Des Lumières à la lanterne


Le parcours fait une boucle autour de la librairie Delamain, 155, rue Saint-Honoré, Paris Ier.

La porte Saint-Honoré, 2ème du nom, était située devant l’actuelle Comédie-Française. La butte des Moulins, à l’intersection des actuelles rue Sainte-Anne et rue des Petits-Champs, formée par la haute voirie Saint-Honoré et les déblais de construction de l’enceinte d’Étienne Marcel et de Charles V, dont cette porte était l’entrée ouest, était suffisamment importante pour fournir un point d’appui à l’assaut que Jeanne d’Arc et les Armagnacs lancèrent contre Paris, entre ladite porte Saint-Honoré et la porte Saint-Denis, le 4 septembre 1429.
Après cette date, elle s’est encore augmentée, et la butte Saint-Roch aussi, des nouveaux travaux de défense qu’à l’été de 1536 François Ier confie au cardinal Jean du Bellay pour parer à une éventuelle offensive de Charles Quint. À ce moment, l’état de la vieille fortification est piteux, si l’on en croit Rabelais, protégé du cardinal, qui fait dire à Panurge : « Voyez donc ces belles murailles. Oh ! qu’elles sont solides et bien propres à garder les oisons en mue ! Par ma barbe, elles sont bien minables pour une ville comme celle-ci, car une vache d’un seul pet en abattrait plus de six brasses ».
Les deux buttes, longtemps hérissées d’un gibet et de moulins, seront aplanies, pour la moindre en 1670, en même temps que le Roi-Soleil sonne la fin du Paris fortifié et fait de sa capitale une ville ouverte.

- place du Palais-Royal : Le Petit-Bourbon en passe d’être démoli, la troupe de Molière, en 1660, se transporte dans le théâtre de l’ancien Palais-Cardinal, une salle de douze cents places que Richelieu a inaugurée vingt ans plus tôt avec, il a tous les talents, des pièces écrites de sa propre main. Au répertoire de Molière, Le Dépit amoureux et Le Cocu imaginaire. Cette dernière pièce propitiatoire, peut-être, son auteur s’apprêtant à épouser Armande Béjart, la fille de la maison dans laquelle il vient d’emménager, en haut de la rue Saint-Thomas-du-Louvre, du côté ouest, là où elle s’élargit pour devenir la place du Palais-Royal.

Le Régent, installé au Palais-Royal, meurt, frappé d’apoplexie, en 1723. Louis XV règne officiellement ; il n’exercera la réalité du pouvoir que vingt ans plus tard. Ce temps approche lorsqu’au Café de la Régence, sur la place du Palais-Royal, tout à côté de la maison où Molière a rencontré Armande Béjart, Denis Diderot et Jean-Jacques Rousseau sont présentés l’un à l’autre.
« Le café est très en usage à Paris : il y a un grand nombre de maisons publiques où on le distribue », affirment les Lettres persanes de Montesquieu, censément écrites entre 1712 et 1720. « L’effet en fut incalculable, - n’étant pas affaibli, neutralisé, comme aujourd’hui, par l’abrutissement du tabac. On prisait, mais on fumait peu », assure Michelet qui attribue au café « l’explosion de la Régence et de l’esprit nouveau, l’hilarité subite, la risée du vieux monde, les saillies dont il est criblé, ce torrent d’étincelles »…
L’établissement, tenu par Rey, qui lui a donné ce nom dès le début de la Régence, est avec le café Marion, impasse de l’Opéra (aujourd’hui début de la rue de Valois), le lieu où se fait l’opinion. On y trouve le Journal de Paris, cantonné aux questions artistiques, qui est crié à 5 sols là comme dans les jardins publics, la Gazette, toujours publiée au Louvre, qui paraît maintenant le lundi et le vendredi, et des placards et libelles plus officieux. On y joue aux échecs. « Si le temps est trop froid, ou trop pluvieux, confesse Diderot par la voix du Neveu de Rameau, je me réfugie au Café de la Régence ; là, je m’amuse à voir jouer aux échecs. Paris est l’endroit du monde, et le Café de la Régence est l’endroit de Paris où l’on joue le mieux à ce jeu. C’est chez Rey que font assaut Legal le profond, Philidor le subtil, le solide Mayot... »

Passage Richelieu : le chantier du Louvre de Napoléon III commence par là en 1852-1855 ; Louis Visconti l’affirme, « Le caractère de la nouvelle architecture sera emprunté religieusement au vieux Louvre. L'architecte fera abnégation de tout amour-propre pour conserver à ce monument le caractère que ses devanciers lui ont imprimé ». Mais, le 29 décembre 1853, une attaque d'apoplexie l'emporte – c’est à Hector Lefuel que l’on devra la recherche décorative sur l'aile bordant la rue de Rivoli, où l'on retrouvera, avec des cariatides imitées de celles de Jacques Sarazin pour le pavillon de l’horloge, tout un vocabulaire hérité du début du XVIIe siècle : bossages vermiculés, colonnes baguées, agrafes de baies en forme de trophées tous différents, tables sculptées, lucarnes ornées, avec des N aux trois étages : décor d'ailleurs parfaitement ordonnancé qui fait du pavillon de la Bibliothèque peut-être la partie la plus intéressante de l'œuvre nouvelle, et digne, avant l'opéra, d'être qualifiée de “style Napoléon III“.

On aperçoit, par la baie de droite, le Mercure et la Renommée sculptés par Coysevox pour l’abreuvoir de Marly, amenés en 1719 sous les fenêtres du palais des Tuileries. On voit par la baie de gauche les esclaves de l’ancienne statue de la place des Victoires. Louis XIV n’assista pas, pour cause de fistule, à son inauguration, le 18 mars 1686. Finalement pédestre et en bronze doré, haute de 4 m, elle était posée sur un piédestal haut de 7, où étaient enchaînés, aux quatre angles, des esclaves figurant l’Empire, l’Espagne, la Hollande, et le Brandebourg. Le Louvre les conserve parce que la Révolution, qui n’était point chauvine, ne voulait point offenser ces nations en place publique et en avait débarrassé la statue.

A l’emplacement de l’actuel pavillon Turgot, l’hôtel de Rambouillet : Catherine de Vivonne en a tracé elle-même les plans et a créé un style : des pièces en enfilade, de grandes portes-fenêtres s’ouvrant du sol au plafond, des alcôves et leurs ruelles – l’espace entre lit et cloison – qui délimitent le lieu de la nouvelle sociabilité. La « Chambre bleue » de la marquise a vite été « la Cour de la Cour », c’est-à-dire le comble de la politesse. Il y a eu le Louvre des soldats et de l’intrigue, et il y a eu en réaction, dès 1610, dans cette même rue Saint-Thomas qu’il habite, un peu plus bas, l’anti-Louvre : l’hôtel de la marquise de Rambouillet. C’est aussi le réservoir de l’esprit précieux dans lequel Molière puise en voisin pour en railler les ridicules. Sans compter que le marquis de Montausier, qui soupira dix ans pour la fille de l’hôtesse et composa pour elle, avec le renfort de quantité d’autres beaux esprits, La Guirlande de Julie, bouquet de soixante-deux poèmes la célébrant sous les traits de trente fleurs, passe pour être le modèle de l’Alceste du Misanthrope.

« À l’époque du 10 août 1792, il y avait sur la place du Carrousel, écrit Louis Blanc, une boutique qu’occupait Fauvelet, frère de Bourrienne. Pendant que le peuple assiégeait le château, un homme, du haut des fenêtres de cette boutique, jouissait du spectacle : c’était un officier renvoyé du service, fort pauvre, très embarrassé de sa personne, et qui avait dû former, pour vivre, le projet de louer et de sous-louer des maisons. Il se nommait Napoléon Bonaparte. Napoléon encore ignoré par la Révolution et la regardant faire, que de choses dans ce rapprochement ! Or tout ce qu’il suggère, la boutique de Fauvelet le disait au passant : qui ne la regretterait ! »
Pas de regrets chez Balzac pour qui « Ces prétendues maisons ont pour ceinture un marais du côté de la rue de Richelieu, écrit-il en 1846, un océan de pavés moutonnants du côté des Tuileries, de petits jardins, des baraques sinistres du côté des galeries et des steppes de pierre de taille et de démolitions du côté du vieux Louvre. »
« Lorsqu’on passe en cabriolet le long de ce demi-quartier mort, poursuit la Cousine Bette, et que le regard s’engage dans la ruelle du Doyenné, l’âme a froid, l’on se demande qui peut demeurer là ? »
Une dizaine d’années plus tôt, demeuraient là, et Balzac le sait parfaitement, Gérard de Nerval et Théophile Gautier, Arsène Houssaye, leurs amours de passage, et Eugénie Fort et Jenny Colon, pour ne rien dire des peintres Nanteuil, Corot, Chassériau venus y peindre les décors des fêtes, Gavarni et Alphonse Karr, et tous les locataires distingués de l’impasse – il y en avait donc –, qui n’étaient « reçus qu’à condition d’amener des femmes du monde, protégées, si elles y tenaient, par des dominos et des loups ».
« Voici bientôt quarante ans que le Louvre crie par toutes les gueules de ces murs éventrés, de ces fenêtres béantes : Extirpez ces verrues de ma face ! On a sans doute reconnu l’utilité de ce coupe-gorge, et la nécessité de symboliser au cœur de Paris l’alliance intime de la misère et de la splendeur qui caractérise la reine des capitales », s’indigne encore Balzac.
Il reviendra au Second Empire de cautériser la cour du Carrousel – et d’emporter du même coup un souvenir du glorieux oncle. Déplorant, comme tant d’autres, la brutalité haussmannienne, Louis Blanc regrette, au lieu de tout ce que « la boutique de Fauvelet disait au passant », de ne plus trouver que le silence des pierres.
Il reviendra également à Napoléon III d’achever, le 14 août 1857, le « grand dessein », toujours pendant depuis Henri IV : la réunion du Louvre et des Tuileries par le nord.

Rue de Rivoli. Jusqu’à la hauteur de la rue de l’Échelle, on est sur son prolongement des années 1852-55. Ce fut l'une des premières opérations d'Haussmann: confiée aux Pereire, elle devait être achevée pour l'Exposition universelle de 1855. Au n°190, sur le tronçon primitif d’après 1806, on peut voir la seule porte ancienne conservée.

Au Musée des Arts déco se trouvent :
- les boiseries de la chambre à coucher du baron Hope. Lorsqu’en 1838 le baron William Hope, richissime banquier d’origine anglo-hollandaise, achète l’hôtel particulier du 57, rue Saint-Dominique, que Brongniart a construit pour la princesse de Monaco (actuelle ambassade de Pologne), il confie à l’architecte Achille-Jacques Fedel (1785-1860), peu connu, le soin d’en faire une somptueuse demeure dans le nouveau goût inspiré de la Renaissance. L’hôtel sera racheté par le baron Achille Seillière, donné à sa fille, princesse de Sagan, mariée à Boson de Talleyrand-Périgord. La guerre de 1870, la Commune suspendront à peine ses fêtes fastueuses. En 1880, en costume d’Esther, elle accueillera mille cinq cents invités ; en 1884, elle donnera son bal des Paysans, l’année suivante, son bal des Bêtes qui la verra déguisée en paon.
« Est-ce que ce n’est pas assez faux chic, assez snob à côté, ces Sagan ? , demande le Bloch de Proust dans Le Côté de Guermantes.
- le lit de parade en bronze de la célèbre Valtesse de la Bigne, le futur modèle de Nana, créé en 1877 par Barbedienne pour Édouard Lièvre ; au musée des Arts Déco depuis 1911. Deux cupidons nus à la tête, 2 lampes au pied, 2 portières pour entrer dans son enceinte, un dais très haut avec de lourdes draperies. Il trônait dans le magnifique hôtel particulier construit par Jules Février en 1876 à l’angle du boulevard Malesherbes (n° 98) et de la rue de la Terrasse. Zola, dans Nana, le transplante à l’angle de l’avenue de Villiers et de la rue Cardinet (carrefour du lycée Carnot, qui n’existe pas encore puisque Nana meurt en juillet 1870 tandis que le lycée est de 1874).
- la chambre, le boudoir et la salle de bains de l’appartement privé de la grande couturière Jeanne Lanvin. Aménagé en 1924-1925 par le décorateur Armand-Albert Rateau, rue Barbet-de-Jouy, l’ensemble est somptueux avec ses meubles en bronze à patine antique ou en bois doré. Vers 1920, la couturière Jeanne Lanvin, dont les robes donnent aux jeunes filles « un air de fantaisie poétique qui les apparente à celles de Francis Jammes et de Marie Laurencin », à en croire Louise de Vilmorin, achète pour sa fille chérie un pavillon de la rue Barbet-de-Jouy que laisse « la Marquise rouge » Arconati-Visconti (1840-1923), salonnière dreyfusarde, républicaine et athée. Ancienne élève de l’École des Chartes et de l’École du Louvre, celle-ci aimait à s’entourer de beaux esprits, hommes politiques, historiens d’art, artistes parmi lesquels on comptait Jean Jaurès ou Raymond Koechlin. Passionnée, elle avait réuni à partir de 1890 une importante collection d’objets, de meubles et de boiseries du Moyen Âge et de la Renaissance avec l’aide d’un ami antiquaire : Raoul Duseigneur. Nous lui devons en particulier des boiseries et une cheminée de la fin du XVe siècle ainsi qu’une importante collection de pièces d’orfèvrerie, de la vaisselle et des bijoux du XIXe siècle.
 Jeanne Lanvin fera construire pour elle-même au n° 16, à côté, une annexe que décorera Armand Rateau : dans sa chambre, des tableaux qui, s’ils sont signés Renoir, Bonnard, Vuillard, etc., ont tous en commun de représenter des ateliers de modiste, le décor des débuts de la désormais célèbre couturière. Son grand salon est un musée de quatre cents œuvres, toutes à sujet féminin, et le lieu des défilés annuels de sa maison.

Au sud de l’actuel pavillon de Marsan, était dans le palais des Tuileries la salle des Machines : un vrai théâtre, voulu par Mazarin, en 1662, après que Molière a joué dans la salle des cariatides du Louvre, devant la cour, L’Étourdi, Les Précieuses ridicules, George Dandin. Mais cette « salle des Machines » a une acoustique qui s’avère décevante et Molière préfèrera donner encore L’École des femmes et Le Mariage forcé dans la salle des Cariatides.

Quand Voltaire rentre à Paris après vingt-cinq ans d’exil, en 1778, le palais des Tuileries est toujours vide de toute présence royale depuis l’enfance de Louis XV, même si Marie-Antoinette, à l’avènement de son époux, a manifesté le désir de s’y installer. C’est la Comédie-Française qui est maintenant depuis huit ans dans « la salle des Machines », et sa situation, entre le parc et la cour du Carrousel, a déjà doté les acteurs de cet argot de métier, désormais consacré, qui oppose un « côté jardin » à un « côté cour ».

Là où sera percée la rue de Rivoli, on trouve une carrière, au droit des numéros impairs de la rue Saint-Roch, puis un manège de 120 m de long par 20 m de large qui s’étend jusqu’à l’actuelle rue de Castiglione ; il a été construit pour l’éducation du jeune Louis XV, présent au château des Tuileries de 1715 à 1722. Derrière le manège, le monastère des Feuillants, religieux de l’ordre de Citeaux.
Paris, depuis longtemps, ne plaisait plus aux rois. Quand un souverain vient enfin habiter les Tuileries, la Révolution y entre avec lui. Le « boulanger, la boulangère et le petit mitron » y emménagent, contraints et forcés, le 6 octobre 1789. L’Assemblée nationale s’installe dans la salle du Manège, jouxtant le parc, le long de la terrasse des Feuillants. La société des Amis de la Constitution, ce club constitué par des députés bretons, qui compte maintenant un millier de membres, loue le couvent des Jacobins.
C’est dans ce périmètre que s’écrit la geste révolutionnaire : le roi s’échappe des Tuileries le 21 juin 1791, y est ramené quatre jours plus tard. Sa fuite promeut l’idée républicaine. Aux Jacobins, les partisans d’une monarchie constitutionnelle, La Fayette en tête, font alors sécession et s’en vont installer au couvent voisin leur Club des feuillants, à quatre louis d’or par tête. Dans l’église, dont il a fait son atelier pour la circonstance, Jacques Louis David est en train de peindre Le Serment du Jeu de paume, le 20 juin 1789.
Au jour anniversaire dudit serment, le 20 juin 1792, la foule, menée par le brasseur Santerre, marche sur les Tuileries : le roi a remplacé des ministres brissotins par des ministres feuillants ; il lui faudra boire à la santé de la nation, coiffé d’un bonnet phrygien. Le 10 août, la patrie en danger, les émigrés de Coblence et leurs alliés austro-prussiens menaçant Paris d’« une vengeance exemplaire et à jamais mémorable », et le roi soupçonné de complicité, les sections, fédérés de Marseille en tête, donnent l’assaut aux Tuileries. La famille royale escalade en toute hâte les marches de la terrasse des Feuillants, gagne la salle du Manège, s’y place sous la protection de l’Assemblée législative. Elle passe là trois longues nuits, au terme desquelles le roi est suspendu.
C’est dans cette salle du Manège que la République, la première, est proclamée le 21 septembre. C’en est fini du Club des feuillants ; Robespierre est l’âme des Jacobins ; la guillotine se dresse dans la cour du Carrousel.
En mai 1793 seulement, quand la Convention, quittant le Manège, s’installe dans la salle des Machines, elle fait débarrasser de la guillotine la cour du Carrousel, sur laquelle donnent maintenant ses fenêtres.

Au 194bis, rue de Rivoli (coin rue St-Roch), une plaque indique que Vauban est mort à cet emplacement. Vauban était l’auteur d’un projet de réforme fiscale qu’il avait adressé à Louis XIV, et dont certains ont pu penser qu’il aurait été susceptible d’éviter la Révolution, mais on avait fait lapider, au pilori situé au débouché du prolongement aujourd’hui imaginaire de la rue Mondétour dans la rue Rambuteau, en février 1707, cette œuvre qui portait le titre de Dixme royale.

De la terrasse des Feuillants, on évoque la « perspective triomphale » :
La première entrée solennelle aux Tuileries par le jardin, celle d’un ambassadeur turc, n’avait eu lieu qu’en 1721. La Renommée et Mercure de Coysevox, installés depuis deux ans, étaient naturellement tournés vers le palais.
Le Comité de salut public, qui n’entend pas faire de la place de la Révolution la place des supplices, se préoccupe de son embellissement, - la décision est du 5 floréal an II, soit le 24 avril 1794 -, et confie à David, par exemple, d’amener à leur tour les chevaux numides domptés par des Africains, qui avaient été élevés d’un seul bloc de marbre par Coustou pour remplacer les Coysevox à l’abreuvoir de Marly, et de les placer à l’entrée des Champs-Élysées.
Quand ils le seront effectivement, entre juillet et septembre 1795, les dompteurs qui les flanquent sont tournés vers la place et regardent donc, comme la Renommée et le Mercure de Coysevox, les Tuileries. La République, comme les rois, envisage toujours notre place de la Concorde comme mieux faite pour être traversée du regard, depuis les Tuileries, qu’empruntée par des gens ; elle y voit une perspective plus qu’un espace.
Longtemps encore, entre côté jardin et côté cour, le cœur des souverains continuera de balancer. En 1808, à l’apogée de son règne, c’est à la cour que Napoléon, avec l’arc de triomphe du Carrousel, donne une entrée grandiose. Finalement, c’est la IIIe République qui tranchera. Le Consulat et l’Empire, par le percement des rues de Rivoli, de Castiglione, etc., avait effacé alentour les souvenirs de la République ; la République se résout, en 1883, à l’arasement du palais des Tuileries en tant que symbole de la monarchie. C’était sans doute une ruine au toit crevé depuis la Commune, mais le gros œuvre tenait bon.
[Beaucoup de ses matériaux ont été remployés au château de la famille Pozzo di Borgo à la Punta, à Alata, en Corse (près d’Ajaccio).] Cet obstacle levé, « la voie triomphale », comme la flèche recule sur la corde que tend l’archer, allait s’ancrer entre les bras du Louvre, au cœur même de Paris.

On quitte la terrasse des Feuillants par la grille de la rue de Castiglione. Balzac, La Femme de 30 ans : « Au commencement du mois d'avril 1813, il y eut un dimanche dont la matinée promettait un de ces beaux jours où les Parisiens voient pour la première fois de l'année leurs pavés sans boue et leur ciel sans nuages. Avant midi un cabriolet à pompe attelé de deux chevaux fringants déboucha dans la rue de Rivoli par la rue Castiglione, et s'arrêta derrière plusieurs équipages stationnés à la grille nouvellement ouverte au milieu de la terrasse des Feuillants. Cette leste voiture était conduite par un homme en apparence soucieux et maladif ; des cheveux grisonnants couvraient à peine son crâne jaune et le faisaient vieux avant le temps ; il jeta les rênes au laquais à cheval qui suivait sa voiture, et descendit pour prendre dans ses bras une jeune fille dont la beauté mignonne attira l'attention des oisifs en promenade sur la terrasse. La petite personne se laissa complaisamment saisir par la taille quand elle fut debout sur le bord de la voiture, et passa ses bras autour du cou de son guide, qui la posa sur le trottoir, sans avoir chiffonné la garniture de sa robe en reps vert. Un amant n'aurait pas eu tant de soin. L'inconnu devait être le père de cette enfant qui, sans le remercier, lui prit familièrement le bras et l'entraîna brusquement dans le jardin. Le vieux père remarqua les regards émerveillés de quelques jeunes gens, et la tristesse empreinte sur son visage s'effaça pour un moment. Quoiqu'il fût arrivé depuis longtemps à l'âge où les hommes doivent se contenter des trompeuses jouissances que donne la vanité, il se mit à sourire.
- L'on te croit ma femme, dit-il à l'oreille de la jeune personne en se redressant et marchant avec une lenteur qui la désespéra. »

La rue de Castiglione a été ouverte en 1802. A dr., 10-14 Castiglione / 14-18 Mont-Thabor, PLU : architecture ordonnancée protégée par ancien POS, immeuble édifié à l’emplacement des Feuillants selon les plans de Percier et Fontaine. Arrêté des Consuls du 47 vendémiaire an X.
A g., 5-11 Castiglione / 20 Mt-Thabor / 237 St-Honoré, PLU : architecture ordonnancée protégée par ancien POS, selon les plans de Percier et Fontaine. Arrêté des Consuls du 47 vendémiaire an X.

Rue du Mont-Thabor, le trottoir de gauche est le revers de l’hôtel Continental, (inauguré pour la 3ème Expo universelle, celle de 1878, 400 chambres et 25 suites), dont on aperçoit la marquise rue Rouget de l’Isle ; sur le trottoir de dr., regarder les N°20, 26, 28.

Entre la rue Rouget de l’Isle et la rue Cambon, l’îlot de gauche a été occupé par le ministère des Finances de la Restauration à la Commune ; la construction actuelle est postérieure à celle-ci. Sur le côté impair de Cambon, s’élevait le couvent des Assomptionnistes ou Nouvelles Haudriettes. La fille de la Pompadour, Alexandrine, y arriva à 6 ans pour y recevoir une excellente éducation jusqu’à son mariage, déjà arrêté avec un fils la maison de Chaulnes et de Luynes pour ses 13 ans, quand elle y mourut d’une péritonite deux mois avant son dixième anniversaire, en 1754. Elle aura connu, dans la chapelle, l’Adoration des mages, de Carle Van Loo, qui y était suspendue depuis 1740.
Les bâtiments conventuels ont été détruits en 1898 pour laisser place à la cour des Comptes (immeuble de 1912). L’église, des premières années 1670, avait été rendue au culte après le Concordat de 1802, et Napoléon logea au couvent sa garde à cheval, qui comptait un nombre assez important de Polonais. Le 22 mai 1834, les Polonais, nombreux à Paris depuis l’échec de leur insurrection de 1831 contre l’autorité tsariste, assisteront en masse, dans cette église, aux obsèques de La Fayette. L'église de l'Assomption leur sera dévolue par l’archevêque de Paris, Mgr Affre, en 1844.

En arrivant sur St-Honoré, on évoque Robespierre :
Le 27 juillet 1794, 9 thermidor an II, Robespierre quitte son premier étage de la cour du 398, rue Saint-Honoré, devant l’ancien couvent de la Conception, comme il le fait chaque matin depuis trois ans, pour gagner la Convention. Il sera guillotiné le lendemain. Le Club des jacobins est fermé.

382, rue Saint-Honoré, la maison de Mme de Tencin, enclavée dans le couvent des Filles de la Conception, à l’emplacement des actuelles rues Chevalier-de-Saint-Georges et Duphot, était à la fois le quartier général des agioteurs en même temps qu’un salon où l’on pense. L’hôtesse, qui venait de mettre au monde, pour l’abandonner aussitôt, le futur d’Alembert, accueillait dans sa « ménagerie », ses « bêtes » qui s’appelaient, Réaumur, Montesquieu, Fontenelle, Mme du Deffand, Mme Geoffrin. Et voilà qu’une bête amoureuse, celle qui prenait la suite de Marc-René d’Argenson, lieutenant général de police, du Régent, du Premier ministre, cardinal Dubois, et du chevalier Destouches, père naturel de d’Alembert, voilà qu’au beau milieu de la ménagerie, La Fresnaye se donnait le ridicule trop humain d’un suicide au pistolet. Le scandale enverra Mme de Tencin à la Bastille, où elle arrivera par hasard en même temps que Voltaire, qui y séjournait déjà pour la deuxième fois.

374 St-Honoré, PLU : maison du 18e s., salon de Mme Geoffrin autour de 1750. Elle est de petite naissance – fille d’un valet de chambre de la Dauphine –, mais son mari lui laisse en mourant une grande fortune ; son orthographe est rudimentaire, mais le futur roi de Pologne Stanislas Poniatowski, Diderot, d’Alembert, Helvétius, Voltaire, d’Holbach, Montesquieu, Hume et Horace Walpole sont là le lundi et le mercredi, sous des tableaux qu’elle a commandés à Vernet, Vien et Carle Van Loo pour son hôtel, et d’autres achetés à Boucher, Greuze ou Hubert Robert pour enrichir sa très belle collection.

n° 239 : Costes ; en face, la Cour Vendôme permet d’arriver au 7 qui en est le revers place Vendôme. Au club de l’Entresol, qui tire son nom du demi-étage du n° 7 de la place, se réunissent tous les samedis, chez le président Hénault, de 5 h à 8 h du soir, une vingtaine d’esprits hardis intéressés par les questions politiques. Jusqu’à ce qu’un Grand Acte royal y mette l’éteignoir en 1731.



1, place Vendôme et 358bis, rue St-Honoré : hôtel de Vendôme
En se rendant chez Mme Geoffrin pour souscrire à l’Encyclopédie qu’elle subventionne, ses invités ont croisé, entre les Jacobins et la place Vendôme, une foule en colère entourant le domicile de Nicolas Berrier, lieutenant général de police, « le vilain Beurrier » soupçonné de se faire graisser la patte pour peupler avec les enfants de Paris, enlevés de force à leurs parents, le Mississippi, resté colonie de la couronne de France alors que Jean Law est failli et enterré.
On longe le n°352, PLU, hôtel Régence, appuis de fenêtre en fer forgé ; Inscription partielle à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques (porte monumentale, vantaux compris, et balcon qui la surmonte).
 n°350, PLU : ancien hôtel d'aspect seconde moitié XVIIIe ; surélévation; beau balcon un surmontant la porte d'entrée à l'étage noble. Remarquable cour intérieure avec façades conservant des appuis de fenêtre en fer forgé et une statue néoclassique. 
n°348, PLU : présente une façade en pierre de taille avec des appuis de fenêtre Louis XV conservés au premier étage. Soubassement nettement dénaturé.
n°346, PLU : Maison à loyer d'aspect années 1790. Façade en pierre de taille. Entresol parcouru de refends horizontaux. Chambranles à crossettes.

En face, au n°229, était l’entrée monumentale du monastère des Feuillants, due à Jules Hardouin-Mansart, en 1676 (l’année de la consécration de N.-D. de l’Assomption). Leur chapelle, due à François Mansart pour la façade, terminée en 1624, allait être détruite en 1804.

Anne d’Autriche est aux Feuillants en 1638, priant saint Joseph de lui donner un fils. Un an plus tard, c’est aux Jacobins, remplacés par les rue et place du Marché Saint-Honoré d’aujourd’hui, que l’on va chercher Campanella, à deux reprises, pour examiner le nouveau-né. L’utopiste, qui s’est réfugié là après vingt-sept années de cachot et sept passages par la torture de l’Inquisition, est féru de kabbale et de magie : le futur Louis XIV tout nu devant lui, il lui tire l’horoscope. Prévoit-il que dix ans plus tard, le 6 janvier 1649, chassés de Paris par la Fronde, le jeune roi, avec sa mère la régente et son Mazarin de ministre, iront coucher sur la paille à Saint-Germain ?
C’est encore aux Feuillants qu’après sa rupture avec La Fare, Mme de La Sablière, l’Iris des Discours et « Dédicaces » de La Fontaine, prend pension dans un logement situé au-dessus de l’entrée monumentale que Jules Hardouin-Mansart a bâtie pour leur couvent, le long de la rue Saint-Honoré. Elle y emmène le fabuliste qu’elle loge depuis sept ans. De tous ceux qui fréquentaient son salon, Molière, Retz, La Rochefoucauld sont morts, mais Mme de La Fayette, Mme de Sévigné, Boileau, Racine sont toujours fidèles.
Elle a installé La Fontaine dans une maison à lui, au n° 308 de la rue Saint-Honoré, quand, à l’église des Feuillants, Lully dirige le Te Deum qu’il a composé pour remercier le ciel d’avoir guéri le Roi-Soleil de sa fistule. Ce faisant, ce mémorable 8 janvier 1687, il se plante dans le pied la longue canne au lourd pommeau avec laquelle se bat la mesure. La gangrène s’y mettra, et Lully en meurt.
La Fontaine, qu’on a fini par admettre à l’Académie après l’avoir censuré, s’est fait une « chambre des philosophes » où, sous les bustes de Platon, de Socrate et d’Épicure, de jeunes et jolies demoiselles viennent toucher le clavecin parmi des abbés de cour, des poètes et des amis de la pensée libre. Mais à la première occasion – une maladie qui semble devoir être mortelle, en 1692 –, son confesseur sait lui arracher, devant une délégation d’Immortels, une abjuration publique de ses contes «infâmes».

n°326, PLU : maison du 1er tiers du 19ème siècle sur plus ancienne coupée par le percement de la rue du Marché St-Honoré sur l’emplacement des Jacobins. Les jacobins de la rue Saint-Honoré entraient dans leur couvent par la rue Saint-Hyacinthe, que fermait leur église qui faisait de cette rue un cul-de-sac,
n°324, PLU : maison néo-classique fin 18ème s. Idem n°322, PLU ; n°320, PLU : maison Louis XV, appuis fenêtres en fer forgé Louis XV ; n°318, 316, 314, 312, PLU : Maisons anciennes appartenant à une séquence des XVIIe  et XVIIIe  siècles. Porte cochère à vantaux en bois donnant accès à une longue cour commune au n°310 à 316.
n°310, PLU : Deux maisons présentant des façades composées chacune d'une seule travée, du XVIIe siècle. Appuis de fenêtre en fer forgé Louis XIV (travée de droite). Élévation de quatre étages carrés sur entresol et rez-de-chaussée.
n°306, (et 2, rue de la Sourdrière), PLU : Immeuble de rapport construit par l'architecte A.-J. Sellerier en 1892. Il est remarquable par sa façade en briques décoratives. Rouges, blanches et vernissées bleues, elles alternent en bandeaux sur le premier et le troisième étage et sont agencées en quinconce au deuxième étage. Un bow-window métallique se détache à l'angle.

Louis XIV a posé la première pierre de Saint-Roch en 1653, en la présence de sa mère Anne d'Autriche. Jacques Lemercier, l'architecte de la Sorbonne, en a dessiné les plans. La construction sera interrompue en 1660, alors que le transept et la dernière travée de la nef étaient achevés. Jules Hardouin-Mansart reprendra la direction du chantier en 1701. Il construira l'arrière du choeur ellipsoïdal de la chapelle de la Vierge. Une nouvelle fois interrompus, les travaux reprendront en 1719 grâce à un don du banquier Law. Law s’est porté acquéreur d’au moins huit des hôtels de la place des Conquêtes (Vendôme), et ses largesses autorisent Mansart à terminer l’église. Robert de Cotte édifiera la façade à deux étages en 1753.
Le 5 octobre 1795, 13 vendémiaire an IV, la Convention, menacée par les royalistes, appelle Bonaparte à la rescousse. En deux heures, la cour du Carrousel est dégagée et l’insurrection vient mourir aux marches de l’église Saint-Roch. Bonaparte est nommé général commandant l’armée de l’intérieur et se voit attribuer le bel hôtel de la Colonnade, entre boulevard et rue des Capucines.
A la mi-janvier 1815, le curé de Saint-Roch, église où Molière fit baptiser son enfant, où Sophie Arnould fit de même pour celui que lui avait donné le duc de Brancas, refuse d’accueillir la dépouille mortelle de la Raucourt, actrice dont la gloire se confond avec les débuts de l’Odéon, protégée de feu la reine Marie-Antoinette. Le peuple enfonce les portes et procède lui-même au service religieux.
Au départ des cent cinquante mille soldats alliés, à la fin du mois de novembre 1818, la presse de la Restauration, dans la fiction balzacienne, publie cet écho concernant un célèbre parfumeur du 397, rue Saint-Honoré (la rue s’arrête aujourd’hui au n°281, au coin de la rue Royale) : « Nous apprenons que la délivrance du territoire sera fêtée avec enthousiasme dans toute la France, mais, à Paris, les membres du corps municipal ont senti que le moment était venu de rendre à la capitale cette splendeur qui, par un sentiment de convenance, avait cessé pendant l’occupation étrangère. Chacun des maires et des adjoints se propose de donner un bal : l’hiver promet donc d’être très brillant ; ce mouvement national sera suivi. Parmi toutes les fêtes qui se préparent, il est beaucoup question du bal de monsieur Birotteau, nommé chevalier de la Légion d’honneur, et si connu par son dévouement à la cause royale. Monsieur Birotteau, blessé à l’affaire de Saint-Roch, au treize vendémiaire, et l’un des juges consulaires les plus estimés, a doublement mérité cette faveur ».
Pour l’occasion, César Birotteau a demandé à un architecte de réunir son logement, au-dessus de la boutique, à l’appartement mitoyen, et de lui ouvrir un accès sur la rue. « La porte de la maison avait été refaite dans un grand style, à deux vantaux, divisés en panneaux égaux et carrés, au milieu desquels se trouvait un ornement architectural de fonte coulée et peinte. Cette porte, devenue si commune à Paris, était alors dans toute sa nouveauté. » Devant cette porte, quelque deux cents voitures allaient déposer ses invités.

Saint-Roch se découpait encore sur un tout autre paysage : derrière son chevet, à l’intersection des rues Thérèse et des Pyramides, s’élevait une butte haute d’une trentaine de mètres. On accédait à l’église Saint-Roch, sur son bord, en descendant sept marches ; il faut aujourd’hui en monter douze ! Le percement de l’avenue de l’Opéra rabotera cette butte des Moulins (elle a pris le nom de sa cadette qui a fini avec l’enceinte), jusqu’à la racine. Zola, écrivant Une page d’amour juste après son arasement, lui offre une réparation symbolique en la replaçant dans le panorama contemplé par l’héroïne à cinq reprises, à des heures et en des saisons différentes, depuis une fenêtre du Trocadéro : « Maintenant, Hélène, d’un coup d’œil paresseusement promené, embrassait Paris entier. Des vallées s’y creusaient, que l’on devinait au mouvement des toitures ; la butte des Moulins montait avec un flot bouillonnant de vieilles ardoises, tandis que la ligne des Grands Boulevards dévalait comme un ruisseau, où s’engloutissait une bousculade de maisons dont on ne voyait même plus les tuiles ».
Rémy de Gourmont la regrettera encore à la veille de la guerre de 1914 : « Le sol de Paris était mouvementé, il n’y a pas encore si longtemps mais quand on nous parle de la butte des Moulins, il nous est bien difficile de nous la représenter entre le Théâtre-Français et l’Opéra. Si les vrais amis de Paris savaient ce que Haussmann lui a enlevé de pittoresque, comme sites, comme vieilles et nobles architectures ! »

N°276 à 256, PLU : Maisons datant de la fin du XVIIe  ou du début du XVIIIe  siècle à l'ancien alignement. Au n°256 haute maison à loyer présentant une façade en pierre de taille d'aspect XVIIIe composée de huit travées et quatre étages carrés sur rez-de-chaussée et entresol. Entresol découpé par des arcatures. Fenêtres cintrées. Remarquables appuis de fenêtre en fer forgé mentionnés par Rochegude. Du n°258 à 268 maisons étroites d'aspect du XVIIe  siècle composées d'une à deux travées et présentant un fruit. Au n°268, curieux immeuble avec une fenêtre par étage et cours intéressantes. Au n°270, maison ancienne comportant une remarquable porte cochère d'aspect XVIIe  et où vécut Olympe de Gouges qui y écrivit "La Déclaration de la Femme et de la Citoyenne" en 1791. Au n°272 appuis de fenêtres remarquables en fer forgé. Cour. A noter également les deux cours historiques des n°274 et 276. Porte cochère remarquable au n°274.

On prend, à gauche, la rue de l’Echelle ; on a tout de suite la rue d’Argenteuil : très fréquenté, le chemin ramenait de ce village ses produits maraîchers et son vin, tandis qu’il y conduisait, (par les actuelles rues d’Argenteuil, des Capucines, de Sèze, de l’Arcade, du Rocher et de Lévis), les pèlerins allant y honorer la Sainte-Tunique.
Dans la nuit du 30 septembre au 1er Octobre 1684, Corneille, revenu au grand âge sur les lieux de ses anciens succès, mourait au 6 de la rue d’Argenteuil. Le Cid avait été donné trois fois au Louvre devant Louis XIII et deux fois au Palais-Cardinal devant Richelieu, qui faisait en tout, mais bien sûr en moindre, comme son roi ; la première lecture de Polyeucte avait eu lieu à l’hôtel de Rambouillet. Depuis longtemps, Corneille n’écrivait plus et il ne s’occupa ici que de superviser une édition complète de son théâtre. Il venait de récupérer la pension qu’on oubliait de lui verser depuis sept ans ; il avait su que la reprise d’Andromède, une vieille tragédie à machines écrite bien trente ans plus tôt, faisait un triomphe.
La rue Traversière (aujourd’hui Molière), suivait l’ancien chemin de ronde extérieur à l’enceinte de Charles V, qui traversait de biais le Palais-Royal actuel selon une direction sud-ouest / nord-est, et qui, démolie en 1633, avait permis à Richelieu de s’agrandir.
- 18, rue Molière, PLU : Maison présentant une façade sobre d'aspect XVIIe  composée de trois travées et de trois étages carrés sur rez-de-chaussée. Bandeaux plats d'étage. Trois lucarnes.
- 10, rue Molière à 21, rue de Richelieu, PLU : Hôtel du receveur général à Bordeaux André Gaspard Dodun reconstruit en 1725 par l'architecte Jean-Baptiste Bullet de Chamblain sur un premier hôtel de 1639. "L'architecte mourut en 1726 et la réalisation fut dirigée par un de ses confrères que nous ignorons, mais avec une parfaite fidélité. L'autorisation d'étayer les maisons mitoyennes et d'ouvrir les tranchées de fondation fut délivrée par les Trésoriers de France en juillet-août 1727. Entre la rue de Richelieu et la rue Molière, Bullet de Chamblain a tiré parti d'un terrain étroit. Dans le corps de logis du fond, l'escalier d'honneur est un espace séduisant par l'élégance de ses voûtes et de ses ferronneries, par la légèreté de ses stucs; (...) L'appartement d'apparat du premier étage se développe sur un côté de la cour et sur la rue de Richelieu. Les plus beaux lambris de l'hôtel ont été remontés à l'ambassade d'Irlande avenue Foch, et à Waddesdon Manor." (M. Gallet, Les architectes parisiens du XVIIIe  siècle, Mengès ed.). Hôtel de Champlay (1751), de Tourdonnet (1769), hôtel meublé (1791) selon Rochegude. Inscription partielle à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.
15, rue Molière
- 21, rue Molière. Emplacement de l’angle nord-est de la petite rue du  Clos-Georgot, qui s’ouvrait là jusqu’en 1876, où Voltaire, rentré en grâce par l’appui de son condisciple de Louis-le-Grand, René-Louis d’Argenson, qui vient d’être nommé secrétaire aux Affaires étrangères, loue à la mi-1745, avec la marquise du Châtelet, une maison dont il occupe le premier étage. Mais la faveur ne dure guère et il leur faut regagner la cour de Lorraine. Mme du Châtelet y étant morte, Voltaire revient dans la maison de la rue Traversière où il laisse intacts les appartements de la marquise : « Les lieux qu’elle a habités nourrissent une douleur qui m’est chère et me parleront continuellement d’elle ». Pendant qu’il y écrit Des Embellissements de Paris, il a pour locataire le jeune acteur Le Kain – celui que l’on verra ensuite, chez Mme Geoffrin, entretenir le culte de l’absent – et lui construit, au 2e étage, un théâtre de chambre de cinquante places inauguré avec Mahomet.  
- 25, rue Molière (et 1-3 rue Thérèse), PLU : A l’angle, façade en pierre de taille dans son aspect actuel néoclassique vers 1800. Élévation de deux étages carrés sur rez-de-chaussée et entresol. Persiennes ajoutées au premier étage. Appuis du second étage soutenus par des consoles en dés et portant des ferronneries à motifs géométriques. Puissante corniche soutenue par des consoles en quart de cercle. Grande arcade cochère à décor de refends rue Thérèse. Inscription par arrêté du 12 février 1925 : porte en menuiserie Directoire sur rue et décoration intérieure de l'escalier. Au n°3, maison présentant une façade en pierre de taille de la fin du XVIIe  siècle composée de cinq travées et de deux étages carrés sur un niveau d'entresol. Grande porte cochère à motif de bouclier Directoire. Baies portant des appuis de fenêtres en fer forgé Louis XIV et au second étage surmontées de dais soutenus par des consoles. Rue tracée vers 1667 (lotissement Villedo).
- 9-15, rue Molière, PLU : ensemble de maisons Louis XV daté vers 1730. Au n°9, remarquable porte cochère en plein cintre avec vantaux sculptés Régence, ornée d’un mascaron féminin, et appuis de fenêtre en fer forgé. Au n°15, lucarne feunière, porte cochère et escalier ancien documenté. L’ensemble a conservé de remarquables ferronneries.
La rue de Richelieu est ouverte en 1634 ; le lotissement du pourtour de l’ancien Palais-Cardinal a été commencé dès 1630 par l’entrepreneur Le Barbier. Il sera doublé en 1781 de l’enceinte intérieure du jardin du Palais-Royal à façades ordonnancées dessinées par Victor Louis.
Molière meurt au 40, rue de Richelieu. On l’y ramène du théâtre situé de l’autre côté du Palais-Royal où il était le Malade imaginaire pour la quatrième soirée consécutive, vêtu de la robe de chambre et du bonnet de nuit empruntés à un original habitant la même rue, au n° 21, qui les portait nuit et jour.
En juillet 1784, Diderot quitte ses étages de la rue Tarane pour emménager au 39, rue de Richelieu. L’impératrice de Russie a loué pour lui le rez-de-chaussée de l’hôtel de Bezons ; il n’y habitera que douze jours. Il meurt le 31 juillet, est autopsié conformément à ses dernières volontés, puis enterré en l’église Saint-Roch de la rue Saint-Honoré. Sa mort subite avait empêché toute démarche ecclésiastique ; les quelques scrupules du curé de Saint-Roch, « fondés sur la doctrine répandue dans ses écrits, doctrine qui n’avait été démenties par aucune profession publique », ont vite cédé, selon Meister, « à la demande d’un convoi de 1 500 à 1 800 livres » présentée par son gendre.
Au sortir du passage de Beaujolais, on tombe sur le théâtre du Palais-Royal. Au Théâtre du Palais-Royal, Offenbach remplaça Labiche, dont on avait donné ici quatre-vingt-deux pièces, pour la création de La Vie parisienne le 31 octobre 1866 ; le tsar et ses deux fils viennent l’y applaudir l’année suivante, à l’occasion de l’Exposition universelle.
LE PALAIS-ROYAL. La galerie des Proues, ancien mur est de la cour d’honneur, dont rostres et ancres rappellent que Richelieu était grand-maître de la Marine, est le seul reste du Palais-Cardinal, avec le n° 6 de la rue de Valois, dont le grand balcon aux consoles léonines donnait sur le jardin jusqu’en 1784.
Le palais légué par Richelieu, échu à la branche cadette des Bourbons, a été embelli par Mansart. Monsieur y donne de fort belles fêtes et ouvre ses jardins au public. Son fils est bientôt le Régent. Trois mois à peine après les funérailles de Louis XIV, le Régent ouvre le bal dans l’Opéra de son palais [à l’angle sud-est du Palais-Royal, le long de la future rue de Valois alors cul-de-sac de l’Opéra], cette salle où Molière est mort le 17 février 1673 en jouant le Malade imaginaire, où l’Académie royale de musique dirigée par Lully lui a succédé.
Trois fois par semaine, de la Saint-Martin jusqu’à la fin du carnaval, le plancher du parterre s’élève jusqu’à rejoindre la scène. Le Régent et ses « roués », c’est-à-dire ses gibiers de potence, au sortir de leurs soupers à huis clos, sans cuisiniers ni laquais sauf pour interdire les portes, y viennent se mêler à la danse, quand ils tiennent encore debout. Une nuit que le Régent veut y paraître absolument incognito, l’abbé Dubois, qui a été son précepteur, affirme qu’il connaît le moyen le plus sûr : il lui donnera publiquement des coups de pieds au derrière. Ce qu’il fait avec tant d’entrain que sa victime doit lui crier : « L’abbé, tu me déguises trop ».
L’Opéra a brûlé, a été remplacé par un autre plus grand, juste en face, qui vient à son tour d’être la proie des flammes, et a manqué consumer la Guimard. Elle est révolue l’époque du banc de l’allée d’Argenson, du côté de l’actuelle rue des Bons-Enfants où se trouvait l’hôtel du marquis, ce banc près duquel Diderot retrouvait Sophie Volland, et qu’il évoque dans le Neveu de Rameau en en gommant pudiquement son amie : « Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid, c’est mon habitude d’aller sur les cinq heures du soir me promener au Palais-Royal. C’est moi qu’on voit toujours seul, rêvant sur le banc d’Argenson ».
Devant le banc, un bois plus qu’un jardin, « la salle d’arbres » selon l’expression d’alors, du Palais-Royal, qu’on disait la plus belle du monde. L’annonce de sa destruction a suscité un tollé chez les Parisiens, mais le saccage a tout de même eu lieu : le duc de Chartres – il ne sera duc d’Orléans qu’à la mort de son père, en 1785 – a fait construire ses cent quatre-vingts arcades en soixante pavillons à louer, à l’origine d’un nouveau sobriquet pour l’endroit, devenu, dans le langage parisien, le Palais-Marchand. Mais, déjà, le nouveau jardin est la promenade à la mode.
« Mon cousin, lui demandera Louis XVI, maintenant que vous voilà boutiquier, ne vous verra-t-on plus que le dimanche ? »
Le divorce est total entre le roi dévot conduisant une réaction aristocratique qui, flattant les préjugés féodaux, n’autorise plus l’accès des charges à la cour, des grades dans l’armée, qu’à ceux qui peuvent justifier d’au moins quatre quartiers de noblesse, et le candidat au trône, Grand-Maître de la franc-maçonnerie, allié de la bourgeoisie d’affaires là comme, après les élections, au Club breton qui deviendra celui des Jacobins. Dès le mois de juin 1789, les agitateurs du futur Philippe-Égalité ont mené dans l’armée la propagande fructueuse qui allait aboutir à sa défection, si bien que Camille Desmoulins, au Palais-Royal, debout sur une table du Café de Foy, pouvait, le 13 juillet, appeler sans grands risques à l’émeute : comme il l’avait assuré à son père, « les gardes-françaises se feraient tuer plutôt que de faire feu sur un citoyen ».
L’endroit où les insurgés, à son appel, avaient arraché une feuille aux arbres pour s’en faire une verte cocarde qui serait, deux jours durant, un signe de ralliement, y gagnerait un nouveau nom, celui de « Palais-Égalité ».
Sous l’Empire, le Palais-Royal est devenu le palais des filles et le palais du jeu. On y a vu miser Joséphine de Beauharnais ; on y verra, après Waterloo, Blücher et les officiers alliés y perdre le tribut gagné sur le champ de bataille.
Quand commencent les Trois Glorieuses, Berlioz est en train de plancher à l’Institut pour le prix de Rome. Le 29 juillet 1830, enfin, il peut rejoindre la rue, « le pistolet au poing ». Comme il traverse la cour du Palais-Royal, un groupe de dix à douze jeunes gens y chante un hymne guerrier de sa composition ; il se joint à eux, incognito. La foule est si empressée que, pour ne pas étouffer, ils reculent pas à pas vers la galerie Colbert. Là, une mercière leur ouvre son premier étage, sous la rotonde vitrée. De la tribune de sa fenêtre, ils entonnent une Marseillaise qui tombe dans un silence recueilli. Berlioz se rappelle alors qu’il a adapté ce chant pour grand orchestre et double chœur ou plutôt pour un effectif, a-t-il écrit sur la partition, composé de « tout ce qui a une voix, un cœur et du sang dans les veines ». Il appelle la foule à reprendre avec eux.

Le théâtre bâti en 1790 pour le duc d'Orléans a été rouvert le 30 mai 1799; la Comédie française ne l'a plus quitté. Sa nouvelle façade sur la place Colette est de 1860-64. Après l'incendie de 1900, il y a eu les travaux de 1935, de 1974-76, de 1994; de 2 000 places à sa construction, la salle est passée à moins de 900 aujourd'hui.

Cupidon et un boeuf sur les toits


L’occasion de ce parcours fut une boucle autour de la librairie Livres Sterling, 49 bis, av. Franklin D. Roosevelt.

A ce carrefour Franklin D. Roosevelt / Ponthieu, on a été longtemps sur le bord mouvant de Paris. Jusqu’en 1670, la capitale avait été délimitée par l’enceinte de Louis XIII : l’arc Capucines-Madeleine qui se prolonge entre la place de la Concorde et le jardin des Tuileries. Vers 1724, la barrière d’octroi, la « barrière du Roule », était établie à peu près au croisement avenue Matignon / rue du Fbg St-Honoré. A compter de 1732, la « barrière de Chaillot » était, sur les Champs-Élysées, au droit de la rue Lincoln, et dotée d’un poste de Suisses dès 1777. Enfin, en 1788, le mur des Fermiers-Généraux passe grossièrement par l’Etoile et, à partir de 1795, en deçà de ce mur on est dans le 1er arrondissement, composé des quartiers des Tuileries, des Champs-Élysées, du Roule et de la place Vendôme.

Quant aux Champs-Élysées, ils s’arrêtaient au Grand Égout à ciel ouvert dont l’actuelle rue La Boétie nous rappelle le tracé. Un pont n’est jeté là-dessus qu’en 1700 et l’égout couvert qu’en 1787. Il faut donc être un original comme le neveu de Rameau que nous décrit Diderot pour, dès que « la saison est douce, arpente[r] toute la nuit le Cours [la Reine] ou les Champs-Élysées ». Pour l’usage mondain, les Champs-Élysées ne servent que trois jours par an, les derniers de la Semaine Sainte, au départ vers l’abbaye de Longchamp, procession qui n’est qu’un prétexte à l’ostentation des courtisanes. Le baron général Thiébault, fils du « garde des Archives et contrôleur des Inventaires du Garde-Meubles », habitant de ce fait place Louis-XV, la voyait partir, cette procession, dans son enfance : « Au milieu d’une innombrable quantité de voitures remarquables, brillaient chaque année une cinquantaine d’équipages éblouissants, dans le nombre desquels une dizaine paraissaient plutôt les chars des déesses que ceux de simples mortels ».
Ce n’est pas exagération, à se représenter l’équipage de la Duthé, en 1774, d’après les Souvenirs dits de Mme de Créquy. « Une caisse décorée d’Amours, de chiffres et d’arabesques par le plus célèbre peintre du genre, élève de Boucher, et capitonnée de sachets aux parfums suaves, était portée sur une conque dorée, doublée de nacre, que soutenaient des tritons en bronze. Les moyeux des roues étaient en argent massif, les chevaux blancs ferrés d’argent, harnachés d’or et de soie gros vert, portaient, suprême indécence, des panaches. Sur cette conque, la Duthé s’avançait en maillot de taffetas couleur chair et collant, que recouvrait une chemisette d’organdi très clair ; elle était coiffée d’un chapeau de gaze noir à la « caisse d’escompte », c’est-à-dire sans fond. » En 1780, on pourra même contempler deux carrosses de porcelaine !

En novembre 1792, les Champs-Elysées, avec la Concorde, sont devenus biens nationaux.

Après Waterloo et le campement des cosaques dans leurs bosquets, les Champs-Élysées s’étiolent, avec leurs rares bâtiments – six en tout ! –, dont l’hôtel de Langeac, à l’angle est de la rue de Berry, où le comte d’Artois, frère du roi Louis XVI, avait installé Louise Contat, créatrice du rôle de Suzanne dans le Mariage de Figaro. L’ambassadeur américain Thomas Jefferson y avait succédé à l’actrice. Il recevait ici Beaumarchais, dont il possédait les œuvres complètes, et le marquis de La Fayette. La Déclaration européenne des droits de l’homme et du citoyen, que La Fayette présenta à l’Assemblée nationale, à Versailles, le 11 juillet 1789, était le fruit d’échanges passionnés dans ce salon.
Contemporain de l’hôtel de Langeac, celui dit maintenant de Massa, alors au coin de la rue d’Angoulême-Saint-Honoré (aujourd’hui de La Boétie), et qui sera transporté en 1927 rue du Faubourg-Saint-Jacques.
Ainsi jusqu’à 1828 où la promenade, de bien national qu’elle était, redevient municipale.
Elle est dotée de l’éclairage au gaz sous la Restauration, époque des spéculations de César Birotteau, auquel le banquier Claparon explique : « Eh ! cher monsieur, si nous ne nous étions pas engagés dans les Champs-Élysées, autour de la Bourse qui va s’achever, dans le quartier Saint-Lazare et à Tivoli, nous ne serions pas, comme dit le gros Nucingen, dans les iffires ».

Le Rond-Point des Champs-Élysées a été aménagé en 1815. Chateaubriand suggérera, dans L’Artiste, d’y placer l’obélisque qui sera finalement érigé place de la Concorde. Sa fontaine centrale sera remplacée en 1860 par six petites.
A gauche, en regardant l’Etoile, l’hôtel Lehon, qui abrita Jours de France de 1954 à 1988, dû à Louis Moreau, en 1846, transformé cinquante ans plus tard pour Madame Sabatier D'Espeyran par les architectes Henri et Louis Parent en style néo-Louis XV, a été étendu d’une aile en 1969 par une copie ; on n’avait pas, avant cette date, copié à Paris de style plus tardif que le style l’Empire. Il est toujours le siège du Groupe Dassault. PLU : Il est précédé d'une cour d'honneur fermée d'une grille en ferronnerie comparable à celle du parc Monceau. On note la qualité et la surcharge du décor : mascarons, ferronnerie, menuiserie, lanterne encadrant le portail de fer forgé...
En mars 1922, la majorité de son capital acquise par le parfumeur François Coty, le Figaro quittait la rue Drouot et s'installait au Rond-Point, côté droit des Champs-Élysées, où la rédaction allait rester jusqu’au rachat du titre par Robert Hersant en 1975.
La maison de haute couture de Robert Piguet occupa le n°3 de 1938 aux années 1950 (PLU, 2e moitié du 19ème siècle, comme le n°1 (magasin de Paul Poiret autour de 1925) surélevé d’un niveau dans les années 1990).

3, av Matignon (et 4, rue Jean Mermoz), PLU : Immeuble construit en 1930 par les architectes R. et H. Bodecher. Façade composée autour de deux loggias par étage présentant un dessin "en creux" contrastant avec celui des immeubles voisins. Outre sa modernité cette composition se distingue par la découpe "baroque" des balcons, des garde-corps et de la porte.

Avec la monarchie de Juillet, les Champs-Élysées cesseront d’être le moyen de gagner Longchamp pour devenir un but en soi : mais cela se borne à la contre-allée de droite, qui succède ainsi, dans la longue liste des promenades à la mode, à la galerie du Palais (de Justice), au Pont-Neuf, à la place Royale, au cours Saint-Antoine, au cours la Reine. Elle s’encombre de boutiques foraines, et d’un cirque d’été, que rappelle la rue du même nom. Hittorff remplacera le cirque d’été par une salle en dur, pour six mille spectateurs, en 1841 ; elle sera démolie en 1899. Il en reste un grand bac à sable où jouent les enfants.
Si l’on avait pu construire ainsi, c’est qu’on était là dans l’une des deux coupes claires, l’un des deux « carrés » que la marquise de Pompadour, quand elle s’était offert l’hôtel d’Évreux (aujourd’hui palais de l’Élysée), avait fait déboiser devant chez elle pour s’ouvrir la vue sur la Seine et les Invalides.

En 1842, année où il est naturalisé français, le colonais Hittorff construit le Café du Cirque. Partisan des techniques modernes, il élève un bâtiment en charpente métallique et en brique, tout en conservant ce qu'il peut d'une ancienne construction en bois et en torchis. Pilastres, colonnes, chapiteaux de style antique, habillent les façades et l'intérieur du bâtiment. Ayant prouvé la polychromie des temples antiques, Hittorff fait peindre le tout : "la peinture distribuée sur un monument en fait ressortir les formes et en valorise les détails", écrit-il. En 1906, un Monsieur Cage entreprend de rénover, d'embellir et d'agrandir le jardin-restaurant Laurent. C'est lui qui va lui donner son aspect actuel: deux ailes en demi-rotonde sont ajoutées aux extrémités du bâtiment de Hittorff. Construites en charpente métallique, elles sont entièrement vitrées. L'entrée est couverte d'un auvent entouré de grilles et d'une haie de buisson. Le bâtiment restera dans cet état jusqu'en 1957, caché derrière ses haies, à côté de la fontaine de Hittorff.

11, avenue Gabriel, PLU : Pavillon de l'Elysée édifié en 1896 dans les jardins de l'Elysées dans un style éclectique (éléments renaissance, baroque, italianisant). Garde-corps remarquables. Abritant le restaurant Paillard à l'origine, il est rebaptisé pavillon de l'Elysée lors de sa réfection en prévision de l'Exposition Universelle de 1900. Les sculpteurs Blanchard et Constant exécutent le décor. Edifice présentant une architecture cohérente avec l'ensemble des réalisations conservées de l'Exposition de 1900 autour du site des Champs-Elysées. Depuis 1985, Lenôtre y a installé école du goût français.

« J'ai pénétré dans les jardins et au passage j'ai levé la tête vers le Cupidon de bronze, au sommet de la tourelle du Pavillon de l'Élysée. Pas une lumière aux fenêtres. L'une de ces villas à l'abandon que l'on distingue derrière la grille rouillée et les massifs d'un parc. Et ce Cupidon, là-haut, brillant d'un reflet de lune dans l'obscurité, avait quelque chose de funèbre et d'inquiétant qui me glaçait le cœur et me fascinait à la fois. Il me semblait un vestige du Paris où j'avais vécu. » Patrick Modiano, Quartier perdu.

A deux pas du Laurent, dans ce même « carré nord » s’est construite la salle Lacaze, de trois cents places, sur des plans d’Hittorff, qui abritera les Bouffes-Parisiens d’un autre colonais, Offenbach. Leur succédera le Panorama, construit en 1883 par Charles Garnier, transformé en théâtre en rond en 1894 et qui deviendra, en 1925, le théâtre Marigny.

Dans le « carré sud » va s’élever le Palais de l’Industrie, sur 250 mètres de long, 108 mètres de large et 35 mètres de haut sous la nef centrale, pour accueillir les vingt-cinq mille exposants de la première Exposition universelle.
L’Exposition est inaugurée par Leurs Majestés Impériales le 15 mai 1855, 100 ans après la déforestation de la Pompadour. Offenbach, qui a loué pour l’occasion la salle Lacaze, juste en face de l’entrée principale de l’Expo, ne parvient à y ouvrir son théâtre des Bouffes-Parisiens que le 5 juillet. Mais c’est tant mieux : après plusieurs semaines de mauvais temps, la canicule vient de s’abattre sur Paris, si bien qu’il a fallu mettre des vélums aux verrières du Palais de l’Industrie. « Même au temps des Croisades on ne vit pas sur pied de pareilles multitudes », à en croire la presse, qui trouve dans les Champs-Élysées à la fois « la voie Appienne et Hyde Park ».
L’Expo comptait une importante section consacrée aux Beaux-Arts. Courbet s’en était retiré après que le jury eut écarté deux de ses tableaux, et avait fait construire à ses frais, près de la sortie donnant sur l’avenue que l’on appelait maintenant Montaigne, un pavillon personnel, le « Pavillon du réalisme », que le grand public ignorait, mais où Delacroix s’attardait.

Le 14 août 1859, l’empereur Napoléon III, après les victoires de Magenta et de Solférino, fait une entrée triomphale dans Paris à la tête des troupes d’Italie. Des vétérans du Premier Empire, mêlés aux soldats retour du front, défilent durant cinq heures, derrière les drapeaux pris aux Autrichiens, sous l’arc de triomphe mauresque que Baltard a édifié à la hauteur du Cirque d’été, devenu « de l’Impératrice », tout à côté des Bouffes-Parisiens.

 Flash-back. « On va abattre les arbres des Champs-Élysées… pour donner à l’hôtel de la marquise de Pompadour un aspect plus agréable sur la rivière », écrit le marquis d’Argenson en juin 1755. Paris a bien tenté de défendre son territoire contre l’extension des jardins de l’Elysée par « la putain du roi » mais n’a pu empêcher l’abattage. Diderot ne peut plus se promener que « sous quelques-uns de ces vieux arbres épargnés parmi tant d’autres qu’on a sacrifiés au parterre et à la vue de l’hôtel de Pompadour ». C’est sur ce parterre qu’on a chanté pour la première fois, avec combien d’à-propos, « Nous n’irons plus au bois ».
Après la Révolution, le ci-devant hôtel d’Évreux, puis de Pompadour, devenu Élysée-Bourbon, est un parc de loisirs comme les jardins d’Idalie, ou le Colisée, en sont d’autres aux Champs-Élysées, avec salles de bal, salons de jeu, etc. Puis l’Empire s’y installe, en l’occurrence Caroline Bonaparte et Murat, son époux. Enfin, Napoléon Ier abdique dans ce qui est devenu l’Élysée-Napoléon. Après quoi nombre de têtes couronnées y résideront, soit du droit du vainqueur, soit sur invitation : entre autres, le tsar Alexandre Ier dans un cas, le tsar Alexandre II dans le second.
Des multiples révolutions du 19ème siècle, une seule s’invitera à l’Élysée, celle de 1848, pour de paisibles réunions dont celles de l’Association des artistes musiciens, fondée et présidée par le baron Taylor, qui donnera ici des concerts populaires avec au programme des œuvres de quelques-uns de ses membres : Auber, Berlioz, Meyerbeer. Bientôt, Louis Napoléon y préparera son coup d’État. La présidence de la République s’y installera avec la 3ème du nom, après 1871.

Au 2, rue de L'Elysée, le baron de Hirsch, créateur de la banque qui s’appellera plus tard Paribas, fait réaliser par Peyre et Chatenay, en 1873, un hôtel auquel il réunit par un jardin l’hôtel particulier construit au 18 par Leufuel pour la mère de l'impératrice Eugénie, la comtesse de Montijo. L’hôtel, PLU, compte deux étages et est agrémenté d'un grand balcon filant au premier étage présentant des avancées soutenues par des fûts métalliques. L'ensemble du garde-corps est conservé ainsi que les médaillons ornés de guirlandes situés au dessus des fenêtres du rez-de-chaussée. La décoration intérieure comprend des boiseries provenant du château de Bercy dans un salon du rez-de-chaussée.
Après la guerre, l’ancien hôtel Hirsch, aux 2-4, rue de l’Élysée, devient la Maison de la Pensée française. À compter de 1947, y est installée la Maison de la Culture, animée par Aragon, qui succède ici à celle de la rue de Navarin d’avant-guerre. L’hôtel particulier entouré de jardins est aussi le siège du Comité national des écrivains (CNE), présidé par Louis Martin-Chauffier et dirigé par les hiérarques communistes et leurs compagnons de résistance : Vercors, Maurice Druon... Chaque automne y a lieu la vente du CNE ; sur le grand escalier, les auteurs du parti des écrivains sont installés par ordre décroissant, et chaque marche compte : Aragon et Elsa Triolet sont tout en haut, et Roger Vailland a gagné plusieurs degrés maintenant qu’on escompte le prix Goncourt pour Un jeune homme seul.
Des expositions de tableaux y sont également organisées et leur réception est ici toute différente des galeries de la rue La Boétie. Ainsi, Les Constructeurs, de Fernand Léger, sont-ils un hommage au travail des chantiers, malheureusement, le peintre a omis d’y faire figurer les barrières de protection sur les échafaudages. « Comment être ému par ce Léger qui n’a pas respecté les règlements de sécurité ? », se plaignent les gars du bâtiment en plein débat sur le réalisme socialiste. Mais Maurice Thorez accepte que la toile lui soit offerte.
Progressivement rachetés par la présidence de la République, ces hôtels seront affectés :
Les 2 et 4, rue de l'Élysée au secrétariat général pour la Communauté jusqu'en juin 1974, à divers collaborateurs, à un restaurant du personnel ; le 14, rue de l'Elysée (Hôtel de Persigny) à l’état-major particulier du président de la République depuis 1958, et à divers collaborateurs.
Il y aura aussi dans cette rue les deux cellules africaines de l'Elysée : l'officielle au n° 2, dirigée avant 1981 par Michel Dupuch, et l'officieuse au n° 14, personnifiée par Fernand Wibaux, successeur de Jacques Foccart. Après 81, s'y affairait la cellule du commandant Prouteau. C'est ici qu'étaient analysées les retranscriptions d'écoutes téléphoniques avant leur diffusion plus haut en fonction de l'importance des propos tenus et des interlocuteurs (les conversations de Carole Bouquet étaient, on le sait, particulièrement appréciées du président).

- n°6 à 22, rue de l’Élysée, PLU : basements à l’anglaise. La rue de l’Elysée est bordée du côté opposé au palais de la Présidence par des maisons de faible hauteur construites sur un même modèle. Cette disposition résulte de servitudes constituées sur les propriétés riveraines et définies dans le décret du 18 juillet 1860 (y compris le plan annexé) et le contrat de vente faite par la Ville de Paris à M. Pereire, de terrains en bordure de la rue de l’Elysée (Contrat reçu par Me Mocquard, le 15 février 1861). Architecture ordonnancée déjà protégée dans l'ancien plan d'occupation des sols.
L’American Library in Paris a été au n° 10 de 1920 à 1936. Entre 1923 et 1926, elle publia un mensuel auquel collaboraient Hemingway et Gertrude Stein ; des soirées littéraires y avaient pour invités André Gide, Gertrude Stein, Colette, etc.

Si la rue de l’Élysée est synchroniquement Second Empire, la rue du Faubourg-Saint-Honoré était Louis XV. Sur le flanc droit de l’hôtel d’Évreux, entre les numéros 43 et 53, le Fermier général Étienne-Michel Bouret avait fait édifier par Boullée, à partir de 1755, des hôtels aux jardins s’étendant jusqu’à l’avenue Gabriel : le n°53, qui sera annexé à l’Elysée en 1852 ; l’hôtel de Saxe (au n°51, absorbé ensuite par la rue de l’Élysée, percée en 1860) ; l’hôtel de Vilmorin, gendre de Bouret (au n°49, acquis en 1860 par Emile Péreire, qui le fait démolir) ; celui de la comtesse de Sabran (au n°47), remplacé par immeuble en pierre de taille (PLU) « construit en 1863 par l'un des principaux architectes du Second Empire J. M. A. Le Soufaché pour lui-même. Le rez-de-chaussée est décoré de refends. La façade est composée d'une grande porte d'entrée sur deux niveaux avec un encadrement mouluré et des mascarons. Les fenêtres incurvées sont décorées par des clés ornées au second et troisième étage. Des corniches séparent chaque étage. Balcon central avec consoles ornées et garde-corps en fonte conservés. » Au n°45 était l’hôtel du marquis de Brunoy (fils de Pâris-Montmartel), passé ensuite à Charles Laffitte, neveu de Jacques, le président du Conseil de Louis Philippe, puis à Eugène Pereire et Juliette Fould ; il sera démoli en 1930. Edmond de Rothschild agrandira son jardin sur son emprise. Au n° 43 s’élevait l’hôtel d’Andlau, où Bouret mourait en 1777. Il sera reconstruit en 1860. 

Si Bouret y faisait bâtir ici, c’était le signe que c’est là qu’il fallait être: l’homme était ce parangon du courtisan dont Diderot, dans son Neveu de Rameau, s’émerveille des exploits avec une admiration outrée. Il exposait chez lui un livre d’or intitulé Le Vrai Bonheur, composé de cinquante pages, une pour chaque année à venir de 1750 à 1800. Sur chacune, ces simples mots : « Le roi est venu chez Bouret le… » Tout le reste n’est qu’attente de la royale visite.
Enfin, sans même que le roi fût en cause cette fois, et simplement parce que le garde des Sceaux, son protecteur, avait regardé son chien avec attendrissement, Bouret avait su déployer des trésors d’imagination pour détacher l’animal de lui et l’attacher audit garde des Sceaux auquel il comptait dès cet instant l’offrir. S’étant muni d’une perruque et d’un habit de fonction identiques à ceux du garde des Sceaux, et ayant fait confectionner un masque lui ressemblant, Bouret, alternativement, battait férocement son chien quand il restait lui-même, mais déguisé, il le cajolait et le comblait de toutes les douceurs possibles. En huit jours, c’était gagné. « C’est une des plus belles choses qu’on ait imaginées, conclut Diderot ; toute l’Europe en a été émerveillée, et il n’y a pas un courtisan dont elle n’ait excité l’envie. »
Ruiné malgré, ou à cause de, tant d’efforts, Bouret avalerait vingt ans plus tard les pastilles d’arsenic qu’il portait toujours sur lui à la veille de la mise aux enchères du mobilier de son hôtel du faubourg Saint-Honoré. Il sera inhumé à Sainte-Marie-Madeleine de la Ville-l’Évêque, la première église de la Madeleine, située à ce qui était la rencontre des rues de l’Arcade et de la Ville-l’Évêque.

Au Second Empire, les nouveaux riches (encore que Bouret…) remplacent ici les vieilles familles, et Guy de Maupassant, avec le Walter de son Bel-Ami, résume l’époque : « Sachant la gêne du prince de Carlsbourg qui possédait un des plus beaux hôtels de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, avec jardin sur les Champs-Élysées, il lui proposa d’acheter, en vingt-quatre heures, cet immeuble, avec ses meubles, sans changer de place un fauteuil. Il en offrait trois millions. Le prince, tenté par la somme, accepta. Le lendemain, Walter s’installait dans son nouveau domicile ». On a vu que le n° 49, était passé à Émile Pereire de la Banque foncière, des Chemins de fer d’un peu partout, de la Compagnie générale transatlantique et du Corps législatif ; et le n° 45 à Eugène Pereire, neveu d’Émile, banquier, assureur, dirigeant de la Compagnie du gaz et de la même Compagnie générale transatlantique où il succédait à son oncle. Il était aussi l’époux de Juliette Fould, la fille du ministre des Finances.

En fait, Bouret, en 1755, c’était déjà la 2ème vague du faubourg Saint-Honoré, la première datait de la Régence avec les hôtels du comte d’Evreux, gouverneur général de l’Ile de France ; du duc de Duras, maréchal de camp ; du chancelier d’Aguesseau et du duc de Béthune-Charost :

- 41, rue du Fbg St-Honoré, PLU : Hôtel de Pontalba en pierre de taille construit en 1836 par Visconti sur l'emplacement de l'hôtel d'Aguesseau de 1720, pour la baronne de Pontalba. Acheté en 1876 par le baron Edmond de Rothschild, totalement repris par l'architecte Félix Langlais, il est décoré dans le style Napoléon III. Il a été acheté par le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique pour en faire la résidence de son ambassadeur à Paris. Le bâtiment a subi une rénovation d'ensemble en 1975.
- 39, rue du Fbg St-Honoré, PLU : Actuelle Ambassade de Grande-Bretagne et ancien hôtel de Béthune-Charost construit entre cour et jardin en 1720 par l'architecte Mazin pour le duc de Béthune-Charost, gouverneur de Louis XV. Acquis en 1760 par le comte de La Marck, sa décoration intérieure est alors reprise par l'architecte Patte. Les aménagements sont à nouveau revus en 1803, lorsque Pauline Bonaparte, 2nde sœur de Napo, princesse Borghèse s'y installe. Elle le cède à la chute de son frère au gouvernement anglais qui y installe son ambassade en 1825. L'hôtel est à nouveau transformé pour y créer une salle du trône pour la reine Victoria dans la chambre d'apparat de Pauline. À l’hôtel de Béthune-Charost, Hector Berlioz épouse l’anglaise Harriett Smithson le 3 octobre 1833. C’est l’épilogue d’une course-poursuite commencée le 11 septembre 1827 lors d’une représentation d’Hamlet à l’Odéon, et poursuivie pendant une exécution de sa Symphonie fantastique au Conservatoire de la rue du Faubourg Poissonnière. Henri Heine, s’en souvenait comme si c’était hier : « Berlioz, à la chevelure ébouriffée, jouait les timbales tout en regardant l’actrice d’un visage obsédé et, chaque fois que leurs yeux se rencontraient, il frappait encore d’une plus grande vigueur ».

De l’autre côté de la rue du Faubourg Saint-Honoré, tout l’îlot entre les rues d’Aguesseau et de Duras, construit par Boffrand en 1712 et revendu au duc de Duras, avait été divisé par la révolution. Au n° 68, l’épouse du banquier Louis Stern, (qui avait racheté l’hôtel en 1885), Maria Star pour les lettres, recevait dans son salon gothique à l’immense cheminée, ceint d’une galerie de bois d’où pendaient des tapisseries murales séparées par des vitraux aux écussons de couleur, Camille Flammarion, et surtout des poètes : José Maria de Heredia, Henri de Régnier, le Proust des Portraits de peintres, Anna de Noailles, et Yvette Guilbert, la chanteuse aux longs gants noirs inspiratrice de Toulouse-Lautrec. Réjane, la reine du Boulevard, la créatrice de Madame Sans-Gêne, faisait arrêter devant cette porte l’espèce de cab anglais à quatre roues tiré par des mules portant grelots et pompons que lui avait offert Alphonse XIII, le roi d’Espagne. Les n°66 et 68 ont été démolis dans années 1920.

- 18, rue d’Aguesseau (ouverte en 1723), ex mairie du 1er de 1802 à 1811.
20, rue d'Aguesseau

- 22, rue d'Aguesseau (et 21 bis, rue de Surène), PLU : ambassade de Belgique de 1936 à 1951, aujourd’hui ambassade d’Ouzbékiztan ; hôtel particulier construit vers 1755. La Fayette en sera le propriétaire de 1775 à 1786. Portail en anse de panier sous entablement mouluré, cintré sur consoles ornées avec médaillon central. Au 22 rue d'Aguesseau, la façade s'ouvre par une petite porte. Fenêtres avec encadrement plat au deuxième étage. Corniche débordante à la retombée du toit. Balcons ornés d'appuis de fenêtre en fer forgé d'époque.
- Au 25, rue de Surène, résidence de l’ambassadeur, PLU : petit hôtel particulier de la fin du XVIIIe  siècle. Deux grandes portes cochères arrondies, sur deux niveaux avec motifs décoratifs de roseaux et palmes sur tympan. Elles sont séparées par une fenêtre. Les fenêtres cintrées sont coupées en deux dans la hauteur, encadrement mouluré autour des fenêtres. Devant les combles se trouve une balustrade de pierre ornée de pots en pierre avec anses et décorés de têtes humaines et de guirlandes de fruits. Une lucarne centrale en pierre interrompt la balustrade. L'angle du bâtiment est arrondi et à refends. Le bâtiment d'angle est composé de corniches moulurées à chaque étage, et comporte des appuis en fer forgé.
- 17 rue d'Aguesseau et 2 rue Montalivet, PLU : petit hôtel particulier de la fin du XVIIIème siècle, au marquis de l’Aigle ; a été un manège sous le second empire.

- 10-12 Montalivet, PLU : Maisons Restauration ayant conservé la plupart de leurs éléments d'origine. Au n°12, façade très simple composée de trois travées et de quatre étages carrés sur rez-de-chaussée. Baies du premier étage surmontées de frontons plats. Chambranles moulurés. Appuis à motifs géométriques montés en tableau. Persiennes. Porte à vantaux en bois et passage cocher débouchant sur une cour.

- Le 7, rue Montalivet (rue ouverte en 1723) a été l’adresse de Fives Cail Babcock. Jean-François Cail était entré, en 1824, comme ouvrier chez Derosne, 7 rue des Batailles (auj. av. d’Iéna), qui avait le quasi monopole du matériel de raffinerie. Les deux hommes s’étaient associés en 1836, sous la raison sociale : Ch. Derosne et Cail, quai de Billy (auj. av. de New-York). C’est en 1850 que la société deviendra J.F. Cail et Cie. Son atelier de montage de Chaillot était équipé pour monter 25 locomotives à la fois ; en 1862, l’usine produisait chaque année 100 locomotives et tenders. Proie d’un incendie en 1864, elle abandonnera définitivement cette rive-là de la Seine. Elle comptait 1 200 ou 1 500 ouvriers en incluant la succursale de Grenelle, (15 quai de Grenelle et rue de Chabrol (auj. du Dr Finlay)). L’entreprise aura quitté Paris pour la province, et s’établira à Douai, avant la fin du 19e siècle. Dès novembre 1861, la future société anonyme « Compagnie de Fives-Lille pour constructions mécaniques et entreprises » avait formé avec la maison Cail une participation. En 1958, elle fusionnait avec la société Cail pour donner naissance à la « Société Fives-Lille-Cail ». La nouvelle entité absorbait Applevage en 1963, Bréguet et Bréguet-Sauter-Harlé en 1966. Elle fusionnait enfin avec la société Babcock-Atlantique en 1973, d'où sortait la société Fives-Cail-Babcock.

Sur l’autre flanc de l’hôtel d’Évreux, la veuve du marquis d’Argenson, condisciple de Voltaire au lycée Louis-le-Grand et son protecteur, et dont le frère, que Mme de Pompadour avait fait exiler, était le dédicataire de l’Encyclopédie de d’Alembert et Diderot, la marquise d’Argenson, donc, avait fait construire, de 1758 à 1782, les hôtels situés entre les numéros 59 et 69.

- 76, rue du Fbg St-Honoré, (Sotheby), hôtel de 1802, où habita Vigny en 1824.
- 94, place Beauvau, mairie du 1er de 1796 à 1802 où elle passera 18, rue d’Aguesseau.
- au 96, s’élève, en 1770, l’hôtel Beauvau (qui accueillera le ministère de l’Intérieur à compter de la fin de 1860), où meurt le poète Saint-Lambert, à qui Mme du Châtelet a sacrifié Voltaire. Puis Saint-Lambert sera l’amant de Mme d’Houdetot et le restera malgré Rousseau, auquel elle se confie : « Pour m’achever, elle me parla de Saint-Lambert en amante passionnée. Force contagieuse de l’amour ! Sans que je m’en aperçusse et sans qu’elle s’en aperçût, elle m’inspira pour elle-même tout ce qu’elle exprimait pour son amant. »

- 73, rue du Fbg St-Honoré, PLU : Maison à loyer présentant une façade sur rue de la fin du XVIIIème siècle composée de quatre travées et de trois étages carrés sur rez-de-chaussée et entresol. Grande porte cochère en plein cintre dessinée sur un léger avant-corps orné de refends embrassant les deux premiers niveaux. Passage sous porche donnant accès à une cour pavée.

- 112, rue du Fbg St-Honoré, hôtel de Jules de Castellane en 1829, qui y fait installer l’immense théâtre privé qui est l’actuel restaurant d’hiver de l’hôtel Bristol ; racheté en 1923, il est refait pour son ouverture en avril 1925.

A la hauteur du n°114, (croisement avec l’av. Matignon) était l’ancienne barrière du Roule vers 1724. Au-delà, la rue s’appelait rue du faubourg du Roule.

On aperçoit le 83, rue du Fbg St-Honoré. Fersen y prépara la fuite de la famille royale à Varenne, dont l’épilogue fut un retour forcé par l’avenue des Champs-Elysées. Gaston et Joseph Bernheim-Jeune y exposèrent Matisse et Van Dongen en 1909, puis les néo-impressionnistes et les nabis. Félix Fénéon s’y occupait des artistes (ses) contemporains jusqu’en 1920. Après la guerre de 14-18, il publiait le bimensuel Bulletin de la vie artistique, où étaient défendus Chagall et Utrillo.

L’avenue Matignon est ouverte en 1784 pour ce qui est de ce tronçon. La rue de Penthièvre ne comptait aucune construction avant 1734 ; l’avenue Delcassé fut ouverte en 1932. A l’angle, une caserne de Gardes françaises est construite en 1780, l’une des 5 que des particuliers font bâtir dans ce but avant de les louer au roi ; jusque-là les militaires logeaient chez l’habitant. Le détachement qui participa à la prise de la Bastille venait d’ici ; la caserne actuelle date de 1929.
En 1928, le Bœuf sur le toit, le royaume de Cocteau, était au 26 de la rue de Penthièvre (bâtiment supprimé par la construction de la nouvelle caserne) ; c’est là que Nancy Cunard emmène Aragon, dont elle a fait le dandy à la cape noire façon Fantômas, et aux 2 000 cravates…

La rue La Boétie a été ouverte sur les terrains de l'ancienne pépinière du Roi qui, de 1640 à 1720, s’étendait de l’actuelle rue du Colisée (qui ne sera ouverte que vers 1779) à la rue de Berri. Le terrain avait ensuite été donné en fief au comte d’Artois, second frère du futur Louis XVI. La rue La Boétie reprenait le tracé, on l’a vu, du grand égout à ciel ouvert qui traversait la Grande-Rue du Roule sous un simple pont, et en faisait autant des Champs-Élysées après 1700.

Le médecin de la marine Eugène Sue, après avoir beaucoup voyagé, accoste au 41, rue La Boétie en 1835, dans la maison de l’architecte Olivier, bâtie en 1799 (enlevée par le percement de l’av. Delcassé). Il y meurt en 1857. Son entrée était encadrée de faux rochers et sa façade ornée de quatre colonnes corinthiennes flanquant des perrons latéraux autour d’un haut-relief mythologique. C’est de là qu’il décrit les Mystères de Paris, leurs ouvriers et leurs bas-fonds. En face, à côté de l’immeuble des Echos, deux autres hôtels « Révolution » avaient été construits par Charles de Wailly, architecte de l’Odéon et auteur, en 1789, d’un « Projet d’utilité et d’embellissement pour la ville de Paris », l’un pour son usage personnel, le second pour son ami le sculpteur Augustin Pajou.

- 45, rue La Boétie, la salle Gaveau, ouverte en 1907 et dédiée d’abord à la musique de chambre qu’y avait illustrée le trio Cortot, Thibaud et Casals, ou Marguerite long, a rouvert début 2001 dans son décor historique retrouvé.

Le faubourg Saint-Honoré étant devenu l’adresse élégante de la capitale, dès le début des années 1920, la rue La Boétie, qui compte bientôt dix galeries, détrône alors la rue Laffitte. La galerie de Paul Guillaume (au n° 59 en février 1921), appuyée sur des cahiers, Les Arts à Paris, initiés par Apollinaire, y défend Modigliani, Derain, la sculpture africaine.

En face, au n° 64 bis, Francis Picabia, doué d’un flair infaillible, a déniché l’ancien hangar à meubles appelé à devenir l’un des hauts lieux de l’art moderne, sous le nom de galerie La Boétie, et à accueillir la manifestation de la Section d’or, dont il pressent toute l’importance. Apollinaire était le plus fidèle soutien du mouvement, son fédérateur. Il avait non sans mal pu maintenir la cohésion de ce « cubisme écartelé », selon le titre de la conférence qu’il avait donné à la galerie la Boétie en 1912. Écartelé car Braque et Picasso n’exposaient que chez Kahnweiler. La ténacité des membres fondateurs permit cependant de reformer la Section d’or (1/0,618 = 1,618/1) et d’organiser une nouvelle exposition à la galerie La Boétie en 1920, qui marqua le retour de Braque dans la famille cubiste (avec une participation avérée au comité directeur, qu’il niera rétrospectivement), et l’internationalisation du mouvement : de nombreux peintres russes, ukrainiens, issus des « Soirées de Paris », comme Larionov, Gontcharova, Férat, Survage y rejoignaient alors les Archipenko, Exter, Lewitska, participants de la première heure.

Le 17 janvier 1938, au 140, rue du Fbg St-Honoré, qui fait le coin avec la rue La Boétie, dans un petit hôtel Louis XVI très simple donnant sur la cour, siège de la Gazette des Beaux-Arts de la famille Wildenstein, s’ouvrait l’Exposition internationale du surréalisme. L’exposition surréaliste avait été montée avec la collaboration scénographique de Marcel Duchamp et l’aide de Georges Hugnet ; le Déjeuner en fourrure de Meret Oppenheim en était le clou. En guise de catalogue, Breton et Eluard publiaient un Dictionnaire abrégé du surréalisme.

La rue du Colisée avait donc été ouverte vers 1779 à proximité du Colisée, dit aussi Vauxhall des Champs-Élysées. Sur le reste du terrain de la pépinière, le long de la rue du Fbg St-Honoré et jusqu’à la rue de Berry, s’étiraient les écuries du comte d’Artois, commencées par Bélanger.
- 44, rue du Colisée, était l’une des entrées du Colisée ou Vauxhall des Champs-Élysées, établissement de fêtes publiques de 1772 à 1780, occupant le quadrilatère rue du Colisée / Champs-Élysées / av. Matignon / rue Rabelais. On y trouvait un vaste espace circulaire pour la danse, ceint de colonnes tout autour ; dans les jardins, des pièces d’eau pour les jeux nautiques, et un mât très haut, au sommet duquel était fixé un dragon rempli de feux d’artifice. L’allumage s’en faisait depuis le sol par le moyen de fusées qui devaient atteindre la gueule, mais toutes rataient leur cible ce dimanche d’octobre où Thomas Blaikie, le jardinier du roi, était venu s’y amuser.

- 34, rue du Colisée. Bar-dancing à la mode des années 20, Le Boeuf sur le toit, doit son nom à la “farce pantomime” produite en février 1920 à la Comédie des Champs-Élysées par Jean Cocteau, sur une musique de Darius Milhaud, avec un décor de Raoul Dufy. Le Bœuf sur le toit, op. 58 était une composition de Darius Milhaud écrite en 1919, une "cinéma-fantaisie" pour violon et piano destinée à accompagner un film muet de Charlie Chaplin, une musique inspirée de celle du Brésil, pays qu’avait fréquenté le compositeur. Le titre était d’ailleurs celui d'une ancienne chanson brésilienne. Sa transformation en ballet fit tout son succès. Il n'y a pas à proprement parler d’intrigue. Le décor est celui d'un bar qui voit circuler plusieurs personnages : un bookmaker, un nain, un boxeur, une femme habillée en homme, un policier qui se fait décapiter par les pales d'un ventilateur avant de ressusciter... Les premiers acteurs en étaient des clowns du cirque Médrano, les Fratellini. La chorégraphie était volontairement très lente, en décalage avec le côté vif et joyeux de l'accompagnement musical.
Le Bœuf, dirigé par Louis Moysès, s’était ouvert en décembre 1921 au 28 de la rue Boissy d’Anglas (où Lulli avait habité en 1637), succédant au Gaya de la rue Duphot. Bar musical, on pouvait y entendre le pianiste virtuose Clément Doucet, et bien sûr beaucoup de jazz, sans compter les clients qui se livrent parfois à un « bœuf » improvisé.
les lions mitoyens du Boeuf
Au Boeuf, on pouvait croiser Stravinski, Jean Cocteau, Jean Wiéner, Francis Poulenc, Honegger, Aragon, Breton, Germaine Taillefer, Raymond Radiguet, Blaise Cendrars, Brancusi, Francis Picabia, Picasso, Marcel Herrant, Coco Chanel, Yvonne Printemps, Derain, Éric Satie, Georges Auric, Fargue, André Gide, le maréchal Lyautey, Gaston Gallimard, Arthur Rubinstein, Marcel Jouhandeau, Paul Bourget, Marcel Aymé, Max Jacob, Tristan Bernard, Paul Claudel, Pierre Reverdy… C’était l’épicentre du Paris des années folles. Le seul qu’on n’y vit jamais, pour raison de santé précaire, fut Marcel Proust. Dans le sillage de Cocteau, on y rencontre aussi le jeune Maurice Sachs qui rêve de grandeur, et surtout de remplacer Radiguet dans le coeur du grand maître. En 1928, on l’a vu, rue de Penthièvre, le Bœuf était passé en 1936 au 41 bis de l’avenue Pierre 1er de Serbie. Depuis 1941, il est au 34 de la rue du Colisée. Django Reinhardt y a créé Nuages en 1942.  

C’est au Bœuf sur le toit que Juliette Gréco faisait ses débuts professionnels, avec trois chansons seulement à son répertoire : de Queneau, « Si tu t’imagines fillette, fillette / Kça va kça va kça / Kça va kça va kça... » ; Dans la rue des Blancs-Manteaux, de Jean-Paul Sartre, où l’« On avait mis des tréteaux / Avec un bel échafaud... » ; et enfin La Fourmi de Robert Desnos, « Une fourmi de 18 mètres / Avec un chapeau sur la tête, ça n’existe pas (bis) ». Joseph Kosma avait fait la musique des trois.