Cet après-midi-là Aragon fut rue de Bretagne; Jules Vallès allait à la Corderie


L'occasion de ce parcours est une emmenée promener autour de la librairie Publico, 145 rue Amelot dans le 11ème.

1925. Meurisse. Gallica
- Théâtre du Château d’Eau (plus tard Alhambra), 50 rue de Malte. Y est donné, en mars 1871, un vaudeville, Le Procès des francs-fileurs, d’après le qualificatif inventé par le Tintamarre pour ceux qui, lors du siège de Paris, avaient prudemment fui en province ou à l’étranger.
- Alhambra (puis "Alhambra Maurice Chevalier"), 50 rue de Malte (démoli en 1967; l'actuel parking souterrain y porte encore ce nom d'Alhambra). En 1936, Gilles et Julien y chantent « La Belle France : il était question de bleuets et de coquelicots, on aurait dit du Déroulède » ironise Simone de Beauvoir, mais ils ont aussi à leur répertoire La chanson des 40 heures.

Des bâtiments contemporains de Marie Dorval au soir d'Antony, le 3 mai 1831 :
- 21, rue Meslay, PLU: maison de la première moitié du XIXe  siècle, dernier étage en retrait desservi par un balcon filant. Balcon central de deux travées au second étage soutenu par de puissantes consoles. Persiennes.
- 22, rue Meslay, (en face du 21) PLU: accès cocher d'une grande cour pavée très régulière (formant un rectangle) de l'immeuble de rapport de style néo-classique, fin 18ème, du 15 bd St-Martin.
- Au n°19, maison du début du XIXe siècle. La façade est encadrée de deux chaînes. Le décor du rez-dechaussée simule un faux appareil. Porte cochère.
- 18, rue Meslay, PLU: 1ère moitié du 19ème, arrière du 11 boulevard Saint-Martin, donnant sur la large cour pavée comportant deux anciennes fontaines en fonte.
- n°17, PLU: remarquable grande maison Louis-Philippe présentant un riche décor de moulures inspiré de la Renaissance française et un grand balcon en pierre sculpté desservant les trois travées centrales de l'étage noble. Oeuvre non attestée de Ballu (construit sur un terrain propriété de Ballu père).

- Appartement de Marie Dorval, 15 rue Meslay. Là qu’on raccompagne l'actrice le soir d’Antony. Voir la balade Hugo en anarcho-autonome dans le ravin du bd Saint-Martin.
 (Elle quittera l'adresse pour le 44, rue Saint-Lazare, en 1833, avec Alfred de Vigny, sa nouvelle liaison. Puis, en octobre 1835, Marie Dorval, la Kitty Bell de Chatterton, drame en prose que Vigny a écrit pour elle, emménagera au 1er étage du 40, rue Blanche, parce qu’il y là pavillon d’écurie et remise où la voiture et les chevaux qu’elle possède désormais pourront trouver place).
George Sand la connaît après Indiana, en 1832 ; elle lui écrit, Marie Dorval accourt (elle a 34 ans, Sand six de moins), long portrait dans Histoire de ma vie : « Elle était mieux que jolie, elle était charmante ; et cependant elle était jolie, mais si charmante que cela était inutile. Ce n'était pas une figure, c'était une physionomie, une âme. » C'était une époque où « se manifestait un paroxysme de passion peu voilé », où l'on aimait les poitrinaires parce que leur amour était plus brûlant, où l'on ouvrait les tombes pour revoir l’aimé. On connaît des lettres enflammées de Sand, de Vigny à Marie Dorval, datées de 1833-34, et de l'une, de Vigny, Léon Séché écrira qu'elle est « l’acte d’un malade et d’un fou » : « Il fallait vraiment que Vigny eut perdu la raison pour avoir écrit la lettre qui commence par « Pour lire au lit » ». Cette lettre a été détruite en 1913.
D'autres maisons contemporaines de ce temps de feu :
- 14, rue Meslay (en face du 9), arrière du 3 boulevard Saint-Martin, PLU: Immeuble de rapport de la fin du XVIIIe siècle.
- 11, rue Meslay, PLU: Grande maison à loyer vers 1800 présentant une façade néo-classique très bien conservée. La façade est bornée par deux chaînes d'angle. Le rez-de-chaussée est orné de refends. Trait de refends dans l'enduit sur le reste de la façade. Garde-corps à motif de losanges. Persiennes ajoutées ultérieurement. Hiérarchisation de la taille des baies en fonction des étages. Porte cochère surmontée d'un fronton triangulaire inspirée par Ledoux et ouvrant sur une cour pavée. Escalier à barreaux ronds sur limon conservé.

- Fédération de la Seine du Parti Socialiste S.F.I.O., 7 bis rue Meslay. C’est du même coup l’adresse de la Librairie fédérale, et aussi le siège d’une coopérative de production et de distribution de films, l’Equipe, créée vers février 1937.
Le 16 mars 1937, une militante du 18e arrondissement de la Gauche révolutionnaire, la tendance de Marceau Pivert, sera parmi les six victimes de la police de Marx Dormoy, à Clichy. « Les forces de police tirant sur les ouvriers antifascistes, et sous un gouvernement du Front populaire à direction socialiste, est-ce la rançon de la politique de confiance exigée par les banques ? » demande sur les murs de Paris une affiche de la Gauche révolutionnaire, qu’en réponse la police va lacérer, tandis que le PS aura interdit la tendance dès la fin d’avril. Désormais sans nom, les amis de Pivert n’en auront pas moins conquis la direction de la Fédération de la Seine neuf mois plus tard. C’est alors sa Fédération de la Seine toute entière que la direction du PS dissout, le 11 avril 1938. Les dissous s’entêtent et se maintiennent de force dans les locaux de la rue Meslay : « Ils veulent la dissolution pour mieux trahir, nous répondons, la Fédération continue », affirme Juin 36, leur hebdomadaire. Mais ils s’inclineront devant le congrès qui, en juin, confirme la dissolution. Marceau Pivert y annonce alors la création du Parti Socialiste Ouvrier et Paysan (PSOP).
Dans cette même rue, les Gerhardt, réfugiés antinazis, ouvrent en 1933 une librairie qui sera un lieu de rencontre d’immigrés politiques allemands.

- les Editions Sociales, 168, rue du Temple, dans les années 1970 encore. S’y trouve aussi La Pensée, revue du rationalisme moderne.
On descend la rue Turbigo pour passer devant la rue du Vertbois:

- table d’hôte de la mère Caviole, rue du Vertbois. C’est la cantine du noyau de la Révolution prolétarienne, alors rue du Château d’eau : Monatte, Robert Louzon quand il passe à Paris, le Dr Louis Bercher, médecin de la marine marchande qui signe J. Péra, Daniel Guérin.

Puis par le passage Ste-Elisabeth, le long d'une église que l'on doit au maître-maçon Michel Villedo, dédiée à sainte Élisabeth de Hongrie et à Notre-Dame de Pitié, consacrée en 1646 par Jean-François Paul de Gondi, futur cardinal de Retz, alors coadjuteur de l'archevêque de Paris (MH), on rejoint la :

Rue Dupetit-Thouars. Atget. Gallica
- salle du 10 rue Dupetit-Thouars. (Et 22, rue de la Corderie), PLU: Maison d'angle vers le milieu du XIXe  présentant une façade bien proportionnée composée de sept travées sur la rue Dupetit Thouars et de deux travées principales sur la rue de la Corderie et de trois étages carrés sur rez-de-chaussée. Des bandeaux séparent les étages. Persiennes en bois.
C'est dans cette salle que juste après l’armistice de 1918, la Muse Rouge vient se produire. (Voir pour ce groupe la balade Hugo en anarcho-autonome dans le ravin du bd Saint-Martin). La Muse Rouge y sera de retour une douzaine d’années plus tard, quand déclarée par le PC « en dehors du mouvement culturel de lutte de classe », elle aura été chassée de la Maison Commune, devenue communiste, du 3e arrondissement.
La Muse Rouge aura son siège entretemps à l’Union des coopératives, (voir plus bas).

- 16, rue de la Corderie, siège du Parti Socialiste (SFIO) en 1910. PLU : Maison ancienne présentant une façade composée de quatre travées principales et d'un étage carré sur rez-de-chaussée. Persiennes. Lucarnes en "chiens assis". Passage cocher ouvrant sur une cour.

Le 2, rue de la Corderie. Atget. Gallica
- L’Assommoir, 6 place de la Corderie-du-Temple (auj. 14, rue de la Corderie), au rez-de-chaussée. Le cabaret était connu dans tout l’arrondissement sous ce nom, même s’il n’en portait aucun ; il inspirera Zola, dont le roman éponyme, publié en feuilleton en 1876 dans le Bien public, propriété d’Emile Menier, le célèbre chocolatier, sera immédiatement accusé « d’insulter la classe ouvrière », et sa publication interrompue pour ne se poursuivre qu’avec des coupures, un mois plus tard, dans la République des lettres dirigée par Théodore de Banville.

- Bal Montier, 6 place de la Corderie-du-Temple, au 1er étage. S’y réunissaient jusque vers 1858, trois sociétés chantantes, les mardi, jeudi et samedi, au public exclusivement composé d’ouvriers. Dans celle dite Les Enfants du Temple, le jeudi, sous la présidence de Dalès aîné, se retrouvaient les chansonniers Auguste Alais, horloger, Eugène Baillet, ouvrier bijoutier, Charles Colmance, graveur sur bois pour impression sur étoffes, qui y chanta l’anticolonialiste Chant de l’Arabe vers 1850, Charles Gilles, coupeur de corsets, Gustave Leroy, brossier, Victor Rabineau, sculpteur marbrier.

- Chambre Fédérale des sociétés ouvrières, 6 place de la Corderie-du-Temple. Formée entre mars et décembre 1869, elle réunit les principales sociétés ouvrières de la capitale ; tous ses animateurs, dont Varlin, sont des Internationaux. Elle siège à la « Corderie ».
Il a fallu une décennie, après la répression des années 1850, pour que des grèves éclatent à Paris, les plus retentissantes étant, de 1862 à 1864, celles des typographes. Elles ont été sanctionnées de peines sévères mais l’empereur a ensuite accordé sa grâce, et demandé au Corps Législatif de voter une loi abolissant le délit de coalition (de grève), ce qui sera fait au printemps 1864. Les bronziers se mettent en grève dès l’année suivante sur la durée du travail. Si le droit de coalition a été acquis, le droit d’association (de se syndiquer) n’existe toujours pas, et les délégations ouvrières à l’Exposition de 1867 revendiqueront le droit de constituer des chambres syndicales. L’Empire, sur sa fin, laisse à peu près faire, tandis qu’il impulse une Caisse des Invalides du Travail - où siège le coupeur de chaussures Jacques Durand, futur membre de la Commune -, et que préfectures et municipalités développent des Sociétés de Secours Mutuels qui vont intégrer 15 à 20% de l’effectif ouvrier. De nombreuses grèves visent à obtenir un droit de contrôle, voire de gestion, des caisses de secours qu’alimentent les amendes dont les ouvriers sont frappés. La Chambre des cordonniers, sans doute la première en ce domaine, a dès 1866 des statuts prévoyant, en leur article 2, que les ouvrières seront consultées, et qu’elles exerceront le même ordre de contrôle que les hommes. La tolérance est quasi officialisée en août 1868, et les grèves de 1868-1869 vont multiplier les chambres corporatives.
Une Fédération des sections parisiennes regroupe, le 3 mars 1870, des sections qui se sont constituées par quartier à côté de la fédération de métiers. Le 4 septembre 1870, les délégués des chambres syndicales ouvrières, les membres de l’Internationale et les socialistes les plus connus comme orateurs des réunions publiques se réunissent place de la Corderie. Ils adoptent une adresse au peuple allemand, à la fois aux autorités pour les prendre au mot de leurs déclarations de non ingérence, et aux ouvriers allemands pour les conjurer de cesser de prendre part à cette lutte fratricide. Mais comment la diffuser largement à l’armée allemande ? La réunion nomme aussi une délégation pour aller à l’Hôtel de Ville assurer la Défense nationale de son concours, sous réserve d’un certains nombre de conditions, dont la deuxième est « la suppression de la préfecture de police et la restitution aux municipalités parisiennes de la plupart des services centralisés à cette préfecture ». La délégation sera reçue à 1 heure du matin par Gambetta pour l’entendre multiplier des promesses vagues.
Dans l’intervalle, l’assemblée a également décidé de susciter 20 comités d’arrondissement, ou comités républicains de vigilance, élus dans les réunions populaires de leur arrondissement et qui, par l’envoi de quatre délégués chacun, constitueraient un Comité Central. Celui-ci sera sur pieds dès le 11 septembre et s'installera à la Corderie. Trois jours plus tard, il fait placarder un avis, - « Le Comité central républicain des 20 arrondissements aux Citoyens de Paris », signé Cluseret, Napoléon Gaillard, Charles Longuet, Benoît Malon, Edouard Vaillant, Jules Vallès, entre autres -, qui reprend les conditions portées par la délégation, dont le premier est maintenant « Supprimer la police telle qu’elle était constituée sous tous les gouvernements monarchiques pour asservir les citoyens et non pour les défendre ».

- section parisienne de l’Internationale, 6 place de la Corderie-du-Temple, 3e étage. Elle s’installe ici après la rue des Gravilliers : « Connaissez-vous, entre le Temple et le Château-d’Eau, pas loin de l’Hôtel de Ville, une place encaissée, tout humide, entre quelques rangées de maisons ? Elles sont habitées, au rez-de- chaussée, par de petits commerçants, dont les enfants jouent sur les trottoirs. Il ne passe pas de voitures. Les mansardes sont pleines de pauvres !
On appelle ce triangle vide la Place de la Corderie.
C’est désert et triste, comme la rue de Versailles où le tiers état trottait sous la pluie ; mais de cette place, comme jadis de la rue qu’enfila Mirabeau, peut partir le signal, s’élancer le mot d’ordre que vont écouter les foules.
Regardez bien cette maison qui tourne le dos à la Caserne et
jette un œil sur le Marché. Elle est calme entre toutes. – Montez !
Au troisième étage, une porte qu’un coup d’épaule ferait sauter, et par laquelle on entre dans une salle grande et nue comme une classe de collège.
Saluez ! Voici le nouveau parlement !
C’est la Révolution qui est assise sur ces bancs, debout contre ces murs, accoudée à cette tribune : la Révolution en habit d’ouvrier ! C’est ici que l’Association internationale des travailleurs tient ses séances, et que la Fédération des corporations ouvrières donne ses rendez-vous. » Ainsi la décrivait Jules Vallès, dans le Cri du Peuple du 27 février 1871, repris dans L’Insurgé.
Le 21 mars 1871, le Comité central républicain, réuni à la Corderie, entend Camelinat, Malon, et Vaillant faire le point de la situation, qui conduit, deux jours plus tard à un appel, « Aux urnes, citoyens ! », signé aussi par Eugène Pottier et Vallès.
Le cortège funèbre de Paul et Laura Lafargue, née Marx, à la fin de novembre 1911, derrière des corbillards chargés d’immortelles rouges, est parti de la Corderie. Par la rue des Fontaines, et la rue du Temple, il monte vers le père Lachaise. Jean Longuet, leur neveu, le fils de Jenny Marx (deux des filles de Karl ayant épousé des internationalistes parisiens: « Le dernier proudhonien et le dernier bakouniniste, que le diable les emporte ! », bougonnait le papa), marche en tête de 15 000 personnes ; Alexandra Kollontaï y représente le bureau étranger du parti socialiste russe, Lénine le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie. Lui qui ne parle jamais français en public fera pour ces funérailles sa seule exception.
Les 3 et 5 rue Béranger vus de la rue Charlot. 1898. Atget. Gallica. Remarquez sur le mur pignon la trace des fenêtres qui avaient donné sur la basse-cour de l'hôtel Bergeret de Frouville

- 3 rue Béranger, restes de l'Hôtel Bergeret de Frouville, 1720, qui semble aujourd'hui ne former qu'un seul ensemble architectural avec l'immeuble voisin dit hôtel de la Haye, du fait de leur acquisition à la fin du 19e siècle par la Ville de Paris. La symétrie dans la composition des deux hôtels semble avoir été voulue dès l'origine. Au 18e siècle, une basse-cour entourée de bâtiments s'étendait au sud, à l'emplacement de l'actuelle rue de la Franche-Comté. On voit aujourd'hui à cet endroit un vaste mur pignon où l'on devine encore les anciens percements de la façade sur la basse cour de l'hôtel. A noter, à l'intérieur, le bel escalier à rampe en fer forgé inscrit à l'Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1925 ainsi que de fort belles caves voûtées assez semblables à celles de l'hôtel de la Haye au 5 rue Béranger.
- 5, rue Béranger, donnant sur 2 rue de la Corderie. Hôtel de 1720. Son état actuel est fort semblable à la description qui en est faite en 1776. L'entrée de l'hôtel se fait par une très belle porte monumentale, inscrite sur l'Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1926. A l'intérieur de l'hôtel subsistent un très bel escalier déjà inscrit en 1926, ainsi que de très belles caves voûtées transformées en réfectoire. Du très beau décor intérieur, il subsiste un ensemble de boiseries fin 18e siècle, dans une pièce du premier étage dans l'aile de droite. Ce serait dans cette pièce que Béranger serait mort, après y avoir vécu 3 ans, le 16 juillet 1857. Il était né rue Montorgueil, « Dans ce Paris plein d’or et de misère, / En l’an du Christ mil sept cent quatre-vingt, / Chez un tailleur, mon pauvre et vieux grand-père ». Il avait été admis, en 1813, comme membre du Caveau Moderne, ou Rocher de Cancale, qui se réunissait chez le marchand d’huîtres de la rue ; il avait été, sous la Restauration, « un poète libéral, le seul vrai », dirait Sainte-Beuve. Béranger avait sous-titré sa Conspiration des chansons d’un Instructions ajoutées à la circulaire de M. le Préfet de Police concernant les réunions chantantes appelées goguettes. Au moment où il meurt, d’autres chansonniers, dont Louis-Charles Colmance, se réunissent dans une goguette de la rue, dite Les Épicuriens. Et au n° 10 habite Frédérick Lemaître.
On remarque également dans certaines pièces des vestiges de corniches à rinceaux et rubans, ainsi qu'à l'entrée de la cave un très beau bas-relief représentant un jeune Bacchus (inscrit à l'Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1926).

1901. Atget. Gallica
- fontaine Boucherat : MH : Édifiée en 1697 par l’architecte parisien Jean Beausire, elle porte le nom du chancelier Louis Boucherat.

- Union des coopératives, immeuble situé 29-31 bd du Temple et 85 rue Charlot (auj. annexe de la Bourse du Travail). Acquise au début de 1919, grâce au concours financier du Magasin de Gros, de la Verrerie ouvrière d’Albi et de la Bellevilloise, cette Maison de la Coopération remplace le siège installé auparavant au 13, rue de l’Entrepôt, dans le 10e. Suivant les résolutions du congrès coopératif de 1912, qui préconisaient la fusion, l’opération s’est faite avec La Prolétarienne du 5e, l’Avenir social du 2e, et la Bercy-Picpus, tandis qu’est en cours un rapprochement avec l’Economie parisienne du 3e, La Lutèce sociale, et l’Union des coopérateurs parisiens. L’Union des Coopératives compte maintenant 39 168 sociétaires, emploie 1 398 personnes et possède 230 établissements à Paris, en banlieue et dans l’Oise, y compris trois colonies de vacances et trois entrepôts. Rien qu’au cours de l’année écoulée, ont été ouverts à Paris, quatre restaurants, sept épiceries et trois boucheries. Une blanchisserie est désormais commune à l’Union des coopératives, à la Bellevilloise, à l’Union des coopérateurs parisiens et aux restaurants ouvriers de Puteaux.
L’assemblée générale de 1919 vote une subvention de 500 F en faveur de la Fédération sportive du Travail (FST), et la création d’un challenge de 3 000 F ; et une autre subvention à l’Ecole coopérative. Elle entérine la création en faveur des sociétaires, de cartes de réduction pour le Théâtre Antoine et pour le Cirque d’hiver. Elle se préoccupe de l’organisation d’une bibliothèque centrale à la Maison de la Coopération, que doublerait une bibliothèque circulante. Un restaurant et une brasserie y sont déjà installés, là où étaient Bonvalet et le café Turc son voisin. Elle vérifie le fonctionnement du bulletin de l’Union des coopératives, tiré à 28 000 exemplaires. Clamamus, député-maire de Bobigny, est membre de sa Commission de surveillance.
La Muse Rouge y a son siège dans les années 1920, après qu’elle a quitté la salle Jules. La société chantante organise toujours des fêtes pour les organisations d’avant-garde ; elle édite aussi, sous un titre éponyme, une « revue de propagande révolutionnaire par les arts ». Le 21 février 1931, son assemblée générale se prononce, à la majorité des membres, contre l’adhésion à la FTOF qui lui a été proposée. La sanction ne se fait pas attendre : un mois plus tard, l’Humanité demande à toutes les organisations que le parti influence de ne plus faire appel au groupe qui, par son refus, s’est placé « en dehors du mouvement culturel de lutte de classe ».

1928. agence Meurisse. Gallica
On revient sur nos pas, en descendant vers le carreau du Temple. L’enclos du Temple, avec son église, son couvent, son cloître, ses vastes cours meublées d’hôtels particuliers et de maisons d’artisans, était une ville à part dans Paris, presque un État, jouissant de privilèges spéciaux, d’une justice, d’une police, d’une voirie particulières. C’est de ces atouts qu’entendit profiter la spéculation qui y construisit « La Rotonde » en 1788, galerie ovale de quarante-quatre arcades s’ouvrant devant des boutiques dont le logement était à l’entresol, tandis que les étages supérieurs étaient faits de petits appartements.
Le donjon du Temple a été abattu dans le même temps et quatre hangars construits devant la rotonde, faisant de l’ensemble un colossal marché aux puces : on les désignait des sobriquets pittoresques de Palais-Royal pour la mode, Pavillon de Flore pour le meuble, Pou-Volant pour la ferraille, et Forêt-Noire pour la chaussure. On n’y parlait à peu près que l’argot, et « être à court d’argent » s’y disait, au choix, « nib de braise » ou « nisco braisicoto ». En 1863, des halles type Baltard les remplacent, qui ne conservent qu'un vestige 8, rue Perrée.

1898. Atget. Gallica
- Le marché des Enfants-Rouges, Petit Marché du Marais en 1628, tira son nom ensuite de la proximité de l'Hospice des Enfants-Rouges créé par Marguerite de Navarre pour des orphelins dont l'uniforme était rouge. Il a été rénové à la fin des années 1990. MH.

- siège de la Fédération de Paris du parti socialiste, 49 rue de Bretagne. Au premier étage, une salle toute en longueur dotée d’une petite scène. Lénine y avait donné, le 21 mai 1909, à 20h30, sous l’égide du Club du Proletari, une conférence consacrée au « parti ouvrier et la religion ». Le dimanche 2 janvier 1910, il écrivait à sa sœur : « aujourd’hui même, je compte aller dans un cabaret pour une goguette révolutionnaire avec des chansonniers » (en français dans le texte), reprenant ainsi les termes mêmes d’un programme de la Muse Rouge, ce qui a fait penser à Robert Brécy que c’est elle qu’il allait voir, et ici. La salle Jules étant devenue trop petite, la Muse Rouge se produisait en effet rue de Bretagne depuis 1910, si son siège était resté boulevard Magenta.
André Breton, alors correcteur d’épreuves à la NRF, puis conseiller artistique du couturier Jacques Doucet, aux appointements de 800 francs par mois, nouveau « salarié » donc (il vient d’abandonner médecine à l’hôtel des Grands Hommes), s’en va, en compagnie d’Aragon, adhérer au Parti socialiste, comme l’on dit encore dans l’immédiat après-congrès de Tours : « Voilà, nous sommes à votre disposition, nous ne sommes pas des communistes, mais nous ferons ce que nous pourrons pour le devenir... » Mis en vers ensuite par Aragon dans les Yeux et la mémoire, ça aura beaucoup d’allure : « Il m’eût fallu une âme bien mesquine / Pour ne pas me sentir cet hiver-là saisi / Quant au Congrès de Tours parut Clara Zetkin / D’un frisson que je crus être la poésie (...) Cet après-midi-là je fus rue de Bretagne (...) Le ciel gris de Paris au sortir du local / J’errais Il y avait par là dans ce quartier / Le siège de la Première Internationale / On vient de loin disait Paul Vaillant-Couturier ». Sauf que ce jour de janvier 1921, d’y voir un « gros homme » nommé Georges Pioch, et son « espèce de fausse bonhomie » suffit à leur faire faire demi-tour.
Le restaurant de la Maison commune à midi

Quelque temps plus tard, c’est Hô Chi Minh qui vient profiter ici des goguettes de chaque premier dimanche des mois d’octobre à mai, où il retrouve ses amis Voltaire et Renan, vrais prénoms d’état civil des fils du gérant des lieux.
La Fédération Nationale des Cercles de Coopératives Révolutionnaires, qui s’est constituée en avril 1925 pour « le redressement et l’assainissement de la Coopération française au moyen de la Coopération révolutionnaire, lutte de classes, par opposition avec le Coopératisme dit de neutralité politique, imposé aux Coopératives de consommation » comme l’écrit Georges Marrane dans sa brochure, a fait triompher la ligne du parti au 49 rue de Bretagne. Quand, le 26 mars, l’Humanité publie une « Mise en garde contre le groupe la Muse Rouge », la Muse Rouge n’a plus qu’à quitter les lieux.

En face, au 46: Mairie du 3e arrondissement édifiée sous le Second-Empire. De style néo-Renaissance, la façade s'inspire des châteaux des XVIe et XVIIe siècles français et italiens. La partie la plus spectaculaire est l'escalier d'honneur se développant dans le hall d'entrée.
Ayant accédé au péristyle, le visiteur découvre un plafond concave décoré de bas-reliefs de Jean Lagrange. Dans les angles, les symboles des arts et des métiers; dans les caissons octogonaux, les différentes étapes de la vie du citoyen, et c'est pour les anars que l'on fait le détour : après La Naissance et Le Mariage, Le Vote y précède La Mort. Ils furent achevés en 1866.

- 90, rue des Archives, MH : Vestiges de l'ancienne chapelle Saint-Julien-des-Enfants-Rouges, de 1533.

78, rue des Archives. Atget. Gallica
- 78, rue des Archives (et 12 rue Pastourelle), MH : Ancien hôtel Amelot de Chaillou, ou hôtel de Tallard du 18ème siècle, de Pierre Bullet.

- 76, rue des Archives (et 19-21 rue Pastourelle), MH : Hôtel Le Pelletier de Souzy, de 1642.

70, rue des Archives. Atget. Gallica
- 70, rue des Archives, MH : Hôtel de Michel Simon ou de Montescot, de 1728.

- rédaction de la Scène Ouvrière, 68, rue des Archives, durant l’année 1931. L'ex hôtel Pomponne de Refuge, puis de Vougny à compter de 1728, fut le premier siège de la Fédération du Théâtre Ouvrier de France (permanence tous les samedis de 14 à 17h), dont le congrès constitutif avait eu lieu le 25 janvier 1931.
La création de la FTOF a mis à l’ordre du jour la transformation des troupes de théâtre amateur en groupes d’agit-prop, et instauré le sectarisme : le numéro 3 de la Scène Ouvrière, en mars 1931, lance à son tour l’anathème sur La Muse Rouge. Mais la revue a surtout pour rôle de fournir un répertoire : son numéro suivant propose une saynète, « A bas le sport bourgeois », qui a pour épilogue : « Travailleurs, le sport bourgeois est pourri, le sport bourgeois c’est le militarisme. Adhérez à votre organisation sportive de classe, à la FST. Formez des comités de spartakiade pour envoyer des délégués à Berlin en juillet. »  On y trouve encore un appel « Aux métallos ! », chœur parlé pour 12 à 20 personnes s’adressant à ceux de chez Citroën, Renault et Peugeot, qui scanderont « Vive le front unique des travailleurs ! A bas les chefs traîtres réformistes ! A bas la guerre contre l’URSS ! Vive l’unité syndicale de classe CGTU ! » Dedans, un portrait de M. Citroën, « qui perd 12 millions par nuit », deux ans avant les « actualités » que Prévert fournira sur le même thème. Enfin un autre chœur parlé, pour une douzaine de participants, proteste contre l’enlèvement du militant communiste N’Guyen van Tao par la police de Chiappe.

- en tournant rue Pastourelle, on marche entre les flancs de l'hôtel Amelot de Chaillou, ou de Tallard à gauche, et l'hôtel Le Pelletier de Souzy à droite, puis:

- 6, rue Pastourelle, MH : Immeuble dit hôtel Beautru de la Vieuville ou Bertin de Blagny, du 18ème siècle.

- 29, rue de Poitou (et 15, rue de Saintonge), MH : boulangerie de 1900. Le décor est d'une grande qualité ; il provient du célèbre atelier de décoration Benoist et Fils spécialisé dans le décor des magasins d'alimentation (1885-1936) ; l'installateur est Ripoche. La façade de la boutique se compose d'un coffrage de bois très simple, mouluré et décoré par quatre toiles peintes fixées sous verre : une inscription, un paysage (moulin), une semeuse et un moissonneur (ce panneau a été refait). L'intérieur est entièrement décoré dans ses parties hautes de toiles peintes fixées sous verre. Le plafond se compose d'un grand ciel délimité par un feston ; il rappelle un plafond de Watteau. Ce thème est très fréquent dans l'atelier Benoist ; aux angles, les quatre saisons sont représentées par des paysages... Deux autres fixés représentent la moisson et les semailles. Les corniches sont ornées de guirlandes de fleurs : anémones - roses - lilas. L'ensemble de ce décor est très caractéristique de l'atelier de Benoist. Le mobilier ancien subsiste : une caisse et deux dessertes de marbre.

- domicile de Karl Marx, 10 rue Neuve-de-Ménilmontant (auj. Commines). Marx y arrive en mars 1848 et y restera un gros mois ; il apporte avec lui le Manifeste communiste, qu’Ewerbeck veut se charger de faire traduire, à Paris, en italien ("Uno spettro s'aggira per l'Europa - lo spettro del comunismo.") et en espagnol ("Un espectro se cierne sobre Europa: el espectro del comunismo."), et il attend des fonds pour ce faire.

Les bâtiments contemporains de Marx:
- 14 rue Commines, PLU : Remarquable immeuble Louis-Philippe. Façade ornée au premier étage d'une serlienne à colonnes corinthiennes que surmonte un fronton. Garde-corps en fonte à motifs de palmette. La porte cochère avec ses vantaux en bois sculptés et une belle imposte en fonte, est encadrée de pilastres doriques laurés. Le passage-vestibule, voûté d'arêtes, a conservé une torchère dans une niche. L'aile de droite renferme un grand escalier dont les barreaux sont parfaits en leurs extrémités d'un motif végétal qui s'enroule sous la main courante. Remarquable revers de la façade sur rue avec un balcon au premier au-dessus de l'entresol. La cour, aujourd'hui parasitée, se terminait par un mur en hémicycle avec une fontaine.
-16 rue Commines, PLU : Immeuble de la première moitié du XIXe siècle présentant une façade en avant-corps bornée de refends composée de quatre travées et de trois étages carrés sur rez-de-chaussée. Le rezde-chaussée simule un faux appareil de pierre. Décor de pilastres au troisième étage. Dais sur consoles au-dessus des fenêtres du premier étage. Chambranles moulurés. Persiennes. Porte piétonne et fenêtre du rez-de-chaussée en plein cintre. Corniche à modillons à la retombée du toit.
- 19 rue Commines, PLU : Immeuble de rapport Louis-Philippe construit par l'architecte Villemsens en 1847 et présentant une façade en pierre de taille composée de cinq travées et de quatre étages carrés sur rez-de-chaussée. Elle est percée de baies aux embrasures biaises peu courantes.

- le café Schiever, passage Saint-Pierre-Amelot. Un lieu de réunion de la Ligue des justes, le café Schiever, était juste de l’autre côté du boulevard des Filles-du-Calvaire, passage Saint-Pierre-Amelot dans le 11e arrondissement.

- bistrot et goguette, rue de la Folie-Méricourt, face à la cité Popincourt. A la fin de 1933, Lazare Fuchsman, l’un des membres du groupe Octobre, y vit arriver Jacques Prévert vêtu d’une soutane, et se mettre à tenter de ramener à Dieu tous les enragés communistes présents. Après quoi, naturellement, tout finit par des chansons.