Un canal à gueule d'atmosphère


Tout commence avec le bassin de la Villette pour, de 1802 à 1808, soit du Consulat à l’Empire, pour remédier par le biais de l’Ourcq aux problèmes d’eaux des Parisiens. Puis se pose, sous la Restauration, le problème de la canalisation de la rivière : simple aqueduc à ciel ouvert ou de gabarit navigable ? Finalement, le canal de l’Ourcq, achevé en 1822, sera adapté à la navigation.
Le canal de Saint-Denis, lui, n’a pour but que d’épargner aux bateaux la boucle que fait la Seine au sortir de Paris en remontant vers le nord. Il lui faut pour cela, passé le bassin de la Villette, traverser le Paris de la rive droite. C’est l’occasion de juteuses opérations spéculatives que décrit Balzac dans César Birotteau :
« Du Tillet, instruit des intentions du gouvernement concernant un canal qui devait joindre Saint-Denis à la haute Seine, en passant par le faubourg du Temple, acheta les terrains de Birotteau pour la somme de soixante-dix mille francs. (…) Au commencement de l’année 1822, le canal Saint-Martin fut décidé. Les terrains situés dans le faubourg du Temple arrivèrent à des prix fous. Le projet coupa précisément en deux la propriété de du Tillet, autrefois celle de César Birotteau. La compagnie à qui fut concédé le canal accéda à un prix exorbitant si le banquier pouvait livrer son terrain dans un temps donné. »
Le canal St-Martin est inauguré en 1825 et entièrement ouvert à la navigation en 1827.
Il va, autour de la gare d’eau de la place des Marais et des entrepôts qui la ceignent dans le quadrilatère des actuelles rues de Marseille, Yves Toudic et Léon Jouhaux, faire du faubourg du Temple le faubourg usinier du 19e siècle jusqu’au Second Empire et à l’annexion des territoires compris entre le mur des Fermiers généraux (actuelles lignes 2 et 6 du métro) et les fortifications (actuel tramway). L’annexion entraînera le déplacement du centre de gravité industriel plus haut sur le canal, à la Villette.
 
La place des Marais sur un plan de 1830. Gallica
Le 3 septembre 1840, tôt le matin, les ouvriers grévistes commencent à se rassembler là où sont encore les portes de Paris, en l’occurrence, ici, de l’autre côté de la barrière de la Villette. L’après-midi, ils sont au moins 10 000 à cette barrière.

À l’annexion de 1860, la Villette comptera plus de 30 000 habitants ; sera un port considérable qui accueillera plus de 10 000 bateaux par an, et un tonnage supérieur à celui de Bordeaux, plus d’un million de tonnes/an. Les entreprises de transport, de bougies, les savonneries, cristalleries, fabriques d’émaux, les chantiers de bois y sont en très grand nombre ; les raffineries de sucre et fabriques de wagons sont bien représentées. Vers 1870, le réseau de chemin de fer est en place, à côté de la voie fluviale, pour acheminer les matières premières : aux usines électriques, consommatrices de charbon, du quai de Jemmapes, s’ajoutera l’usine à gaz de la Villette entre les lignes de chemin de fer du Nord et de l’Est. “Les futurs soldats de la Commune ont grandi dans une atmosphère de sévère concentration industrielle” affirme Georges Duveau.

Atget vers 1905. Gallica
Sur les photos d’Atget, on peut voir, par exemple, la passerelle mobile de déchargement de l’entreprise Quesnel, qui exploite des carrières de pierre à Méry-sur-Oise depuis 1860 (siège social 193 rue du Faubourg St-Denis, puis 39 boulevard de la Chapelle après 1900). Le pont roulant charge, quai de la Loire, d’énormes blocs sur une longue file de camions surbaissés tirés par des animaux. L’école polytechnique sera bâtie avec ces pierres de taille.

Le 26 mai 1871, les fédérés retranchés dans l’entrepôt de La Villette, attaqués de face et de flanc, finissent par céder et laissent derrière eux des docks en flammes. Le feu dévore les alcools, les sucres, les bois et les goudrons entreposés. Les flammes sont, dit-on, visibles à 40 km, un mur de feu barre l’horizon, la nuit reste éclairée comme en plein jour. Victor Hugo dans L’année terrible s’en fait l’écho : « est-il jour ? Est-il nuit ? Horreur crépusculaire ! »
François-Nicolas CHIFFART, «Incendies des docks de la Villette », Le Monde Illustré, 17 juin 1871.

Le nord-est de Paris est devenu le premier centre de biens d’équipements ; en 1872, il compte 166 entreprises importantes, soit 34 % du total parisien. En 1900 encore, 50 % du combustible et des matières premières lourdes arrivent à Paris par la voie des canaux et du fleuve, c’est-à-dire, pour une bonne partie, par le canal Saint-Denis et le bassin de la Villette. Avant la guerre de 1914-1918, le 19e arrondissement est le plus industrialisé de la capitale, avec quarante et une des grandes entreprises de Paris sur son territoire.

Chez J & A Niclausse, 24, rue des Ardennes, entreprise fondée en 1880, 700 ouvriers (en 1911), fabriquent des chaudières pour les cuirassés et les croiseurs de la marine. Dans Le Temps du dimanche 26 mai 1918, on peut lire : « Aujourd'hui, dans les chantiers Niclausse, a été lancé, dans un bassin communiquant avec le bassin de La Villette, le premier des patrouilleurs contre-sous-marins que cette importante firme construit pour la marine de guerre. » C’est dans le bassin de l’entreprise que sont organisés les championnats de France de natation, le 1er août 1920.

Durant la guerre de Corée, le PC a décidé pour le 28 mai 1952 d’une manifestation contre la venue à Paris du général Ridgway, “Ridgway la peste”, accusé de l’emploi d’armes bactériologiques. La manif a été interdite. Une partie de la banlieue nord s’est rassemblée aux Quatre Chemins, entre Aubervilliers et Pantin, et descend sur Paris par l’avenue de Flandre. Arrivée au métro aérien, elle tombe sur le barrage policier. « Nous avançâmes jusqu’à la ligne sombre des CRS. J’avais la bouche sèche parce que je déteste avancer les mains vides contre des hommes armés. Nous n’étions pas trois cents. Les gars de tête furent magnifiques. La ligne des CRS ploya. Ce fut un peu confus pour moi. J’entendis soudain des détonations. Ce fut presque un soulagement ; j’ai l’expérience de la guerre et les matraques me font davantage peur que les balles. Je me dis : “C’est extraordinaire qu’ils aient osé tirer sur nous“… Je comptais les coups de feu : il y en eut entre trente et quarante… Nous continuions d’avancer. Et nous étions fiers d’être vainqueurs. Et sûrs que le peuple français mettrait Ridgway à la porte. Nous n’avions rien dans les mains que nos pancartes. J’en suis témoin. Je le jure. De nouveaux coups de feu claquèrent. Et soudain je vis ce que je n’avais pas vu depuis la guerre : je vis mon voisin porter sa main à son ventre – ou à sa cuisse, je ne sais plus – et tomber d’un bloc. Je l’avoue aussi : nous avons fui (mais deux camarades ont emporté le blessé). Mais, arrivée au premier carrefour – c’était à cent mètres – une jeune fille aux cheveux blonds s’est arrêtée, s’est retournée et a crié : “Stop !... Et maintenant il faut y retourner…“ Elle n’avait rien dans les mains, pas même une pancarte. Et puis les uniformes bleus ont resurgi, multipliés par dix. J’ai marché sous la pluie, dans ce décor sinistre du canal Saint-Martin et des ponts sur les voies de chemin de fer. » Le « je » est celui de Roger Vailland, en première page de Libération, sous le titre : « J’ai vu la police tirer ! » (cité par Yves Courrière dans sa bio de Vailland)
Il y a eu 17 blessés ;  Belaïd Hocine, ouvrier municipal d’Aubervilliers, ne survivra pas à ses blessures.
L’emploi du diminutif « manif » pour manifestation date, si l’on en croit Aragon, de cette manif-là, celle contre “Ridgway la peste”.

Du 206 au 186, quai de Valmy, les anciens établissements Susset (le nom de l’entreprise est toujours là, au dessus de la porte du 186, à côté de l’enseigne des sapeurs pompiers), plâtre, chaux, ciment, de Raymond Susset. Le patron est élu député du Xème en 1932, réélu en 1936 ; appartient à des groupes scissionnistes de la SFIO genre Républicains-Socialistes. (Votera les pleins pouvoirs à Pétain en 1940, sera RPF après la guerre (sénateur de Guinée jusqu’en 1958, date de l’indépendance du pays).
Au 206, la jolie grille marquée « Jardin d’enfants », à côté de ce qui est maintenant la Maison des associations, donne accès à la terrasse et à ce qui sera connu comme « Salle Susset ».  Robert Sabatier (1923-2012), Trois sucettes à la menthe (1972) : «...Au-delà de la rue Louis-Blanc, le long du quai, derrière les peupliers et les platanes, l'installation des établissements Susset, matériaux de construction, se dressait, dominée par une longue terrasse avec une salle de spectacles : on y amenait les élèves des écoles le jeudi après-midi pour assister à des représentations populaires des comédies de Molière et des tragédies de Corneille et de Racine. Olivier [nom que prend le petit Sabatier dans le roman] n'oublierait pas ce lieu où il découvrit, de manière inhabituelle, au-dessus des sacs de plâtre et de ciment, des parpaings et des briques, le grand théâtre classique...».
(Les lecteurs de De la banlieue rouge au Grand Paris retrouveront, dans La Souris verte et dans Olivier 1940, du même Robert Sabatier, Olivier recevant ses faux papiers des mains du maire de Montrouge, Gaston Thil.)

Joseph Bialot (1923-2012), Belleville Blues, (en 2005, à 82 ans): « Chaque jeudi elle [l’entreprise Susset] mettait ses locaux à la disposition des écoliers du 10e arrondissement - toujours le paternalisme social de l'époque -, et leur projetait un film gratuitement. »
 Robert Sabatier, qui était en classe avec le fils Susset, rue Eugène Varlin (où Susset père avait déjà été élève), raconte: " Nous étions obligés de porter un tablier, lui était en costume de golf. Ça nous agaçait, il était le chouchou ! ". On notera au passage que Robert Sabatier, pour lequel les Susset ont tant compté, aura presque titré son roman : Trois Susset à la manque !
Au 206, salle Susset, Les Jeunesses Socialistes Révolutionnaires, qu’ont fondées en janvier 1936 les jeunes de la Fédé de la Seine de la SFIO, exclus depuis six mois déjà du PS, y font la fête le 10 décembre 1936. Dans cette Fédé plus à gauche que le parti, tenue par Marceau Pivert et Zyromski, ces jeunes dits Bolchéviks-Léninistes, sont majoritairement des trotskistes qui faisaient de l’entrisme à la SFIO. Animent leur fête, les agitateurs culturels de la FTOF (Fédération du Théâtre Ouvrier de France) : Sylvain Itkine, O’Brady, les frères Marc (dont l’un deviendra Francis Lemarque), le mime Etienne Decroux, Jean-Louis Barrault, etc. La rédaction de leur mensuel, Révolution, est là aussi : David Rousset, Yvan Craipeau.
Le 17 juin 1938 se tient au même endroit la conférence constitutive des Jeunesses du PSOP (Parti Socialiste Ouvrier et Paysan), le parti que crée Marceau Pivert quand toute la Fédé de la Seine se voit exclue du PS ; les trotskistes y seront vite majoritaires.

214 rue Lafayette, Église Saint-Joseph Artisan (autrefois St-Joseph des Allemands), (on en aperçoit le chœur au ras du quai de Valmy). Implantée en cœur d’îlot, cette église de style néogothique a été construite entre 1865 et 1866 pour la mission allemande et luxembourgeoise. Attribuée à l’architecte Lucien Douillard, elle était destinée aux immigrés allemands, artisans et ouvriers travaillant aux différents chantiers de la capitale. En 1847, les Allemands sont plus de 60 000 à Paris – dans une ville de 1 million d’habitants - dont 35 000 tailleurs, cordonniers, menuisiers du bâtiment ou ébénistes. Martin Nadaud évoque, sur tous ses chantiers, « une équipe de bardeurs allemands excessivement forts », ou ses « bardeurs, tous de solides gars allemands ». Jusqu’à 1870, Paris était la 3ème ville allemande après Hambourg et Berlin.

En face :
194 quai de Jemmapes, hôtel particulier des patrons des charpentes Laureilhe, l’entreprise était au 198 ; fermera en 1935. « Tout le quartier du canal était composé d'anciens hôtels particuliers transformés en bureaux, en manufactures, en dépôts de fabriques. On trouvait de profondes cours avec des hangars, des baraquements, tout un monde de pots de fleurs, de chats, d'oiseaux en cage, de ferrailles, de pneus usagés, de vieilles bicyclettes...» Sabatier, 3 sucettes Ici, il ne s’agit pas d’ancien hôtel particulier transformé en bureaux mais du logis patronal.
186 quai de Jemmapes, réalisation de Jean Dumont : une agence commerciale, un central téléphonique et des bureaux pour les PTT. A remplacé la cartonnerie Chouannard.

La cité « Clémentel » (1931) s’étend du 174 au 178 quai de Jemmapes. « Côté Jemmapes, en bordure du canal, se souvient Robert Sabatier, il [Olivier] restait fasciné par la masse de la Cité artisanale Clémentel. Il s'enhardissait à traverser le large portail et à parcourir d'étage en étage des couloirs bruissant de machineries, chargés d'odeurs de métal, d'huile, de carton, de sciure, de mastic, d'encre d'imprimerie, de térébenthine, de peinture. Dans cette ville en réduction, bien répartis dans des pièces cimentées, on trouvait des doreurs, des brocheurs, des opticiens de précision, des imprimeurs typo, litho et offset, des linotypistes, des fabricants de vêtements de sport, des miroitiers, des tanneurs, des photographes, des dessinateurs industriels dont les panneaux publicitaires ornaient les portes. »
Inspirée d’Étienne Clémentel, ministre du Commerce (1916-1919) : « Assurer aux artisans de tous corps de métier les meilleures conditions de travail possible dans des locaux de qualité qui seraient leur propriété, leur donner sur le lieu même de leur travail des logements décents et leur fournir des services communs facilités : bibliothèque, infirmerie et même banque (le monogramme CA, sur les grilles, est celui du Crédit Artisanal) ». 430 ateliers y furent créés, 2000 artisans environ y travaillaient et y vivaient.
L’ancêtre, ce sont les Immeubles Industriels, de la rue éponyme. L’agence de location est au 12 de la rue. Inaugurés en 1873, 2 000 personnes y logent vers 1881, qui travaillent au rez-de-chaussée, à l’entresol et au 1er étage, moyennant un loyer de l’énergie de 75 centimes par poste et par jour. Sous la chaussée, une machine à vapeur de 2 000 chevaux, construite par Cail et Cie, distribue l’énergie dans les ateliers. « Ces trois éléments essentiels de l’habitation de l’ouvrier – logement, atelier, force motrice – se trouvent  réunis... » explique l’Illustration.

La photo de l’invitation : au 145, de g. à dr. cordonnerie, l’imprimerie Ancillon, un marchand de couleurs ; au 143 : les papiers et ficelles en gros, et dépôt de carton bitumé de F. Vacherot ; sur l’eau, un bateau de bains ?
Charge policière 143 et 45 quai de Valmy le 1er mai 1922. Gallica
Charge policière 1er mai 1922. Le congrès socialiste international de Paris, du 15 au 20 juillet 1889, celui de la fondation de la 2e Internationale, recommande « une grande manifestation internationale à date fixe », « dans tous les centres ouvriers d’Europe et d’Amérique en faveur de la fixation de la journée à huit heures de travail », et adopte pour cela la date du 1er mai de l’année suivante : 1890. Jusqu’au 1er mai 1936 inclus, c’est un jour de grève. Il est de tradition, ce jour-là, d’aller faire pointer sa carte syndicale dans une quarantaine de permanences à Paris et une cinquantaine en banlieue, pour revendiquer son geste, et d’aller en délégation déposer des cahiers de revendications dans les mairies des communes de banlieue ou à la préfecture de la Seine. On arbore à sa boutonnière l’églantine, pas le muguet.
- siège de la Fédération anarchiste et du Libertaire, 145 quai de Valmy. Sa Librairie sociale est au rez-de-chaussée. Brassens y vient, à l’été 1946, donner le texte que lui a inspiré la mort d’un flic, renversé par le cycliste à qui son coup de sifflet comminatoire a fait perdre le contrôle de sa bicyclette. Intitulé « Le hasard s’attaque à la police », le texte sera publié dans le Libertaire du 27 septembre 1946. Il sera suivi de quelques autres, signés du pseudonyme de Géo Cédille, comme celui consacré aux poèmes de Raymond Asso dans le numéro du 12 juin 1947.
Local et journal, après le congrès de Bordeaux de 1952 où le courant de Georges Fontenis a pris la majorité dans la Fédération Anarchiste, passent du côté de la Fédération Communiste Libertaire (la FCL). Le premier Français emprisonné pour le soutien apporté au MNA (Mouvement nationaliste algérien) de Messali Hadj, sera Pierre Morain, pour ses articles dans le Libertaire, journal de la FCL. En 1955, la FCL aura subi tellement de saisies, d’amendes et de peines de prison qu’elle aura tout simplement disparu.

- centrale électrique de la Compagnie Parisienne d’Air Comprimé, future Compagnie Générale
Cie Parisienne d'Air Comprimé, la salle des machines en 1902. Gallica
d’Electricité, 132 quai de Jemmapes
. Construite en 1895-96 par Paul Friesé, elle fait suite à celle de la rue Saint-Fargeau, dans le 20e, en 1889, et celle (réutilisée pour abriter une école d’architecture) du quai aujourd’hui Panhard et Levassor, dans le 13e, de 1891. Le charbon, tiré des péniches, est convoyé électriquement jusqu’à l’élévateur et, de là, distribué par des wagonnets à des silos en entonnoir placés au-dessus des générateurs. La tour de l’élévateur démolie, la centrale a été reconvertie en usine de fabrication pour les vêtements Labor, avant d’être reprise par Exacompta.

- 11, rue de l’Hôpital St-Louis, imprimeur-éventailliste, « Eventails Chambrelent, Modern style, maison fondée en 1873, marques Nevelty, Opalia (éventails en papier cristal), montures Metalia (marques déposées) ». Entre le 22 et le 24 octobre 1921, Chambrelent embauche 103 jeunes Chinois : Deng Xiao Ping (17 ans), un oncle à lui, de 3 ans son aîné, et toute une cohorte de jeunes gens originaires de son village natal (Chonqing, dans le Sichuan) dont un futur ministre de la République populaire. Ils y font des fleurs de lotus en gaze verte et satin rouge qu’ils montent sur des tiges métalliques, et y apposent une petite étiquette : « œuvre d’orphelins et de veuves de guerre » ; il s’agit d’une commande destinée aux USA pour y collecter des fonds. C’est payé 2F la centaine, les ouvriers réussissent à en faire 600 ou 700 par jour. Sont virés au bout d’une semaine, la commande étant sans doute terminée. Deng Xiao Ping travailla lors de ses années d’exil en France, de 1920 à 26, (d’abord au Creusot, à La Garenne-Colombes chez Kléber, puis à Montargis pour Hutchinson ; de nouveau à La Garenne, puis chez Renault Billancourt). David Goodman, biographe américain de Deng, raconte qu’en 1974, retour de New York, Deng s’arrête à Paris et y achète 100 croissants, qu’il rapporte pour les partager avec Zhou Enlai et les camarades qui avaient partagé son séjour parisien dans les années 1920.

- 114, le lycée professionnel Marie Laurencin a fait son nid dans l'ancien bâtiment Le cuir moderne (1923), dont l’enseigne, sur le toit, a été ôtée.
- 112, quai de Jemmapes : Immeuble de rapport réalisé par l'architecte Georges Pradelle en 1907-1908, inscrit au PLU. La structure en béton armé est calquée sur la charpente métallique. Le béton est laissé nu et les briques utilisées en remplissage sont apparentes. Par leur couleur et les variétés du calepinage, elles apportent une note décorative, tout en soulignant le principe constructif. L'architecte a choisi d'afficher un parti résolument moderne qui radicalise - dans un contexte plus populaire – le dessin de l'immeuble construit en 1904 par les frères Perret 25bis rue Benjamin Franklin.
- Au 108, quai de Jemmapes, à l’angle de la rue Bichat, René Préault installa en 1945, sur cinq étages son entreprise de boulonnerie et visserie (plaque). Travailla avec la main d’œuvre pénale de la Roquette. Des tours ceinture étaient encore présents dans ses ateliers dans les années 1970.
- Le 108 est aussi l’adresse d’Antoine Dauriat, typographe, trésorier du Club Populaire sportif du Xème arrondissement à la déclaration au bureau des associations de la Préfecture de Police, le 27 mai 1935, dans le grand élan d’enthousiasme qui suit la réunification des sportifs communistes et socialistes de décembre 1934 (création de la FSGT). Siège au 6 rue de Paradis en octobre 1937 ; Dauriat cède sa place à Thérèse Blanchet qui habite rue Chaudron avec son mari Robert.

50 rue Bichat Immeuble de rapport caractéristique de l'habitat "à bon marché" de la fin du XIXe siècle. PLU construit en 1896-1898 par l'architecte Léon Hervey-Picard, élève de Vaudremer et Raulin aux Beaux-Arts, édifié sur une parcelle où son père avait réalisé un pavillon dès 1888. Il peut être rapproché des premières entreprises de logement social à vocation philanthropique tel l'immeuble du groupe des maisons ouvrières réalisé 5 rue Jeanne d'Arc en 1899 par Georges Guyon. La façade en brique, d'un premier abord austère et imprégné de rationalisme, n'en est pas moins égayée par un jeu de briques polychromes, notamment sous les corniches et les arcs de décharge des linteaux. L'ornementation de la façade se résume pour l'essentiel aux ancres des trumeaux et aux cabochons en céramique des allèges. Réalisation publiée in Paul Chemetov – Bernard Marrey Architectures à Paris 1848-1914.

- L’Hôtel du Nord, 102 quai de Jemmapes. 1929 : Les Lecouvreur, avec leur fils (en fait les Dabit avec Eugène) viennent visiter l’hôtel à vendre :
« Ici, explique Philippe Goutay, le patron, avec les usines du quartier, c’est de la bonne clientèle d’ouvriers, tous du monde honnête, payant bien. (…) La maison du dehors n’a rien de grandiose, bien sûr… faudrait un fameux coup de torchon. Mais que voulez-vous, par le temps qui court, il n’y a que les passes qui puissent payer le prix du crépi…
Il s’arrêta un moment et reprit :
-         Ce n’est pas une[1] hôtel de passe…
Les Lecouvreur dirent à l’unisson :
-         Sûr qu’on voudrait pas une hôtel de passes…
Les deux hommes (Emile Lecouvreur et Ph. Goutay) examinèrent les combles et se hissèrent sur le toit. De là, reliés par une fine passerelle, on découvrait les quais de Jemmapes et de Valmy. Des camions chargés de sable suivaient les berges. Au fil du canal, des péniches glissaient, lentes et gonflées comme du bétail. Lecouvreur, que ces choses laissaient d’ordinaire insensible, poussa un cri :
-         Ah ! quelle vue ! Ce que vous êtes bien situés !...
Puis il ajouta :
-         Je suis un vieux Parisien, mais voyez-vous, je ne connaissais pas ce coin-là. On se croirait au bord de la mer. »

- Carré, 91, quai de Valmy, dès 1888 sur le canal, fournira une partie du carrelage du métro.

- Débit de Boisson, 19, rue Jean-Poulmarch. Maison Empire. Pan coupé orné d'un balcon présentant un beau garde-corps. La maison a conservé à rez-de-chaussée une remarquable grille de bouchon avec un décor de petits pilastres qui bénéficie d'une inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Maison figurant au procès-verbal de la commission du Vieux Paris (séance du 9 janvier 1989). ISMH

- rédaction de la Vérité, 23 rue des Vinaigriers. L’hebdomadaire est fondé par « moins d’une douzaine de camarades » dont Alfred Rosmer et le typo Ferdinand Charbit, tous deux exclus du PC à la fin de 1924, et qui n’ont eu à traverser que le canal pour venir de la Librairie du travail et de la Révolution Prolétarienne, rejoindre Pierre Frank et Gourget (pseudonyme de Barozine, syndicaliste CGTU de la fédération du Bois, lui aussi exclu du PC), l’institutrice Marthe Bigot, qui avait été membre de la minorité zimmerwaldienne, et Jeanne Despallières. Le premier numéro de la Vérité paraît le 15 août 1929. « Vous êtes contraints de commencer par un hebdomadaire, leur écrit Trotsky, avec qui le projet a été débattu à Prinkipo, c’est déjà un pas en avant. A condition naturellement que l’entreprise ne s’en tienne pas là, mais qu’elle mette le cap sur un quotidien. » L’hebdomadaire sera celui de la Ligue communiste, et sera flanqué du mensuel de la Jeunesse léniniste, Octobre rouge.

Nestor Burma enquête ici en 1956, accompagnant, une fois n’est pas coutume, Hélène, sa secrétaire : « Pour rien au monde, je n’aurais laissé Hélène s’aventurer seule dans ce coin-là ». Il lui faut pourtant lâcher son bras : « nous traversâmes le canal en empruntant l’étroite passerelle à fleur d’eau, construite au sommet des vantaux de l’écluse, permettant tout juste le passage d’une seule personne à la fois (…) le silence était total. Une auto qui passa sur le pont tournant et disparut par la rue de Lancry, le troubla à peine. (…) Un peu après l’Hôtel du Nord, en face du poste de police entouré d’arbres dénudés et de buissons rachitiques, la Chope des Singes répandait sur le trottoir une chiche lumière jaune ». M’as-tu vu en cadavre, 1956.

- atelier Barbedienne, 63 rue de Lancry. Façade et toiture sur rue, escalier avec sa rampe en fonte et salon du premier étage avec son décor : inscrit aux Monuments Historiques par arrêté du 29 octobre 1975. Peintures des plafonds par Dambourgez 1895.
Ferdinand Barbedienne, qui a commencé dans le papier peint rue Notre-Dame de Lorette en 1833, s’est associé avec Achille Collas cinq ans plus tard pour le bronze : c’est ce dernier qui s’occupe de la « réduction mathématique » pour les reproductions d’antiquités mais aussi d’œuvres de Rude, de Clésinger, de David d’Angers, aussi bien que des bronzes d’ameublement et de cheminée. Les bureaux sont au 30 boulevard Poissonnière, l’atelier au 63 rue de Lancry. A leur catalogue de 1861 : Moïse par Michel-Ange ; saint Jean par Donatello ; Christ en croix par l'Algarde ; porte du baptistère de Florence, par Ghiberti ; Madeleine par Canova (le marbre est à Gênes) ; divers saints (par Bosio neveu, Nanteuil, Debay, Lamy) ; têtes de Christ et têtes de Vierge ; tête de Christ par Girardon ; bas-relief : la Cène, d'après Léonard de Vinci, Vierge à l'Enfant d'après Michel-Ange, une autre d'après Raphaël ; mais aussi : lustre gothique, petits lustres byzantins, girandoles, candélabres byzantins, croix byzantine avec Christ, ornée d'émaux et de pierres fines montées en bénitier ; bénitiers gothiques aux trois enfants, bénitiers avec Christ ou avec Vierge gothique, divers bénitiers byzantins, gothiques, de fantaisie, etc. A la mort de Collas, en 1859, 300 personnes y travaillent. Puis viendront les fournitures pour l’Hôtel de Ville, et les candélabres pour le Louvre de Napoléon III. A la mort de Barbedienne, en 1892, le personnel a doublé : 600 ouvriers. Le Blanc, un neveu qui prend la succession, aura l’exclusivité de plusieurs œuvres de Rodin, et ne cessera ses activités qu’en 1954.

- 3 à 5 rue Legouvé, PLU : Ensemble composé d'Habitations à Bon Marché et de bains-douches municipaux construit en 1935. Composition remarquable, jeu de volume des façades, revêtements de briques roses, ferronneries des années trente conservées.

- coin rue de Marseille / 34 rue Yves Toudic, PLU : Cette boulangerie possède encore la décoration faite par l’atelier Thivet, spécialiste des décors de magasins dans la seconde moitié du XIXe  siècle. La façade possède des panneaux, représentant des natures mortes, sur fond de faux marbre, ornés des motifs dorés. A l’intérieur, le plafond bleu ciel, entouré d’une bordure de bouquets, est émaillé.

- de la rue de Marseille jusqu’au bâtiment des Douanes qui s’étend le long de l’ex rue du même nom, auj. Léon Jouhaux, l’îlot était occupé par les entrepôts construits de 1833 à 1848 autour d’une gare d’eau, essentiellement sous le préfet (de 1838 à 1848) Rambuteau : « l’Entrepôt des Douanes, le bureau d’expéditions des marchandises à l’étranger, l’Entrepôt d’octroi et celui des Sels s’élèvent sur les bords du canal Saint-Martin, écrira-t-il dans ses mémoires, auxquels ils donnent l’aspect d’une ville hollandaise et où ils attirent en quelques années une population de 30 000 habitants. »
Après l’annexion de 1860, les entrepôts sont vendus pour l’essentiel à des lotisseurs, qui ouvrent la rue Beaurepaire en 1864, et la rue Dieu en 1867, à charge pour eux de supprimer la gare d’eau et de rétablir la continuité du quai.
Les Entrepôts des Douanes sur un plan de 1840. Gallica

- 23 (puis 19 (joli coq triomphant), puis 13, dans l’ordre de notre parcours, mais l’ordre de construction est inverse, finissant avec le n°23 de 1935) rue de l’Entrepôt (auj. Yves Toudic), Association fraternelle des employés et ouvriers des chemins de fer français. Elle compte, en 1906, 120 000 sociétaires inscrits et un capital social de 35 millions. Elle soumet ses plans de construction au sociétaire qui désire bâtir et qui peut les modifier au point de vue de la superficie et de la distribution. Toutefois il ne peut changer ni le choix des matériaux, qui doivent être de première qualité, ni la direction ou la surveillance de la construction, qui doit être exécutée suivant les règles de l’art. Pour devenir propriétaire, le sociétaire doit verser au début, le dixième de la valeur de l’immeuble et le reste, entre 5 et 30 ans, à la volonté du preneur, pourvu que la dernière annuité soit payée à l’âge de 60 ans. Des prêts hypothécaires sont consentis par l’association jusqu’à 50% de la valeur de l’immeuble.
En 1906, elle avait fait édifier 300 maisons pour une valeur de plus de 2 millions. Chaque année, elle affecte 1 million à la construction de maisons ouvrières.

- 14 rue Yves Toudic, hôtel de la Douane, 1840-43, le dernier vestige des docks.
L'hôtel des Douanes sur un plan touristique de 1861

- Plaque apposée sur le mur de la caserne Vérines, rue Léon-Jouhaux : « Ici s'élevait de 1822 à 1839 le diorama de Daguerre et le laboratoire où celui-ci perfectionnant l'invention de Joseph Nicéphore Niepce découvrit le daguerréotype ». 1839, c’est l’année où, à l'instigation d'Arago, une loi fut votée par laquelle l'État français acquérait le nouveau procédé contre une pension annuelle de 6 000 francs à Daguerre et de 4 000 francs à Isidore Niepce, le fils de Nicéphore.

- 10 rue Léon Jouhaux, PLU, Remarquable bâtiment d'activité de la fin du XIXe  siècle, l'un des rares bien conservés de cette période dans le secteur. Composition marquée par deux travées réunies et formant une grande baie centrale sur deux niveaux à cadre et garde-corps métallique, surmontée d'un fronton arqué à denticules. Porte cochère. Soubassement orné de refends. Garde-corps de fonte à motif floral et présentant deux têtes de lion.
- Tivoli Wauxhall, 12, 14, 16 rue de la douane, place du Château-d’Eau. Bal public dès 1841,
Affiche de Chéret. Gallica

cavaliers 1 franc, entrée libre pour les dames ; et salle de réunions. Vingt ans, jour pour jour, après la répression sanglante de juin 1848, et le long étouffoir de l’empire, se tient ici, le 28 juin 1868, la première réunion publique autorisée, autour d’un professeur d’économie politique, M. Horn, un Hongrois naturalisé, - comme est hongrois l’ouvrier Léo Frankel, futur « ministre » du Travail de la Commune. Le sujet, ce soir, « les moyens de relever le salaire du travail des femmes ». Si aborder politique et religion est interdit, la police y veille, « la question sociale » se trouve naturellement, par le thème de cette réunion, soulevée et discutée. Le 15 février 1871, s’y tient une réunion de délégués de la Garde nationale, qui siègent en assemblée générale le 24 février, élisant ce jour-là un Comité central qui prend pour devise la formule républicaine : « Tous pour chacun, chacun pour tous ». Différents systèmes de représentation seront mis en œuvre avant que, le 13 mars, en présence des délégués de 215 bataillons, un Comité central de la garde nationale, associant 60 élus à 20 chefs de bataillons, puisse s’y réunir. De ces soixante élus, seuls Assi, Varlin, Ranvier et Lullier ont quelque notoriété militante, tous les autres sont sortis du rang.
Le 21 janvier 1878, une brochette de progressistes prépare ici le centenaire de Voltaire, parmi lesquels le député quarante-huitard Schoelcher, qui a fait voter l’abolition de l’esclavage, l’industriel Scheurer-Kestner qui jouera un rôle important dans la défense de Dreyfus, l’industriel Émile Menier, qui a été des 50 (contre 392) à voter l’amnistie des Communards en 1876, et propriétaire du Bien Public (dans lequel l’Assommoir parut en feuilleton), journal qu’il rebaptisera d’ailleurs en Voltaire.
Le 28 avril 1905, un grand meeting réunissant 2 000 personnes célèbre à Tivoli l’unification socialiste. Gustave Hervé y déclare : « nous sommes décidés à répondre à tout ordre de mobilisation par la grève des réservistes ! »
Le 9 septembre 1907, Jaurès y rend compte du 7e Congrès de la IIe Internationale, qui a réuni a Stuttgart, en août, Jules Guesde, Édouard Vaillant, Rosa Luxembourg, Lénine, Martov.

En face, dans les bâtiments de la CCI, le 11F abrite désormais, à l’escalier G, 3ème étage, la galerie “La Douane“ de Chantal Crousel, le label de musique Tsunami, des créateurs de mode, signe du changement sociologique du quartier, devenu le “Haut Marais“.

Sur la passerelle Dieu, on évoque le suicide de Stanislas Baudry (1780-1830), inventeur en 1827 de l’Entreprise Générale de “l’Omnibus“, et du nom sinon de la chose. En 1829, ses voitures de 20 places desservent 5 lignes de 8h du mat à 11h du soir, dont 2 passent par le 17 rue de Lancry, siège de la société de MM. Saint-Céran, Baudry et Boitard, ce qui semblerait indiquer que les écuries sont dans la cour de l’hôtel.
Le 17, rue de Lancry, est un hôtel particulier construit probablement en 1774 au fronton de porte sculpté de putti et cornes d'abondance monogrammé A.H. En fond de cour, un pavillon sera ajouté en 1852. C'est un bel exemple de lotissements en profondeur caractéristique du quartier.
Du coup, le suicide de Baudry, dont on nous dit qu’il eut lieu, en février 1830, d’une balle dans la tête devant les écuries de sa compagnie, sur les bords du Canal Saint-Martin, je le vois bien place des Marais, autour de laquelle les entrepôts seront bâtis à partir de 1833. A cette date, les Omnibus, qui ont désormais pour gérants X. Feuillant et Moreau-Chaslons, et exploitent maintenant 7 lignes, sont passées 10 rue de la Folie-Méricourt.
On trouve une société concurrente, Les Citadines, 2 impasse St-Louis (l’impasse allait en gros des actuelles rues Bichat à Vellefaux), qui exploitent 3 lignes desservant le faubourg St-Martin et Belleville.
Sur le quai de Jemmapes, l'entrepôt réel des sucres indigènes, gravure de l'Illustration, 1844

On prend la rue Bichat, tout en laissant le Dr Raimond Sabouraud nous rappeler la mémoire de Lailler : « un médecin de Saint-Louis qui fut un grand homme de bien. Après la Commune de Paris en 1871, lors de la rentrée dans Paris des troupes régulières, l'hôpital Saint-Louis regorgeait de blessés du parti vaincu. Lailler alors en fit fermer les portes et se tint derrière elles pour répondre à toutes réquisitions des autorités. Le vieux médecin avait accroché à sa vareuse d'hôpital sa croix de la Légion d'honneur.
Plusieurs officiers de l'armée régulière se présentèrent pour perquisitionner dans l'hôpital, il les convainquit assez facilement de n'en rien faire, et ils passèrent. Un dernier survint, plus arrogant, qui voulut bousculer le vieux médecin et passer outre. Alors celui-ci arracha sa croix de la Légion d'honneur et la lui jeta au visage. (Il n'en porta plus jamais l'insigne). L'officier dernier venu, frappé d'étonnement devant ce geste du médecin, se retira lui aussi. Ainsi furent sauvés les blessés qui remplissaient les salles de chirurgie. »
Le 25 mai 1895 sera inauguré un buste du Dr. Lailler sculpté par Hannaux, Emmanuel (1855-1934).

42, rue Bichat. C'est dans la cour actuelle de l'Ecole Lailler, dans l'angle sud ouest de l'hôpital, que fut établie la première usine à gaz de France : trois cents becs de gaz s’y allument le 1er janvier 1818. "sous les auspices de M. le Comte de Chabrol" dit la plaque commémorative, avec le concours de la Ville de Paris et du Conseil général des Hospices. C’est le premier établissement public éclairé par ce moyen. Le Comte de Chabrol était alors Préfet de la Seine. L'usine  de Philippe Le Bon ne fut fermée qu'en 1860.
« Lailler était un vieux huguenot particulièrement docile aux suggestions de sa conscience, écrit encore le Dr Raimond Sabouraud en 1937. C'est lui qui suggéra à l'Assistance publique, l'idée de créer à l'hôpital Saint-Louis, en 1886, une école, (Elle porte aujourd'hui son nom) où l'on traiterait les enfants teigneux, évincés des écoles publiques pour cause de contagion, et qui devenaient de petits vauriens. »

25 à 27 rue de la Grange Aux Belles. Maison basse de faubourg avec porche ouvrant sur une profonde cour bordée d'une construction d'un étage sur rez-de-chaussée. Lucarnes. PLU

- Maison des Syndicats, 33 rue de la Grange-aux-Belles, impasse Chausson.
De la collection de Jeannine Christophe
Expulsée de la Bourse du Travail le 12 novembre 1905, la CGT loue d’abord un local provisoire puis Robert Louzon, qui vient d’hériter, achète le 5 juin 1907, pour elle et les fédérations qui voudront y installer leur siège un immeuble, ce que la loi de 1884 ne permet pas aux syndicats de faire directement. Victor Griffuelhes, son secrétaire général, y installe au rez-de-chaussée une imprimerie, où Pierre Monatte entrera comme correcteur en janvier 1908, et où s’imprime la Voix du peuple, l’hebdomadaire de la confédération depuis son 5e congrès, celui tenu à Paris du 10 au 14 septembre 1900. Un dispensaire doit servir à la rentabilité de l’ensemble. Daniel Guérin sera lui aussi, dans les premières années 1930, correcteur à cette imprimerie, où il croisera Arrachard, des terrassiers, et Eugène Hénaff qui porte toujours les larges pantalons de satin noir et la casquette du cimentier.
Le 31 juillet 1908, à l’imprimerie, Monatte et Emile Pouget (celui du Père Peinard, rédacteur en chef de la Voix du peuple) travaillent à un numéro de La Voix du peuple qui appelle à la grève générale pour le 3 août. La veille, ils ont assisté à la charge de la cavalerie sur la manifestation de Villeneuve-Saint-Georges, qui a laissé 4 morts et 200 blessés sur le carreau. A l’étage, le Comité confédéral est convoqué pour minuit ; Monatte, au sortir de son travail, va coucher par prudence chez un ami correcteur. Le bureau confédéral n’était pas chaud pour la manifestation de Villeneuve. La grève du bâtiment avait commencé dans les sablières de Draveil-Vigneux et durait depuis deux mois ; le 2 juin, la police y avait déjà fait 2 morts et 10 blessés graves. Depuis la tension montait, et il était clair que Clémenceau recherchait l’épreuve de force ; le terrible bilan de la veille, s’il était insupportable n’était malheureusement que trop prévisible. Au petit matin, le préfet de police, Lépine, venait mettre fin aux débats en arrêtant Griffuelhes, Pouget et Marie.
Alors qu’il est en prison avec la majorité du Comité confédéral, Griffuelhes est mis en cause pour sa mauvaise gestion par le trésorier de la CGT. Quand il en sort, après le non-lieu du 31 octobre (il a été arrêté le 1er août), il refuse en bon libertaire de rendre des comptes et préfère ne pas demander le renouvellement de son mandat en février 1909. Pouget ne se représente pas davantage au poste de rédacteur en chef de la Voix du peuple. Léon Jouhaux succède à Griffuelhes le 13 juillet 1909 ; il est ouvrier à la manufacture d’allumettes d’Aubervilliers, est passé par un cercle anarchiste, a fréquenté les Universités populaires. Il porte casquette, barbiche et moustache impériales, la cravate Lavallière, des pantalons bouffant aux genoux et serrés aux chevilles. C’est Jouhaux qui entraînera la CGT dans l’Union sacrée et le soutien à la guerre.
Pendant la guerre, le bureau d’Alphonse Merrheim, secrétaire de la Fédé des Métaux, à la Grange-aux-Belles est le lieu de rassemblement de tous les minoritaires qui passent ; Merrheim fait reparaître l’Union des métaux pour le 1er mai 1915 : un numéro anti-guerre, dont il écrit les articles avec Rosmer. Ensemble, ils s’occupent de son impression et organisent la distribution de 15 000 exemplaires. Avec Raymond Péricat, du bâtiment (Péricat a été le créateur du 1er PCF, en mai 1919, qu’il a doté du drapeau noir et rouge qui apparaîssait ainsi pour la 1ère fois en France), et Bourderon, des tonneaux, le secrétaire de la fédération des métaux organise le Comité d’action internationale, le 21 novembre 1915, qui a son siège ici, et qui deviendra le Comité pour la Reprise des Relations internationales le 7 février 1916. Mais Merrheim refusera d’accéder à la demande de Péricat d’organiser un arrêt de travail le 1er mai 1917 et finira à l’aile droite de la CGT. 
Si la Grange-aux-Belles est d’abord syndicale, la politique n’en a jamais été exclue. Les 4, 11 et 19 avril 1909 s’y était tenu un congrès anarchiste pour la constitution d’une Fédération révolutionnaire. Du 7 au 10 octobre 1918, s’y déroule, dans la grande salle de la CGT, le congrès national du PS, dont la journée inaugurale a eu lieu à la Bellevilloise. Et, après la scission, du 15 au 17 mai 1921, le premier congrès national administratif du PC décide ici que le parti s’appellera Parti communiste S.F.I.C. à compter du 1er janvier de l’année suivante, en même temps qu’il adopte et publie ses premiers statuts. Le deuxième congrès du parti communiste S.F.I.C. s’y réunit à nouveau le 15 octobre 1922, devant un unique portrait de Marx en couleurs, et le délégué du Komintern, Manouilsky, soustrait à l’observation de la police par une coupure du courant comme Clara Zetkin l’avait été au congrès de Tours. Auparavant, N’Guyen Aït Quoc, le futur Hô Chi Minh, et Hadj Ali Abdel Kader, le quincaillier de la rue Mouffetard, futur fondateur de l'Etoile Nord-Africaine avec Messali Hadj, y sont intervenus sur l’importance de la question coloniale.
A l’été 1923, à la Grange-aux-Belles, il y a un meeting toutes les semaines, à en croire Jacques Valdour, et 2 à 3 000 auditeurs à chaque fois. A l’entrée, des camelots vendent La Bataille syndicaliste, L’Avant-Garde aussi bien que le Libertaire, et l’Ouvrière, l’hebdomadaire que le PC a lancé en novembre de l’année précédente, à 3 000 exemplaires, et qui aura une dizaine d’années d’existence, non sans quelques interruptions. Sur les tables, des livres qui ont pour titre Le droit à l’amour pour la femme ou Les douze preuves de l’inexistence de dieu, par Sébastien Faure.
Et puis voilà que la cohabitation se fait difficile. Le 11 janvier 1924, nouveau meeting du PC contre la vie chère et la politique gouvernementale en Allemagne ; les anarchistes, qui ont déjà protesté contre l’utilisation de ce local syndical par un parti, vont y porter la contradiction, et la réponse revient sous forme de plomb : 2 anars sont tués sauf que, selon May Picqueray « Comble de cynisme, un délégué du P.C. alla trouver la famille Clot, présenta la chose à sa façon et le P.C. fit à Clot de magnifiques funérailles... après l'avoir assassiné ! » Effectivement, l’appartenance politique de ce dernier reste controversée, mais la guerre est ouverte au sein du mouvement ouvrier français.
L’unité, celle en tous cas des communistes et des socialistes, se remettra en marche après février 1934. En commençant par le sport : les 23 et 24 décembre, les délégués de 515 clubs de l’USSGT socialiste (environ 7 000 membres) et de la FST communiste (environ 11 000 membres) décident ici de la fusion qui crée la FSGT. Le 12 février 1935, s’y tient l’un des trois meetings commémoratifs des évènements de février 1934 ; c’est Marceau Pivert qui est à la Grange-aux-Belles (Zyromski est à la Mutualité) pour la fédération de la Seine du PS, partageant la tribune avec le PC, la CGTU et le Comité de Coordination Unitaire Antifasciste. Enfin, le 8e et dernier congrès de la CGTU s’achève ici le 27 septembre : au soir, on s’en va rejoindre à la Mutualité, où il s’y déroulait, le congrès de la CGT.
Le 2 décembre 1936, l’association des Amis de l’Union soviétique, Jean Lurçat et Fernand Grenier en tête, y répondait au Retour de l’URSS d’André Gide
En 1949, Aragon y présentait aux lecteurs ouvriers le premier tome de ses Communistes.

- Librairie du Travail, 96 quai de Jemmapes. A dater de janvier 1911, dans la boutique du rez-de-chaussée, l’administration de la Vie Ouvrière et de ses 1 607 abonnements, et la librairie ; au-dessus se tiennent les réunions de rédaction, tous les jeudis soirs, à 8h. En 1914, la revue atteint presque 2 000 abonnés et a des numéros de 80 pages et parfois plus, bien illustrés, quand la guerre vient tout interrompre.
« Presque au coin de la rue Grange-aux-Belles et du quai Jemmapes, à Paris, s’ouvrait encore en 1914 une petite boutique grise, une Librairie du Travail... Cette boutique ferma le 2 août. Et pourtant, certains soir d’automne, vers 9 heures, les policiers pouvaient constater qu’une vie furtive y brillait, que des conspirateurs, l’un après l’autre, s’y glissaient. J’y ai plus d’une fois participé. On se bornait à tisonner tristement les restes refroidis de l’Internationale ; à dresser, d’une mémoire amère, la liste immense de ceux qui avaient failli ; à entrevoir, avec une clairvoyance inutile, la longueur d’une lutte d’usure où seule serait vaincue la civilisation », écrira Raymond Lefèbvre (délégué au 2e congrès de l’Internationale Communiste en juil-août 1920, il disparaitra en mer Baltique lors du voyage de retour comme Marcel Vergeat et 2 autres).
Le métro comme les transports de surface s’arrêtaient au soir tombant, on rentrait donc ensuite à pied. En septembre 14, c’est en allant chaque jour, place de la République, chercher Le Journal de Genève, pour le feuilleton de Romain Rolland, « Au-dessus de la mêlée », qui se commente à haute voix autour du kiosque, que Pierre Monatte rencontre le comptable Marcel Hasfeld, qui viendra tenir la Libraire du Travail.
Syndicalistes révolutionnaires et socialistes des partis de la 2e Internationale s’ignoraient encore : les premiers, partisans de l’action directe, laissaient aux autres leurs opérations parlementaires. Certes, les socialistes russes apparaissaient d’une autre trempe, mais ils vivaient à part. Le groupe de la Vie Ouvrière rechercha le contact à la suite d’une lettre ouverte de Martov que publia Gustave Hervé. Ils rencontrèrent donc Martov, d’abord au cours de conversations particulières ; « un homme aux traits creusés, à la barbe déjà grisonnante, au beau regard profond, à la voix rauque, et qui marchait en traînant la jambe en souvenir des fers qu’il avait longtemps portés en Sibérie », ainsi le décrira Marcel Martinet. Puis vint une prise de contact officielle avec une délégation composée de Martov, le plus âgé, la quarantaine ; d’un polonais nommé Lapinsky, enfin de Trotsky.
Martov parti en Suisse, est remplacé dans la délégation par Losovsky, qui a été le secrétaire du syndicat des casquettiers et qui sera le dirigeant de l’Internationale Syndicale Rouge. Il déplacera les réunions à son domicile. Trotsky côtoie donc Monatte et, celui-ci ayant été mobilisé en février 1915, Alfred Rosmer, qui retranscrit scrupuleusement leurs longues conversations à Monatte, dont elles constituent l’oxygène dans ses tristes tranchées.
La Vie Ouvrière reparaîtra le 30 avril 1919 sous forme hebdomadaire ; des nouveaux ont rejoint le groupe : Fernand Loriot, Gaston Monmousseau, les futures plus belles moustaches du prolétariat français, Marcel Vergeat. Le journal trouve vite 4 000 abonnés et sa diffusion avoisine les 20 000 exemplaires, selon les chiffres de la police. A la scission syndicale, fin 1921, Monmousseau apportera la V.O. à la CGTU. A compter du début de 1922, Monatte, hostile à la division, se retire de la VO dont le comité de rédaction se compose alors de Monmousseau, Racamond, Bisch, Semard, Dudilieux, Couture, Audin, Chambelland.
Monatte ayant perdu sa V.O., la boutique du quai de Jemmapes sera, à partir de juin 1925 et jusqu’en avril 1929, le siège de sa nouvelle revue, la Révolution prolétarienne.
Puis la Librairie du Travail passera au 17 rue Sambre et Meuse, toujours gérée par Marcel Hasfeld, avec pour devise : « la vie enseigne, le livre précise ». Elle publiait, dans sa Bibliothèque communiste, les Quatre premiers congrès de l’Internationale communiste et, un peu plus tard, dans sa Bibliothèque de l’opposition communiste, la Troisième période d’erreurs de l’Internationale communiste, de Léon Trotsky.

84 du quai de Jemmapes, cristallerie fondée en 1890, située en aval de l’écluse du pont tournant, une conduite forcée prise depuis le niveau haut de l'écluse entraîne dans le sous-sol de l'atelier une roue à aubes ou une turbine a créé jusqu'aux années 30 des services de cristal pour les grandes marques du luxe, Vuitton, Hermès, Puiforcat. Entreprise Nicolas puis Schweitzer.

- 80 quai de Jemmapes, le Comptoir général http://www.lecomptoirgeneral.com/fr/about autre symbole du changement de nature d’un quartier ex ouvrier.

 De l’autre côté la passerelle : 17-19 rue de Marseille, PLU, Groupe scolaire conçu par les architectes Daniel et Lionel Brandon qui ont travaillé en collaboration avec Raoul Brandon. La construction de cet édifice commence en 1933 et est achevée en 1949 par Edouard Boegner. L’école, construite en brique rose et le béton  bouchardé teinté en rose, s’organise autour de trois cours. La maternelle donne sur la rue de Marseille, l’école des filles occupe le bâtiment localisé au fond de la parcelle et l’école des garçons clôt l’ensemble sur la rue des Vinaigriers. Les ferronneries des portes d’entrée furent réalisées par Edgar Brandt. Le décor de la porte de l’école maternelle a été inspiré par les fables de La Fontaine et celui de la porte de l’ancienne école de filles, par les contes de Perrault. Les deux panneaux sculptés en bas-reliefs, représentant les allégories de l’enseignement, sont l’œuvre  de K.-L. Ginsburg et F. Bazin.

[1] L’emploi populaire du féminin est dû sans doute à l’influence d’auberge, mot plus courant pour désigner le lieu accueillant des voyageurs.