(sixième épisode de Paris des avant-gardes, commencé avec l'article d'août 2012)
Le naturalisme, c’est la République mise en mots
Le naturalisme, c’est la République mise en mots
Les Goncourt à Auteuil.
C’est chez Jeanne de
Tourbey que Courbet a rencontré Khalil Bey, l’ambassadeur turc qui lui
a commandé L’Origine du monde.
Mais cette demeure extraordinaire échappe aux Bichons et ils se rabattent sur
une autre qui ne l’est guère : 53 (auj. 67), boulevard Montmorency, à
Auteuil, dans un lotissement aménagé par le même architecte, Charpentier.
Dans la lointaine plaine de Passy, il n’y avait guère que Jules Janin, qui y occupait une
parfaite copie de chalet suisse aux galeries de bois découpé et au toit
largement surplombant : « Il fallait un certain courage pour
s’installer dans ce désert, sur une voie à peine tracée, et pendant trois
hivers, nous restâmes seuls, effrayés de cette solitude et de ce grand
silence. »
Désormais, sur le parc et le château de Boufflers, qu’a
achetés Émile Pereire pour faire
passer le chemin de fer de ceinture, la « Villa Montmorency » s’ouvre
par un portail monumental où quatre cariatides supportent un linteau affichant
son nom, derrière lequel une cinquantaine de maisons, souvent occupées par des
Anglais, ont déjà été construites en 1860, autour d’un rond-point orné
d’une fontaine, parfois en brique et généralement du type qui s’élève au même
moment à Trouville, Dinard ou Arcachon. C’est dans une maison louis-philipparde
que les Goncourt emménagent le 19 septembre 1868, six semaines après l’avoir
achetée. Au rez-de-chaussée, un vestibule, la cuisine, la salle à manger ainsi
qu’un grand et un petit salon. Le 1er étage est celui
d’Edmond : bureau, chambre, salle de bains, cabinet dit « de
l’Extrême-Orient ». Le 2e est à Jules, avec sa chambre et deux
petites pièces inoccupées.
Après le long bagne journalistique qui vient de le conduire
à la rubrique théâtrale du nouveau Journal Officiel, Gautier est nommé bibliothécaire de la princesse Mathilde, aux appointements
de six mille francs par an. Il vient de l’apprendre de la bouche de Sainte-Beuve, et il demande aux
Goncourt si la princesse « a vraiment une bibliothèque ? »
A la fin de l’année, les deux frères font la connaissance
de Zola, qui dîne chez eux dès le 14
décembre et, lorsque leur roman suivant, Madame
Gervaisais, est prêt de sortir, ils lui préparent ce qu’il pourrait en
dire : « Un livre où les auteurs de Germinie Lacerteux ont
essayé de donner une note nouvelle et inattendue ; un livre qui, sous la
forme émouvante du roman, va entrer dans la bataille religieuse du temps
présent. »
Zola fera effectivement ce papier de lancement, doublé deux
mois plus tard d’une longue étude, qui se résume ainsi : « C’est là
tout le livre : un cas psychologique, compliqué d’un cas
physiologique. » Un autre jeune homme de 28 ans, comme Zola d’origine
provençale et monté pauvre à Paris, vient de publier le Petit Chose, conte où est décrite la maison qu’il habita
au coin de la rue des Abbayes et de la rue Bonaparte (emplacement actuel du
square Laurent Prache) et que la formation de la place Saint-Germain-des-Prés a
fait disparaître.
Le premier des Rougon.
Zola, et sa compagne, tout en restant aux Batignolles, sont
passés du 4e sur la cour du 23 rue Truffaut, lieu de l’écriture de Madeleine Féra, à un
pavillon avec jardin de la rue La Condamine, au n° 14, où il est possible
d’accueillir un ami aixois, Paul Alexis. De là, Zola expédie à
l’éditeur Lacroix une liste de dix romans, le premier, La Fortune des Rougon, étant joint à l’envoi, le tout devant
former L'Histoire d'une famille, fresque satirique, commençant au coup
d'Etat du 2 décembre 1851, des groupes sociaux bénéficiaires du régime
impérial. Albert Lacroix accepte
aussitôt et lui propose un contrat à long terme lui garantissant une
rémunération mensuelle de 500 francs.
Le 19 juillet 1869, le portier du 42 boulevard du Temple
réveille Flaubert, à l’aube, pour
lui remettre une dépêche qui annonce la mort de Bouilhet, à quarante-sept ans. Flaubert, à qui sa mère a pu
reprocher que « la rage des phrases [lui ait] desséché le cœur »,
rien qu’en apercevant par la vitre du train les clochers de Mantes, où Bouilhet
a vécu si longtemps, a « cru devenir fou », - « et je suis sûr
que je n’en ai pas été loin », écrira-t-il. Arrivé à Rouen, dans le jardin
de son ami, il « se roule sur l’herbe, profère des choses
inintelligibles ».
Brébant en 1933. Meurisse. Gallica |
Sainte-Beuve meurt trois mois plus tard, Flaubert et Sand suivent tous deux son enterrement
mais ne parviennent pas à se rejoindre tant la foule est considérable. Flaubert
a transporté ses pénates parisiennes dans la toute récente rue Murillo, au 4e
étage du n° 4, - « Vue admirable » écrit Georges Sand qui le visite
alors qu’il est encore en travaux -, et Magny étant trop attaché au souvenir de
Sainte-Beuve, Flaubert fait déplacer la société chez Paul Brébant, à l’angle des 32 boulevard Poissonnière et 2 rue du
faubourg Montmartre.
Et avec tout ça, l’Éducation
sentimentale a quand même fini par être mise en vente chez Michel Lévy le 17 novembre 1869, à
quatre jours des élections complémentaires de Paris, alors que l’empereur tarde
toujours à convoquer le Corps législatif après le succès de l’opposition en
province. A part celle de Zola, les critiques favorables ne sont guère
nombreuses dans la presse, et les bourgeois de Rouen trouvent qu’« on
devrait empêcher de publier des livres comme ça, (textuel), » écrit
Flaubert à Sand, « que je donne la main aux rouges, que je suis bien
capable d’attiser les passions révolutionnaires, etc. ! etc. ! »
Le 12 janvier 1870, Gautier se trouve au milieu des
mouvements populaires qu'a provoqués la mort de Victor Noir : cent mille personnes accompagnent la dépouille
au cimetière de Neuilly, et la rue de Longchamp est derrière. Il n’en va pas
moins dîner chez la princesse Mathilde. Cinq jours plus tard, à un autre dîner,
sans doute chez Flaubert, Maxime Du Camp,
de façon assez inattendue, propose à Tourgueniev
de suivre par le menu, de l’intérieur, l’exécution capitale de l’assassin Troppmann, affaire dont tout Paris
résonne. Du Camp ne fait pas de la littérature réaliste mais de la
sociologie ; il rassemble depuis plusieurs années déjà ses enquêtes sur Paris, ses organes, ses fonctions et sa
vie dans la seconde moitié du XIXe siècle.
L'enterrement de Victor Noir. Les hommes ont coupé les traits des chevaux pour tirer eux-mêmes le corbillard. Gallica |
Rendez-vous est pris pour le lendemain soir à 11 heures,
devant la statue du prince Eugène, (à l’emplacement de l’actuelle place Léon
Blum) d’où l’on montera jusqu’à la Grande-Roquette toute proche (168, rue de la
Roquette).
Une exécution capitale.
A leur arrivée, la foule qui attend là tous les jours est
parcourue d’une onde ; « - On vous prend pour le bourreau »,
explique Du Camp au géant russe qui en a la stature. On gagne les bureaux du
commandant de la place, on ressort voir assembler la guillotine, et retour à
l’appartement directorial où l’on somnole entre le punch et le chocolat, servi
à l’arrivée de l’aumônier, à 6 heures. A 6 h 20, un groupe de quatorze
personnes se dirige vers la cellule du condamné pour quarante minutes d’un
cérémonial absurdement compliqué avant que sa tête ne tombe.
Du Camp et Tourgueniev hèlent ensuite un sapin,
comme on appelle les fiacres, jamais si bien nommés qu’aujourd’hui, et ils
rentrent sans naturellement pouvoir parler d’autre chose, Tourgueniev jusqu’au
50 rue de Douai, où il loge avec le couple Viardot, Du Camp descendant ensuite
la rue de Saint-Petersbourg, pour retrouver le ménage Husson, qui partage son
appartement depuis déjà cinq ans.
A quatre heures de l’après-midi, Tourgueniev est déjà chez George
Sand, 5 rue Gay-Lussac ; elle ne l’a pas vu depuis plus de vingt ans,
quand il commençait d’accompagner partout son amie Pauline Viardot : « Il est charmant, la vieillesse, les
cheveux blancs, la barbe l’ont embelli. Il parle mieux français. »
Tourgueniev lui raconte évidemment la fin de Troppmann.
Le surlendemain soir, George descend à pied jusque chez
Magny, pour tomber sur le télégramme d’excuse de Théo : il est
malade ; elle dîne donc seule avec Flaubert. Puis le « vieux
troubadour » et sa « chère maître » reviennent à pied jusque
chez elle, fument et causent une heure, enfin vont jusqu’à l’Odéon voir deux
actes de l’Affranchi, supputant si la pièce va tomber, celle de Sand
faisant la queue derrière.
Jules n’aura pas trouvé le calme dans la maison d’Auteuil,
gêné par les enfants des voisins et par le train de la Petite Ceinture ;
il s’y éteint le 20 juin 1870 ; il n’a pas quarante ans. Dans la période où
il était si amoindri, Edmond a été sur le point de le tuer pour se suicider
ensuite, ainsi qu’il l’avoue à Flaubert. Il demandera plus tard à son exécuteur
testamentaire de publier cette lettre, en « témoignage que je n’ai
pas été, ainsi que le dit Champfleury,
un animal à sang froid, mais que j’étais un être sensible, et que j’ai
vraiment, vraiment aimé sur la terre ! » Pareillement, « Théo,
qu’on accuse d’être un homme sans cœur, pleurait à seaux » à l’enterrement
de Jules, raconte Flaubert à sa nièce. Ces hommes aiment ; en tous cas,
ils aiment leurs amis, leurs frères.
La faute au classicisme.
C’est maintenant la guerre qui s’annonce. Le 22 août 1870,
Edmond de Goncourt note dans leur Journal où il a repris la plume de Jules :
« Je vais voir Gautier qui pleure avec moi, la maison qu'il a arrangée, l'angelus
ridens et artistique de sa vieillesse », et qu’il faut quitter devant
l'avance allemande. La Fortune des Rougon, qui avait commencé d’être
publiée dans le Siècle à la fin de juin, est interrompue par la
guerre ; Zola quitte Paris le 7 septembre. Le 17, Gautier se réfugie avec
ses sœurs à Paris, 12 rue de Beaune, dans un « logement d'ouvrier »
comme le qualifie Edmond ; quelle injustice quand on songe aux fortunes
que se font des auteurs comme Ponson du Terrail ! Dans son désespoir, il
ne trouve qu’un responsable à tous les maux dont souffre la France :
« c'est le classicisme ».
Le 10 décembre, Edmond note dans le Journal : « Tout
le monde fond, tout le monde maigrit (..) Gautier se lamente de porter des
bretelles pour la première fois : "son abdomen ne soutenant plus son
pantalon ". »
Néanmoins, Gautier demande à Victor
Hugo une intervention en faveur de sa jument Catherine : « Théophile
Gautier a un cheval, ce cheval est réquisitionné. On veut le manger. Gautier
m'écrit et me prie d'obtenir sa grâce, note Hugo. Je l'ai demandée au ministre.
J'ai sauvé le cheval. »
Mais la Commune tuera l’homme... deux ans plus tard, le 23
octobre 1872. C’est ce qu’affirme Flaubert à Sand : « Moi, je vous
dis qu’il est mort du dégoût « de la charognerie moderne ». C’était
son mot. Et il me l’a répété cet hiver plusieurs fois. « Je crève de la
Commune ! », etc. »
Pour Flaubert, la Commune, le commun, le règne de la plèbe,
la démocratie, la république, c’est tout un : « Le 4 septembre a
inauguré un ordre de choses où les gens comme lui n’ont plus rien à faire dans
le monde... » C’est pourtant le 4 septembre qui a éradiqué la Commune
comme Rome l’avait fait de Carthage ; quand il écrit des romans, Flaubert
est plus perspicace. Reste qu’à part Edmond de Goncourt et Tourgueniev tous les
confrères l’horripilent, et qu’ils ne sont plus que « quelques fossiles
qui subsistent, égarés dans un monde nouveau. »
Alors on serre les rangs mais on élargit un peu le
cercle : Flaubert fréquente les jeudi de Pauline Viardot, rue de Douai,
autant dire ceux de Tourgueniev - « Il n’y a que le bon Tourgueniev qui me
cause une satisfaction complète ! Quel homme ! quelle
conversation ! quel goût ! Je lui ai lu Saint Antoine ; il m’en a paru content... » - et y
retrouve un peu de joie : à l’occasion du carnaval de 1873, il arrivera
jusqu’aux oreilles de George Sand qu’il s’y est taillé « un si beau
succès, en pâtissier ».
Après la Commune.
Dès l’été de 1869, Flaubert avait repris son vieux Saint-Antoine,
trois ans plus tard, il en avait fini, mais il le gardait « dans un bas
d’armoire », s’étant fâché avec Michel Lévy qui ne lui avait donné que
16 000 francs de l’Éducation sentimentale quand lui se rappelait
avoir conclu à 20 000. Depuis, Flaubert s’amuse avec les éditeurs :
« je leur fais monter mon escalier plusieurs fois, sans leur donner de
réponse définitive, bien décidé à ne traiter avec aucun. » Georges Charpentier semble tout de même
le mieux reçu ; l’éditeur vient de prendre le relais d'Albert Lacroix pour
ce qui est du cycle de Zola : il a publié La Fortune des Rougon et La Curée et mensualise l’auteur
aux conditions précédentes.
On voit maintenant Zola, et Daudet, chez Mme Viardot.
Tourgueniev est invité à Auteuil. Le 16 mars 1873, Edmond de Goncourt rencontre
Alphonse Daudet dans l'appartement
parisien de Flaubert, au parc Monceau. Un an plus tard, les liens sont déjà
assez forts pour que l’on se fabrique un mini-Magny à cinq, qui deviendra le
« dîner des auteurs sifflés » quand Flaubert, attiré sur les planches
par la reprise d’un canevas laissé par son ami Bouilhet, aura écrit et donné le
11 mars 1874, au Vaudeville, le Candidat.
« Pour être un Four, c’en est un ! », écrit-il aussitôt à sa
« chère maître ».
Flaubert en était donc pour l’échec de son Candidat,
Zola avec Les Héritiers Rabourdin,
Goncourt avec Henriette Maréchal,
Daudet pour son Arlésienne.
« Quant à Tourgueniev, expliquera Daudet il nous donna sa parole qu’il
avait été sifflé en Russie, et, comme c’était très loin, on n’y alla pas
voir. »
C'est au café Guerbois que Manet rencontre le graveur Émile
Belot, qu'il peint dans le Bon
Bock, et cet autre graveur, et poète, Marcellin Desboutin, qui est son modèle pour l'Artiste, comme il sera celui de Degas dans l'Absinthe,
aux côtés de l'actrice Ellen Andrée.
On a voulu voir dans le Bon Bock une protestation nationaliste, un de
ces Alsaciens, doté de ses attributs provinciaux, pipe et bière, que la guerre
venait de nous arracher. Il y avait plutôt là les armes du réalisme de la brasserie
Andler, dans une truculente manière hollandaise qui allait être bien reçue du
Salon. Mais dans ce qui se buvait chez Guerbois, dans le passage du bock à
l’absinthe, se manifestait aussi la transition d’une école à l’autre.
Flaubert a finalement vendu son Saint-Antoine à
Charpentier, « à d’excellentes conditions ». La Tentation est
parue d’abord en Russie, en traduction, et elle est mise en vente à Paris le 31
mars. Aussi va-t-il pouvoir s’atteler, « dans 6 semaines », à un
« effrayant bouquin » qui lui « demandera quatre ou cinq
ans ». Il s’agit de Bouvard et
Pécuchet. Depuis des mois déjà, il se livre à des lectures
préparatoires, et rien que pour situer le domicile de ses deux bonhommes, il a
fait des repérages à Dieppe, à Paris, à Saint-Gratien, dans la Brie et dans la
Beauce, sans compter la route qui va de La Loupe à Laigle. En une journée, il a
été de Paris à Rambouillet en chemin de fer, de Rambouillet à Houdan en
calèche, de Houdan à Mantes en cabriolet, puis re-chemin de fer jusqu’à Rouen pour
arriver à Croisset à minuit. « Prix : 83 francs ; car il en
coûte pour faire de la littérature consciencieuse ! »
De l’indépendance de l’art.
Il en coûte aussi de faire de la peinture. Paul Alexis,
dans l’Avenir national, conseille aux artistes de prendre en mains
l’organisation d’une exposition indépendante régulière et de s’associer en
corporation. C’est ce qu’essayaient de faire quelques peintres réunis autour de
Monet, qui lui disent compter sur
l’appui de son journal à leurs projets : se crée bientôt une
« Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs » –
Manet et James Tissot refusent pourtant d’y adhérer -, et une exposition de 165
œuvres s’ouvre pour un mois dans le local que leur prête Nadar, 35 boulevard
des Capucines, à l'angle de la rue Daunou, au 2ème étage, le 15 avril 1874.
L’entrée est payante, le catalogue également. Outre Impression, soleil levant, de Monet, est exposé aussi son Boulevard des Capucines, vu
d’une fenêtre, en plongée, montrant une foule de passants réduits à des points
minuscules sous un ciel d’hiver plombé.
« Quand on ne s’adresse pas à la Foule, il est juste
que la Foule ne vous paye pas, écrivait Flaubert à George Sand au milieu de son
conflit avec Michel Lévy. C’est de l’Économie Politique. Or je maintiens qu’une
œuvre d’art (digne de ce nom et faite avec conscience) est inappréciable, n’a
pas de valeur commerciale, ne peut pas se payer. Conclusion : si l’artiste
n’a pas de rentes, il doit crever de faim ! Ce qui est Charmant. Et
on parle de l’indépendance des lettres ! On trouve que l’Écrivain, parce
qu’il ne reçoit plus de pension des grands, est bien plus libre, bien plus
noble. Toute sa noblesse sociale maintenant consiste à être l’égal d’un Épicier.
Quel progrès ! »
Edmond de Goncourt a en projet de léguer sa fortune à une
académie, qui verserait à dix hommes de lettres une pension de 6 000
francs, et doterait un prix annuel de prose d’une récompense de 5 000
francs. Un premier testament, qu’il rédige le 14 juillet 1874, fait
académiciens : Gustave Flaubert, Paul
de Saint-Victor, Louis Veuillot,
Théodore de Banville, Barbey d’Aurevilly, Eugène Fromentin, Philippe de Chennevières, conservateur du musée du Luxembourg,
nommé six mois plus tôt directeur des Beaux-Arts, Émile Zola, Alphonse Daudet
et Léon Cladel.
La Conquête de
Plassans, le quatrième volet des Rougon-Macquart, est paru et, au mois
de mars 1875, le cinquième, La Faute
de L'abbé Mouret. Zola perçoit désormais une rétribution
proportionnelle aux ventes, c’en est définitivement fini de ses problèmes
financiers. Le couple emménage 21 rue Saint-Georges (auj. des Appenins), reçoit
le jeudi. Henry Céard s’y rend, y
amènera ensuite Huysmans ; Paul
Alexis, qui a rencontré Maupassant
chez Flaubert, le conduit chez Zola. « Et ce fut là que se rencontrèrent,
pour la première fois, un groupe de jeunes hommes, que les journaux ont désigné
sous cette appellation énormément spirituelle : « la queue de
Zola » ».
Ils étaient une demi-douzaine...
Les
mauvaises affaires du mari de sa nièce, à laquelle Flaubert sacrifie tout pour
l’aider, le menacent d’une ruine complète. Il manque devenir fou, « très
sérieusement ». Il abandonne son « grand roman », son
« chien de roman », qui est au-dessus de ses forces, et songe à un
petit conte, la légende de saint Julien l’Hospitalier, « pour voir [s’il
est] encore capable de faire une phrase ». Il déménage et va occuper un
appartement contigu de celui de sa nièce, à l’angle du Faubourg-Saint-Honoré et
du boulevard de la reine Hortense (auj. av. Hoche). « Les fenêtres donnaient
sur une mer de toits, hérissés de cheminées, raconte Zola. Flaubert ne prit
même pas le soin de le faire décorer. Il coupa simplement des portières dans
son ancienne tenture à ramages. Le bouddha fut posé sur la cheminée, et les
après-midi recommencèrent dans le salon blanc et or, où l’on sentait le vide,
une installation provisoire, une sorte de campement ». Ses fidèles du
dimanche sont « d’abord le grand Tourgueniev qui est plus gentil que
jamais, Zola, Alphonse Daudet et Goncourt. »
Ce
qui ne signifie pas une totale identité de vues : « Voilà deux hommes
que j’aime beaucoup et que je considère comme de vrais artistes :
Tourgueniev et Zola, écrit Flaubert à George Sand. Ce qui n’empêche pas qu’ils
n’admirent nullement la prose de Chateaubriand et encore moins celle de
Gautier. Des phrases qui me ravissent leur semblent creuses. (...) Goncourt,
par exemple, est très heureux quand il a saisi dans la rue un mot qu’il peut
coller dans un livre. Et moi très satisfait quand j’ai écrit une page sans
assonances ni répétitions. » Et, dressant plus loin un parallèle entre
Daudet et Zola : « L’un a le charme et l’autre la Force. Mais aucun
des deux n’est préoccupé avant tout de ce qui fait pour moi le but de l’Art, à
savoir : la Beauté ! »
Pourtant
quand il se terre à Croisset, à Paris, « on ne sait plus que faire le
dimanche », lui écrit Zola à l’hiver de 1876, « au nom de tout le
petit cénacle » ; Flaubert « lui gâte son hiver ».
Au printemps suivant, Flaubert surmonte sa répugnance pour
la presse et laisse paraître Saint
Julien, le petit conte écrit près de deux ans plus tôt, dans le Bien
public ; deux autres, Un
cœur simple et Hérodias
sont publiés dans Le Moniteur universel. C’est le moment que choisit
« la queue de Zola », ces jeunes nés autour de 1850 que sont Paul
Alexis, Henry Céard, Léon Hennique,
J.K. Huysmans, Guy de Maupassant et Octave
Mirbeau, pour inviter à dîner chez Trapp, 109 rue Saint-Lazare, à côté de
la gare, le lundi 16 avril 1877, Flaubert, Goncourt et Zola. « Ils étaient
une demi-douzaine chez Trapp, lira-t-on dans les Cloches de Paris. Ils
ont 3 maîtres : Gustave Flaubert, Ed. de Goncourt, Émile Zola ».
L’habitude s’installera d’y voir le dîner de fondation du naturalisme, et l’on
retrouvera l’étiquette dans Le Gaulois un peu plus tard : « les
naturalistes admirent Flaubert, comme de raison. La perfection de son style les
jette... dans un véritable découragement » ; ils savent l’Éducation
sentimentale par cœur.
Flaubert maître d’école.
Une école ? « Mais je m’abîme le tempérament à
tâcher de n’avoir pas d’école ! (...) Je regarde comme très secondaire le
détail technique, le renseignement local, enfin le côté historique et exact des
choses, ose-t-il écrire à George Sand, lui qui pour Bouvard et Pécuchet
aura lu 1 500 volumes ! Je recherche par-dessus tout, la Beauté, dont
mes compagnons sont médiocrement en quête. »
Ce qu’il préfère chez « les jeunes gens », comme
il les appelle, ce qui lui paraît le plus « rafraîchissant », c’est
la pochade de salle de garde qu’écrit Guy de Maupassant, et pour les
répétitions de laquelle il hisse sa grande carcasse de vieux colosse jusqu’au 5e
étage de l’atelier de Maurice Leloir,
quai Voltaire, se déshabillant un peu plus à chaque étage, en compagnie parfois
du Moscove. Il est vrai que Maupassant est le fils d’une amie d’enfance et, à
ce titre, son protégé.
Le lit Valtesse/Barbedienne |
A la deuxième représentation de A la feuille de rose, qui se donne dans l’atelier du peintre
Becker, 26 rue de Fleurus, ils sont là, le Moscove et lui, en compagnie
d’Edmond de Goncourt, de Zola, qui boucle le déménagement que lui a permis le
succès de l’Assommoir, au 23
rue de Boulogne (auj. Ballu), et l’achat, à Médan, d’« une cabane à
lapins » ; de la toujours truculente Suzanne Lagier, et de Valtesse
de la Bigne que l’on reverra bientôt, elle, son hôtel du 98 boulevard
Malesherbes et son lit par Barbedienne, dans Nana. Les «jeunes gens » qui n’y sont pas acteurs en
sont, bien sûr, spectateurs eux aussi.
Flaubert ne va plus cesser de s’enquérir de cette
récréation : « Et la feuille de rose, que devient-elle ? Quand
la verra-t-on ? » demande-t-il à Zola quand il parle d’autre chose que de
l’horreur des temps. « Mon ami Zola veut fonder une école. Le succès l'a
grisé, tant il est plus facile de supporter la mauvaise fortune que la bonne,
écrit-il à Edma Roger des Genettes. Je crois que personne n'aime plus l'art, l'art
en soi. Où sont-ils ceux qui trouvent du plaisir à déguster une belle phrase ?
Cette volupté d'aristocrate est de l'archéologie. » Ou encore, à la
même : « Ah ! Pauvre littérature, où sont tes desservants ? Qui aime
l'art, aujourd'hui ? personne. (voilà ma conviction intime.) les plus
habiles ne songent qu' à eux, qu' à leur succès, qu' à leurs éditions, qu' à
leurs réclames ! Si vous saviez combien je suis écœuré souvent par mes
confrères ! Je parle des meilleurs. »
Le 9 mai 1878, il rend à ses presque pas encore confrères,
avec Zola et Goncourt, leur dîner Trapp, en invitant chez Riche les « jeunes
réalistes, naturistes, naturalistes, qui nous ont traité l’année
dernière », comme Edmond les nomme superlativement dans son Journal.
Miss Lala que se disputent Edmond et Degas |
Edmond revient au roman, huit ans après la mort de son
frère, un roman réaliste certes mais choisissant son sujet ailleurs que dans le
peuple ; l’histoire de deux frères, justement, des clowns, des acrobates,
dont une femme brise l’unité, provoquant un accident qui laisse le cadet
infirme. Pour sa documentation, il va dans l’atelier de Degas, 19 bis rue
Fontaine, voir Miss Lala, la fameuse
acrobate du cirque Fernando, que le peintre, qui la fait poser à ce moment-là,
met à sa disposition. Si le réalisme est le reflet de la réalité, il peut
choisir, du réel, le beau plutôt que le laid.
[Miss Lala est au cirque Fernando, en gros, de la mi-décembre 1878 (exactement du mardi 10 décembre) à la mi-février 1879, avant le Cristal Palace de Londres. Elle y est à nouveau à partir du 25 octobre 1879; ce soir-là, Miss Kaira fait une chute (Le Figaro du lendemain, p.3). Et à l'Hippodrome du Champ-de-Mars à l'automne 1897. Il est question de la visite au cirque dans le Journal des Goncourt à la date du 11 février 1879 : "le travail de la note d'après nature, de la saisie rapide et fiévreuse pendant toute une soirée, dans un cirque, de ces riens qui durent une seconde..." Degas, lui, y était les 19, 21, 24 et 25 janvier.]
[Miss Lala est au cirque Fernando, en gros, de la mi-décembre 1878 (exactement du mardi 10 décembre) à la mi-février 1879, avant le Cristal Palace de Londres. Elle y est à nouveau à partir du 25 octobre 1879; ce soir-là, Miss Kaira fait une chute (Le Figaro du lendemain, p.3). Et à l'Hippodrome du Champ-de-Mars à l'automne 1897. Il est question de la visite au cirque dans le Journal des Goncourt à la date du 11 février 1879 : "le travail de la note d'après nature, de la saisie rapide et fiévreuse pendant toute une soirée, dans un cirque, de ces riens qui durent une seconde..." Degas, lui, y était les 19, 21, 24 et 25 janvier.]
L’écriture qui sent bon et la République.
« Le Réalisme (...) est venu au monde aussi, lui, pour
définir dans de l’écriture artiste, ce qui est élevé, ce qui est joli, ce qui
sent bon », explique la préface des Frères
Zemganno, qui paraît le 30 avril 1879 chez Charpentier. Au même
moment, Zola affirme que le réalisme est la République mise en mots :
« Aujourd’hui, notre République paraît fondée, et dès lors elle va avoir
son expression littéraire. Il doit y avoir accord entre le mouvement social,
qui est la cause, et l’expression littéraire, qui est l’effet. Cette
expression, selon moi, sera forcément le naturalisme. »
Au réalisme, au nom si incertain, l’éditeur Charpentier
fournit des fonts baptismaux, littéralement : après avoir demandé à
Flaubert d’être le parrain de son deuxième enfant, et à Zola celui du
troisième, voilà qu’il sollicite Edmond pour le dernier. Les « jeunes
gens » ont en projet de lancer un hebdomadaire, La Comédie humaine,
auquel Ed. de Goncourt a promis de collaborer, dont la sortie est annoncée pour
le 15 octobre, puis pour le 6 novembre, et qui ne paraîtra jamais. Guy de
Maupassant, accompagné de Tourgueniev, dîne ce mercredi chez Nina dite de
Villard, 82 rue des Moines, au rez-de-chaussée devenu l’atelier de Franc-Lamy,
le jeune et nouvel amant de l’hôtesse qui, massive maintenant et aux charmes
débordants, joue au piano, en robe japonaise, du César Frank ; elle servira
de modèle physique à la mère d’Yvette.
Et Flaubert est mort. « Au fond, nous étions les deux
vieux champions de l’école nouvelle, et je me trouve bien seul
aujourd’hui », confie Edmond à son journal, le 8 mai 1880.
A l’académie posthume des Goncourt, Flaubert est remplacé
par Maupassant ; Eugène Fromentin, décédé en 1876, l’avait été par Paul Bourget. Paul de Saint-Victor, qui
meurt en 1881, laisse prendre place Henry Céard. « Le grand russe
Tourgueniev » s’est tu qui, rapporte Maupassant, de l’avis unanime de
Médan était, de tous les raconteurs de vive voix, « le plus merveilleux à
notre connaissance » et, chez Riche, les impressionnistes prennent la
place des auteurs sifflés. Les peintres qui viennent de tenir leur 6e
Exposition collective, 35 boulevard des Capucines, comme la première fois, et
au complet alors que l’année précédente Monet, Renoir et Sisley avaient
fait défaut au 10 rue des Pyramides, y ont décidé, pour célébrer l’unité
retrouvée, d’un dîner mensuel auquel Monet continuera de se rendre même quand
il habitera Giverny.
Les Daudet au grenier.
Les droits d'auteur de la réédition d’En 18..., ce livre qui avait été éclipsé par le coup d’État,
permettent à Edmond de faire aménager par Frantz
Jourdain, au deuxième étage de la maison d’Auteuil, ce
« Grenier » qui ressemble à « une des plus riches huttes de
l’Exposition universelle », à en croire Jules Renard. « Des trois chambrettes du second de la maison,
dans l’une desquelles est mort mon frère, il a été fait deux pièces. La moins
spacieuse ouvre sur la plus grande, par une baie qui lui donne l’aspect d’un
petit théâtre dont la toile serait relevée. De l’andrinople rouge au plafond,
de l’andrinople rouge aux murs, autour de portes, de fenêtres, de corps de
bibliothèques peints en noir ; et sur le parquet, un tapis ponceau semé de
dessins bleus, ressemblant aux caractères de l’écriture turque. Comme meubles,
des ganaches, des chauffeuses, des divans recouverts de tapis d’Orient, aux
tons cramoisis, aux tons bleus, aux tons jaunes, miroitants et
chatoyants. »
Les Daudet viennent, en avant-première, visiter ce Grenier,
qui ne sera inauguré que le dimanche 1er février 1885. Les
rencontres dominicales y seront désormais rituelles pour les dix ans à venir, à
l’exception des mois d'été. Quant aux Daudet, c’est le jeudi après-midi qu’on
se rend 31 rue de Bellechasse, si l’on y va pour Monsieur : il est assis
derrière son bureau du rez-de-chaussée, les quelques sièges, devant, sont
réservés aux dames et les autres restent debout. Julia, sa femme, reçoit le
mardi, dans une pièce décorée d’un marbre de Rodin et d’un de ses portraits,
par Renoir.
Les jeunes fréquentent aussi un autre
« grenier », d’un aussi jeune qu’eux, Robert Caze, un rescapé de la
Commune, qui reçoit le lundi, 44 rue Rodier, dans le tabac et dans la bière -
Edmond a cessé de fumer son paquet quotidien de Maryland le 10 mai 1882 -,
Huysmans, Hennique, Alexis mais aussi Pissaro,
Seurat et Signac, et les élèves de la classe de rhétorique du lycée Fontanes
(auj. Condorcet), Rodolphe Darzens et Ephraïm Mikhaël.
L’été, Edmond et les Daudet se transportent chez la
princesse Mathilde, à Saint-Gratien, et tout le monde à Champrosay, près de
Draveil, dans l’Essonne, où les Daudet ont acheté une maison au bord de la
Seine. La parution de l’Oeuvre
brouille Zola avec Cézanne, l’ami de jeunesse mais aussi avec Renoir et
Pissaro, qui ne le reverront pas. C’en est fini des jeux d’eau, « j’ai
trois canots qui pourrissent à Médan », avoue Zola, au Grenier. A quoi
Alphonse Daudet répond : « - Mais, il ne manque pas de jeunes gens,
ici, qui ne demanderaient, peut-être, qu’à ramer... » Ironie, sans
doute ; presque au même moment, à Champrosay, J.-H. Rosny aîné, pour « faire plaisir à Goncourt »
rédige un « manifeste des Cinq », « jeunes hommes soucieux de défendre
leurs œuvres – bonnes ou mauvaises – contre une assimilation possible aux
aberrations du Maître », entendez Zola, qu’il donne au Figaro, où la
publication de la Terre est
en cours.
Des académies incompatibles.
On peut croire que le jeune homme a fait plaisir, en effet,
puisqu’il prendra sur le testament de Goncourt la place d’Henry Céard, rayé
pour l’occasion. Quant au Maître, il n’a guère de rancune et sera l'un des
initiateurs, aux côtés de Daudet, Goncourt, Bourget, Barrès et Courteline,
d’une pétition publiée par Le Figaro en défense de Lucien Descaves, l’un des signataires
du « manifeste », et de ses Sous-offs
poursuivis par le ministre de la
Guerre.
A Auteuil, Edmond fait planter dans le jardin une
quarantaine de pivoines envoyées du Japon par Hayashi, collectionneur et marchand d'art qu’il a rencontré à
l’Exposition universelle de 1878, et revu à la galerie de Siegfried Bing, 22 rue de Provence, à l’angle de la rue Chauchat,
où Van Gogh étudie les ukiyo-e
de la maison et feuillette ses livres. Zola songe à l’Académie française, ce
qui est incompatible avec celle des Goncourt : « Je vois avec peine
M. Zola me quitter brusquement et abandonner, je ne dirai pas renier, ses
convictions d’autrefois. » Le voilà remplacé, sur le testament, par Octave
Mirbeau. La mort s’est chargée d’en ôter Barbey d’Aurevilly, auquel succède
Léon Hennique. De tous les jeunes des soirées de Médan, seul Paul Alexis n’y
figurera jamais.
Edmond fait placer sur la façade de la maison d'Auteuil, à
la rampe du balcon, un double du médaillon de Jules qu’il a demandé à Lenoir
pour la tombe de son frère. Dans son Là-bas,
Huysmans enterre le naturalisme de Zola, mais fait l'éloge de Flaubert et des
Goncourt. Edmond, dans le Journal, explique qu’il a certes voulu dématérialiser
le naturalisme mais qu’il a tout de même inventé des personnes «vivantes» alors
qu’il voit décadents et symbolistes se contenter de sonorités. Bourget et
Maupassant s’effacent du testament au profit de Rosny jeune et de Paul Margueritte qui fut signataire du
manifeste anti-Zola.
En 1892, des codicilles au testament d’Edmond prévoient, si
la réalisation de ses biens ne donne pas tout de suite les produits escomptés,
une période provisoire pour son académie avec, en place de pension, un dîner
mensuel à 20 F par tête pendant les mois de novembre à mai, et 1 200 F
pour le prix annuel. Ils indiquent également le critique d’art Roger Marx comme conseiller à la vente,
et désignent Siegfried Bing pour la dispersion des japonaiseries.
En 1894, Quand Jean
Grave est jugé, au nom des lois hyper-scélérates, pour son livre La Société mourante et l'anarchie,
Edmond de Goncourt, que La Libre
Parole de Drumont
accuse d'être plus corrupteur encore que l'anarchiste, fait parvenir, par
Frantz Jourdain, un témoignage en faveur de l'accusé.
Le 28 juin 1896, un dernier Grenier réunit à Auteuil Octave Uzanne, Georges Lecomte, romancier et critique d’art, et Gustave Toudouze, romancier. Edmond
s’éteint trois semaines plus tard, le 17 juillet, à Champrosay. Zola lui rend
hommage lors des obsèques.
Drumont et Zola aux cordons du poêle.
Le dernier état du testament listait : Alphonse
Daudet, J.K. Huysmans, Octave Mirbeau, J.-H. Rosny l’aîné, Rosny le jeune, Léon
Hennique, Paul Margueritte, le critique d’art Gustave Geffroy ; il y manquait deux noms pour arriver à dix.
Les héritiers naturels attaquent le testament ; les héritiers littéraires
l’emportent par un jugement du 5 août 1897, qui sera confirmé par la cour
d’appel le 1er mars 1900. Entre temps, Alphonse Daudet, l’exécuteur
testamentaire, est mort, à 57 ans, le 16 décembre 1897, au 41 rue de
l’Université où il venait de déménager. Édouard Drumont, dont le défunt a été
le témoin et dans un duel, et au tribunal, à la parution de la France juive, et Zola
tiennent les cordons du poêle. Pas même un mois plus tard, Émile Zola écrira au
Café Durand, 2 Place de la Madeleine, une lettre ouverte au président Félix
Faure que publiera l'Aurore : J'accuse.
L’Académie Goncourt est définitivement constituée en
1903 : Alphonse Daudet y a été remplacé par son fils, Léon ; pour les
deux noms manquants, on a élu Lucien Descaves et Elémir Bourges. Le roux Mirbeau grisonne déjà au-dessus de ses yeux
jaunes et de son teint brique, sillonné de plis ; Hennique a été blond, il
a toujours les yeux gris bleu ; Elémir Bourges, frileux au point de
prendre ses repas en pardessus, sous lequel il porte plusieurs gilets de laine
superposés, en semble encore élargi à côté de Paul Margueritte, très grand,
très frêle. Tous ne reçoivent provisoirement que 3 000 francs de pension,
la réalisation des japoneries, en baisse, n’ayant pas donné les produits
escomptés.
Dans les années qui suivent, les Goncourt, nom sous lequel
on n’entend désormais plus les frères mais les académiciens, éliront Jules
Renard, en remplacement de Huysmans, Judith
Gautier, puis Henry Céard pour lui succéder, en 1918, trente ans après qu’il
eut été rayé du testament.