou : mon père m’assiste en prison.
Brêmes : cartes.
Broquille : minute.
Cambriolle, ou cambriotte,
ou piaule, ou boîte : maison ou hôtel.
Came, Camelotte :
marchandise volée.
Carambouille : vente d'une marchandise qui n'est pas à
soi.
Carouble : pince ou fausse clé.
Caroubleur : voleur à l'aide du carouble ou monseigneur,
qui fait sauter les portes et les fenêtres, ou les ouvre à l'aide de fausses
clefs.
Carre, ou Planque :
cachette.
Carreur, ou Charrida,
demande de la monnaie pour une pièce d’or ou d’argent et part avec et le change
et la pièce.
Cave, Cavé ou Pantre : dupe facile ;
Chanteur : celui qui fait chanter, homme qui à
l’aide d’un Adonis attire des sodomites et finit par les faire contribuer selon
leur fortune, en les menaçant de les dénoncer, ou même en les dénonçant à un
faux commissaire.
Charrieur : homme qui trompe les passants (les pantres) et les amène dans un piège, en
feignant une conversation avec un camarade qui fait le niais, l'étranger et se
nomme l’Américain, et un autre le jardinier.
Chasses : yeux.
Clou : prison
La Cogne : la gendarmerie.
Coltiner : porter.
Corner, ou Dauser :
sentir mauvais.
La Courtange : la Courtille.
Cramper : voir Entifler, Repasser.
Dabe : père. Dabuze : la mère ; le
grand dabe : l’Être suprême.
Daufe, Daufier, Engin, Nœud : parties génitales de l’homme.
Détourneur : le voleur qui vole les objets à
l'étalage, au-devant d'une boutique.
Douilles : cheveux ; douilles savonnés : cheveux blonds.
Enganter une bogue : voler une montre.
Entifler : avoir commerce avec une femme. (Cramper ou Repasser.)
Entraver : comprendre.
Esbrouffer : faire des embarras.
Escarpe : assassin.
Estourbir : tuer.
Fade : part, lot dans un partage.
Fade, Grimpant :
pantalon.
Faufière : tabatière.
Fialles : voir Passifs.
Flouer : tricher en jouant, duper quelqu'un.
Fourgua, Fourgue :
receleur, marchand qui achète les objets volés aux voleurs.
Fourlourd, Bouffarde :
pipe.
Frangin, Frangine :
frère, sœur.
Godiller : bander. (On dit aussi Être tout en nœud)
Gonze, Gonzesse: comme
Pantre = dupe.
Gouèpeur : vagabond sans gîte, bohémien qui dort
la nuit dans les carrières de Montmartre et de Montfaucon.
Grabuge, Pet :
danger.
Grinche, Grincheur, Pègre : terme générique pour
voleur, voleuse.
Icigo : ici.
Jaspiner : parler, causer.
Jonc, Cigne :
l’or.
Labago, ou Lago :
là-bas.
Larton : pain ; larton savonné (ou Mousseline):
pain blanc.
Limace, Lime :
chemise.
Lingue ou Surin ou Vingt-deux : couteau, lame.
Lourde : porte.
Macaron : celui qui trahit ses camarades.
Maquecé : la mère, proxénète, femme vivant des
filles de joie.
Masseur, ou Taupier :
ouvrier.
Moucharde : la lune.
Mouniche : partie génitale de la femme.
Naze, Nazicot :
nez.
Nixquo : rien du tout.
Pantin, Pantruche :
Paris ;
Pantre, ou Panture, ou Gonze : la dupe
Paumer, Être en
drêche : perdre au jeu.
Pègre, Pégrillon, Grinche : voleur, petit voleur,
grand voleur de profession.
Picton : vin.
Plombe : heure.
Poivre (piler du) :
voler un homme ivre.
Postiche (faire) :
faire semblant de se battre pour ramasser du monde.
Profondes, Vallades :
poches. Profonde : également une
cave.
Raille, Recoqueur, Rousse, Roussin, Macaron, Mouche : mouchard.
La Raille, la
Rousse : la police ;
Ramastic (le) : manière de voler par
compérage, en feignant de trouver quelque chose de prix, que le passant va
faire estimer pour en débourser la moitié au voleur.
Reluquer : regarder ;
Rengracier : finir.
Roulotier : voleur qui dévalise les voitures sur la
grande route.
Sapin : fiacre ;
Sapiner, Aller en sapin :
aller en fiacre.
Seszigues : elle ou lui.
Tante : homme qui a les goûts des femmes ;
la femme des prisons d'hommes,
Tauper : travailler.
Tésigue, tésigo :
toi
Tireur, ou Fourline, ou
Fourlineur; voleur dont la
spécialité est de fouiller dans les poches, d’enlever les portefeuilles et de
tirer les montres hors du gousset.
Trèfle : tabac
Trépe : peuple.
Trimard ou grand trimard : grande route ou grande rue
Tripette : rien, des nèfles.
Trou d’Aix : anus
Vanternier : voleur à l'escalade par les fenêtres
(vanternes).
Zig : un bon enfant.
Chez Balzac, (Scènes de la vie parisienne. Splendeurs et misères des
courtisanes (1838-47). 4, La dernière incarnation de Vautrin) l’emploi de l’argot
vire au poème lettriste totalement imbitable :
« - N'y a-t-il pas ici des
cuisiniers ? Allumez vos clairs, et remouchez ! (voyez et observez !) Ne
me connobrez pas, épargnons le poitou et engantez-moi en sanglier (ne me
connaissez plus, prenons nos précautions et traitez-moi en prêtre), ou je vous effondre,
vous, vos largues et votre aubert (je vous ruine, vous, vos
femmes et votre fortune).
- T'as donc tafe de nozigues
(tu te méfies donc de nous ?) dit Fil-de-Soie. Tu viens cromper ta tante
(sauver ton ami).
- Madeleine est paré pour la
placarde de vergne (est prêt pour la place de Grève), dit La Pouraille. (…)
- C'est lui qui a rincé la
profonde (la cave) de la fille ! dit Fil-de-Soie à l'oreille du Biffon. On
voulait nous coquer le taffe (faire peur) pour nos thunes de balles
(nos pièces de cent sous).
- Ce sera toujours le dab
des grands fanandels, répondit La Pouraille. Notre carle
n'est pas décaré (envolé).
La Pouraille, qui cherchait
un homme à qui se fier, avait intérêt à trouver Jacques Collin honnête homme.
Or, c'est surtout en prison qu'on croit à ce qu'on espère !
- Je gage qu'il esquinte
le dab de la Cigogne
! (qu'il enfonce le procureur-général), et qu'il va cromper sa tante
(sauver son ami), dit Fil-de-Soie.
- S'il y arrive, dit le Biffon,
je ne le crois pas tout à fait Meg (Dieu) ; mais il aura comme on le
prétend, bouffardé avec le boulanger (fumé une pipe avec le diable).
- L'as-tu entendu crier : Le
boulanger m'abandonne ! fit observer Fil-de-Soie.
- Ah ! s'écria La Pouraille, s'il voulait cromper
ma Sorbonne (sauver ma tête), quel viocque (vie) je ferais avec mon fade
de carle (ma part de fortune), et mes rondins jaunes servis (et l'or
volé que je viens de cacher).
- Fais sa balle ! (suis
ses instructions) dit Fil-de-Soie.
- Planches-tu (ris-tu) !
reprit La Pouraille
en regardant son fanandel.
- Es-tu sinve (simple), tu
seras raide gerbé à la passe (condamné à mort). Ainsi, tu n'as pas
d'autre lourde à pessiguer (porte à soulever) pour pouvoir rester sur
tes paturons (pieds), morfiler , te dessaler , et goupiner
encore (manger, boire et voler), lui répliqua le Biffon, que de lui prêter le
dos !
- V'là qu'est dit, reprit La Pouraille, pas un de
nous ne sera pour le dab à la manque (pas un de nous ne le trahira), ou
je me charge de l'emmener où je vais...
- Il le ferait comme il le dit !
s'écria Fil-de-Soie. »
A Sue, on doit entre autres le Chourineur, remis dans la
langue par la traduction de l’Opéra de 4
Sous avec la chanson de Macky le chourineur. Certains rattachent le
mot à un churi tzigane mais Duveau explique tranquillement que l’informateur de
Sue était auvergnat et que quand il prononçait surineur avec l’accent de chez lui, l’auteur des Mystères
de Paris (1842-43) notait dans ses calepins ce qu’il entendait, à savoir : chourineur !
Chez Hugo, dans les Misérables, ça donne par exemple
la leçon d'argot dans l’éléphant de la Bastille, voir, sur ce blog : De l’éléphant de Gavroche à l’ange de Paul Valéry.
Puis l’argot parisien se
subdivise encore en argot des barrières et en argot du Temple :
« Thénardier vit passer devant ses yeux quelque chose qui ressemblait à
l'espérance, ces hommes parlaient argot.
Le premier disait, bas, mais
distinctement :
- Décarrons. Qu'est-ce que nous
maquillons icigo ?
Le second répondit :
- Allons nous en. Qu'est-ce que
nous faisons ici ?
- Il lansquine à éteindre le
riffe du rabouin. Et puis les coqueurs vont passer, il y a là un grivier qui
porte gaffe, nous allons nous faire emballer icicaille.
Ces deux mots, icigo et
icicaille, qui tous deux veulent dire ici, et qui appartiennent, le premier à
l'argot des barrières, le second à l'argot du Temple, furent des traits de
lumière pour Thénardier. À icigo il reconnut Brujon, qui était rôdeur de
barrières, et à icicaille Babet, qui, parmi tous ses métiers, avait été
revendeur au Temple.
L'antique argot du grand siècle
ne se parle plus qu'au Temple, et Babet était le seul même qui le parlât bien
purement. Sans icicaille, Thénardier ne l'aurait point reconnu, car il avait
tout à fait dénaturé sa voix. (…)
Brujon répliqua presque
impétueusement, mais toujours à voix basse :
- Qu'est-ce que tu nous bonis là
? Le tapissier n'aura pas pu tirer sa crampe. Il ne sait pas le truc, quoi !
Bouliner sa limace et faucher ses empaffes pour maquiller une tortouse, caler
des boulins aux lourdes, braser des faffes, maquiller des caroubles, faucher
les durs, balancer sa tortouse dehors, se planquer, se camoufler, il faut être
mariol ! Le vieux n'aura pas pu, il ne sait pas goupiner!
Babet ajouta, toujours dans ce
sage argot classique que parlaient Poulailler et Cartouche, et qui est à
l'argot hardi, nouveau, coloré et risqué dont usait Brujon ce que la langue de
Racine est à la langue d'André Chénier :
- Ton orgue tapissier aura été
fait marron dans l'escalier. Il faut être arcasien. C'est un galifard. Il se
sera laissé jouer l'harnache par un roussin, peut-être même par un roussi, qui
lui aura battu comtois. Prête l'oche, Montparnasse, entends-tu ces criblements
dans le collège ? Tu as vu toutes ces camoufles. Il est tombé, va ! Il en sera
quitte pour tirer ses vingt longes. Je n'ai pas taf, je ne suis pas un taffeur,
c'est colombé, mais il n'y a plus qu'à faire les lézards, ou autrement on nous
la fera gambiller. Ne renaude pas, viens avec nousiergue, allons picter une
rouillarde encible.
- On ne laisse pas les amis dans
l'embarras, grommela Montparnasse.
- Je te bonis qu'il est malade,
reprit Brujon. À l'heure qui toque, le tapissier ne vaut pas une broque ! Nous
n'y pouvons rien. Décarrons. Je crois à tout moment qu'un cogne me ceintre en
pogne ! »
Pour mettre cette page en situation, au Temple, voir Traversées de Paris, p.501-502.
Pour mettre cette page en situation, au Temple, voir Traversées de Paris, p.501-502.
Le sublime
qui fait le sous-titre de mon Paris ouvrier, vient de Denis Poulot
et, à en croire celui-ci, d’un calembour sur les paroles d’une chanson :
dans l’expression sublime ouvrier, dont son auteur, Hippolyte Tisserand,
désigne le Dieu de la
Création, le prolétaire a feint de comprendre que sublime
y qualifiait l’ouvrier. Mieux, au
terme de ce détournement goguenard, l’ouvrier se retrouvait non seulement
sublime mais encore l’élu de Dieu. Les deux derniers vers disaient « Le
gai travail est la sainte prière / Qui plaît à Dieu, ce sublime ouvrier. »
Mais quand Poulot, contre-coup d’une boîte, se refuse à embaucher
deux bellevillois fiérots, il s’entend répondre : « Tu ne sais donc
pas espèce d’aristo, mufe, triple muselé que ce qui plaît
à Dieu, c’est le sublime ouvrier ? » Pour que la plaisanterie
fonctionnât, il fallait que les références fussent partagées ; c’est dire
si la chanson était populaire. Ainsi, « le sublime » devint un type,
et donna son titre au livre de Denis Poulot : Le Sublime, ou le travailleur comme il est en 1870 et ce qu’il peut
être.
A lire Pierre
Cogny, le mot « ne fit pas fortune et, dans son Dictionnaire des Argots, Esnault note qu’il est resté « exclusivement
littéraire ». Il n’a pas été repris, à ma connaissance du moins, dans les
autres dictionnaires d’argot ».
Outre le sublime, Poulot nous livre quantité de mots de cet argot que parle
précisément le sublime : « Un mufe, modification de mufle,
c’est un crétin, un lâche, un pignouf, écrit Poulot ; celui qui n’est pas
de votre avis est un mufe ou un roussin. » Mufe, roussin
(c’est-à-dire flic) ou aristo sont ainsi servis à tout bout de champ. A
l’atelier, faire un lou, c’est massacrer une pièce ; le patron est
bien sûr le singe, le mot est resté ; quand il met ses ouvriers au
chômage, il les envoie à la comédie... Aux cartes, au piquet le plus souvent, on a une
quinte mangeuse portant son point dans l’herbe à la vache, à carreau :
une tierce majeur dans les vitriers ; un as est un borgne,
un roi est un bœuf, une dame est une colombe ou une crinoline,
un valet est un larbin savonné ; mais 93 (points), c’est avoir
la révolution, ou l’An un de la République, et l’on retrouve là le même
écho qui fait d’aristo l’un des péjoratifs les plus fréquents. Les dominos sont
l’occasion, quand l’on a du jeu, de faire la traite des blancs de
Saint-Domingue, et d’aligner une cohorte de héros noir : Toussaint-Louverture
pour le double six, Soulouque pour le 5/6, Geffrard pour le
double cinq, sans compter Alexandre Dumas, appelé traditionnellement M.
six blancs. »
Pour saisir l’aspect référentiel
de certaines de ces expressions, il faut savoir que Mirabeau en 1791, parlait
de « démuseler le peuple » (et du coup le Sublime traite évidemment son contre-coup
de triple muselé), que Faustin
Soulouque était, comme Toussaint-Louverture, un Haïtien, esclave, qui s’était fait
proclamer empereur en 1849, et que Geffrard l’avait renversé en 1859 pour
garder la présidence jusqu’en 1867. Savoir aussi que siffler au disque,
quand on est cheminot, c’est demander que la voie vous soit ouverte ; le
soir à la maison, c’est demander à sa femme de se laisser aimer. Et concernant
le roussin, que la Préfecture de
Police, siège de « la Rousse », la police secrète, est située de 1842
à 1871 où la Commune y mettra le feu, rue de Jérusalem, notre actuel quai des
Orfèvres. D’où l’expression : - Ta,
ta, ta, tu manigances quelque chose avec la rue de Jérusalem...
Zola, pour son Assommoir (1877), - « J’ai fait
parler les ouvriers de nos faubourgs comme parle la grande majorité d’entre eux »
-, a retenu 41 mots du Sublime de Poulot, il en a trouvé
650 dans le Dictionnaire de la langue verte de Delvau.
La Chanson des gueux, de Jean Richepin, est dès l’édition de
1881 au moins suivie d’un glossaire argotique. Voir, sur ce
blog, Jean Jaurès et le Sentier cycliste.
Marchands en
longues blouses bleues et bouchers en tabliers blancs de la Villette parlent le
« loucherbem », (prononcez « louchébem », seuls les sons
comptent), cet argot, ce verlan dont ils sont les premiers inventeurs, et qui
consiste à commencer tous les mots par un l, à renvoyer au bout du mot
la lettre que ce l a remplacée, et à
y ajouter encore une terminaison qui peut-être, au choix, -ème, -ji,
-oque, ou -muche. C’est ainsi qu’avec « boucher » on
obtient « loucherbem » et, avec « fou »,
« loufoque ».
Hélas, les
bouchers de la Villette
ne se bornent plus, à la fin du siècle, à jouer de l’anagramme, ils se sont mis
à la tige d'acier gainée de bambou, emmanchée dans un pommeau du même métal,
gros comme une boule de billard, le tout pesant cinq bon kilos, baptisé « canne
antisémite ». Le marquis de Morès a recruté parmi eux les gros bras de sa
Ligue antisémitique, et de ses complots monarchistes que financent Boni de
Castellane et le duc d’Orléans, auquel on fait tâter des biceps à la hauteur
des sommes qu’on lui réclame.
Le 20 août
1898, les bouchers descendent en ville pour dégager Jules Guérin, leur chef,
retranché dans son Grand Occident de France, au 51, rue de Chabrol. « Les amis
de Morès (...) mille cinq cents chevillards et garçons bouchers de la Villette, disciplinés,
armés, déterminés », rapporte le préfet de police Lépine dans ses Souvenirs, « allaient-ils
s'engouffrer en masse (...) jusqu'au fort Chabrol, délivrer Guérin ? C'était
évidemment leur dessein et ils ne se seraient arrêtés qu'à l'Elysée ».
La garde à cheval aura finalement raison des putschistes supposés, mais
si l’on en croit les chiffres du préfet, à une époque où 3 000 personnes y
travaillent, c’est la moitié des abattoirs de la Villette qui sert chez
les nervis anti-dreyfusards.
C’est rue des Haies, le 6
janvier 1902, qu’est découvert un véritable arsenal, nécessaire à
l’affrontement, qui a Casque d’Or
pour objet, de la bande des Popincourt, commandée par Leca, et de celle des Orteaux, dont le chef est Manda (Joseph Pleigneur). Casque d’Or
(Amélie Hélie), finira dans une maison de tolérance du quartier de l’Europe (2,
rue de Londres), tandis que les hommes partiront pour le bagne. C’est à cette
occasion que le journaliste Arthur Dupin lança le mot « apaches ».
Une dizaine d’années plus tôt, il n’était chez Verlaine, comme
« canaque », que le synonyme de sauvage : « fou, braque,
orgiaque, / En apache, en canaque / Ivre de tafia », dans Odes en son
honneur, 1893. Il se retrouvera, au sens de Dupin, sous la plume de Gustave
Hervé, en février 1910, à propos de Jacques Liabeuf, dans un article,
« L’exemple de l’apache », qui vaudra à son auteur quatre ans de
prison ! Jacques Liabeuf, 20 ans, ouvrier cordonnier, grandi sur le
Sébasto qui, arrêté une fois pour proxénétisme prétendu, s’était vengé plus
tard sur un ou plusieurs policiers, sera lui guillotiné à la Santé, en juillet.
Victor Serge assiste à l’exécution avec Rirette Maîtrejean, René Valet, et le
vieil Edouard Ferral, une sorte de clochard de la Maub, l’un de ceux qui
« descendaient en droite ligne des premiers truands de Paris » ;
Jaurès est à demi-assommé dans les échauffourées qui s’ensuivent, un agent y
est tué.
Apaches et Canaques étaient
des figures de sauvages mais aussi d’insurgés. 5 000 communards ont été
déportés en Nouvelle-Calédonie, dont Louise Michel, mais parallèlement, le
gouvernement multiplie l’octroi de concessions pour attirer des colons, ce qui
aboutit à l’insurrection des Canaques en 1878.
Les grandes batailles des Apaches
(ceux d’Amérique du Nord) datent à peu près de la même époque : les années
1881-86. Ont-elles été soutenues par le mouvement ouvrier parisien, comme l’ont
été les Nordistes antiesclavagistes vingt ans plus tôt ? J’avoue mon
ignorance sur ce sujet.
J’ai en revanche une théorie sur
l’expression 22, (v’la les flics !) : La loi du
10 avril 1834 relative à la liberté (sic) de la presse et au droit de réunion
prohibait toutes celles « qui excédaient 21 personne », - d’où peut-être
l’expression de « 22 ! » pour avertir de l’arrivée des flics,
puisque c’est avec ce chiffre que commençait l’infraction susceptible d’être
réprimée par eux. Sur le même mode de fonctionnement linguistique, Poulot ne
raconte-t-il pas qu’à l’atelier « quand il y a un nouvel embauché [qui
doit payer sa tournée de bienvenue] on crie 19, par contigüité avec 20 (phonétiquement « vin ») » ?
Il y a aussi tout l’argot lié aux fortifs : zone, employé absolument n’est que l’abréviation de « zone non aedificandi » (non constructible), et se dérive en zonard, etc. Escarpe (truand) vient sans doute du talus des fortifications (l’antonyme de la contrescarpe, alors que le Robert le rattache au provençal escarpi « écharper »). La pierreuse est la prostituée du bas de l’échelle qui travaille directement sur les talus de pierre.
L'argot du théâtre, argot de métier, a son "côté cour" et son "côté jardin" comme le marin a bâbord et tribord. Pour latéraliser avec les acteurs, il faut se rappeler qu'il y eut un palais des Tuileries s'étirant du pavillon de Marsan au pavillon de Flore et, dedans, cette "salle des machines" qui abrita la Comédie française et l'apothéose de Voltaire avant la Révolution, puis redevint salle de spectacles du 1er au 2nd empire. La scène en était adossée au mur sud de Marsan, le jardin (des Tuileries) était donc à gauche pour le spectateur, à droite pour l'acteur, et la cour (du Carrousel) à droite pour le spectateur et à gauche pour l'acteur.
Il y a aussi tout l’argot lié aux fortifs : zone, employé absolument n’est que l’abréviation de « zone non aedificandi » (non constructible), et se dérive en zonard, etc. Escarpe (truand) vient sans doute du talus des fortifications (l’antonyme de la contrescarpe, alors que le Robert le rattache au provençal escarpi « écharper »). La pierreuse est la prostituée du bas de l’échelle qui travaille directement sur les talus de pierre.
L'argot du théâtre, argot de métier, a son "côté cour" et son "côté jardin" comme le marin a bâbord et tribord. Pour latéraliser avec les acteurs, il faut se rappeler qu'il y eut un palais des Tuileries s'étirant du pavillon de Marsan au pavillon de Flore et, dedans, cette "salle des machines" qui abrita la Comédie française et l'apothéose de Voltaire avant la Révolution, puis redevint salle de spectacles du 1er au 2nd empire. La scène en était adossée au mur sud de Marsan, le jardin (des Tuileries) était donc à gauche pour le spectateur, à droite pour l'acteur, et la cour (du Carrousel) à droite pour le spectateur et à gauche pour l'acteur.