ACTUALISATION PARIS OUVRIER

 

Quartier Picpus, les fards et parfums Dorin

A l’angle des rues de Fécamp et de Wattignies, un bâtiment d’activités de six étages porte ce
Dorin aujourd'hui. Capture d'écran Google streetview
médaillon « Dorin, fournisseur de la Cour 1780 ». L’entreprise de cosmétiques, remontant sans doute à la mi-18ème siècle, est dirigée par un Dorin jusqu’en 1836, avant de laisser les rennes à un M. Titard puis, sous le Second Empire à H. Monin, par ailleurs maire du 3ème arrondissement, associé bientôt à Georges Pinaud. La maison quitte vers 1920 le 27 rue du Grenier St-Lazare pour le quartier de Picpus, où elle agrandit les bâtiments du 60 rue Wattignies en 1935, juste avant de partir pour Colombes. Elle est désormais à Chatou mais a cessé ses activités sous son nom depuis les années 1980.
Dorin années 20
Le réalisateur Marcel Bluwal (celui de Vidocq, entre autres), né en 1925, a connu enfant la sortie des ouvrières de la maison, qu’il évoque dans son autobiographie Un Aller. La presse ouvrière ne fait guère mention des 75 ouvrières de la fabrication qu’à l’été 1933 quand, invoquant la crise, la direction réduit les horaires à 4 jours hebdomadaires, et les salaires en conséquence.

L’émigration allemande antinazie à Paris

L’université populaire allemande, sorte de premier degré de l’Université allemande libre (Freie Deutsche Hochschule (FDU), toutes deux fondées fin 1935), tient ses cours dans les libraires LIFA, rue Meslay ; Science et Littérature, 21, rue Cujas, éditrice en 1938 d’une brochure d’Alfred Döblin : La littérature allemande (en exil depuis 1933), un dialogue entre art et politique., et du Statut juridique des étrangers en France: traité pratique, de S. Feblowicz et Philippe Lamour, et Galeries du livre, 15 rue Gay-Lussac, dont l’arrière-boutique est aussi le lieu des réunions bimensuelles du Collège de sociologie depuis la séance inaugurale du 20 novembre 1937 ouverte par Georges Bataille et Roger Caillois, jusqu’à l’été 1939. La FDU, dirigée par Laszlo Radvanyi, le mari d’Anna Seghers, donne les siens à la Maison des sociétés savantes du 28 rue Serpente. Salomon Gottfried, politologue libéral, en est l’un des professeurs. Walter Benjamin collabore à sa revue Zeitschrift für freie deutsche Forschung.

Le Schutzverband Deutscher Schriftsteller (SDS), et la Deutsche Freiheits-Bibliothek (DFB) sont tous deux domiciliés dans un atelier de peintre de la Cité Fleurie du 65, boulevard Arago.
La Bibliothèque allemande des livres brûlés, son autre appellation est inaugurée le 10 mai 1934, 1er anniversaire des autodafés dans toutes les grandes villes allemandes. Elle est présidée par Heinrich Mann, auquel succèderont Max Schroeder puis Lya Kralik. Alfred Kantorowicz en est le secrétaire général. Elle réunit 11 000 ouvrages interdits par les Nazis, chiffre qui montera bientôt à 20 000. La collection est saisie par la police française en septembre 1939 et détruite par les Allemands pendant l’Occupation. A compter d’avril 1935, elle publie les Mitteilungen der DFB. L’exposition l’Allemagne après le 30 juin, y est montrée du 27 juillet au 14 août 1934. Du 14 au 23 novembre 1936, la Bibliothèque allemande de la liberté organise avec le SDS l’exposition Le Livre allemand libre, à la Société de géographie, alors 10 av. d’Iéna dans l’ex hôtel du prince Roland Bonaparte (auj. Shangri-La).

Dans les colonnes de l'Humanité
L’Institut pour l’étude du fascisme (INFA), est fondé fin 1933 sur l’ordre du Komintern par l’entremise de la Ligue internationale des libres penseurs. Le secrétaire-général de cette dernière, Hans Meins, et Oto Bihalji-Merin lui donnent forme. A son Comité de patronage, Paul Langevin, Lucien Lévy-Bruhl, Marcel Prenant, Henri Wallon, Francis Jourdain et l’avocat Marcel Willard. Il s’installe au 22, rue des Fossés-Saint-Bernard. Actif jusqu’au 1er trimestre 1935, il était passé 25, rue Buffon. Arthur Koestler et Manès Sperber en seront les collaborateurs les plus connus. l’INFA publia en 1934  L'Allemagne, champ de manœuvre. Le Fascisme et la Guerre, sous le pseudonyme de S. Erckner « Ancien officier de l'état-major allemand » ; présenté par les professeurs Paul Langevin, Lucien Lévy-Bruhl et Marcel Prenant ; adapté de l'allemand par Léon Limon. L’INFA organisa, le 9 mars 1935 à la galerie La Boétie (au n° 83 de la rue) l’Exposition internationale sur le fascisme, préparée par Manès Sperber (voir son Au-delà de l’oubli), et patronnée, outre les parrains de l’INFA par Malraux, Bernard Lecache, Paul Signac, Victor Margueritte, Andrée Viollis, le docteur Dalsace. Le texte de Walter Benjamin l’Auteur en tant que producteur a été préparé pour l’INFA et y a peut-être été lu le 27 avril 1934.

- P. 51, rajouter : Au Caveau Camille Desmoulins, 5 rue de Beaujolais (auj. Milord l’Arsouille), le cabaret franco-allemand Die Laterne donne trois fois par semaine de 1934 à 39 (à l’exception de 1936) des songs de Heine, de Brecht, de Villon, des sketchs, des parodies, etc. Kosma y jouera ses compositions.
- rue Meslay, p. 91, rajouter : A la LIFA (LIbrairie Franco-Allemande) ont lieu certains des cours de l’Université populaire allemande. Léo Gerhardt, le fils des propriétaires, se souvient d’y avoir entendu Anna Seghers, Lion Feuchtwanger, Friedrich Wolf.
n° du 25 novembre 1936
--> - P. 91, rajouter : Pariser Tageblatt, 51 rue de Turbigo. Dès décembre 1933, il s’adresse aux 35 000 à 50 000 réfugiés allemands qui fuient le nazisme. Créé par Georg Bernhard, son rédacteur en chef, libéral de gauche, il est financé par Wladimir Poliakow. A l’été 36, la rédaction ne fait plus confiance à son financier et Georg Bernhard crée le Parizer -->Tageszeitung, 16 rue de la Grange-Batelière qui sera publié jusqu’à février 1940.
- 25, rue Buffon, p. 119, rajouter : dans un appartement de 4 pièces ; voir ses souvenirs ou Hiéroglyphes.
- Salle des Sociétés savantes, p. 131, rajouter : La Freie Deutsche Hochschule y donne ses enseignements.
- P. 133, rajouter : Académie Raymond Duncan, 31, rue de Seine. Le cabaret franco allemand d’Alphonse Kahn, Die Laterne, y donne ses représentations les samedis et dimanches soirs à 8 heures et demie durant l’année 1936.
- P. 144, rajouter : Salle Adyar, 4 square Rapp. Slatan Dudow (alors réfugié 7, rue du Dragon, 6e) y monte les Fusils de la mère Carrar, de Brecht, avec Helene Weigel dans le rôle-titre.
- P. 150, rajouter : Maison de la Culture, au 29 rue d’Anjou depuis l’été 1937. L’exposition L’Art allemand libre y riposte, début novembre 1938, aux expos sur « l’art dégénéré » organisés par les nazis en juillet 1937. Elle expose, en particulier, un portrait de Kokoschka lacéré par des nazis, et une toile de Renoir pareillement abîmée.
- 10 rue Dombasle, p. 283, ajouter : cette adresse est aussi celle de Walter Benjamin de fin décembre 1937 ou janvier 38 à juin 1940, qui y sous-loue une chambre au psychiatre Fritz Fränkel avec lequel il fera ses expériences de prise de drogue.
- P. 250, on rajoutera ce qui concerne SDS et DFB à la Cité fleurie du 65, bd Arago, en notant que Manès Sperber habitait alors 19, rue de la Glacière, et Salomon Gottfried l’hôtel Home au n° 22 de la même rue.
affiche sans rapport, juste pour la salle
- P. 294, rajouter : Salle d’Iéna, 10 av. d’Iéna. Les 21, 22 et 25 mai 1938, Slatan Dudow y met en scène 8 tableaux de Grand-peur et misère du IIIe Reich, de Brecht. Le 8 décembre de la même année, Alwin Kronacher y monte La foi, l’espérance, la charité d’Horvath.
- P. 311, rajouter : A l’occasion de l’Expo universelle de 1937, le producteur Ernst Josef Aufricht, lui aussi réfugié en France et qui avait déjà monté l’Opéra de quat’ sous à Berlin neuf ans plus tôt, en donne une version française au Théâtre de l’Etoile, avec Raymond Rouleau en Mackie, Suzy Solidor en Jenny, Yvette Guilbert en Mme PeachumBrecht vient à Paris pour l’occasion. C’est un succès avec une cinquantaine de représentations.


------------------------------------------------------------------------------------------------------------

 - Le Boxing Hall, p. 225, est donné sans adresse. Il était situé 41, rue des Boulets. Il y avait eu auparavant plusieurs salles portant ce nom : un Boxing Hall 28, rue de Ménilmontant, à côté de la Chope, donc, et sans doute dépendant de la Bellevilloise ; l’Athletic Boxing Hall (28, rue Vandamme) qui, juste avant la guerre de 1914, avait remplacé le défunt Tivoli Boxing Hall ; enfin un Freddy Boxing Hall, 25, rue de Clignancourt dans les mêmes années. Pour ne rien dire des Boxing Club ou Palace. Mais la « controverse sur l’unité » du 12 janvier 1933 eut bien lieu au Boxing Hall du 11ème arrondissement, 41 rue des Boulets.

Paris ouvrier (il faut bien périodiser) commence avec Marx à Paris, soit en 1844. Y manque donc:

- le Banquet communiste de Belleville, organisé par Théodore Dezamy, rédacteur de l'Égalitaire, et Jean-Jacques Pillot, homme de lettres, le 1er juillet 1840, au "Grand Saint Martin", la taverne de Dénoyez, au 10 rue de Paris à Belleville (auj. rue de Belleville). Cabet et les siens en sont absents. Parmi les 1 200 convives (une trentaine seulement sont identifiés), une soixantaine de Gardes nationaux en uniformes, dont 5 ou 6 officiers, et une énorme majorité d'ouvriers, dont des Polonais et des Allemands de la Ligue des Justes. Dans les porteurs de toasts, on compte 3 coiffeurs, 2 relieurs, 1 ouvrier imprimeur et 1 typo, 1 bottier, 1 horloger, 1 tailleur, 1 teinturier, 1 ouvrier sans autre précision, 1 limonadier, 1 peintre d'histoire, 1 prof de littérature.

Un compte-rendu de 16 pages en sera mis en vente, signé de quatre membres, Jean-Jacques Pillot, Théodore Dezamy, Charles Dutilloy (commis) et Corneille Homberg (teneur de livres).

Le coiffeur Lionne y porta un toast "Au courage de propager ses opinions!":

« Communistes,

Disons à tous ce que nous voulons et ce que nous repoussons, afin d’être toujours suivis par ceux qui veulent atteindre notre but en marchant dans notre route, afin de savoir qui nous avons à combattre, et quelle est la valeur de notre unité. »

Ce à quoi semblera faire écho la fin du Manifeste communiste de Marx et Engels 7 ans plus tard: " Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé."

Le premier emploi attesté de l’expression parti communiste va apparaître dans le compte-rendu que donne du banquet un journaliste libéral, Léon Faucher, dans le Courrier français du surlendemain : " le parti radical est divisé [...], le schisme devient public aujourd’hui [...], les disciples de Babœuf [sic], les communistes, ont voulu manifester publiquement leur doctrine et avoir aussi leur banquet [...] ". Face au rejet du National, " le parti communiste a passé outre ".

- 40, rue Saint-Jean-de-Beauvais (auj. Jean de Beauvais), domicile de l'ouvrier imprimeur Édouard Pandellé, auteur du toast "Au courage de la Pologne" lors du banquet communiste de Belleville, l'une des adresses pour la vente en souscription du Code de la Communauté, de Théodore Dezamy, avec le domicile de ce dernier: 106, rue Saint-Jacques. 


- L'acte de naissance de Pierre Leroux (que reproduit P. Félix Thomas, en 1904), indique, pour la maison où vivent son père, limonadier de 36 ans, sa mère, et son grand-père maternel, 1er témoin, limonadier de 60 ans, le 40, quai des Grands Augustins. L'un de ses biographes, Eugène de Mirecourt écrit (en 1856, sans en indiquer le numéro) "dans la maison actuellement occupée par le libraire Didier". La librairie Didier était alors, sur le quai des Grands Augustins, à l'angle de la rue aujourd'hui Séguier, au n° 35.
Jusqu'en 1806 (Pierre Leroux est né en 1797), le quai des Grands Augustins s'arrête à la hauteur de la rue Git-le-Coeur ; il est prolongé par la rue du Hurepoix dont le dos des maisons, côté gauche, a les pieds dans la Seine. En 1806, ces maisons sont détruites et le quai des Grands-Augustins arrive ainsi jusqu'au Pont St-Michel; une nouvelle numérotation s'impose, les numéros pairs sont supprimés (le quai, bâti d'un seul côté, portait numéros pairs et impairs), l'ex n° 40 d'avant 1806 devient le n°35 d'après.
 
- La 1ère journée du Congrès ouvrier international de Paris s'est tenue, le 14 juillet 1889, salle Pétrelle (Paris ouvrier p. 160). Dans cette "salle pour concerts, bals, réunions", située au n° 24 de la rue Pétrelle, où les courants qui allaient fonder la IIe Internationale devaient accorder leurs violons, étaient domiciliés un orphéon, l'Harmonie de Montmartre (fondée en 1863), l'Orchestre suisse, le journal Le Progrès artistique, très musical lui aussi. Une AG des artistes musiciens instrumentistes s'y était tenue le 14 juin 1879 pour discuter du tarif. On y trouvait aussi la Chambre syndicale des parquetteurs et surtout, à compter de sa création à la mi-1891, on y verra la Chambre syndicale des travailleurs du gaz, peut-être la plus importante de Paris, fondée sous l'impulsion de Jean Allemane, et du conseil municipal majoritairement à gauche (si les compagnies sont privées, les allumeurs de réverbères sont pour partie rémunérés par la ville). A la tête des gaziers, Alfred Brard puis, après 1893, Jean Darène, plus corporatiste encore. Le journal du syndicat est antisémite et cherche l'alliance avec les actionnaires "goys" contre les actionnaires juifs, et xénophobe (on rejette les ouvriers étrangers du syndicat). Jean Darène, délégué au congrès constitutif de la CGT, à Limoges, en 1895, y indique comme adresse 24, rue Pétrelle. 

- bal Montesquieu, 6 rue Montesquieu. Paris ouvrier rappelle comment, en 1846, Engels tente de se défaire des filatures policières en passant du bal Valentino (251, rue St-Honoré), au Prado (1, bd du Palais), sans oublier le Montesquieu (6, de le rue du même nom). Ce faisant, il joint l’utile à l’agréable : « Si je disposais de 5 000 Fr de rentes, écrit-il à Marx, je ne ferais que travailler et m’amuser avec les femmes, jusqu’à ce que je sois lessivé. Si les Françaises n’existaient pas, la vie ne vaudrait même pas la peine d’être vécue. Mais tant qu’il y a des grisettes, va ! Cela n’empêche pas (en français dans le texte) que l’on ait envie de temps à autre de parler d’un sujet sérieux. » Ailleurs, évoquant Moses Hess, « passage Vivienne, je l’ai planté là bouche bée pour embarquer avec le peintre Körner deux filles que celui-ci avait levées. » Ailleurs encore : « Ici à Paris, j’ai adopté un ton très cynique, c’est le métier qui veut cette esbroufe et ça réussit souvent auprès des dames. »
Le 6, rue Montesquieu a été ensuite le vaisseau amiral de la chaîne des bouillons Duval, un type d’établissements dont le Chartier contemporain offre une dernière image. 

73, rue du Faubourg Montmartre, adresse au 15 mai 1848, chez son ami d’apprentissage Léonard Moulin,  de l’ouvrier corroyeur Louis, dit Aloysius, Huber, président du Club des clubs devenu Comité centralisateur, l’homme qui, ce jour là, du haut de la tribune du Palais Bourbon, déclare par trois fois : « l’Assemblée nationale est dissoute ». (voir Paris ouvrier p. 140) Barricadier de 1834, condamné 2 fois pour complot régicide (arrêté en juin 1835, il n’est libéré que par l’amnistie générale de mai 1837 consécutive au mariage du prince héritier ; incarcéré à nouveau dès l’année suivante, il ne sortira du Mont Saint-Michel que grâce à la révolution de février 1848, sur une civière ; il y était entré bâti en Hercule). Sa dissolution de l’Assemblée nationale n’est pas le fait d’un « agent provocateur » de la police, qu’il n’a jamais été : Peter Amann, (The Huber Enigma : Revolutionnary or police-spy ? International Review of Social History, Vol 12, n°2, 1967, pp190-203), comme Lowell L. Blaisdell (Aloysius Huber and May 15, 1848 New insights into an old mystery, International Review of Social History, Volume 29, Issue 01, April 1984, pp34-61) ont fait depuis longtemps justice de cette accusation.


- A l’occasion du balisage de la "voie de la Libération" partant de la porte d'Italie, pour son 60ème anniversaire, de 11 médaillons en bronze …
Le 24 août 1944, guidée par un Arménien d’Antony (qui peut-être, comme nombre des siens travaillait chez Panhard ou chez Say, dans le 13e), la 9e compagnie de la 2e DB, ou plutôt « la Nueve », composée à 80% d’Espagnols, traversait l’arrondissement. Rue Baudricourt, elle passait devant l’Union des Travailleurs, coopérative de consommation, au n° 66 et, en débouchant dans la rue Nationale, devant une épicerie de l’Union des coopératives, au n° 111. En traversant le bd de la Gare, elle apercevait l’usine Say, dont le quart des ouvriers étaient Kabyles, occupée par les FTP de Fabien trois jours plus tôt. Place Pinel, elle longeait l’arrière des ateliers des Automobiles Delahaye – Delage, situés au 23-25 rue Jenner, qu’elle retrouvait au 43 rue Esquirol. Puis, par le bd de l’Hôpital, elle se dirigeait vers l’hôtel de Ville. Là, un reporter de la radio clandestine demanda au premier libérateur qu’il aperçut : « Quelle émotion de retrouver le sol national ? », et s’entendit répondre : « Señor, soy español », ce qui veut dire : les prolétaires n’ont pas de patrie !

- 11, rue de l’Hôpital Saint-Louis, (ajouter à PO, p.193) Eventails Chambrelent, imprimeur-éventailliste, Modern style, maison fondée en 1873, marques Nevelty, Opalia (éventails en papier cristal), montures Metalia. Deng Xiao Ping (17 ans) y a travaillé du 24 au 29/10/1921: 103 jeunes Chinois y ont été embauchés entre le 22 et le 24 octobre, dont Deng et un oncle à lui, de 3 ans son aîné, un futur ministre de la République populaire, et tout un groupe de jeunes gens originaires de son village natal (Chonqing, dans le Sichuan). Ils font des fleurs de lotus en gaze verte et satin rouge qu’ils montent sur des tiges métalliques, et y apposent une petite étiquette : œuvre d’orphelins et de veuves de guerre ; il s’agit d’une commande destinée aux USA pour y collecter des fonds. C’est payé 2F la centaine, les ouvriers réussissent à faire 600 ou 700 fleurs par jour. Ils seront virés au bout d’une semaine, la commande étant sans doute terminée. En 1974, à en croire son biographe David Goodman, Deng, retour de New-York, fait escale à Paris pour y acheter 100 croissants qu'il partagera avec Zhou Enlai et les autres camarades qui avaient vécu avec lui dans la capitale. Encore un grand contrat!

-199, rue de Charenton, (ajouter PO, p.233) immeuble de Raoul Brandon, 1911, prix du concours de façades de l’année, 4 atlantes : 1 mineur, 1 agriculteur, 1 forgeron, 1 marin pêcheur, du sculpteur Alexandre Morlon dans un immeuble de rapport en pierre de taille.

- 124, av Daumesnil, (ajouter PO, p.235) groupe des maisons ouvrières (Mme Lebaudy), d’Auguste Labussière.
« L'immeuble de l'architecte Auguste Labussière, 124-126 avenue Daumesnil à Paris, s'inscrit dans une série de bâtiments pensés au début du XXe siècle pour aider et réformer la partie la plus pauvre de la société française. Il fait figure de chaînon essentiel dans le développement de l'habitat populaire opéré alors par les organisations philanthropiques. Cette réalisation est partie intégrante d'une expérimentation concertée qui contribue à créer une façon de vivre, inventée par des nantis pour éduquer des démunis à aimer leur "chez-soi". Cette étude révèle la mise en route d'une certaine forme de réflexion sur la constitution du logement social au moment de son émergence et met en lumière un monde particulier où bourgeoisie et classe ouvrière se retrouvent face à face, la première ayant un projet pour la seconde. A travers une monographie de bâtiment, et l'étude de la politique de la fondation G.M.O. (Groupe des Maisons Ouvrières), mieux connue aujourd'hui sous le nom de sa bienfaitrice, Mme Jules Lebaudy, I'analyse propose plusieurs points de vue sur une opération de logements des premières années du siècle. Elle met en rapport les débuts des réflexions concertées sur l'habitat populaire (commande, idéologies mises en oeuvre, travail architectural) et l'étude de la création d'une forme d'habitat qui deviendra une des images stéréotypées des habitations à bon marché. Cette expérience appartient aujourd'hui à l'histoire mais elle peut guider la réflexion contemporaine sur la conception de l'habitat. » Monique Eleb, L'apprentissage du chez-soi, Le Groupe des Maisons ouvrières, Paris, avenue Daumesnil, 1908. Marseille, éd. Parenthèses, 1994, 123 p.


-7 rue Moreau, 12(voir Paris ouvrier p.231) : administration de L’Ame annamite, et adresse de son gérant, Julien Monneveux, auquel mandats et courrier sont à adresser. Le titre prend la relève du Viêt-Nam-Hôn, tribune libre des étudiants et des travailleurs annamites, et du Phuc-Quôc, son successeur, interdit en France parce qu’’édités en langue étrangère’’ et interdits en Indochine. Se donne comme l’organe du Phuc-Viet, Parti Annamite de l’Indépendance, dont les statuts ont été déposés à la préfecture de police de Paris le 14 juin 1926 : « Nous sommes des esclaves qui veulent devenir des hommes libres, nous sommes vingt millions d’opprimés qui veulent former une nation indépendante » ; le secrétaire du PAI pour l’Europe est alors Hoang-quang-Gin, étudiant à Sciences-Po, 32 rue des Ecoles (auj. Hôtel California) [il voisine dans les meetings avec Bui-công-Trung, délégué du Jeune Annam en Europe, qui habite 6 rue de Brosse, 4e,(à côté de l’église St-Gervais) ; et Tran-van-Chi, pdt de l’Association mutuelle des Indochinois en France, 15 rue du Sommerard (auj. Hôtel Home Latin)]. L’Ame annamite n’aura que 3 numéros en janv., fév. et avril 1927. Articles de Nguyên-aï-Quoc, le futur Ho-chi-Minh, ds n°1 : « M. Sarraut contre les indochinois en France », et ds n°2 : « Pensons à nos déportés politiques : le cas de Lê-ngoc-Liên ». Ds ce même n°, article de Pierre Naville « étudiant à la Sorbonne » : « Russie (URSS) La vie universitaire ». Le titre est imprimé chez Dangon, 123 rue Montmartre, qui imprime aussi la Vie ouvrière depuis qu’elle est devenue l’hebdo de la CGTU. Interdit à son tour en Indochine, poursuivi en France, L’Ame annamite cède la place à La Nation annamite, organe européen du Parti Annamite de l’Indépendance, dont l’adresse se déplace à celle de son directeur politique : Nguyen The Truyen au 6 rue St-Louis-en-l’Isle.
Ta Thu Thau, instit à Saïgon, arrive en France en octobre 1927, il a 21 ans, s’inscrit à la Fac des Sciences, à Paris, en novembre. Il lance La Résurrection, « organe de la jeunesse annamite », mensuel, dès décembre 1928, avec Huynh Van Phuong et quelques autres. Direction et Rédac, 84 rue Pascal, à Cachan. De nouveaux statuts du Parti Annamite de l’Indépendance, datés du 1er avril 1928 sont déposés à la Préfecture le 17 juillet 1928. Le parti est dirigé par un bureau de 3 membres dont fait partie Ta Thu Thau.

- 6 rue St-Louis-en-l’Isle (ajouter à PO p.101, adresse de Nguyen The Truyen* de la mi-1927 au tout début 1928 où il rentre à Saïgon. La police s’est installée en face de chez lui, ds une boutique d’empailleurs, et cherche des noises à tous les Vietnamiens qui viennent le voir ; elle monte également tous les commerçants du quartier contre lui. Il est alors directeur politique de La Nation annamite, « organe européen du Parti Annamite de l’Indépendance », qui aura deux numéros en juin et août 1927. Le titre a succédé à l’Âme annamite, interdit en Indochine, poursuivi en France, qui n’aura eu que 3 numéros. La Nation annamite a pour rédac-chef Nguyen Van Luan, même adresse ; pour secrétaire de rédac : Bui-Ai. L’un et l’autre titre tirés à 5 000 exemplaires.
* Nguyen The Truyen est arrivé en France en 1919, étudiant à Toulouse, puis à Paris en 1922-23. Membre de la Section coloniale du PCF, il rompt avec le Parti en 26 ou 27 et fonde le PAI qui s’inspire du modèle du Guomindang chinois. Il rentre à Saïgon le 9 janvier 1928.

-4 rue de Vaugirard 6e (ajouter à PO, p.133), siège du Parti Annamite de l’Indépendance, dont les statuts ont été déposés à la Préfecture le 13 juin 1927.  Bui-Ai, ancien instit, assure la permanence au siège du parti, (et donne ce dernier comme son adresse perso). Le parti compte, outre le fondateur, Truyen : ingénieur chimiste, licencié es sciences et licencié en philo ; un trésorier : Bui-duc-Than, employé, 12 rue Gustave Doré, 12e, et un trésorier adj : Tran-Vinh-Hien, étudiant aux B-A, 4 rue de Vaugirard 6e. Les statuts donnent pour but au parti : indépendance du Vietnam, alliance avec la France, participation à la SDN.
Il y a alors 7 à 8 000 Vietnamiens en France, dont, à Paris, 1 100 étudiants et quelque 300 « ouvriers, garçons de café, petits commerçants, restaurateurs ». La Maison des étudiants indochinois à la Cité U ne sera inaugurée que le 22 mars 1930.


- Victor Hugo, Histoire d’un crime : « - Demain – si nous sortons d'ici cette nuit – trouvons-nous tous au faubourg Saint-Antoine...
On m'interrompit : – Pourquoi le faubourg Saint-Antoine ?
– Oui, repris-je, le faubourg Saint-Antoine ! Je ne puis croire que le cœur du peuple ait cessé de battre là. Trouvons-nous tous demain au faubourg Saint-Antoine. Il y a vis-à-vis le marché Lenoir une salle qui a servi à un club en 1848...
On me cria : La salle Roysin.
– C'est cela, dis-je, la salle Roysin. Nous sommes cent vingt représentants républicains restés libres… » Voir pour cette journée du 2 décembre 1851,dans Paris ouvrier, p.81, l’entrée Restaurant Bonvalet, et p.224, l’entrée Barricade de Baudin. La salle que Victor Hugo appelle Roysin et dit "vis-à-vis le marché Lenoir": eh bien, elle est effectivement vis-à-vis le marché Lenoir, face à la rue d'Aligre, au n°157, rue du Fbg St-Antoine. Là où se trouve aujourd'hui encore un magasin de mode féminine, on trouvait en 1851 la bonneterie Lesage, et là où l'on voit aujourd'hui l'enseigne d'une salle de body building, est le porche qui mène au café que décrit très exactement Hugo:
"On entre dans le café Roysin par une allée qui donne sur la rue, puis on traverse un vestibule de quelques mètres de longueur, et l'on trouve une salle assez vaste, avec de hautes fenêtres et des glaces aux murs, et au milieu plusieurs billards, des tables à dessus de marbre, des chaises et des banquettes de velours."
La seule différence concerne l'orthographe du nom, qui est Roisin dans l'Annuaire-almanach du commerce, de l'industrie, de la magistrature et de l'administration, qui deviendra le Didot-Bottin. Roisin, limonadier, est donc le patron de la salle du n°157 rue du Fbg St-Antoine dans l'annuaire de 1851, mais dès celui de 1852 il a disparu pour faire place à "Leclercq et Cie, association de limonadiers". A-t-il été victime de la répression? S'est-il fondu discrètement dans un regroupement plus vaste?
Sur la rue, on retrouve la boutique des Lesage de décennie en décennie: en 1860, 1870, 1880 où est précisé "confection, détail pour hommes", 1890; en 1900, c'est maintenant "Veuve Lesage", la patronne, et pareillement en 1911. C'est en 1920 qu'on la voit remplacée par "Robuste, confection pour hommes".
Sur cour, 50 ans de limonadiers succèdent à Roisin: après Leclercq et Cie, c'est Lewi en 1860, Ch. Marrot en 1870, la Vve Matry en 1880, le "Grand Café du Faubourg" de Signard en 1890. Et puis, en 1900, plus rien à côté de la Vve Lesage, au n°157. En fait, la Coopération des idées est déjà là depuis 1899 mais elle n'apparaît, dans mes sondages décennaux effectués sur Didot-Bottin qu'avec l'édition de 1911: "Université populaire du Fbg St-Antoine, la Coopération des idées". Pour plus de détails, sur cette dernière, voir la p. 223 de Paris-Ouvrier.


-Le Sublime, ou le Travailleur comme il est en 1870 et ce qu’il peut être. Voir Paris ouvrier, p.31, l’entrée Goguettes. Après Gouin, où il a été 5 ans contremaître, Denis Poulot décide en 1857 de fonder sa propre fabrique de ferronnerie dans le 19e, 50 bd de la Villette, qu'il cèdera en 1868 à Nicolas Vuillaume, mais où il est encore en 1870 puisque l’on trouve cette dédicace : "A Victor Hugo hommage de son respectueux admirateur Denis Poulot, 50 boulevard de la Villette Paris" sur un exemplaire du Sublime envoyé à V.H. en 1870 à Hauteville House. C’est dans sa fabrique qu’ont eu lieu des réunions électorales en mai, juin et novembre 1869 : « Cité Chaumont, au 50 boulevard de la Villette, un hangar en charpente en fer, ancien atelier, accueillit par deux fois les électeurs du quartier, un peu perdus dans le clair-obscur de cette immense salle. » Alain Dalotel, Alain Faure et Jean-Claude Freiermuth, Aux origines de la Commune. Le mouvement des réunions publiques à Paris. 1868-1870. Paris, François Maspero, 1980, 372 p.
En 1872, Denis Poulot crée, à 40 ans, au 50, av. Philippe-Auguste à Paris une " Fabrique de produits pour polissage " (émeri, meules et machines à polir) remportant une médaille d'argent à l'Exposition de 1878 (...). En mars 1879, il est nommé maire du 11e arrondissement de Paris par Mr Hérold, préfet de la Seine. Il le restera trois ans, déclarant en 1882 :" En démocratie, il ne faut éterniser ni les fonctions, ni les mandats. "

- L’actuelle rue Léon Frot (11e arr.) est l’ancienne rue de la Muette et le n°16 d'aujourd'hui  l'ancien n°27-29 siège, dès l’été 1846, de l’entreprise de boutons de Jean-Félix Bapterosses, où travailleront 150 personnes, dont 2/3 d’hommes, pour produire 1 400 000 boutons par jour. 400 femmes, autour, à leur domicile, attachent lesdits boutons sur des cartons. Alexandre Martin, dit « l’ouvrier Albert » à la société secrète des Saison qu’il dirige avec Blanqui et Barbès, est mécanicien chez Bapterosses. Il sera membre du gouvernement provisoire de la Seconde République, le 24 février 1848, et en sera bien vite exclu, ce qui provoquera l’envahissement du Palais Bourbon le 15 mai. Voir Paris ouvrier, p.140 Les spectateurs montent sur scène. Voir aussi dans l’index, sur ce blog, les renvois à l’Ouvrier Albert.
_____________________________________________________
Les séjours de Marx et d'Engels à Paris
Quand, après la censure de la Gazette rhénane, Arnold Ruge et Karl Marx cherchent un endroit d’où lancer une nouvelle publication, le premier écrit au second, en substance : concernant les conditions de liberté de la presse, Bruxelles serait un meilleur choix, mais à Paris il y a 85 000 Allemands ! [Ruge voit grand : dans ce Paris d'un million d'habitants, on estime les étrangers à 136 000 dont environ 50 000 Allemands] C’est pour cette bonne raison que Paris sera choisi par l’aîné (il a seize ans de plus que Marx), parce que, à part ça, les progressistes français pressentis lui ont tous refusé leur participation aux futures Annales.
Ruge a commencé tôt sa prospection, guidé par Moses Hess, parce que son français est assez loin du parler, comme d'ailleurs celui de Marx qui ne l'a étudié qu'au lycée. Il s'est rendu au moins deux fois au réunions de Flora Tristan, au 89 rue du Bac, dès le mois d'août 1843. Celle qui sera la grand-mère du peintre Paul Gauguin, a déjà publié ses Promenades dans Londres, étude qui n'a rien de touristique et fait une large place au chartisme, et son Union ouvrière, appel à l'unité du prolétariat international, qu'elle a envoyé à toutes les sociétés de compagnonnage, sans compter qu'un prospectus qui le résume a été distribué à 3 000 exemplaires dans les grands ateliers de Paris.
Ruge écrira : « Nous avons trouvé une grande dame habillée de noir, brune d’aspect, qui a mené la conversation avec brio et a parlé de politique et des questions de société (c'est-à-dire de la réforme des classes inférieures) avec une raison admirable. » Il a été tellement impressionné qu'il l'a vue grande alors qu'elle est petite et mince. German Mäurer, qui l'accompagne, s'est exclamé :  « Quelle femme ! Elle prendra le drapeau et ira de l’avant ! Maintenant seulement je comprends les Français ! »


Idéologiquement, à Paris, ce qui compte chez les ouvriers, c’est, pour les Français le communisme enseigné par Cabet ou Dézamy et, pour les tailleurs, cordonniers, menuisiers du bâtiment ou ébénistes allemands, celui qu’incarne Weitling. Le Marx qui arrive à Paris en octobre 1843, - on l’indique ici d’emblée, il n’est pas qu’idées, il a 25 ans, il est marié du 19 juin, sa femme est enceinte de trois mois -, n’a d’affinités avec aucun de ces communismes-là. Comme il l’a écrit à Ruge en avril, en évoquant leur projet commun : « Chacun de nous devra bientôt s’avouer à lui-même qu’il n’a aucune idée exacte de ce que demain devra être. Au demeurant c’est là précisément le mérite de la nouvelle orientation : à savoir que nous n’anticipons pas sur le monde de demain par la pensée dogmatique, mais qu’au contraire nous ne voulons trouver le monde nouveau qu’au terme de la critique de l’ancien. (…) C’est pourquoi je ne suis pas d’avis que nous arborions un emblème dogmatique. Au contraire, nous devons nous efforcer d’aider les dogmatiques à voir clair dans leurs propres thèses. C’est ainsi en particulier que le communisme est une abstraction dogmatique. Et je n’entends pas par là je ne sais quel communisme imaginaire ou simplement possible, mais le communisme réellement existant tel que Cabet, Dézamy, Weitling, etc., l’enseignent. »

Les Allemands de Paris se sont organisés en une Ligue des Bannis dès 1834, à laquelle a succédé en 1836 la Ligue des Justes. « Le garçon tailleur Weitling », fils naturel d’une cuisinière de Magdebourg et d’un officier français, a travaillé à Paris en 1835 et en 1837 et s’y est familiarisé en autodidacte avec les idées de Saint-Simon et de Fourrier. Il a adhéré à la Ligue des Justes, s’est retrouvé assez vite à son comité central et s’est vu demander en 1839 la rédaction de son manifeste : « L’humanité telle qu’elle est et telle qu’elle devrait être ».
Après l’échec de l’insurrection, en mai 1839, de la Société des Saisons (Barbès, Blanqui, Martin Bernard), avec laquelle la Ligue des Justes était en contact, Weitling s’est réfugié en Suisse romande ; la direction de la Ligue a été transférée à Londres ; à Paris, ce qui reste d’adhérents de la société secrète s’est regroupé autour d’un médecin, de deux ans plus jeune que Marx, Hermann Ewerbeck, et d’un professeur et écrivain de sept ans plus âgé, German Mäurer.

Octobre 1843 : arrivée de Marx à Paris

Les Marx, jeunes mariés donc (il a 25 ans, Jenny 29), arrivent à Paris à l'automne 1843. Ils descendent d'abord, le 11 octobre, dans le meublé du 26 rue St-Thomas-du-Louvre où habitent Georg et Emma Herwegh, tandis que dans le voisinage immédiat sont Arnold Ruge, Moses Hess et Julien Fröbel. Ils passent de là, trois ou quatre jours plus tard, à l'hôtel Vaneau du 11 de la rue éponyme [démoli], où ils séjourneront jusqu'à la fin du mois. Ils se déplacent ensuite d'une vingtaine de numéros pour gagner le 31 (où habite le peintre Louis-Henri de Rudder, illustrateur de l'édition de 1844 du Notre Dame de Paris de Victor Hugo) ; ils restent environ trois mois. Enfin, après un bref nouveau séjour à l'hôtel Vaneau, ils s'installent au 38 rue Vaneau [l'immeuble est celui que connut Marx], dans un  3 pièces du 2e étage, où ils resteront jusqu'à leur expulsion de France. Peut-être ont-ils auparavant partagé "deux semaines de communisme" au 23 [l'immeuble actuel est postérieur] de cette rue Vaneau où loge  German Mäurer avec femme et enfants, en compagnie du couple Ruge et de celui que forment le poète Herwegh et sa femme. Mais l'appartement n'a peut-être été qu'une adresse postale pour Marx comme pour Ruge ; toujours est-il que les Herwegh vont déménager pour le 4 rue Barbet de Jouy, tandis que Ruge s'installe au 38 avec les Marx, à l'étage du dessous.
Jenny von Westphalen, épouse Marx, vers 1835

A la fin de l'année, Ruge, qui a dû retourner un temps en Allemagne, écrit à Marx : : « Je pense que vous avez écrit à Prou­dhon (...) Autre­ment nous devrons nous pas­ser des Fran­çais, en fin de compte. Ou nous devrions aler­ter les femmes, la Sand et la Tris­tan. Elles sont plus radi­cales que Louis Blanc et Lamar­tine. »
En tous cas, dans le n° du 25 février 1844 de la Revue indépendante, que George Sand dirige avec Pierre Leroux et Louis Viardot, un entretien du rédacteur-en-chef, Pascal Duprat, avec Arnold Ruge permet une longue présentation des futures Annales, sous ce titre : L’École de Hegel à Paris. 
Le bureau (un appartement de 2 - 3 pièces, qui peut recevoir des hôtes de passage) de ces “Annales franco-allemandes”, que les directeurs-éditeurs Arnold Ruge et Karl Marx sont venus créer à Paris, est à quelques numéros du 38, au 22 [l'immeuble actuel est postérieur] de cette même rue Vaneau.La rue Vaneau, qui porte le nom d'un étudiant tué lors de l'assaut de la caserne de Babylone en juillet 1830, est alors moitié plus courte qu'aujourd'hui, se limitant au tronçon compris entre les rues de Varenne et de Babylone. Elle est pavée, déserte à la nuit et "dangereuse" selon Ruge, témoin de sa fenêtre d'une rixe au couteau.
Marx, comme de coutume, s'est enfoui sous une montagne de livres, dont Socialisme et communisme dans la France actuelle, avec lequel Lorenz von Stein a conclu un séjour de deux ans à Paris,  De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France, d'Eugène Buret, les écrits de Flora Tristan, ce qui n'empêchait pas un contact plus direct avec les ouvriers de l'émigration allemande par l'intermédiaire de leurs dirigeants. Toujours est-il que dans le numéro double des Annales, qui paraît le 29 février 1844, et plus exactement à la page 15 de son Introduction à la Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, le mot prolétariat apparaît pour la première fois sous la plume de Marx, avant onze occurrences supplémentaires en une seule page! Les Annales, auxquelles auront collaboré Henri Heine et le poète Herwegh, n'auront pas d'autre numéro, mais qu'importe, à Paris, Marx vient de claquer la porte de l’École de Hegel : "La philosophie ne peut être réalisée sans la suppression du prolétariat, et le prolétariat ne peut être supprimé sans la réalisation de la philosophie. "Quand toutes les conditions intérieures auront été remplies, le jour de la résurrection allemande sera annoncé par le chant éclatant du coq gaulois."

Le 23 mars 1844, se tient un banquet démocratique international auquel participent Marx avec Ruge et Bernays ; Louis Blanc, Félix Pyat, Victor Schölcher, Pierre Leroux ; et encore Bakounine, de passage à Paris et qui, séduit par la capitale, viendra s’y fixer en juillet (rue de Bourgogne, chez le musicien Adolf Reichel).

On date d’avril 44 les premiers contacts de Marx avec les réunions de la Ligue des Justes. La société secrète a pour lieux de rencontres le Café Scherger, 20 rue des Bons-Enfants ; le café Gaissier, 46 rue de l’Arbre-Sec, le café Schiever, passage Saint-Pierre-Amelot. Là, des journaux démocratiques sont lus à haute voix, pour tout le monde, par ceux qui savent lire.

Jenny, comme sa mère, mais qu’ils appelleront plutôt par le diminutif de “Jennychen”, la première fille des Marx, naît au 38 rue Vaneau, le 1er mai 1844, pratiquement pour le 26ème anniversaire de son père né le 5 mai 1818. En se rendant, à pied, au Vorwärts, Marx passe chaque jour devant le plus beau bâtiment de la rue Vaneau, le no 14, tout récent, construit en 1835 dans le style néo-renaissance, ou troubadour, alors à la mode.  Dans une lettre à Feuerbach du 15 mai 1844, Ruge décrit ainsi le nouveau papa : « Il lit beaucoup, travaille avec une intensité peu commune (…) mais n’apporte jamais rien à sa fin, laisse tout à mi-chemin pour s’enfouir chaque fois dans une mer de livres », il continue « jusqu’à se sentir mal, sans aller au lit pour trois ou quatre nuits d’affilée ».

Un théâtre est le fleuron du passage Choiseul, construit autour de 1825 entre Palais-Royal et Grands Boulevards, l’ancien et le nouveau centre de la vie parisienne. « Quand la pluie, en hiver, s’épanche en cataracte, / Le passage Choiseul sert d’abri, dans l’entracte : / C’est notre vestibule, ou notre corridor, / Ouvert toute la nuit, brillant de gaz et d’or, / Tiède et vitré », écrira, trente ans plus tard, le poète et librettiste d’Offenbach, Joseph Méry.
C’est donc assez naturellement, outre le fait que l'Association d'entraide allemande soit dans le même bâtiment), que les frères Börnstein et le compositeur Meyerbeer ont installé à l’angle des 32 (aujourd’hui 14), rue des Moulins et 49, rue Neuve-des-Petits-Champs (aujourd’hui des Petits-Champs) [le bâtiment est resté celui que connurent les protagonistes], au début de 1844, leur Vorwärts, bi-hebdomadaire, c’est son long sous-titre, de « nouvelles de Paris concernant les arts, les sciences, le théâtre, la musique et la vie sociale ». A compter du numéro du 3 juillet 1844, son nouveau directeur, Karl Ludwig Bernays, abrège tout ça en « revue allemande de Paris ». Bernays (qui habitait 20, rue Saint-Claude) était un joyeux drille qui, sur un papier orné d’une fausse couronne vaguement grand-ducale, inondait les journalistes prussiens d’actualités fantaisistes concernant la prospérité nouvelle de la pêche hauturière qu’encourageait son Altesse, dans un prétendu port de mer qui était en réalité un village de haute montagne, ou encore sur la remise, toujours par son Altesse elle-même, de la plus importante des décorations à tel général mort en réalité depuis deux bons siècles. Le filigrane pseudo-noble suffisait à ce que la presse répercutât ces informations rocambolesques sans prendre la peine d’une vérification. C’est Bernays qui va, dans le Vorwärts, faire une large place à l’opposition radicale des Annales franco-allemandes de Marx et Ruge. Plusieurs fois par semaine, dans un appartement du premier étage saturé de fumée, les réunions de rédaction regroupent, une douzaine de personnes dans des discussions passionnées qui s’éloignent de plus en plus des questions artistiques. Bakounine loge sur place, dans une chambre meublée d’un lit de camp, d’une malle et d’un gobelet en étain, où les débats se prolongent.
« Outre Bernays et moi-même, qui étions les rédacteurs, raconte Heinrich Börnstein dans ses mémoires, écrivaient pour le journal Arnold Ruge, Karl Marx, Heinrich Heine, Georg Herwegh, Bakounine, Georg Weerth, G. Weber, Fr. Engels, le Dr Hermann Ewerbeck [qui demeure 8, rue de Fleurus], et Heinrich Bürgers ». Et il en oublie quelques-uns, dont German Mäurer, soit une douzaine de personnes, pour ne rien dire des discussions qui sont menées par ailleurs avec Proudhon, Louis Blanc, le typographe Pierre Leroux (avec lequel George Sand avait créé la Revue indépendante trois ans plus tôt), ou Victor Considérant, le disciple de Fourier.
Marx étudiant, vers 1840, déjà surnommé Le Maure

L’ambassade de Prusse allume aussitôt un contrefeu avec la parution du “Pilote germanique”, Der deutsche Steuermann, au 87 puis 51 rue Saint-Antoine

Le Vorwärts du 10 juillet donne en Une le poème de Heine écrit en réaction à la révolte des ouvriers tisserands de Silésie:
Dans leurs yeux sombres, pas une larme, / Assis à leurs métiers, ils montrent les dents  : / "Vieille Allemagne, nous tissons ton linceul, / Nous y tissons la triple malédiction ! / Nous tissons ! Nous tissons ! 
  Maudit soit le Dieu aveugle et sourd / vers qui nous avons prié avec une foi filiale, / Nous avons en vain espéré, attendu, / Il nous a raillés, bernés, bafoués. / Nous tissons ! Nous tissons !
Maudit soit le Roi, le Roi des Riches, / Que notre misère n'a pu fléchir, / Qui nous a soutiré le dernier sou, / Et nous fait abattre comme des chiens ! / Nous tissons ! Nous tissons !
Maudite soit la prétendue patrie, / Où seuls prospèrent le mensonge et l'infamie / Où règnent putréfaction et odeur de mort.  - / Vieille Allemagne, nous tissons ton linceul, / Nous y tissons la triple malédiction ! / Nous tissons ! Nous tissons ! [On donne ici la traduction littérale de René Merle sur son blog où l'on trouvera aussi l'original :http://merlerene.canalblog.com/archives/2014/08/26/31952079.html]
Le 1er article signé de Marx dans ce nouveau Vorwärts, est du 7 août, pour se démarquer de l'article de Ruge sur la révolte des tisserands qui accompagnait le poème de Heine ; c'est la première expression publique des dissensions entre les deux co-fondateurs des Annales. Le 10 août, Marx vante dans le Vorwärts les Garanties de l’harmonie et de la liberté, publié par « le garçon tailleur Weitling » en 1842 : « Pour ce qui est de la culture des ouvriers allemands ou généralement de leur capacité à se cultiver, je rappellerai l’œuvre géniale de Weitling, qui dépasse souvent Proudhon lui-même au point de vue théorique ». « Où trouve-t-on dans la bourgeoisie, y compris chez ses théoriciens et ses scribes, un ouvrage comparable à celui de Weitling ? Si l’on compare la pâle médiocrité de la littérature politique allemande avec cette œuvre immense et brillante qui marque les débuts littéraires de l’ouvrier allemand, si l’on compare ces bottes de géant d’un prolétariat encore dans l’enfance avec les minuscules souliers éculés de la bourgeoisie, on peut légitimement prédire à ce fils oublié de l’Allemagne une stature d’athlète. » « Il faut reconnaître que le prolétariat allemand est le théoricien du prolétariat européen, écrira-t-il ailleurs, de même que le prolétariat anglais en est l’économiste et le prolétariat français le politique. »

Début juillet, Marx a entamé le premier cahier de ce que l'on appellera ses “Manuscrits de 1844”. Le 11 août 1844, il écrit à Feuerbach, lui joint deux articles du Vorwärts, lui raconte que « les artisans allemands d’ici, c’est à dire ceux d’entre eux qui sont communistes – quelques centaines – ont eu cet été des conférences bihebdomadaires sur votre Essence du Christianisme, présentées par leurs dirigeants secrets, et se sont montrés étonnamment réceptifs », et  que le livre est également en traduction à Paris. Il se réjouit de ce que “l’irréligiosité a pénétré dans le prolétariat français”. “Il aurait fallu, ajoute-t-il, que vous ayez pu assister à une des réunions des ouvriers français pour pouvoir croire à la fraîcheur primesautière, à la noblesse qui émane de ces hommes harassés de travail. Le prolétariat anglais fait également des progrès énormes mais il lui manque toujours le caractère cultivé des Français.”

Août 1844 : arrivée d’Engels à Paris
Ce portrait d'Engels est parfois daté des années 1840, parfois de 20 ans plus tard

En ce même mois d’août 1844, Engels passe par Paris sur son trajet retour de Manchester à Barmen (aujourd’hui Wuppertal), c’est-à-dire de la manufacture cotonnière anglaise dont son père est actionnaire à celle de la Ruhr dont il est propriétaire. Marx a déjà croisé le lascar sur son trajet aller, en novembre 1842, à la Gazette rhénane de Cologne, sans conserver de lui un souvenir inoubliable. Il le retrouve en cette fin d’août, dans un café de la rue St-Honoré, peut-être le café de la Régence, situé alors au débouché de la rue Saint-Thomas-du-Louvre sur la rue St-Honoré, lesté d’une connaissance aussi précise que concrète de la situation de la classe laborieuse anglaise. Durant près de deux ans, Engels l’a connue d’en haut – il était le fondé de pouvoir de son père à la filature Ermen & Engels -, et d’en bas : il a rencontré et aimé, dès 1843, Mary Burns, une fille d’immigrés irlandais venus de Tipperary, un père teinturier, une mère morte à ses 12 ans, qui a été ouvrière, domestique ou prostituée, on ne sait, et qui lui a fait connaître « la Petite Irlande » de Manchester, ce quartier de taudis dont, seul, il avait peu de chances de sortir vivant ou, en tout cas, autrement qu’à poil, et qui l'a introduit par ailleurs dans le mouvement chartiste. Jenny est alors chez sa mère, à Trèves, avec Jennychen, qui n’a pas 4 mois ; Marx est donc « célibataire », Engels s'installe chez lui, 38 rue Vaneau, du 23 ou 24 août au 1er ou 2 septembre. Les deux jeunes gens – Engels a environ 2 ans et demi de moins que Marx -, vont passer pratiquement dix jours à débattre dans une atmosphère de joyeuse exaltation, au café Lahaye du 1, quai Voltaire et au café situé au rez-de-chaussée de l'hôtel du 17, dont Engels évoquera la bande qu'ils y fréquentaient tous les soirs. « Je n’ai jamais été d’aussi bonne humeur ni avec des sentiments aussi humains que pendant les dix jours passés près de toi », écrira ensuite Friedrich à Karl. Ils tombent d’accord sur ce que « ce n’est généralement pas l’État qui conditionne et règle la société civile, mais la société civile qui conditionne et règle l'État, qu'il faut donc expliquer la politique et l'histoire par les conditions économiques et leur évolution, et non inversement. » 
Ils dressent le canevas de ce qui deviendra la Sainte Famille et Engels écrit aussitôt les chapitres qui lui échoient, dont celui dans lequel il prend la défense de Flora Tristan. Marx sera beaucoup plus lent, amplifiant considérablement ce qui ne devait être d’abord qu’une courte brochure. C’est que, comme s’en désole Ruge dans une lettre à Max Duncker, cette fois, le 29 août 1844 : « Il veut toujours écrire sur les choses qu’il a à peine fini de lire, mais après, il recommence à lire et prend des notes. Néanmoins je pense que, maintenant ou plus tard, il réussira à porter à son terme une œuvre très longue et difficile, dans laquelle il reversera tout le matériel qu’il a accumulé ».  
La rencontre dans le film de Raoul Peck


11 janvier 1845 : expulsion de Marx vers la Belgique

En janvier 1845, un arrêté d’expulsion, demandé par le comte Von Arnim à Guizot, vise au premier chef Börnstein, Bernays, Marx et Mäurer, plus cinq autres personnes dont, pour le couvrir, von Bornstedt, le premier rédac-chef du Vorwärts avant Bernays, qui est un agent du gouvernement prussien. Seuls Marx et von Bornstedt seront finalement expulsés, Ruge déniant toute relation avec les gens du Vorwärts, Börstein, quant à lui, semblant avoir promis sa collaboration à la police. Marx quitte Paris pour Bruxelles le 2 février ; Jenny et Jennychen quelques jours plus tard. A Bruxelles, Jenny verra arriver une servante de sa mère, que celle-ci lui envoie, la jeune Hélène  Demuth  (Lenchen), 25 ans, qui restera toute sa vie auprès du couple Marx.

Engels écrit à Marx, en ce mois de janvier qui voit son expulsion : « Ce qui est particulièrement affreux, c’est d’être non seulement un bourgeois, mais un fabricant : un bourgeois qui intervient activement contre le prolétariat. Quelques jours passés à la fabrique de mon paternel ont suffi pour me remettre devant les yeux cette horreur (...) faire de la propagande communiste en grand et en même temps du commerce et de l’industrie, ça ne va pas. J’en ai assez ; à Pâques, je m’en vais. A cela s’ajoute cette existence débilitante au sein d’une famille strictement prusso-chrétienne. »
Dans une autre lettre, du 17 mars 1845, il commente sa vie quotidienne en famille à Barmen où son père lui fait « une figure de carême à vous rendre fou ». « Si ce n’était pas à cause de ma mère qui a un beau fond humain (...) et que j’aime vraiment, il ne me viendrait pas un seul instant à l’idée de faire la plus minime concession à ce despote fanatique qu’est mon vieux. »

Effectivement, en avril, Engels rejoint Marx à Bruxelles. En juillet-août, les deux compères partent pour l’Angleterre (Manchester et Londres), où ils rencontrent les représentants de la « Ligue des Justes » (en pleine crise) et la gauche du mouvement chartiste. Marx y découvre aussi cette Mary Burns, - il la dira « agréable et pleine d’esprit » -, avec laquelle Engels a vécu sa double vie anglaise, tenant son rang dans le milieu de l’associé de son père d’un côté et, de l’autre, louant sous de faux noms et de fausses professions, tantôt comptable, tantôt voyageur de commerce, des appartements où passer du temps avec elle. C’est au retour de ce voyage que Marx et Engels décident de rédiger L’Idéologie allemande. Engels revient à Bruxelles avec Mary qui y restera, sans doute pas de façon continue, jusqu’en 1848. Mais alors que les deux couples s’aperçoivent à un meeting ouvrier, Marx fait signe à Engels, d’un geste sans équivoque et d’un sourire désolé, qu’il n’est pas question qu’il leur présente sa compagne ; pour sa Jenny, le concubinage est rédhibitoire.

Au début de 1846, Marx et Engels fondent à Bruxelles un Comité de correspondance communiste, embryon de coordination des personnes sinon des groupes. Les Anglais acceptent, comme les Allemands de la diaspora en France, mais ni Cabet ni Proudhon ni aucun autre Français n’y participeront.

30 mars 1846 : rupture avec Weitling au cours d’une séance du Comité de correspondance communiste à Bruxelles. Récit de Pavel Annenkov : Le tailleur et agitateur Weitling était un beau jeune homme blond [Il a 10 ans de plus que Marx]. Avec sa redingote de coupe élégante, sa barbiche coquette, il ressemblait plutôt à un commis-voyageur qu'à l'ouvrier bourru et aigri que je m'attendais à voir. Après nous être présentés l'un à l'autre, avec une nuance de politesse raffinée chez Weitling, nous prîmes place à une petite table verte au bout de laquelle vint s'asseoir Marx, un crayon à la main, sa tête léonine penchée sur une feuille de papier, tandis qu'Engels, son inséparable compagnon et associé à la propagande, grand, droit, d'une gravité et d'un flegme tout britanniques, ouvrait la séance en prononçant une allocution. (…) Engels avait à peine terminé que Marx, relevant la tête, demanda à brûle-pourpoint: « Dites-nous, Weitling, vous dont la propagande a fait tant de bruit en Allemagne, quels sont les principes par lesquels vous justifiez votre activité et les bases que vous envisagez de lui donner à l'avenir ? » Je me rappelle très bien la forme brutale de la question (…) Weitling aurait sans doute parlé longtemps encore si Marx, les sourcils froncés ne l'avait interrompu et n'avait commencé à élever des objections. Son discours sarcastique se ramenait à ceci, qu'exciter la population sans donner pour base à son action des principes solides et réfléchis, c'est tout simplement la tromper. Faire naître les espoirs fantaisistes dont il venait d'être question, poursuivit Marx, conduisait à la perte et non au salut de ceux qui souffrent. En Allemagne surtout, s'adresser à l'ouvrier sans idées rigoureusement scientifiques et sans doctrine positive, c'est jouer à la propagande, jeu aussi futile que malhonnête, qui suppose, d'une part, un prophète inspiré, et de l'autre, des ânes l'écoutant bouche bée. »

Le 05 mai 1846, Marx écrit à Proudhon pour dénoncer Karl Grün (saint-simonien puis fouriériste, devenu le porte-parole de l’humanisme feuerbachien auprès de Proudhon dont il s’est proposé de traduire l’œuvre en allemand) comme un personnage « dangereux », en même temps qu’il lui demande de participer aux échanges du Comité de correspondance. Proudhon se déclare revenu de l’idée de révolution : « nous n’avons pas besoin de cela pour réussir. » Il se propose de « faire entrer dans la société, par une combinaison économique, les richesses qui sont sorties par une autre combinaison économique » Au passage, Proudhon prend la défense de Karl Grün.

15 août 1846, retour de Friedrich Engels à Paris
Engels, Stefan Konarske, en 2017

Engels, Andreï Mironov, en 1966
A la suite de la réponse de Proudhon, Engels est envoyé « en mission » à Paris, le 15 août 1846, pour contrecarrer l’influence de Karl Grün (et donc de l’humanisme feuerbachien) dans les milieux de l’immigration allemande. Il s’applique dès le début à s’assurer du soutien d’Ewerbeck (par ailleurs en rivalité avec Grün pour la traduction allemande des œuvres de Proudhon) qu’il parvient à tourner contre Grün.
Engels est venu habiter au 11 de la rue de l’Arbre-Sec ; deux peintres habitent là : l'un du midi,  Jean-Marius Fouque, né à Arles, l'autre flamand, Alexis Bafcop, né à Cassel dans l'arrondissement de Dunkerque. Si ce dernier a 42 ans, l'autre est presque l'exact contemporain d'Engels (il y a une incertitude sur sa naissance : le 2 juillet 1819 ou 1822 ; Engels est du 28 novembre 1820). Il y a donc des chances qu'ils se soient fréquentés et que Jean-Marius ait introduit Friedrich dans ces bals - on sait que les peintres y trouvent leurs modèles - qui lui serviront plus tard à déjouer la surveillance policière. 
Engels s’est rapproché, comme il l'écrit, des “ours du faubourg”, “des chefs des ouvriers menuisiers”. Un mois plus tard, le 16 septembre 1846, il envoie son premier compte-rendu à Marx : « J’ai été plusieurs fois en contact avec les ouvriers d’ici, c’est-à-dire avec les dirigeants des menuisiers du Faubourg Saint-Antoine. Ces gens-là ont une organisation particulière. A part leur histoire d’association - devenue très confuse à cause d’une importante dissension avec les tailleurs adeptes de Weitling – ces gars, c’est-à-dire environ 12 à 20 d’entre eux – se réunissent chaque semaine pour – jusqu’à présent – discuter. (...) Ewerbeck a été obligé de leur faire des conférences sur l’histoire allemande depuis les origines et sur une économie politique des plus confuse – en somme des Annales franco-allemandes à la sauce humanitaire. (…) Ce qu’ils opposent au communisme des tailleurs, n’est rien d’autre que des phrases creuses et humanitaires à la Grün et du Proudhon arrangé par Grün, qui leur ont été inculquées à grand-peine par Monsieur Grün soi-même, en partie par un vieux maître menuisier très suffisant et valet de Grün, le père Eisermann et aussi par l’ami Ewerbeck. (...) Mais il faut avoir de la patience avec ces types - : d’abord il faut se débarrasser de Grün qui a vraiment exercé directement et indirectement une influence épouvantablement amollissante et ensuite, quand on leur aura sorti ces grandes phrases de la tête, j’espère arriver à quelque chose avec eux, car ils ont une grande soif de savoir en matière d’économie. Comme j’ai dans la poche Ewerbeck qui, en dépit d’une confusion bien connue -qui en ce moment atteint son paroxysme – possède la meilleure volonté du monde et que (l’ébéniste Adolph) Junge est également tout à fait de mon côté, nous arriverons bientôt à quelque chose. (...) Mais tant qu’on n’aura pas insufflé à nouveau de l’énergie à ces gens en anéantissant l’influence personnelle de Grün en extirpant ses phrases creuses il n’y aura rien à faire, compte tenu de grands obstacles matériels (en particulier ils sont pris chaque soir ou presque). »

Lettre du 23 octobre : mission accomplie, après cinq jours, ou soirs, de discussion ! « Les différents points litigieux que j’avais à régler avec les camarades sont désormais résolus : le principal partisan et disciple de Grün, le père Eisermann, a été flanqué à la porte, les autres ont perdu toute influence sur la masse et j’ai fait passer à l’unanimité une résolution qui les condamne. (...) On a discuté pendant trois jours le projet d’association de Proudhon. Au début, j’avais contre moi presque toute la bande, et à la fin il ne restait plus qu’Eisermann et les trois autres partisans de Grün. Il s’agissait avant tout de démontrer la nécessité de la révolution violente et de réfuter le socialisme de Grün, qui a retrouvé une nouvelle vitalité dans la panacée proudhonienne, en montrant qu’il est anti-prolétarien, petit-bourgeois et qu’il s’inspire des utopies des Straubinger [les compagnons du tour d’Allemagne]. A la fin, à force d’entendre éternellement répéter par mes adversaires les mêmes arguments, je devins furieux et j’attaquai de front les Straubinger, ce qui provoqua l’indignation des partisans de Grün, mais me permit d’arracher au noble Eisermann une attaque directe contre le communisme. Et là-dessus, je lui rivai son clou de si belle manière qu’il n’y revint plus. (...) Je déclarai alors qu’avant d’accepter de poursuivre la discussion, on devait voter pour savoir si nous nous réunissions, oui ou non, en tant que communistes. Dans le premier cas, il faudrait veiller à ce que des attaques contre le communisme (comme celle d’Eisermann) ne se reproduisent pas. Dans le second cas, s’ils n’étaient que des individus quelconques discutant de sujets quelconques, je ne voulais plus en entendre parler et je ne reviendrais plus. Ce qui provoqua une frayeur intense chez les partisans de Grün qui se récrièrent qu’ils s’étaient réunis pour « le bien de l’humanité », pour s’informer, qu’ils étaient des hommes de progrès et non sectaires, ennemis de tout système exclusif, etc. ; il n’était vraiment pas possible de traiter d’ « individus quelconques» des braves gens comme eux. Du reste, il leur fallait d’abord savoir ce que c’est réellement que le communisme. (…) Je donnai donc des intentions des communistes, la définition suivante : 1. Faire prévaloir les intérêts des prolétaires contre ceux des bourgeois. 2. Atteindre ce but en supprimant la propriété privée et en la remplaçant par la communauté des biens. 3. Pour réaliser ces objectifs, ne pas admettre d’autres moyens que la révolution violente et démocratique. Nous avons discuté là-dessus pendant deux soirées. Le deuxième soir, le meilleur des trois partisans de Grün, se rendant compte de l’état d’esprit de la majorité, passa complètement de mon côté.
Les deux autres ne cessaient de se contredire entre eux, sans s’en rendre compte. Plusieurs types qui n’avaient encore jamais pris la parole, l’ouvrirent tout d’un coup et se déclarèrent résolument pour moi. (...) Bref, lorsqu’on passa au vote, la réunion se déclara communiste au sens de la définition donnée plus haut, par treize voix contre les deux voix des deux partisans restés fidèles à Grün – encore l’un d’eux a-t-il déclaré par la suite qu’il avait le plus grand désir de se convertir. Ainsi avons-nous finalement réussi à faire tabula rasa une bonne fois et nous pouvons commencer à faire, dans la mesure du possible, quelque chose de ces gars »
Engels et Marx dans le film de Raoul Peck (capture d'écran)

En ce même mois d’octobre 1846, point culminant d’émeutes de subsistance “comme on n’en a pas connu depuis 1789” selon la Réforme, de nombreux ouvriers allemands sont arrêtés, qui seront finalement expulsés. Certains ont dû être trop bavards et Engels, qui a déménagé au 23, rue de Lille, fait état en novembre, dans ses lettres à Marx, d’une surveillance policière. A cette adresse, on trouve aussi bien le libraire éditeur Victor Durand que la comtesse de Beaufort ou le peintre Gabriel Lefébure, à peine plus vieux qu'Engels. Si l'on en croit le compte-rendu que le saint-simonnien Peter Hawke donnera au Représentant du peuple, Journal des travailleurs, à l'occasion du premier Salon d'après la révolution de Février 1848, Lefébure ferait partie, comme "Delacroix, Millet, Jeanron, Coignard, Courbet ou Johannot" de ces peintres non bourgeois qu'attendaient les travailleurs.  
Dès la fin de l’année, sans cesse pris en filature, Engels quitte cet appartement et adopte comme adresse postale celle d’A. F. Körner, artiste-peintre, 29 rue Neuve-Bréda (aujourd’hui rue Clauzel, dans le 9e).
Pour égarer les mouchards, il court les bals, passant du bal Valentino (251, rue St-Honoré), à celui du Prado (1, bd du Palais), sans oublier le Montesquieu (au 6, de la rue du même nom), et les bras des grisettes comme si ce devait être ses dernières nuits à Paris. « Si je disposais de 5 000 Fr de rentes, écrit-il à Marx, je ne ferais que travailler et m’amuser avec les femmes, jusqu’à ce que je sois lessivé. Si les Françaises n’existaient pas, la vie ne vaudrait même pas la peine d’être vécue. Mais tant qu’il y a des grisettes, va ! Cela n’empêche pas (en français dans le texte) que l’on ait envie de temps à autre de parler d’un sujet sérieux. » Il réussit d’ailleurs à maintenir des contacts avec Cabet, Louis Blanc, Ferdinand Flocon. Durant le second semestre de 1847, Engels apportera d'ailleurs des contributions à La Réforme de Flocon et Ledru-Rollin, [le journal, (2 000 abonnés), est 3 rue Jean-Jacques Rousseau, à l'hôtel de Bullion, qui sera détruit dans le percement de la rue du Louvre].
Ailleurs, évoquant Moses Hess, Engels écrit « passage Vivienne, je l’ai planté là bouche bée pour embarquer avec le peintre Körner deux filles que celui-ci avait levées. » Ailleurs encore : « Ici à Paris, j’ai adopté un ton très cynique, c’est le métier qui veut cette esbroufe et ça réussit souvent auprès des dames. »

On sait que le 20 mars 1847, Engels déjeune avec ce Georg Weerth qu'il qualifiera plus tard de "premier et plus grand poète du prolétariat allemand". Celui-ci écrira à sa mère le 18 avril :  "déjeuné avec mon ami Engels rue de Rivoli. Nous avons grandement apprécié le Chablis de 1846 et le monde nous a semblé être un endroit aimable".
En ce même mois de mars 1847, la police intervient à l’encontre d’une réunion de 150 à 200 personnes, ouvriers allemands avec leurs femmes et leurs enfants, qui se rassemblent à la barrière des Amandiers-Popincourt (auj. place Auguste Métivier), le dimanche depuis quatre ans. Il s’agit d’une de ces réunions publiques de barrières, destinées aux sympathisants de la Ligue des justes, sur les dangers desquelles, du fait des mouchards et des policiers, Engels a fait un rapport l’automne précédent. L’ébéniste Adolph Junge y est arrêté ; il sera expulsé ensuite vers la Belgique où il arrivera en avril 47.

Le mois suivant, Engels réussit, non sans mal, à se faire élire délégué de la section parisienne de la Ligue des Justes pour représenter celle-ci à son congrès de réorganisation, le 1er juin 1847, à Londres. Les dirigeants londoniens avaient dépêché dès janvier l’horloger Joseph Moll à Bruxelles puis à Paris pour demander à Marx et Engels d’adhérer formellement à la Ligue. Ceux-ci avaient posé comme condition que la Ligue cesse d’être une société conspiratrice pour agir ouvertement dans la société, et adopte une ligne de pensée conforme aux acquis du matérialisme historique. Le congrès de réorganisation devait avoir ce but.
[Dans son ouvrage de Souvenirs, le typographe Stephan Born écrit : « Je me rendis compte qu’il allait être très difficile de faire nommer Engels, en dépit de tous ses espoirs. Sa candidature rencontrait une forte opposition. Je ne parvins à assurer son élection qu’en demandant - au mépris des règles - que lèvent la main ceux qui étaient contre et non pas pour, le candidat. Aujourd’hui j’ai honte quand je repense à cette ruse abjecte. « Bien joué », me dit Engels en rentrant de la réunion ».]
La Ligue des Justes se rebaptise à ce congrès en Ligue des Communistes. "Le but de la Ligue, c'est le renversement de la bourgeoisie, le règne du prolétariat, la suppression de la vieille société bourgeoise fondée sur les antagonismes de classes et la fondation d'une nouvelle société sans classes et sans propriété privée."

Misère de la philosophie, la réponse que Marx a faite directement en français à la Philosophie de la misère de Proudhon, est publiée par Albert Franck, un médecin prussien qui a racheté en 1844 la librairie internationale du 69 rue Richelieu. Le Constitutionnel en fait la publicité dans ses numéros des 24 et 30 juillet 1847. 
De juillet 1847 à la mi-octobre, Engels réside à Bruxelles. En août 1847, Marx a créé à Bruxelles une section de la Ligue et en a été désigné président ; Adolph Junge participe au bureau.

Engels est de retour à Paris à la fin du mois d’octobre 1847. Stephan Born qui, lui, fréquente exclusivement la Comédie française, ne comprend pas qu'Engels soit assidu aux "pires bouffonneries" du théâtre du Palais Royal. La vedette de la salle est alors le comédien Levassor. Alexandre Herzen écrira de lui, dans ses Lettres de France et d’Italie 1847-52 : « Dans le même Palais Royal où au théâtre français Rachel émeut le cœur, Levassor au théâtre du Palais Royal secoue votre poitrine par un rire sans fin, un rire jusqu’aux larmes, jusqu’à l’hystérie ? Levassor est la plus complète expression de la gaieté française, du sans souci, de l’insolence naïve, de l’esprit caustique, de la plaisanterie, de la gaminerie. Quelle rapidité impossible à atteindre, quelle richesse de moyens ! Levassor appartient autant, est tout aussi indispensable à Paris que Schelling ou Hegel à Berlin. »  
Le 14 novembre se réunit le district de Paris de la Ligue. Engels y est élu comme délégué au congrès de Londres qui doit entériner les changements esquissés en juin. Engels à Marx : « Hier soir on a procédé à l’élection des délégués. Après une réunion particulièrement confuse, je fus élu avec les 2/3 des voix. Cette fois je n’avais pas du tout intrigué n’en ayant d’ailleurs guère l’occasion. »
A la fin de novembre 1847, Marx et Engels [ce dernier arrive à Londres le 29 nov., comme il l'écrit dans l'article (non signé) de la Réforme daté du 5 déc.] participent au 2e congrès de la Ligue des Communistes et sont chargés d’en rédiger le nouveau programme : ce sera le Manifeste
[De Bruxelles, de Paris ou de Londres, Engels écrit dans les numéros de la Réforme des 6 août Sur la situation de l'Allemagne, 27 août Sur l'opinion publique en Allemagne, 1er novembre Sur le programme agraire du chartisme, 5 décembre (voir ci-dessus), et 9 déc. Sur la crise économique de 1847 en Angleterre.]
Andreï Mironov (Engels) et Igor Kvacha (Marx) dans le film de Grigori Rochal, Une année comme une vie (God kak zhizn), 1966. Sur la table, une pile du Manifeste. L'année dense comme une vie est 1848.

Après dix jours de Congrès, de retour à Paris, Engels s’en voit expulsé le 29 janvier 48. Il n’est même pas sûr que cela soit lié à son activité politique. Si l’on en croit Stephan Born, son ami le peintre Ritter l’ayant informé qu’un aristocrate avait congédié sa maîtresse sans assurer à celle-ci les dédommagements nécessaires, Engels avait menacé de rendre la chose publique et le comte avait saisi la police. C'est possible. Le 6 février, le Constitutionnel écrit : "Un jeune Allemand réfugié à Paris, M. Engels, auteur d'un ouvrage sur le paupérisme de l'Angleterre, a reçu de la police, on ne sait pourquoi, l'ordre de quitter Paris dans les 24 heures et la France dans trois jours, sous peine d'être remis par les gendarmes français à la police prussienne." Le même quotidien ajoute deux jours plus tard, citant "un journal" : "M. Engels, qui ne séjournait à Paris que depuis peu de temps a été enlevé de son domicile nuitamment, et, à ce qu'on assure, sans aucun motif plausible. En même temps, plusieurs ouvriers allemands, accusés à tort ou à raison de communisme, ont été arrêtés et déposés à la Conciergerie."  Ce à quoi le Moniteur parisien, journal officieux de la monarchie, répond le 14 : "Plusieurs journaux ont parlé, ces jours derniers, d'arrestations mystérieuses (...) et citent parmi les victimes de ces prétendus actes arbitraires, M. Engels, fils d'un riche manufacturier allemand, et un artiste peintre de Cologne. Les détails donnés à cette occasion par les journaux sont entièrement controuvés. Deux seuls étrangers, M. Engels, Allemand, et un de ses compatriotes, ont été récemment expulsés de France, mais les causes qui ont motivé cette mesure de la part de l'autorité sont complètement étrangères à la politique."

5 mars 1848, retour de Marx à Paris

A peine le gouvernement provisoire de la révolution de 1848 a-t-il été constitué, le 24 février, que, le 1er mars, Ferdinand Flocon lève la mesure d’expulsion prise trois ans plus tôt et invite le “brave et vaillant” citoyen Karl Marx à retrouver Paris. Telle est du moins la présentation avantageuse que l’historiographie marxiste donne de l’événement. En fait, « l’invitation » est datée du 10 mars et Grandjonc montre bien que Marx, expulsé de Belgique au début du mois et arrivant à Paris le 5 au petit matin avec pour tout papier son arrêté d’expulsion belge ainsi que celui, français, daté de février 1845, va voir le tout frais membre du nouvel exécutif pour régularisation. Sur papier à en-tête du Gouvernement provisoire, Flocon invite alors tout agent de la force publique à porter aide et assistance au citoyen Marx. La première pensée de la Révolution n’a donc pas été de rappeler Marx à Paris, c’est un détail.

Marx, Jenny et leurs maintenant trois enfants : Jennychen, Laura et le petit Edgar âgé à peine d’un an, sont descendus, le 5 mars, à l’hôtel Manchester, rue Grammont, non loin de la Bastille, avant de s’installer au 10 rue Neuve-de-Ménilmontant (aujourd’hui rue Commines). Ils ont dans leurs bagages un millier d’exemplaires du Manifeste du parti communiste, rédigé entre décembre et janvier, en allemand, et qui n’a été imprimé, à Londres, que dans la deuxième quinzaine de février.

Dès le lendemain, Marx participe à une importante assemblée de « démocrates allemands » dans une salle Valentino (où Engels avait si souvent dansé) comble, sous la présidence du poète Georg Herwegh. On y débat d’une Adresse au Gouvernement provisoire mais on y entend surtout, de la part d’Herwegh et de Heinrich Börnstein, l’un des fondateurs du défunt Vorwärts, on s’en souvient, des discours radicaux appelant à une intervention armée en Allemagne. Karl Schapper lui-même se laisse emporter par l’ambiance et apporte son soutien à ceux qui réclament qu’on aille porter la liberté en Allemagne les armes à la main.

Herwegh et Adalbert von Bornstedt, cet agent prussien, on s’en souvient aussi, que le gouvernement français avait expulsé, pour le couvrir, en même temps que Marx, mettent sur pied une Deutsche Demokratische Gesellschaft (Société démocratique allemande) qui placarde dans Paris une affiche appelant à soutenir financièrement une « légion allemande » : « DES ARMES ! » « Les démocrates allemands de Paris se sont formés en légion pour aller proclamer ensemble la RÉPUBLIQUE ALLEMANDE. Il leur faut des armes, des munitions, de l'argent, des objets d'habillement. Prêtez-leur votre assistance ; vos dons seront reçus avec gratitude. Ils serviront à délivrer l'Allemagne et en même temps la Pologne. »
« Importer, écrira Engels, au beau milieu de l'effervescence allemande du moment une invasion qui devait y introduire de vive force, et en partant de l'étranger, la révolution, c'était donner un croc-en-jambe à la révolution en Allemagne même, consolider les gouvernements, et - Lamartine en était le sûr garant - livrer sans défense les légionnaires aux troupes allemandes. »

Pour combattre ce risque,  Marx, dès  la première réunion, le 8 mars 1848, du comité central de la Ligue des Communistes, propose de mettre dans les pattes de la Société  démocratique allemande un Club des travailleurs allemands. La Réforme en annonce la création le 10, tandis que Marx et Engels préviennent par exemple le citoyen Cabet, pour qu’il en fasse état dans son Populaire, que “la soi-disant Société démocratique allemande de Paris est essentiellement anticommuniste, en tant qu’elle déclare ne pas reconnaître l’antagonisme et la lutte entre la classe prolétaire et la classe bourgeoise”. Le 11, Marx est élu président du nouveau C.C. de la Ligue des Communistes, qui compte trois membres de l’ancienne Ligue des Justes (Schapper, J. Moll et H. Bauer) et trois membres de l’ancien Comité de correspondance bruxellois : Marx, Engels, Wolff ; en présence des anglais Ernest Charles Jones et George Julian Harney venus à Paris pour l’occasion.

Le 13 mars, le prince Metternich est renversé et doit s’enfuir de Vienne.

Le 18 mars, alors que les combats commencent à Berlin et que Frédéric Guillaume IV va devoir accepter un ministère libéral et une convocation de la Diète pour le 22 mai, 6 000 Allemands se réunissent sur les Champs-Élysées. Herwegh en retire 2 000 hommes et quatre bataillons pour sa Légion démocratique allemande.

Engels a rejoint Paris le 21 mars 1848 ; avec Marx, le projet de lancer un nouveau journal en Allemagne, de reprendre la Gazette rhénane, est aussitôt échafaudé.

Vers  le  27  mars,  Marx  et  Engels  font adopter  par  le  Comité central de la Ligue un texte  programmatique de  « Revendications  du Parti  communiste  en  Allemagne ».  Le  texte, sous  forme  de  tract,  en  même temps que le Manifeste, sera emporté  par  ceux  qui rentrent  en  Allemagne avec le Club des Travailleurs allemands. Outre l’exigence d’une Allemagne constituée en « République une et indivisible » et celle de  « l’armement général  du  peuple »,  l’essentiel  des  revendications porte sur le suffrage universel (masculin), la nationalisation des domaines princiers et féodaux, des banques  privées,  des  moyens  de  transport, l’instauration   de   « forts   impôts   progressifs », la séparation de l’Église et de l’État et « l’instruction  générale  et  gratuite  du  peuple ».

Les 24 et 30 mars, trois détachements de la Légion démocratique allemande, de 500 hommes chacun, drapeaux rouge, noir et or déployés mais sans armes, partent en ordre, sous les acclamations de nombreux Polonais, Belges, Italiens, et aussi Français. Herwegh, Börnstein et Bornstedt doivent suivre le dernier bataillon. Le gouvernement français, - c’est l’allusion à Lamartine dans le texte d’Engels cité plus haut -, a fourni quelque soutien, au moins financier, à leur légion.

Le 30 mars, le préfet de police Caussidière délivre à Marx un passeport d’un an, mais en Allemagne, les choses se précipitent et Marx-Engels quittent Paris le 6 avril 1848, pour, après un détour par Mayence qui leur est imposé par l’interdiction de traverser la Belgique, arriver le 10 à Cologne, « la partie la plus avancée de l’Allemagne », selon les mots d’Engels.

A Cologne, Marx et Engels vont retrouver la ligne politique qu’ils ont combattue en la personne de Weitling puis de Grün, incarnée cette fois par Andreas Gottschalk, le « médecin des pauvres », membre de la Ligue des communistes depuis 1847, président de l’Union ouvrière de Cologne et naturellement influent dans la presse de celle-ci, le Zeitung des Arbeitervereins. Mais la révolution de 1848 en Allemagne n’est pas notre sujet. On trouvera dans les fascicules 17 et 18, Révolution et contre-révolution en Allemagne (1) et (2), de Marx, à mesure (http://www.acjj.be/publications/marx-a-mesure/), textes, notes et chronologie.

Aux heures sombres de juin 1848, Friedrich Engels, reporter de la Neue Rheinische Zeitung, décrit, sur une barricade de la rue de Cléry, sept ouvriers et deux grisettes rejouant le tableau célèbre de Delacroix. « Un des sept monte sur la barricade, le drapeau à la main. Les autres commencent le feu. La garde nationale riposte, le porte-drapeau tombe. Alors, une des grisettes, une grande et belle jeune fille, vêtue avec goût, les bras nus, saisit le drapeau, franchit la barricade et marche sur la garde nationale. Le feu continue et les bourgeois de la garde nationale abattent la jeune fille comme elle arrivait près de leurs baïonnettes. Aussitôt, l’autre grisette bondit en avant, saisit le drapeau… » 
Finalement, le 16 mai 49, le gouvernement prussien interdit de fait la Nouvelle Gazette Rhénane en donnant à Marx l’ordre de quitter le territoire dans les 24 heures, et en lançant un mandat d’arrestation contre Engels le lendemain.
A la Nouvelle Gazette Rhénane, E. Capiro, 1895


3 juin 1849 : second retour de Marx à Paris

« Peu après [le 1er juin 49], explique Engels, nous quittâmes Bingen et Marx se rendit à Paris porteur d’un mandat du Comité central démocratique [du Palatinat] ; un événement décisif était imminent et Marx devait représenter le parti révolutionnaire allemand auprès des social-démocrates français ».
Marx arrive ainsi à Paris le 7 juin, dans un hôtel du 45 rue de Lille, sous le faux nom de Ramboz [Le propriétaire de l'établissement avait, dans La Presse du 14 mai 1848, publié cette annonce : « Joli hôtel garni près de l’Assemblée, avis à MM les représentants » du peuple. Après la révolution, neuf cents députés allaient en effet arriver à Paris et le journal invitait les hôteliers à profiter de l'aubaine. Sous l'enseigne d'Hôtel des Ambassadeurs et sous la Troisième République, la maison sera l'adresse de très nombreux sénateurs jusqu'à la première guerre mondiale.]. “Paris est morne. À quoi s’ajoute le choléra, qui sévit dans toute sa virulence. Malgré cela, jamais une éruption colossale du volcan révolutionnaire ne fut plus proche à Paris qu’à présent. J’ai des contacts avec tout le parti révolutionnaire…”
Cette éruption, doit-elle éclater avec la manifestation organisée pour protester contre l’expédition militaire française qui a rétabli le pouvoir temporel du Pape contre la République romaine ? Le 13 juin 1849, vers midi, un cortège relativement modeste d’environ 6 000 personnes, dont 600 gardes nationaux ayant à leur tête Etienne Arago, chef de bataillon de la 3e légion, se forme au Château-d’Eau, sur le boulevard du Temple, et marche en direction de l’Assemblée nationale « afin de lui rappeler le respect dû à la constitution », aux cris de : « Vive la Constitution ! ».
Une heure plus tard, le général Changarnier, commandant de l’armée de Paris et des gardes nationaux de la Seine, à la tête de dragons, gendarmes mobiles et chasseurs à pied, arrivant par la rue de la Paix, disperse les manifestants qui se répandent dans les rues voisines.
Ledru-Rollin et une trentaine de députés, réunis au 6 rue du Hasard (aujourd’hui rue Thérèse, partie comprise entre les rues Sainte-Anne et Richelieu), sous les fenêtres desquels retentissent les « Aux Armes ! » que crient les manifestants pourchassés, décident de gagner l’état-major de l’artillerie de la garde nationale, au Palais-Royal, pour s’assurer le concours de Guinard, colonel de l’artillerie de la garde nationale, et de ses 400 hommes.
Ils avancent, écrira Marx plus tard, « au cri de “Vive la Constitution !” poussé avec mauvaise conscience, de façon mécanique, glaciale, par les membres du cortège eux-mêmes, et renvoyé ironiquement par l’écho du peuple massé sur les trottoirs, au lieu de s’enfler tel le tonnerre ». Les députés ceints de leur écharpe vont vers le Conservatoire national des arts et métiers. Vers 14 h 30, Ledru-Rollin parvient à se faire ouvrir les portes de l’établissement et une proclamation constituant un gouvernement provisoire y est signée.
On ressort des Arts-et-Métiers pour aller “au-devant de l’armée pour l’encourager à se joindre à nous”, se souviendra Martin Nadaud. Trois pauvres barricades sont improvisées rue Saint-Martin pour gêner la cavalerie, et la troupe arrête les députés sans que la foule réagisse plus que ça. Ils sont conduits au poste de la garde nationale, dont Martin Nadeau s’échappe, avec deux autres camarades, en enjambant la fenêtre qui donne sur la rue Saint-Martin. Il va se réfugier, à la barrière de l’Étoile, chez madame Cabet. Ledru-Rollin parviendra à gagner Londres pour un exil de plus de vingt ans.

« L’éruption colossale » prévue aura été la dernière journée révolutionnaire de la Deuxième République quand Jenny rejoint Marx à Paris avec les trois enfants et Lenchen, le 7 juillet ;  ils s'entasseront à six dans deux chambres minuscules. Jenny est enceinte pour la quatrième fois et la grossesse ne se passe pas bien. Marx est arrivé sans le sou, il l’est toujours. Dès le 13 juillet, il lance des appels au secours, explique que les derniers bijoux de sa femme sont déjà au mont-de-piété, qu’il pourrait peut-être tirer, dans un délai raisonnable, 3 000 ou 4 000 francs d’une deuxième édition de sa brochure contre Proudhon, (Misère de la philosophie), qui “commence à prendre ici”, mais qu’il faudrait pour cela racheter d’abord les exemplaires de la première encore disponible à Bruxelles et à Paris. Il écrit aussi à Ferdinand Lassalle, qui lancera une collecte publique, sans aucune discrétion, à la grande colère de Marx : « Je préfère la plus grande gêne à la mendicité publique. » Et rien n’est réglé quand, le 19 juillet, Marx reçoit du préfet de police une assignation à résidence dans le Morbihan. Sa réclamation auprès du ministre de l’Intérieur est refusée le 16 août.
Le 13 août, l’armée hongroise a capitulé. Après la reddition de Venise, le 22 août 49, il n’existe plus dans l’empire d’Autriche un seul gouvernement insurrectionnel.
Le 23 août 1849, un officier de police se présente rue de Lille pour signifier aux Marx qu’ils doivent s’exécuter dans les vingt-quatre heures. Marx écrit alors à Engels que son exil dans “les marais Pontins de Bretagne”, qu’il considère comme une tentative de meurtre camouflée, lui fait juger préférable de quitter la France, et qu’il a pour perspective de fonder un journal allemand à Londres, où il lui donne rendez-vous. Marx quitte Paris le 24 août, Jenny et les enfants ont reçu l’autorisation d’y rester jusqu’au 15 septembre.
On a des photos des Marx à compter de 1865
    
Les derniers séjours parisiens

Si la vie des Marx est désormais anglaise, ses deux filles aînées ayant convolé avec des Français, on reverra Marx à Paris, et dans sa banlieue. Laura, née le 26 septembre 1845 à Bruxelles, épousera la première, à l’âge de 23 ans et après deux années de fiançailles, un Français, Paul Lafargue, le 2 avril 1868. Jenny en épousera un autre, Charles Longuet, ciseleur sur bronze ; « Le dernier proudhonien et le dernier bakouniniste, que le diable les emporte ! », comme pestera papa Marx dans une lettre à Engels. Le dernier bakouniniste, c’est évidemment Paul Lafargue, Longuet, lui, ayant eu le bon goût de voter l’exclusion de Bakounine de la 1ère Internationale (le 7 septembre 1872) entre ses fiançailles, en mars, et son mariage, le 2 octobre... ce qui en fait le dernier proudhonien.
Jennychen, future Mme Longuet, et Laura déjà Mme Lafargue en 1869

Les Lafargue sont partis en voyage de noces en France le jour même de leur mariage, puis s’y sont installés le 15 octobre, 25 rue des Saints Pères. Ils ont déménagé au 47 rue du Cherche-Midi juste avant la naissance de leur premier enfant, Charles-Etienne, le 1er janvier 1869. Marx vient leur rendre visite du 6 au 12 juillet, en descendant dans un hôtel de la rue Saint-Placide sous la fausse identité de M. Williams. Il est préoccupé par la santé fragile de Laura, tente de persuader son gendre d’achever ses études de médecine, et est venu discuter aussi d’une traduction française du Capital. Pour ce qui est de celle du Manifeste par Laura, revue par Paul, elle vient d’être ramenée à Londres par Jenny quand celle-ci, à la suite de Jennychen et d’Eleanor est venue voir le bébé, à Paris.
Puis vient la Commune, et l’exil qui ramène les filles Marx auprès de leurs parents. Les Longuet regagnent la France après l’amnistie de 1880. A l’été de l’année suivante, Marx et Jenny, déjà malade, accompagnés de Lenchen, visitent les Longuet et découvrent le petit Marcel, né trois mois plus tôt au 11 bd Thiers (auj. Karl Marx) à Argenteuil, alors que ses aînés avaient déjà 4, 2 et 1 an quand leurs parents ont quitté l’Angleterre. Mais Marx rentre précipitamment à Londres à l’annonce de la dépression nerveuse d’Eleanor.
Après la mort de Jenny, au début de décembre, Marx, qui en est tombé malade, passe à nouveau par Argenteuil, en février 1882, sur le chemin de Marseille où il doit embarquer pour l’Algérie et son soleil guérisseur. À son retour, le 7 juin, sans barbe et sans crinière de prophète, sacrifiées à la chaleur algéroise,
Dernière photo (1882) avant le rasage pour ses filles qui l'aiment en père Noël
il se voit conseiller les eaux d’Enghien où il suivra une cure en juillet. Les Lafargue s’installent au 66 bd de Port Royal au début d’août et Marx séjourne à leur nouveau domicile avant de rentrer à Londres fin septembre. C’est donc retour de chez ses gendres qu’il les qualifie, dans une lettre à Engels du 11 novembre, de dernier des bakouninistes et de dernier des proudhoniens.
Le 12 janvier 1883 lui parvient la nouvelle de la mort de Jennychen et il envoie Eleanor à Argenteuil aider à garder les enfants de sa sœur. "Le Maure", comme on l’appelle depuis sa jeunesse, meurt le 14 mars.

Le 1er mai 1890, Engels est au rassemblement de la place de la Concorde où l’on revendique la réduction du temps de travail. “Que Marx n’est-il à côté de moi, pour voir cela de ses propres yeux” écrit Engels, qui rappelle que cette revendication de la journée légale de travail à 8 heures avait été “proclamée dès 1866 par le congrès de l’Internationale à Genève”.

Si l'on compte, sur les bâtiments qu'habitat Marx une plaque commémorative à Bruxelles et 4 à Londres, il n'y en a aucune à Paris.