Belleville ou la revanche du lapin


L’occasion de ce parcours a été une balade pour la librairie Le Genre urbain, désormais 30 rue de Belleville et alors rue de Tourtille.


- La dernière barricade de la Commune : elle tomba le 28  mai, à 13h. Ce fut, au choix, celle de la rue de Tourtille, au coin de la rue Ramponneau, dans le 20e, dont Lissagaray a peut-être été le dernier défenseur (Il sera en exil à Londres, l’amour des 18 ans d’Eleanor Marx, dite Tussy, la cadette ; il en a lui-même 34), si l’on en croit un dessin de Robida (né en 1848, il habita Belleville de 1869 à 1882, avant de filer sur Argenteuil) désignant celle-ci comme « la dernière barricade de la Commune ».

Mais ce fut peut-être celle de la rue de la Fontaine-au-Roi que l’on évoque en traversant Bisson, qui la prolonge : sur celle-là, tenaient encore Jean-Baptiste Clément, Théophile Ferré, délégué à la Sûreté générale et son frère Hippolyte, Varlin, un garibaldien... « Au moment où vont partir leurs derniers coups, une jeune fille venant de la barricade de la rue Saint-Maur arrive, leur offrant ses services. Ils voulaient l’éloigner de cet endroit de mort, elle resta malgré eux. A l’ambulancière de la dernière barricade et de la dernière heure, Jean-Baptiste Clément dédia longtemps après la chanson des Cerises », écrira Louise Michel.

0n a encore l’hypothèse de celle de la rue Oberkampf ? De celle de la rue Rébeval dans le 19mitoyen ? En tous cas, elle se situa dans le périmètre du croisement des rue et boulevard de Belleville.

0n remonte la rue de Belleville :
Le Paradis du théâtre de Belleville par Eugène Carrière
- théâtre de Belleville, 48 rue de Belleville. Dans ce théâtre que viendra peindre Eugène Carrière allant sur le motif du Paris ouvrier, « surprendre le peuple dans son intensité émotive », comme l’écrit Leyret, Nadaud, député, donne souvent des conférences sur le thème de l’urbanisme, lui qui est l’inventeur de l’aphorisme « quand le bâtiment va, tout va. »

0n croise :
- habitation ouvrière à bon marché, coopérative, 57 rue Julien Lacroix, statuts adoptés en 1903.

- manifestation du 14 juillet 1944, bd et rue de Belleville, jusqu’autour du métro Pyrénées. La manifestation est protégée par deux compagnies de FTP qui empêchent la police d’intervenir. Mais c’est en s’y rendant qu’Yves Toudic est intercepté faubourg du Temple et assassiné dans la rue par les brigades spéciales de la préfecture.

0n prend la rue Piat, puis à gauche, au bout, la rue des Envierges :
- établissements Continsouza, 18 villa Faucheur, 9 rue des Envierges. Fondés à la fin de novembre 1909, ils fabriquent des instruments de précision puis, comme Gaumont de l’autre côté de la rue de Belleville, des appareils cinématographiques, et emploient 300 ouvriers.
Source Gallica
La Vérité trotskiste est au 11, rue des Envierges en 1932.

0n croise la rue de la Mare :
- magasin de la Bellevilloise, 60 rue de la Mare, à partir de 1903 : alimentation générale, quincaillerie, articles de ménage.
La rue de la Mare, où habite Raymond Kojitsky, pseudo Pivert dans les FTP-MOI, est un vrai schtétl, dit-il. On y est communiste de père en fils. Henri Krasucki, son chef, qui serait né rue de Belleville, grandit dans les mêmes conditions ; ils se retrouvent au patronage de la Bellevilloise.

0n poursuit par la rue Levert et on croise la rue des Rigoles :
- villa des Rigoles, 61-63 rue des Rigoles, édifiée par la Société coopérative immobilière des ouvriers de Paris, vers 1868-70, coop qui regroupait 8 ouvriers : un ébéniste, un carrossier, un tabletier, un tailleur, un modeleur, un ferblantier, un ciseleur, un menuisier. Maisons groupées par deux, jardinets latéraux également accolés, disparues dans les années 70. La même société était à l’origine de 24 maisons individuelles cité des Pavillons, partiellement disparues.

Par Rigoles puis C. Berthaut, on arrive au :
- domicile de Camélinat, 135 rue de Belleville. C’est là que le vieux Communard, né en 1840, l’un des fondateurs de l’Internationale, directeur de la Monnaie en 1871, qui avait réussi à faire frapper 50 000 francs de pièces portant sur leur tranche « Travail, Garantie Nationale », avait raconté ses souvenirs à André Marty.
Son cortège funèbre partira de l’angle de la rue de la Villette avec la rue de Belleville en direction de la gare de Lyon-Messageries, le 13 mars 1932.

- Groupe d’œuvres sociales de Belleville, 162 rue de Belleville. Robert Garric, jeune agrégé de lettres qui a rencontré le peuple dans les tranchées de 14-18, s’est installé ici de 1924 à 28, avec d’autres catholiques inspirés par l’encyclique rerum novarum. Il y écrivit son Belleville ; il remarqua que les pièces de Montéhus mettaient toutes en scène de très beaux rôles de « prêtres des pauvres » opposés à la hiérarchie, et qu’elles étaient fort bien acceptées ici par le public révolutionnaire : « Au dernier tableau du Prêtre en guenilles, la brûlante vision du grand soir était projetée sur l’écran, et la salle debout et frémissante chantait l’Internationale. »

Source Gallica
- syndicat du personnel du Funiculaire de Belleville, 3 rue de Lassus. Fondé en 1910, il compte 60 membre à la veille de la première guerre mondiale, et nous rappelle ce tramway à câble souterrain qui descendait la Courtille comme l’avaient fait les ouvriers « dont la lampe le matin au clairon du coq se rallume », [1 h de trajet à pied le matin et autant le soir, disent les ouvriers de 48, qui s’ajoutent aux 10 h qui viennent d’être accordées ; et l’on ne peut pas habiter près de l’atelier car on en change trop souvent] ou les fêtards de Carnaval : « deux wagons exigus réunis par une plate-forme sur laquelle, derrière un appareil à sonnerie, se tenait le receveur. Le funi descendait sagement de l’église Saint-Jean-Baptiste à la place de la République, remontait lentement, stationnait sur une voie de garage... », comme le raconte Eugène Dabit.

- domicile de Victor Serge, 24 rue Fessart. C’est aussi l’imprimerie et le siège de l’anarchie (sans capitale) à compter de l’automne 1911. Avant d’arriver rue Fessart, l’anarchie (fondée en 1905 par Libertad, infirme des deux jambes) avait été durant quelque temps à Romainville (après Montmartre), et Victor Serge y avait cohabité durant trois mois avec l’équipe précédente du journal, et future bande à Bonnot : Raymond Callemin, que Serge connait depuis leurs 13 ans, Edouard Carouy, tourneur en métaux, rencontré en Belgique, végétariens absolus, « n’invoquant que la ‘raison scientifique’ et ‘l’égoïsme conscient’ », enfin Octave Garnier, ouvrier du bâtiment, sous l’influence duquel ils allaient évoluer vers l’illégalisme. Le 31 janvier 1912, Victor Serge y est arrêté comme inspirateur de la Bande à Bonnot, inculpé de recel après qu’une perquisition a fait trouver deux revolvers mis là à son insu, et incarcéré à la Santé grâce aux lois scélérates. Son procès aura lieu un an plus tard, du 3 au 28 février 1913, et il y écopera de 5 ans de réclusion plus 5 ans d’interdiction de séjour.

- bibliothèque publique, rue Fessart. Créée en 1922 par un comité franco-américain, elle a été cédée à la ville de Paris en 1924. C’est une baraque en planches, ouverte l’après-midi, le soir de 20 h à 22 h, et le dimanche matin. Robert Garric y observe la boulimie de lecture de Belleville : « ce qui est sûr, c’est que le peuple des ouvriers, des employés, des manœuvres a une véritable passion de savoir. » Huit à dix mille livres y sont empruntés chaque mois ; les auteurs sont ceux que citait déjà Poulot plus de cinquante ans auparavant : Dumas, Balzac, Hugo, et pour les contemporains : Anatole France, Romain Rolland mais devant eux tous, et toutes catégories confondues, Pierre Loti. En histoire, c’est celle de la Révolution, de Michelet, qui sort le plus souvent.

Source Gallica
- coopérative de production Association des Maçons, 10 rue Mélingue. Une société des maçons s’était créée en 1848, avec pour gérants Bouyer, et Cohadon, deux compagnons de remplissage du chantier de Nadaud ; elle deviendra la plus importante de toutes les associations ouvrières, avec 83 associés plus une centaine d’auxiliaires qu’elle n’intéresse pas aux bénéfices, et « il n’y eut pas dans Paris d’entrepreneurs qui occupassent un nombre plus considérable d’ouvriers, ni qui eussent surtout un matériel supérieur au leur ». Forte d’autant d’atouts, la société soumissionna l’importante gare d’Orléans (auj. d’Austerlitz), et des hôtels pour les ministres de Louis Napoléon, Rouher et Fould, et pour Jérôme Bonaparte, notamment sur la place de l’Europe. Elle avait su, affirme Nadaud, « supprimer la maîtrise et par conséquent l’exploitation de l’homme par l’homme ». Mais quand Nadaud revint à Paris, après l’amnistie de 1860, et qu’il s’attendit à y retrouver sa place, les gérants lui répondirent : « Votre présence parmi nous, mon cher Nadaud, pourrait faire croire à notre clientèle que nous songeons à revenir à 1848 ; mais telle n’est pas notre intention. » L’exilé s’en retourna donc à Londres, tandis qu’à la chute de l’empire, les gérants Bouyer et Bagnard, et le caissier Frisert « vendirent chevaux et voiture, en un mot tout le matériel de l’association, et ils se mirent à travailler à leur compte. » Cohadon seul refusa de s’associer à cette trahison.

La rue est dédiée à Mélingue qui tint le rôle-titre dans le Chevalier de Maison-Rouge, adaptation par Dumas de l’Histoire des Girondins de Lamartine, immense succès de librairie ; la chanson des Girondins sera l’hymne de la révolution de 1848. Puis Mélingue jouera dans les trois Mousquetaires. « Non, voyez-vous, jamais M. Bocage, jamais M. Mélingue ne m’ont donné un battement de cœur pareil à celui que j’avais en voyant là-bas, au bout de la rue, dans l’espace resté vide, le commissaire s’avancer avec son écharpe... » fait dire Alphonse Daudet à un gamin de Paris né rue de l’Orillon dans l’un de ses Contes du lundi, Les trois sommations.
La grève de 1936 aux studios Gaumont. Agence Meurisse. Gallica

- ateliers cinématographiques Gaumont, 12 à 30 rue des Alouettes ; la location est au 28. L’industrie du matériel de prise de vues et de projection fait partie de ce que l’innovation apporte au tissu industriel parisien au début du siècle : Gaumont a commencé ici avec 200 ouvriers. En 1895, Léon Gaumont installait son comptoir de photographie dans des hangars, rue des Alouettes. C'est là qu'il produisit de petits films pour un public découvrant le cinématographe. En 1905, il construisait un vaste studio moderne, baptisé Cité Elgé (L.G., Léon Gaumont), où se tourneraient les premiers films sonores ; il s’y adjoignait un dépôt de celluloïd en 1907.
Cinquante ans plus tard, le Centre René Barthélemy, les studios de la télévision française, prenaient la suite, soit 2500 salariés : scénaristes, comédiens, artistes, décorateurs, techniciens. Jusqu’à ce que la SFP (Société Française de Production), née de l'éclatement de l'ORTF, émigre à Bry-sur-Marne, en 1993.
Sur 600 m2 des anciens terrains de la SFP, au croisement de la rue des Alouettes et de la rue Carducci, un Centre d'art contemporain, Le Plateau, inauguré en 2002, doit rappeler ce passé culturel.
- coopérative de consommation l’Union du Plateau, 42 rue des Alouettes. Fondée en 1881, elle compte 140 sociétaires en 1905.

- la Cordonnerie ouvrière, 81 rue Rébeval ; fondée au mois de mai 1903 en accord avec le Syndicat des cordonniers, et Renaudin, secrétaire des Cuirs et Peaux. L’Avenir de Plaisance la subventionne à sa création ; elle aura disparu six ou sept ans plus tard.
Le Père Peinard, d’Emile Pouget, (paru le 24 février 1889), est sous-titré « Réflecs d’un gniaff ». Le gniaff, c’est le savetier opposé au cordonnier, c’est l’ouvrier maladroit ; en frontispice du journal, c’est l’occasion d’un croquis d’échoppe ayant pour nom « A la botte au cul », la botte de l’enseigne formant le L initial du titre.
Pierre Brochon l’a remarqué, l’écrivain ouvrier type du 19e siècle, c’est l’artisan cordonnier parce que c’est celui qui est le moins pressé par la besogne, qu’il peut interrompre à tout moment pour noter des vers, parce qu’il peut chanter et composer en travaillant. Se rappelant son oncle, ouvrier cordonnier à Belleville et membre de la section socialiste du quartier de la Goutte d’Or, Eugène Dabit le revoit, dans les années 1910 : « Il discutait avec des camarades, sans cesser une minute de taper son cuir... »
Les cordonniers représentaient plus de 4% de ceux qui comparurent pour fait de résistance au coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte ; ce sont les cordonniers qui créèrent, en 1866, la première Chambre syndicale. Après les élections d’avril 1871, la Commune comprenait nombre de cordonniers : Simon Dereure, l’animateur de l’Internationale à Montmartre, Trinquet, de Belleville, Emile Clément, Serraillier (qui informera Marx des évènements et sollicitera ses conseils), et Benjamin Sicard, capitaine d’état-major à la préfecture de police. Sans compter Napoléon Gaillard, et Rouillier, qui proposera comme première mesure la chopine de rouge pour tous les gamins allant à l’école.
Le mouvement anarchiste des années 1890 sera pareillement riche en cordonniers : Emile Henry, fils d’un communard notoire, qui mit au siège de la Société des mines de Carmaux la bombe qui exploserait au commissariat des Bons-Enfants, Gustave Babet, et encore Jean Grave, le pape de la rue Mouffetard, qui n’était devenu typographe qu’ensuite. Victor Griffuelhes, futur secrétaire général de la CGT, de 1902 à 1909, était également cordonnier.

- usine à gaz le long de la rue Saint-Laurent (auj. 48 à 70 rue Rébeval). La Compagnie d’Eclairage de Belleville, l’une des six d’avant la fusion de 1855, a eu son usine ici de 1834 jusque vers la fin du siècle.
L'éclairage des particuliers au gaz, signalé bientôt par la plaque "Gaz à tous les étages", date de 1830 et durera environ un siècle. L’abonnement se prenait par bec et par an. Le tarif était fonction de l'heure d'extinction : 22 heures, 23 heures ou minuit, avec un supplément pour les dimanches et fêtes. Des agents passaient à l'heure dite pour fermer le robinet de l'abonné mais comme ils ne pouvaient fermer tous les robinets d’une même échéance en même temps, les compagnies perdaient le montant de leur retard au désallumage, d’où, le plus tôt que ce fut possible, la mise en place de compteurs individuels.

- coopérative de production de cochers, l’Egalitaire, 9 rue Rébeval.

- usine de chaussures Dressoir et Pemartin, 18 rue du général Lassalle, 16-18 et 19 rue Rampal, et 12 passage Lauzin. La présence des abattoirs de la Villette, achevés en 1867, amène l’implantation de manufactures de chaussures. « A Belleville, de puissantes entreprises fabriquent la chaussure. Beaucoup de femmes y travaillent », écrit encore Dabit au début des années 1930. La manufacture de Dressoir va tripler le nombre de ses ouvriers entre la fin de la Commune (où ils sont 420), et le début du 20e siècle, d’autant plus facilement que la liquidation de l’usine à gaz de la rue Rébeval lui offre de vastes terrains avantageux : 680 ouvriers travaillent dans sa nouvelle usine sur 159 machines mues par la vapeur ; ils seront 1 100 puis 1230 ouvriers en 1907.

- boulangerie coopérative de production, la Solidarité Universelle, 3 rue Rampal, vers 1905.
[Le 16 novembre 1867, chacun des membres du groupe de la rue Myrrha de l’Association Internationale des Travailleurs, dont le Dr Dupas, chez qui on se réunit deux fois par semaine, Victorine Brocher et son mari, chacun donc apporte le premier versement de ses 20 francs, payables par fraction, qui permettront la création d’une boulangerie coopérative dans le quartier de la Chapelle ; elle sera la première à Paris. Une épicerie coopérative suivra mais toutes deux couleront d’avoir trop fait crédit durant cet hiver 1867 où un froid rigoureux s’ajoute à la misère. La boulangerie coopérative renaîtra en 1873 mais, cette fois encore, sans pouvoir durer bien longtemps. Une coop sœur, la boulangerie-biscuiterie La Coopération socialiste, 84 rue Barrault dans le 13e, sera inaugurée le 16 septembre 1900, en présence de personnalités du socialisme parisien, dont Jean-Baptiste Clément. A l’origine de la coop, les typos Xavier Guillemin, de la Fédération du livre, deux fois candidat pour le P.O.S.R. et Alfred Hamelin, dirigeants de l’importante coopérative l’Avenir de Plaisance, et les rédacteurs du Mouvement socialiste, Marcel Mauss et Philippe Landrieu. Enfin la boulangerie coopérative l’Evolution sociale, 34 rue de Pontoise, dans le 5e, aura une succursale 16 rue Linné, dans le même arrondissement, et une autre 56 rue Mirabeau, à Evry. Elle fournira une vingtaine de coopératives de consommation entre 1909 et 1911.]

- la Courtille, autrement dit la rue de Paris, (auj. rue de Belleville). « La partie inférieure de la grande rue de Paris est demeurée célèbre, sous le nom de Courtille, pour le défilé hideux et grotesque qui y terminait autrefois le carnaval » écrit le guide Joanne de 1863. Du faubourg du Temple jusqu’à l’église Saint-Jean-Baptiste, c’est une suite ininterrompue d’établissements de toutes tailles. A la barrière de la Courtille, Martin Nadaud travaille en 1834 : « la jeunesse de l’intérieur de Paris, qui travaillait en chambre, privée d’air pendant la semaine, y accourait en foule » le dimanche. Nadaud, lui, travaille en plein air mais vit dans un garni malodorant (il nous en détaille les odeurs de sanitaires et de chaussettes), où l’on est douze par chambre. Originaire d’un village creusois, il garde le goût de la nature.

- université populaire Fondation universitaire, 19 rue de Belleville. On retrouve Guillemin et Hamelin au siège de la revue Génération consciente, 27 rue de la Duée, à l'Université populaire du 20e, pour une conférence consacrée aux coopératives et aux « pots-de-viniers », conférence dont le Cercle des coopérateurs de la Bellevilloise allait mettre les idées en œuvre en expulsant manu militari ses gérants indélicats.

- coopérative de production d’ébénistes en sciences et fantaisie, 18 rue de Belleville.

- salle Favié, 13 rue de Paris. Fondée en 1830, elle pouvait accueillir 3 000 danseurs sur 1 100 m² ; c’était l’établissement favori des ouvriers de Belleville et de Ménilmontant. (En 1848, le Club des Montagnards de Belleville s’y réunit, présidé par Pottier, ancien fabricant de casquettes devenu commis voyageur, qui habite 108 rue de Ménilmontant ; le 23 juin 1848, ce sont ses membres qui défendront les barricades de la rue d’Angoulême et celles de la rue des Trois Bornes, et ils mettront deux généraux et 300 soldats hors de combat.)
Le père Favié, enrichi sous l’Empire refusant sa salle, c’est Dénoyez, au 8, qui devient la salle politique, mais les Montagnards de Belleville vont retrouver le chemin de Favié en 1870-71, la salle étant « réquisitionnée » par la Commune : on y entendra Vallès, Ranvier, Ferré, Rochefort. Le dernier coup de canon fédéré est tiré à midi, rue de Paris, de la barricade située en face de Favié, défendue par deux pièces de 12.
Favié mort vers 1871, le bal, sous la direction de son gendre, perd son caractère ouvrier et devient le rendez-vous des souteneurs et des filles publiques, mais la salle reste une salle politique où s’exprimeront Louise Michel, Jean Allemane, Edouard Vaillant... Le dimanche 6 novembre 1887 s’y tient un meeting organisé par les 22 chambres syndicales, avec 2 000 participants, surtout des gars du bâtiment, qui approuvent l’idée d’une grève générale suspendant la vie sociale dans tout Paris.
Le dimanche 5 août 1888, y a lieu une réunion organisée par les blanquistes à l’occasion de la grève des terrassiers et des verriers. Eudes, ancien général de la Commune en assure la présidence, alors qu’il s’écrie « Honte aux riches ! Honte aux traîtres ! Honte à la bourgeoi... » il tombe sur le pupitre, les bras en avant, la tête sur la carafe d’eau ; il expirera dans le jardin où on le transporte.
Le 11 août 1893, le Comité d’organisation de la Grève générale, issu du premier congrès unitaire des Syndicats et des Bourses tenu un mois plus tôt, se réunit salle Favié. Parmi une vingtaine d’orateurs, ce sont les anarchistes qui sont les plus écoutés. Le 24 septembre, nouvelle réunion, avec Bernard Besset, le 1er secrétaire de la Fédération des Bourses ; la salle est mise en vente peu après. Elle prendra ensuite le nom de Palais du Travail. Le mercredi 1er juillet 1908, à 8 h 30, un grand meeting de la CGT y aura encore pour ordre du jour « la grève générale », avec Griffuelhes et Yvetot comme orateurs, mais perturbé par des anarchistes individualistes, Libertad à leur tête, rien n’y sera décidé. Des représentations théâtrales en yiddish y sont données dans les années 1920.

Source Gallica
- grand marchand de vin Dénoyez, 8 rue de Paris (auj. de Belleville) Gambetta, Flourens, Vallès y prononcent encore en 1869 la plupart de leurs discours. A Dénoyez succèderont les Folies-Belleville, la plus grande salle de bal de Paris.

- La Vielleuse, à l’angle de la rue de Belleville et du bd de Belleville, a été l’un des grands bals de la Courtille. Son miroir, touché par un obus de la grosse Bertha en 1918, n’a pas été réparé. A sa terrasse, le 13 juillet 1941, les jeunes communistes du 11e chantent les chants de la liberté et fêtent le 14 juillet. Il y a là Jean Capievic, responsable à l’Avant-Garde et à la propagande pour la région parisienne, Gilbert Brustlein, vendeur sur les marchés, Fernand Zalkinov, ouvrier  fourreur, Acher Semhaya, ouvrier du bâtiment, Simon Lichtenstein, Liliane Lévy, Maurice et Henri Chévit, Charles Dinestein, etc. La police arrête un certain nombre d’entre eux ; Liliane Lévy a juste le temps de se cacher avec les tracts dans les sous-sols du café. Le café est démoli le 15 février 1882.
Le miroir en question dans le JT Paris IdF du 2 février 1982 :

- Au Lapin Vengeur, barrière de Belleville (auj. place du Gal Ingold), au bout du faubourg du Temple. « Le dimanche, l’ouvrier vrai, écrit Denis Poulot, va se promener avec sa femme et ses enfants dans les promenades publiques, visite les musées, les expositions, l’été plus spécialement, va à la campagne dans les environs de Paris, à dix heures il est rentré. »
Passons à l’ouvrier, le second dans l’ordre décroissant de sa nomenclature : « Quand il fait beau le dimanche, à une heure, tout le monde en route, à Saint-Ouen (pour la friture), Joinville, Romainville ou Bondy, on dîne au Lapin Vengeur, [l’enseigne représente un lapin tuant d’un coup de pistolet un cuisinier] on rentre chargé de lilas ou de muguet, même de simples fleurs des champs ; à onze heures, tout le monde dort. »
Pour l’ouvrier mixte, « le dimanche, le dîner à la barrière est de rigueur, il prend son allumette de campagne, quelquefois un poteau kilométrique, mais rarement le poteau télégraphique. [argot des mécaniciens du chemin de fer, distinguant 5 degrés dans la biture ; ici les trois derniers] ».
Après la Commune, il fallut attendre 1881 pour que, sous la pression des conseils municipaux, le préfet de police autorisât le rétablissement de quelques-unes des fêtes des villages annexés : celles de Belleville, de Charonne, d’Auteuil, de Passy ; la Foire au Pain d’Epice seule, très surveillée, ayant perduré. Vallès commenta : le peuple « n’a pas encore le pain, mais on lui a rendu les spectacles. On a rétabli les foires dans les communes et les faubourgs. »
Comme dans toutes les salles de Belleville, fête et lutte sont indissociables : le 1er avril 1868, MM. E. Brisebarre et E. Blum, auteurs du Lapin vengeur, annoncent dans l'Indépendance dramatique que c'est naturellement au Lapin vengeur qu'ils régaleront les artistes du Châtelet si leur pièce atteint la centième.
En juin 1890, c'est au Lapin vengeur que les possibilistes réclament la création de lavoirs municipaux pour faire pièce à l'augmentation de 5 centimes/jour de leurs tarifs décidée par les propriétaires de lavoirs privés.
La cavalcade de mi-carême de mars 1893, qui part à 14h de l'annexe de la Bourse du travail de la rue J.-J. Rousseau, a pour point d'arrivée le Lapin vengeur. Ses sujets offrent là un banquet à la reine de la chambre syndicale ouvrière des blanchisseuses, une jolie brunette de 20 ans, Louise Vivien, après quoi le bal s'y ouvre à 23h.
Enfin en septembre 1924, après la scission syndicale, c'est au Lapin vengeur qu'une poignée de militants de la Seine et de la Seine & Oise crée une union interdépartementale qui prendra le titre, après la réunification de 1935, d'Union des Syndicats Ouvriers de la Région Parisienne (CGT).
Les tramways électriques empruntèrent tôt ces lignes dominicales : dès 1896, la ligne République-Romainville emmenait les voyageurs sur ses tramways à impériale.

De Voltaire à Gréco, si tu t'imagines...


Un parcours sur les pas de Voltaire et des ambassadeurs extraordinaires. 


            La Comédie-Française, invitée à quitter le Théâtre Guénégaud (voir plus bas), trop proche du collège des Quatre-Nations qui s’apprête à recevoir ses premiers élèves, acquiert le jeu de paume de l’Étoile, en face de chez Procope, et en fait un théâtre de mille cinq cents places – dont aucune sur la scène –, qu’elle inaugure en 1689 avec une reprise du Médecin malgré lui de Molière. Elle y restera jusqu'en 1770 quand, le théâtre menaçant ruine, elle l'abandonnera pour la salle des Machines des Tuileries.
            Sainte-Beuve écrivait à propos de Mlle Champmeslé, qui a 47 ans à l'installation ici de la Comédie française, « qu’elle avait la voix des plus sonores et, lorsqu’elle déclamait, si l’on avait ouvert la loge du fond de la salle, sa voix aurait été entendue dans le café Procope ».
L’hiver terrible de 1709 a tué vingt mille Parisiens. Les financiers demandent en ces circonstances aux Comédiens français de ne pas donner le Turcaret de Lesage qui les raille, et ils obtiennent facilement gain de cause. Jusqu’à ce que le roi, bien aise de détourner le mécontentement général sur d’autres que lui, impose que la pièce soit jouée. Un Turcaret – le personnage est vite devenu le nom commun des gens de finance –, c’est quelqu’un qui, dans la pièce, pour un souper de quatre personnes, commande vingt-quatre bouteilles de ce champagne qui a, pour la première fois, les honneurs de la scène, et cent bouteilles de vin de Suresnes pour abreuver ses musiciens !

            Symboliquement, si ce n’est en chair et en os, Voltaire ne va guère quitter le café de Procope : « Né à Paris [et baptisé à Saint-André-des-Arts], ses ouvrages semblent tous avoir été faits pour la capitale », affirmera Mercier qui, lui, a été l’élève du collège des Quatre-Nations. « Il l’avait principalement en vue lorsqu’il écrivait ; en composant, il regardait l’Académie française, où étaient ses prôneurs, le parterre de la Comédie, le café de Procope, et un cercle de jeunes mousquetaires ; il n’a guère eu d’autres points de vue. »
En 1726, après la cuisante bastonnade de l’hôtel de Sully, c’est chez Procope (et la querelle avait peut-être pris naissance dans la loge d'Adrienne Lecouvreur, en face), que Voltaire rumine sa vengeance : c’est « par un garçon de Procope qu’il avait accommodé de façon à s’en servir comme d’un second », qu’il fait porter son cartel au chevalier de Rohan. Celui-ci accepte le duel pour le lendemain et, dans la nuit, le fait enfermer à la Bastille.
En 1737, de Cirey, Voltaire écrit au chanoine de Saint-Merry, son correspondant: « Procope doit m’envoyer un paquet de friandises, marrons glacés, cachou, pastilles, à votre adresse. Je vous supplie de le faire payer. »
Nicolas René Berryer, le nouveau lieutenant général de police qu’a fait nommer en 1747 Madame de Pompadour, a créé pour l'espionnage de la correspondance des particuliers un « cabinet noir ». Les « mouches » sont déjà partout mais on a appris à s’en accommoder. Paul Lacroix raconte qu’un jour, Marmontel, qui n’était encore qu’apprenti philosophe, avait donné rendez-vous à Boindin au café Procope « pour y parler ensemble de matières philosophiques. Ils convinrent entre eux d’une espèce d’argot, destiné à dérouter les soupçons des gens de police, qu’on était sûr de rencontrer dans ce café : d’après ce système de langage déguisé, l’âme devait s’appeler Margot ; la religion, Javotte ; la liberté, Jeannette ; et Dieu, M. de l’Être. Un homme de mauvaise mine vint s’asseoir à côté d’eux, pour les écouter. « Oserai-je vous demander, leur dit-il après avoir écouté sans rien comprendre à leur discussion, quel est ce M. de l’Être, dont vous paraissez si mécontent ? — Monsieur, répondit brusquement Boindin, c’est un espion de police ; le connaissez-vous ? »
C'est à un autre type d'espionnage que se livre Voltaire. Vers la fin d’août 1748, si l’on en croit Longchamp, Voltaire arrive chez Procope déguisé en curé, avec soutane et bréviaire, le visage caché entre perruque en désordre, lunettes et tricorne, pour épier ce qui s’y dit de Sémiramis, sa nouvelle pièce. Il trouve dans ces bavardages matière à quelques corrections, les fait distribuer aux acteurs, et s’en retourne à Lunéville.

Le 2 mai 1760, c’est la première des Philosophes, de Charles Palissot, à la Comédie-Française, devant une salle comble comme n’en ont jamais connue ni Racine, ni Molière, ni Voltaire. Le personnage de Crispin, à quatre pattes sur scène pour brouter une laitue, moque Rousseau et son retour à l’état de nature. On y reconnaît aussi Diderot, Helvétius ; sous le rôle de Cidalise, Mme Geoffrin, et dans « la mère fouettard », Mme d’Épinay.
Deux ans plus tard, pour le deuxième essai de Palissot, la cinquantaine de siffleurs de la claque du chevalier de la Morlière, qui traîne au Procope, traverse la rue et descend la pièce à bout portant.

« Tout ce que je vois jette les semences d’une révolution qui arrivera immanquablement, et dont je n’aurai pas le plaisir d’être témoin, écrira Voltaire. La lumière s’est tellement répandue de proche en proche qu’on éclatera à la première occasion ; et alors, ce sera un beau tapage. Les jeunes gens sont bien heureux : ils verront de belles choses. » Et Michelet de renchérir : « Les prophètes assemblés dans l’antre du Procope virent le futur rayon de 89 ».
            Le 27 avril 1784, Beaumarchais attend anxieusement chez Procope l’accueil réservé à son Mariage de Figaro, qui se donne à l’Odéon : la Comédie-Française a cessé d’être en vis-à-vis du café.

On remonte jusqu'à la rue de Buci que l'on prend à gauche :
Un cabaret à l’ancienne coexiste encore ici avec le café moderne type Procope : au 4, rue de Buci, chez le traiteur Landelle, qui prêtait sa salle trois ans plus tôt à la première loge maçonnique de Paris, celle de Saint-Thomas-au-Louis-d’Argent, se donnent, le 1er et le 16 de chaque mois, à partir de 1733, les dîners du Caveau. Cette société bachique autant que chantante regroupe, autour de Piron, le jeune Crébillon fils, le peintre Boucher, qui n’est pas beaucoup plus âgé, et Jean-Philippe Rameau, déjà quinquagénaire, mais encore débutant pour ce qui est de l’opéra. Helvétius se joindra parfois à eux. Chacun y doit, à son tour, fournir une chanson ou une épigramme, et si l’on reste « sec », ou si elle est jugée faible, on est condamné au verre d’eau.
En 1855, Poulet-Malassis, le futur éditeur des Fleurs du mal, va ouvrir sa boutique, là où s’était maintenu le Caveau jusqu’à la Révolution.
A l'automne de 1871, Théodore de Banville proposera à Rimbaud une chambre de bonne au-dessus de chez lui, 10, rue de Buci ; Arthur s'y déshabille devant la fenêtre ouverte, jette dehors ses vêtements en loques et s’épouille, nu comme un ver, dans la croisée. On ne le supportera pas plus de huit jours.
            Du Caveau, Piron fournissait en voisin l’Opéra-Comique qui, délogé du préau de la foire Saint-Germain pour cause de construction du Nouveau Marché, avait fait bâtir un théâtre dans l’ancien jeu de paume de la Diligence, au n° 12 de la rue de Buci. À ses Crédit est mort et L’Enrôlement d’Arlequin succèdera, rue de Buci, la première pièce de Favart, le 22 mars 1734.
Au carrefour Buci/Seine, le Bar du Marché

Carrefour rue de Buci / rue de Seine :
En août 1749, le journal de Barbier indiquait : « Le roi a déterminé la place où il permet à la ville de Paris de lui faire ériger une statue », savoir le quadrilatère compris entre la rue de Seine et la rue des Grands-Augustins, à l'Est ; les quais au Nord et les rues de Buci et Saint-André-des-Arts au Sud. « Ce n’est pas à dire, cependant, qu’on prendra absolument tout ce terrain (…) mais c’est-à-dire que la place est désignée dans cet espace de terrain, pour lequel il sera dressé différents plans, dont l’on choisira celui qui paraîtra le plus beau. »
            Le prince de Conti, reçu Grand Prieur de France et ayant de ce fait pris possession de l'hôtel du prieuré du Temple, le roi lui a fait vendre son hôtel de la rive gauche à la Ville – pour une somme comprise entre 1,6 et 1,8 million de livres, assure Barbier, moitié pour lui, moitié pour sa sœur –, afin qu’on y pût « bâtir un hôtel de ville magnifique ». « Il faut donc d’abord faire le plan d’un hôtel de ville, et ensuite le plan de la place derrière ou à côté, sur la même ligne. » On semblait répondre ainsi au vœu de Voltaire qui, dix ans plus tôt, se plaignait à Caylus : « Il n’y a pas une seule place publique dans le vaste faubourg Saint Germain : cela fait saigner le cœur ».

Par la rue de Seine, on arrive à la rue Jacques Callot, percée en enlevant l'ancien jeu de paume de la Bouteille, lieu de naissance de l'Opéra et de la Comédie française :
            Comme sur la rive droite, les fossés ajoutés par Charles V au rempart de Philippe Auguste (l'actuelle rue Mazarine est l'ancienne rue des Fossés de Nesle) sont le règne de la paume. L’abbé Pierre Perrin ayant obtenu de la reine un « Privilège pour l’établissement des Académies d’opéra pour y représenter et chanter en public des opéras et représentations en musique et vers français, pareilles et semblables à celles d’Italie », il fait doter la « ruelle allongée » du jeu de paume de la Bouteille d’un parterre et de trois étages de loges verticales. La première salle d’opéra est ainsi inaugurée le 3 mars 1671 par la création de Pomone, pastorale dont l’abbé a écrit le livret et Robert Cambert la musique. La faillite est pourtant au bout de cent quarante-six représentations triomphales, et le privilège tombe dans l’escarcelle de Lully.
            Quand Lully l’aura évincée du Palais-Royal, la troupe orpheline de Molière s’installera dans l’ancien jeu de paume devenu Théâtre Guénégaud. Elle y sera rejointe par celle du Marais, après quoi le roi ordonnera la fusion des deux avec celle de l’Hôtel de Bourgogne et donnera ainsi, et ici, naissance à la Comédie-Française en 1680.

En face, la rue Guénégaud rappelle l'hôtel éponyme. On remonte la rue Mazarine, traverse le palais de l'Institut et, par le quai, revient à l'autre bout de la rue Guénégaud.
Celle de Dumas, à la Gaité, en 1882. Gallica

Celle d'Abel Gance au cinéma

            Au départ de l’enceinte, au bord de la Seine, s’élevait la fameuse tour de Nesle que ressuscitera le 19ème siècle, Dumas puis Zévaco, en attendant que le cinéma prenne la relève dans les années 1950. En 1832, Bocage était Buridan pour cinq cents représentations successives ; en 1955, c’est Pierre Brasseur qu’Abel Gance choisira pour interprète. « Où est » – et, surtout, qui est ? – « la reine qui ordonna que Buridan fût jeté en un sac en Seine ? » Le mystère que nous a légué Villon reste entier.
Henri de Guénégaud avait racheté l’hôtel de Nesle attenant, devenu de Nevers. Le secrétaire d’État, puis garde des Sceaux, Henri de Guénégaud alias Anaxandre ou Alcandre, et sa femme Élisabeth, Amalthée en préciosité, recevaient en leur hôtel Mme de Sévigné, Mme de La Fayette, et Arnaud d’Andilly. C’est dans leur salon que Boileau lu ses premières satires et corrigea, peut-être, la première tragédie de Racine, qui ne sera pas mieux reçue pour autant : cette Thébaïde, d’une épouvantable noirceur. Racine en tira vite la leçon, et son Alexandre, qu’entendirent ensuite ici les hôtes, exact contre-pied de la précédente, optera pour le genre optimiste et galant. Le succès sera d’autant plus au rendez-vous que l’auteur avait donné deux fois l’exclusivité de sa pièce : et à Molière et, clandestinement, à l’Hôtel de Bourgogne !
 L’année d’Alexandre vit tomber la tour de Nesle, qui fit place au collège des Quatre-Nations que Mazarin destinait à soixante jeunes gens d’Alsace, de la Flandre, de l’Artois et du Hainaut. C’est ici, à Sainte-Beuve, devenu bibliothécaire à la Mazarine et logeant dans les dépendances de cet Institut que Napoléon avait installé dans le collège des Quatre-Nations, que Baudelaire fera porter, en 1843, ses premiers vers.
           
            Le salon d’Amalthée avait été entraîné dans la chute de Fouquet : les Guénégaud avaient eu à peine le temps de demander à Jules Hardouin-Mansart une extension de l’hôtel construit par ce François Mansart dont leur nouvel architecte s’inspire au point d’avoir accolé son nom au sien qu’il ne leur restait déjà plus qu’à se retirer sur leurs terres de Fresnes.
            Leur hôtel, passé aux Conti, devait dans le projet de 1749, on l'a vu, être remplacé par le nouvel Hôtel de Ville de Paris et une grande place dotée d'une statue équestre du roi Louis XV. Il ne sera finalement démoli qu’en 1768, pour être remplacé par l’hôtel de la Monnaie et loger ainsi le ministre François de L’Averdy.
            C'est que la place aujourd'hui Vendôme, conçue à l’instigation de Louvois comme celle des Conquêtes, qui devait être reliée à la place des Victoires et loger Académies, Bibliothèque, Hôtel des Ambassadeurs extraordinaires et Monnaie, avait été refilée en catastrophe à la Ville sous forme de plans d’un côté et de piles de matériaux de l’autre. Paris mettra vingt ans à en revendre les lots et n’y parviendra qu’à l’aide des spéculations de Law. Exit donc la Monnaie de la place des Conquêtes, exeunt d'ici l'hôtel de ville, la place et la statue.
            Le chimiste Sage (1740-1824) occupa en 1778 la chaire de minéralogie docimastique (examen et analyse des minerais) de l'Ecole publique installée à la Monnaie de Paris, qui avait pour but la formation d'ingénieurs propres à diriger les travaux des mines. Il sera à l'origine, en 1783, de la création de l'Ecole des Mines. Il avait en outre rassemblé depuis 1760 d'importantes collections qu'il céda alors au roi, moyennant une rente viagère de 5000 livres; ces collections demeurèrent à l'Hôtel des Monnaies jusqu'en 1824.
            C'est M. de Puymorin, directeur de la Monnaie, son frère et quelques autres royalistes et chrétiens qui avaient, en mai 1814, exhumé nuitamment les restes de Voltaire et de Rousseau de sorte que l'église Sainte-Geneviève (le Panthéon) ne fût point souillée par ces restes impies. Ils étaient allés les dissoudre dans la chaux vive à la barrière de la Gare, vis-à-vis Bercy, au milieu des cabarets et des guinguettes, sur un terrain appartenant à la gare d’eau désaffectée.

Sur le quai Conti, on est sur le trajet des ambassadeurs.
            Voltaire a été de 1733 à 1749, l’ami-amant d'Émilie, marquise du Châtelet, fille de ce baron de Breteuil qui avait été pendant plus de quinze ans, jusqu’à la mort de Louis XIV, l’introducteur des ambassadeurs à la cour.
            Le protocole faisait faire aux ambassadeurs étrangers antichambre dans le faubourg Saint-Antoine. Ceux des puissances catholiques attendaient, dans une salle du couvent de Picpus dite, pour cela, « des Ambassadeurs », de recevoir les compliments des princes et princesses du sang pour pénétrer en ville ; ceux des autres nations séjournaient à hôtel des Quatre-Pavillons des Rambouillet, protestants, rue de Charenton, où, au jour de leur présentation, venaient les prendre les carrosses de la cour.
            Le parcours officiel des ambassadeurs, après avoir franchi la porte Saint-Antoine et traversé la place Royale, gagnait la Seine par la rue de la Monnaie puis faisait le tour du bassin du Louvre, longeant le fleuve vers l’aval jusqu’au pont Royal, et remontant les quais de l’autre rive jusqu’à la hauteur du Pont-Neuf.
            La folie Rambouillet était surnommée la Maison du Diable, du nom de Rémond le Diable, fermier général dont le fils était l’introducteur, quand l’ambassadeur turc y arriva avec sa suite de 80 personnes le 8 mars 1721. Le vendredi 21 mars, il était reçu par le petit roi de 11 ans aux Tuileries. « On approuva fort, écrit Saint-Simon, le chemin qu’on fit prendre à cet ambassadeur, (…) et de l’avoir fait retourner par le quai des Tuileries et par celui des Théatins [aujourd'hui Voltaire], qui sont les endroits ou Paris paraît le mieux. Que serait-ce si on dépouillait le Pont-Neuf de ces misérables échoppes, et tous les autres ponts de maisons, et les quais de celles qui sont du côté de la rivière ? »
Saïd Méhémet Pacha, son successeur, fera son entrée solennelle à Paris, le 7 janvier 1742, empruntant le parcours protocolaire menant du faubourg Saint-Antoine à l’hôtel des Ambassadeurs extraordinaires de la rue de Tournon, par un froid qui a étréci le cortège sur la seule partie de la chaussée où fumier et sable ont été répandus sur la neige gelée. Ensuite ses cavalcades et ses défilés se déploieront au jardin du Luxembourg.

On est arrivé devant le Pont-Neuf :
            Les principaux cafés de Paris sont au 18ème siècle, en haut du Pont-Neuf, vers l’aval, sur le quai de l’École, celui de Gradot où se réunissent les esprits forts, les savants et les bons joueurs d’échecs, et à l’autre extrémité du Pont-Neuf, côté amont, c’est-à-dire au bout du quai des Augustins, celui de Duverger, où se rassemblent les nouvellistes et les gazetiers politiques.
            La Motte demeurait « rue Guénégaud, près du quai Conti, très froid, comme on sait, et exposé au nord », écrit Sainte-Beuve, qui poursuit en citant Duclos : « devenu aveugle et perclus des jambes, il était réduit à se faire porter en chaise– (il avait à lui sa chaise, c’était alors le luxe des demi-fortunes, explique Sainte-Beuve) -, au café de Gradot, pour se distraire de ses maux dans la conversation de plusieurs savants ou gens de lettres qui s’y rendaient à certaines heures : Maupertuis, Saurin, Nicole, tous trois de l’Académie des sciences, Melon, auteur du premier Traité sur le Commerce, et beaucoup d’autres qui cultivaient ou aimaient les Lettres ».
            Émilie du Châtelet n’y venait que pour Maupertuis. « J’ai été hier et aujourd’hui vous chercher chez Gradot, lui écrit-elle un samedi du début de 1734, et je n’ai pas entendu parler de vous. » C’est, dans ces mois-là, un leitmotiv : « Je vous ai promis de vous avertir de mon retour, ce ne serait point être revenue que de ne vous point voir. Venez souper avec moi demain ; je vous irai prendre au sortir de l’opéra, chez Gradot, si vous voulez m’y attendre ».
            Voltaire est en mission diplomatique pour Berlin et pour Bayreuth. L’armée de l’Angleterre, du Hanovre et de l’Autriche, commandée par Georges II, a défait le 23 juin 1743 celle du maréchal de Noailles à Dettingen, sur le Main. La route du royaume de France s’est ouverte par l’Alsace devant les coalisés. Les rapports de police pistent le philosophe : « On dit que Voltaire déclame hautement contre les Français, les ministres, l’Académie, et surtout contre l’évêque de Mirepoix et l’on blâme le gouvernement de ne l’avoir pas mis à la Bastille pour les derniers discours qu’il tint publiquement chez Gradot avant son départ ».

On descend, par les rues de Nevers et de Nesle qui nous rappellent la tour de Buridan, jusqu'à la rue Dauphine. On est à nouveau dans les pas des ambassadeurs qui, par cette rue Dauphine et celle de la Comédie, entre Procope et Théâtre-Français, descendaient ensuite la rue de Condé, de sorte de passer devant le palais du Luxembourg, avant de prendre la rue de Tournon.
            Au 33, rue Dauphine, coin de la rue Christine, Juliette Gréco a déniché, dans une imprimerie, un bar ouvert à peu près toute la nuit. Devenus des familiers du lieu, Roger Vadim, Roger Pierre, Jean-Marc Thibault en ont débarrassé la cave et c’est devenu un club, le Tabou. Les chemises à carreaux, les jeans, les baskets arrivés dans les bagages des Américains sont désormais la tenue de be-bop des « rats de cave ». Albert Camus, qui adore danser, est au Tabou tous les soirs, avec Jean Genet, les trois frères Vian, Raymond Queneau.

Cour du Commerce St-André :
            « Imberbe alors, sur les vieux bancs de chêne, où l’enfant boit, dix ans, l’âpre lait des études », Baudelaire lit avec passion ce Volupté que Sainte-Beuve a écrit à l’Hôtel meublé de Rouen, au n° 4 de l’actuel passage du Commerce, dans les deux chambres du quatrième étage où il recevait Adèle, Mme Victor Hugo.

Place Henri Mondor (de l'Odéon) :
            Marat et les quelques personnes attachées à la confection et au pliage du journal s’activent autour de l’Ami du Peuple, au premier étage de l’ex-30, rue des Cordeliers, qui correspond au pan coupé du bâtiment de l’École de médecine donnant sur l’actuelle place Henri-Mondor. Danton habite à deux pas, près de l’endroit où, sur la place, est érigée sa statue. Billaud-Varenne, son secrétaire, loge 45, rue Saint-André-des-Arts, à l’angle de la rue Gît-le-Cœur. Hébert est au 5, rue de Tournon.
            Le 13 juillet 1793, Marat est assassiné, dans l’appartement à la fenêtre duquel, ouvertes les deux croisées en verre de Bohème, il se penchait quand Danton, au passage, le hélait. « S’il faut un successeur à Marat, s’il faut une seconde victime à l’aristocratie, elle est toute prête, c’est moi », assure le Hébert du Père Duchesne, un temps président du Club des cordeliers. Moins de neuf mois plus tard, Danton est arrêté ; son ancien secrétaire, « le tigre à perruque jaune », requiert contre lui. Au questionnaire d’identité, Danton répond : « Ma demeure ?, bientôt dans le néant, ensuite dans le Panthéon de l’Histoire ! M’importe peu ! Ancien domicile : rue et section Marat ».

            Le dimanche 10 mars 1839, le chapiteau de la future colonne de Juillet sort de la fonderie du Roule tiré par 12 chevaux aidés de 100 à 200 hommes pour gagner la place de la Bastille par les grands boulevards. A la hauteur de la rue de Ménilmontant [aujourd'hui Oberkampf], un cheval s'abat, l'attelage est épuisé, la foule prend les choses en mains, le cortège arrive à destination sur les 10 heures du soir. De la Bastille, une partie de cette foule, environ 300 personnes, essentiellement des ouvriers, brandissant 3 drapeaux rouges, remonte en sens inverse jusqu'à la Porte St-Denis, descend la rue du même nom puis la rue Mauconseil jusqu'au marché des innocents, criant « Vive la liberté ! Vive la République ! A bas les ministres ! ». On chante la Marseillaise et le Chant du Départ. Les gardes municipaux du poste de la Lingerie ont pris les armes et les dispersent. Le cortège se reforme et par le pont au Change arrive place du Palais de Justice. Le poste de la ligne prend les armes, une brigade de sergents de ville s'attaque aux drapeaux, en arrête les porteurs et tous ceux qui les défendent. Ceux qui en ont échappé vont vers l'École de Médecine, entrent au Café Dupuytren, juste en face, appellent les étudiants à la rescousse : "Nous sommes tous des frères, Vive la République ! Les écoles avec nous!"

            Dans les années 1780, au 12 de l’actuelle rue de l’École-de-Médecine, se sont achevés les magnifiques bâtiments de l’Académie de chirurgie, voulus par Louis XV, continués par Louis XVI, qui, après le Roi-Soleil, ont favorisé les efficaces barbiers-chirurgiens dont l'amphithéâtre était d'abord installé plus bas, au n°5.

            Par la rue Dupuytren et la rue Monsieur le Prince on arrive à l'arrière du couvent des Cordeliers où le bataillon des Marseillais, qui fit connaître La Marseillaise aux Parisiens, avait cantonné.
            En face, dans le triangle de la rue Monsieur le Prince, la rue de Vaugirard et la rue de Condé, s'élevait l'hôtel d'Henri de Bourbon, prince de Condé. Celui-ci ayant choisi de résider désormais au Palais-Bourbon, la parcelle fait partie d’un plan d’urbanisme que Charles de Wailly complètera, en 1789, par un projet d’embellissement de la Ville de Paris.

On prend la rue Casimir Delavigne, qui s'appela Voltaire :
            Les nouvelles rues consécutives au lotissement de l’hôtel de Condé s’appellent, à l’exception de la rue centrale, Molière (auj. Rotrou), Regnard, Crébillon, Voltaire (auj. Casimir Delavigne), Racine et Corneille. Pour la première fois, leurs noms sont des dédicaces et non plus l’indication des hôtels aristocratiques, congrégations ou enseignes desservis ; et les rues pas seulement des moyens de viabiliser la propriété foncière, mais un espace public dont jouir. Ces premières rues à flâner de Paris sont placées, de surcroît, sous le patronage des lettres et de la philosophie, Voltaire, à peine mort, se retrouvant en puissance tutélaire bien avant que la Révolution n’en fasse son héros.

On arrive place de l’Odéon :
Le séjour de Condé, très étendu, offrait de multiples possibilités, Louis XVI décide, en 1779, d'y faire construire un théâtre pour ses Comédiens français qui n’occupent la salle des Machines des Tuileries qu’à titre provisoire. Charles de Wailly, pressenti avec Marie-Joseph Peyre, s’en ouvre à Voltaire ; le philosophe a aménagé un théâtre à peu près partout où il s’est trouvé : à Cirey, chez la marquise du Châtelet, dès 1735, comme dans sa maison de la rue Traversière, pour Le Kain, quinze ans plus tard.
 Le roi a décidé également que le théâtre serait placé au plus près possible du palais du Luxembourg, qu’il a donné à Monsieur, son frère, le comte de Provence, et à Madame, l’épouse de celui-ci, afin qu’il « soit un nouvel agrément pour leur habitation, en même temps que pour nos sujets qui, avant d’entrer, ou en sortant du spectacle de la Comédie-Française, auront à proximité une promenade dans les jardins du Luxembourg ». 
            La salle de deux mille places, la plus grande de Paris, financée par le lotissement de l’hôtel de Condé (et celui de la pointe occidentale des jardins du Luxembourg, dans laquelle est ouverte la croisée des rues Madame et de Fleurus), est inaugurée le 9 avril 1782. La Reine, Monsieur, Madame, y assistent à un divertissement qui moque les modes du jour, dont le goût pour une presse incarnée alors dans le Journal de Paris.
            Le 27 avril 1784, c’est un succès fou, au sens propre, pour Le Mariage de Figaro ou La Folle journée. La Comédie-Française, seul théâtre de Paris dégagé comme un monument, est littéralement cernée. « Dès dix heures du matin, soit huit heures avant la représentation, quatre ou cinq mille personnes se pressaient aux abords du théâtre et tentaient déjà d’en forcer les grilles, écrit Frédéric Grendel. Jusqu’à la Seine des files ininterrompues de carrosses stationnent et créent dans les rues avoisinantes un encombrement et une paralysie dont les conducteurs d’aujourd’hui ne peuvent avoir idée. À midi, les grilles cédèrent enfin sous la pression de la foule et la garde imposante dut reculer. Trois candidats au parterre moururent étouffés, impossible de les dégager. Debout, perdus dans l’indescriptible cohue, les trois morts semblaient attendre comme les autres le début du spectacle. (...) La salle fit un sort à la plupart des répliques, applaudissant sans cesse, au point que le spectacle dura plus de cinq heures. » Et cette première représentation fut suivie de soixante-sept autres d’affilée, ce qui ne s’était jamais vu.
Le 1er projet de Charles de Wailly, 1786. Gallica

Les files ininterrompues de carrosses stationnaient rue du Théâtre-Français (auj. de l’Odéon), le long de trottoirs, cette trouvaille anglaise qui faisait ici son apparition à Paris, et devant les maisons à plusieurs locataires jalonnant la patte d’oie conçue par Charles de Wailly. Une place en demi-cercle redouble le théâtre d’un second, symbolique, d’autant mieux que la façade du monument, reliée par des arcades à deux annexes latérales, semble la fermer d’un mur de scène à l’antique.

Camille Desmoulins habitait place de l’Odéon, à l’angle de l’actuelle rue Crébillon. Le couvent des cordeliers fermé par la Révolution, il y loge son Club des cordeliers, populaire, composé d’habitants et non d’élus, qui acquittent un droit d’entrée minime. Marat, retour d’un exil londonien dû à ses attaques contre Necker et La Fayette, s’y est inscrit. C'est en grande partie sous son influence qu’est portée au Champ-de-Mars, le 17 juillet 1791, la pétition exigeant qu’on destitue le roi.

Par la rue Regnard, on rejoint la rue de Condé :
Beaumarchais, associé avec le financier Pâris-Duverney dans une série d’affaires dont l’exploitation de la forêt de Chinon, s’était installé avec sa famille au n° 26. Le 3 janvier 1773, son Barbier de Séville avait été reçu à la Comédie-Française ; le 11 février, Beaumarchais avait une altercation avec le duc de Chaulnes, qui l’accusait de lui ravir sa maîtresse, l’actrice Mlle Ménard, et il devait quitter son domicile pour la prison de Fort-l’Évêque. Pendant qu’il s’y morfondait, l’héritier et neveu de Pâris-Duverney faisait casser les dispositions du testateur : Beaumarchais était ruiné. Il ne sortira de prison, le 8 mai, que pour se voir chassé aussi de sa maison. Le Barbier de Séville attendra encore deux ans avant d’accéder à la scène.

Avec le cortège des Ambassadeurs, on passe devant le Luxembourg pour remonter la rue de Tournon :
La Galigaï, sœur de lait de Marie de Médicis, s’était, avec Concini son mari, installée rue de Tournon ; c’est peut-être pour ça que la reine avait fait bâtir le Luxembourg. Le 24 avril 1617, Concini, le favori de la reine mère, devenu Premier ministre, était attiré dans une souricière sur le pont-levis du Louvre et abattu à coups de pistolet. Aussitôt fait, Louis XIII avait paru à la fenêtre et avait été salué par ses gentilshommes du cri de « Vive le Roi ! » ; il envoya dire à sa mère qu’il prenait la direction du royaume et qu’elle n’avait plus à se mêler de rien. Le jeune Louis XIII récompensera Luynes, qui l’avait aidé dans l’assassinat de Concini, en lui donnant l’hôtel de leur victime.
Vers 1630, quand Rubens, fuyant la peste, revient d’Anvers installer au Luxembourg les panneaux qu’il y a réalisés, les ambassadeurs extraordinaires se voient désormais attribuer pour résidence l’ancien hôtel des Concini, 10 rue de Tournon.
Entre Ambassadeurs et Brancas, le n°8

A côté, au 18ème siècle, s'élève l'hôtel du duc Louis de Brancas, comte de Lauraguais (1733-1824), un homme qui illustre la curiosité encyclopédique de son époque. Taquinant les muses, il est de surcroît, outre l’accoucheur et le disséqueur qu’on découvrira dans la lettre de sa maîtresse, un fanatique « inoculateur » comme l’on dit dans les débuts de la vaccination. Sophie Arnould, la maîtresse en question, et « l’esprit de Paris » selon les Goncourt, profite d’une absence du duc si bien doué pour rompre avec lui : « Monsieur mon cher ami, Vous avez fait une fort belle tragédie, qui est si belle que je n’y comprends rien, non plus qu’à votre procédé. Vous êtes parti pour Genève afin de recevoir une couronne de lauriers du Parnasse de la main de M. de Voltaire, mais vous m’avez laissée seule et abandonnée à moi-même. J’use de ma liberté, de cette liberté si précieuse aux philosophes, pour me passer de vous. Ne le trouvez pas mauvais, je suis lasse de vivre avec un fou qui a disséqué son cocher et qui a voulu être mon accoucheur, dans l’intention sans doute de me disséquer aussi moi-même. Permettez donc que je me mette à l’abri de votre bistouri encyclopédique. J’ai l’honneur d’être votre Sophie Arnould. »

Depuis longtemps, Lekain et Mlle Clairon défendaient les théories dramatiques de Voltaire, soutenaient sa réforme du costume vers plus d’exactitude, réclamaient avec lui la suppression des bancs qui encombraient la scène ; le 23 avril 1759, le jeune comte de Lauraguais la met en actes en déboursant 30 000 livres pour indemniser la Comédie-Française de son manque à gagner. « Comment apporter le corps de César sanglant sur la scène [à l’acte III de La Mort de César] ; comment faire descendre une reine éperdue dans le tombeau de son époux, et l’en faire sortir mourante de la main de son fils [à l’acte V de Sémiramis] au milieu d’une foule qui cache, et le tombeau, et le fils, et la mère, et qui énerve la terreur du spectacle par le contraste du ridicule ? », se plaignait Voltaire. Désormais, c’est possible et, deux ans plus tard, Lebeau de Schosne, rappelant ce qu’était la situation passée, peut écrire : « … Les coups de théâtre étaient toujours manqués. Nos chefs-d’œuvre tombaient ou perdaient une partie de leur éclat et des éloges mérités aux travaux de leurs auteurs. Sémiramis en a été une preuve bien convaincante. Cette pièce n’eut qu’un faible succès dans sa naissance, exactement par les raisons que je viens de dire ; et elle est aujourd’hui une des plus solides colonnes du palais de Melpomène ».