Daumesnil - Charenton, ou le Droit au Bonheur


Le réseau routier tracé à travers le bois de Vincennes, son éclairage électrique, sont des vestiges de l’Exposition coloniale de Paris de 1931. En dépit des tracts du Secours rouge international, en dépit de ceux que distribuent les surréalistes : « Ne visitez pas l’Exposition coloniale » :
- « La présence sur l’estrade inaugurale de l’Exposition Coloniale du Président de la République, de l’Empereur d’Annam, du Cardinal Archevêque de Paris et de plusieurs gouverneurs et soudards, en face du pavillon des missionnaires, de ceux de Citroën et Renault, exprime clairement la complicité de la bourgeoisie tout entière dans la naissance du concept nouveau et particulièrement intolérable : la « Grande France ». C’est pour implanter ce concept-escroquerie que l’on a bâti les pavillons de l’Exposition de Vincennes. Il s’agit de donner aux citoyens de la métropole la conscience de propriétaires qu’il leur faudra pour entendre sans broncher l’écho des fusillades lointaines. Il s’agit d’annexer au fin paysage de France, déjà très relevé avant-guerre par une chanson sur la cabane-bambou, une perspective de minarets et de pagodes. A propos, on a pas oublié la belle affiche de recrutement de l’armée coloniale : une vie facile, des négresses à gros nénés, le sous- officier très élégant dans son complet de toile se promène en pousse-pousse, traîné par l’homme du pays – l’aventure, l’avancement.
Rien n’est d’ailleurs épargné pour la publicité : un souverain indigène en personne viendra battre la grosse caisse à la porte de ces palais en carton pâte. La foire est internationale, et voilà comment le fait colonial, fait européen comme disait le discours d’ouverture, devient fait acquis. N’en déplaise au scandaleux Parti Socialiste et à la jésuitique Ligue des Droits de l’Homme, il serait un peu fort que nous distinguions entre la bonne et la mauvaise façon de coloniser. » André Breton, Paul Éluard, Benjamin Péret, Georges Sadoul, Pierre Unik, André Thirion, René Crevel, Aragon, René Char, Maxime Alexandre, Yves Tanguy, Georges Malkine. -
 Malgré l’action de la CGTU et d’une Ligue contre l’oppression coloniale que préside Albert Einstein, plus de cinq cent mille visiteurs, en six mois, vont visiter cette exposition que le ministre des Colonies, Paul Reynaud, a inaugurée en affirmant que « l’idée coloniale doit désormais faire partie intégrante de l’idée de citoyen ».
« La vérité sur les colonies », la contre-expo organisée par la CGTU et Einstein dans l’ancien pavillon soviétique de l’exposition des Arts Déco de 1925, n’en accueillera, du 19 septembre au 2 décembre, que quatre mille cinq cents. S’en est-on consolé en se disant que les gens allaient à Vincennes surtout pour le Parc zoologique, qui vit affluer cinquante mille visiteurs dès le premier dimanche ? Un zoo strictement colonial, lui aussi, réservé à la faune de nos territoires africains, donc sans tigres, ces félins-là appartenant à la couronne britannique.
L’immense rocher artificiel de près de soixante-dix mètres de haut nous vient de l’Expo de 1931, comme le Temple bouddhique installé dans les anciens pavillons du Togo et du Cameroun (au 40, route circulaire du lac Daumesnil), comme, bien sûr, ce bâtiment, construit à partir de 1928 par les architectes Léon Jaussely et Albert Laprade, assistés de Léon Bazin, et inauguré en mai 1931 pour l'Expo. Seul pavillon construit en matériaux durables (moellons et béton armé), il était destiné à devenir le "Palais permanent des Colonies" ; il sera le musée de la France d’outre-mer en 1935, le musée des Arts d’Afrique et d’Océanie à compter de 1960, où demeure le « salon de Lyautey », commissaire général de l’Exposition, enfin Cité nationale de l’histoire de l’Immigration. La façade est ornée d'un immense bas-relief en pierre, signé d'Alfred Janniot, évoquant les richesses des colonies françaises d'Afrique, d'Asie et d'Océanie. Des éléments de la décoration du palais sont dus aux peintres Pierre Ducos de la Haille, André-Hubert Lemaître, Hivannah Lemaître et Louis Bouquet ; aux ferronniers d'art Edgar Brandt, Raymond Subes et Jean Prouvé (grille d'entrée en fer forgé) . Les ensembles mobiliers sont dus à Eugène Printz et à Emile-Jacques Ruhlmann. Au sous-sol, l'aquarium tropical est un témoin de la présentation d'origine.


La statue dorée d’Athéna ou, plus exactement, de La France apportant la paix et la prospérité aux colonies, de Léon-Ernest Drivier, un élève de Rodin, fait partie du même lot.

On retourne vers le centre de Paris par l’avenue Daumesnil, ouverte d’ici à la place Félix Éboué en 1862, sur l’ancien chemin des Passe-Putains autrement dit celui de Saint-Maur dont, à la porte de Picpus, une branche nord remontait sur Saint-Mandé. On met ici nos pieds dans les pas de Fouquet, des Trois Mousquetaires et de leur quatrième, d’Artagnan ; de Molière, de La Fontaine, poète officiel du surintendant des finances, pensionné pour lui livrer une brassée de poèmes à chaque changement de saison, et de tant d’autres qui le foulèrent de 1654 à 1661.
Fouquet, « l’écureuil », comme il s’est voulu (il a choisi l’animal comme emblème avec cette devise Quo non ascendet : Où ne montera-t-il pas ?), n’était pas sans rapport avec le fait colonial : en 1658, il avait acheté Belle-Île, en avait restauré les murailles, y avait fait bâtir un port, des magasins et des entrepôts, pour en faire la base d’une dizaine de navires destinés au « commerce de Cadix » et des Indes. Fouquet était ainsi l’un des premiers armateurs du royaume.
Depuis 1654, il était le propriétaire, à Saint-Mandé, de l’ancienne demeure de Cateau la Borgnesse, femme de chambre d'Anne d'Autriche, qui avait déniaisé le jeune Louis XIV (et dont il nous reste l’hôtel du 68, rue François-Miron). Il en avait fait une préfiguration de la magnificence à venir à Vaux-le-Vicomte.
Le vicomte de Bragelonne, de Dumas père, nous rend visibles ces passants d’il y a trois siècles et demi, dont un Molière qui, chez le tailleur Percerin où il a rendez-vous avec Aramis, a été pris par Porthos, désormais baron du Vallon, pour l'un des garçons de la maison. Il trouvera dans les manières de Porthos la matière de son bourgeois-gentilhomme :
« Aramis alla droit à Porthos, lui présenta sa main fine et blanche, qui alla s’engloutir dans la main gigantesque de son vieil ami, opération qu’Aramis ne risquait jamais sans une espèce d’inquiétude. Mais, la pression amicale s’étant accomplie sans trop de souffrance, l’évêque de Vannes se retourna du côté de Molière.
– Eh bien, Monsieur, lui dit-il, viendrez-vous avec moi à Saint-Mandé ?
– J’irai partout où vous voudrez, Monseigneur, répondit Molière.
– À Saint-Mandé ! s’écria Porthos, surpris de voir ainsi le fier évêque de Vannes en familiarité avec un garçon tailleur. Quoi ! Aramis, vous emmenez Monsieur à Saint-Mandé ?
– Oui, dit Aramis en souriant, le temps presse.
– Et puis, mon cher Porthos, continua d’Artagnan, M. Molière n’est pas tout à fait ce qu’il paraît être.
– Comment ? demanda Porthos.
– Oui, Monsieur est un des premiers commis de maître Percerin, il est attendu à Saint-Mandé pour essayer aux épicuriens les habits de fête qui ont été commandés par M. Fouquet.
– C’est justement cela, dit Molière. Oui, Monsieur.
– Venez donc, mon cher monsieur Molière, dit Aramis, si toutefois vous avez fini avec M. du Vallon.
– Nous avons fini, répliqua Porthos.
– Et vous êtes satisfait ? demanda d’Artagnan.
– Complètement satisfait, répondit Porthos. (…)
L’évêque de Vannes, fort marri d’avoir rencontré d’Artagnan chez maître Percerin, revint d’assez mauvaise humeur à Saint-Mandé.
Molière, au contraire, tout enchanté d’avoir trouvé un si bon croquis à faire, et de savoir où retrouver l’original, quand du croquis il voudrait faire un tableau, Molière y rentra de la plus joyeuse humeur.
Tout le premier étage, du côté gauche, était occupé par les épicuriens les plus célèbres dans Paris et les plus familiers dans la maison, employés chacun dans son compartiment, comme des abeilles dans leurs alvéoles, à produire un miel destiné au gâteau royal que M. Fouquet comptait servir à Sa Majesté Louis XIV pendant la fête de Vaux.
Pélisson, la tête dans sa main, creusait les fondations du prologue des Fâcheux, comédie en trois actes, que devait faire représenter Poquelin de Molière, comme disait d’Artagnan, et Coquelin de Volière, comme disait Porthos.
Loret, dans toute la naïveté de son état de gazetier – les gazetiers de tout temps ont été naïfs – Loret composait le récit des fêtes de Vaux avant que ces fêtes eussent eu lieu.
La Fontaine vaguait au milieu des uns et des autres, ombre égarée, distraite, gênante, insupportable, qui bourdonnait et susurrait à l’épaule de chacun mille inepties poétiques. Il gêna tant de fois Pélisson, que celui-ci, relevant la tête avec humeur :
– Au moins, La Fontaine, dit-il, cueillez-moi une rime, puisque vous dites que vous vous promenez dans les jardins du Parnasse.
– Quelle rime voulez-vous ? demanda le fablier, comme l’appelait madame de Sévigné.
– Je veux une rime à lumière.
– Ornière, répondit La Fontaine.
– Eh ! mon cher ami, impossible de parler d’ornières quand on vante les délices de Vaux, dit Loret.
– D’ailleurs, cela ne rime pas, répondit Pélisson.
– Comment ! cela ne rime pas ? s’écria La Fontaine surpris.
– Oui, vous avez une détestable habitude, mon cher ; habitude qui vous empêchera toujours d’être un poëte de premier ordre. Vous rimez lâchement !
– Oh ! oh ! vous trouvez, Pélisson ?
– Eh ! oui, mon cher, je trouve. Rappelez-vous qu’une rime n’est jamais bonne tant qu’il s’en peut trouver une meilleure.
– Alors, je n’écrirai plus jamais qu’en prose, dit La Fontaine, qui avait pris au sérieux le reproche de Pélisson. Ah ! je m’en étais souvent douté, que je n’étais qu’un maraud de poëte ! Oui, c’est la vérité pure.
– Ne dites pas cela, mon cher ; vous devenez trop exclusif, et vous avez du bon dans vos fables.
– Et pour commencer, continua La Fontaine poursuivant son idée, je vais brûler une centaine de vers que je venais de faire.
– Où sont-ils, vos vers ?
– Dans ma tête.
– Eh bien, s’ils sont dans votre tête, vous ne pouvez pas les brûler ?
– C’est vrai, dit La Fontaine. Si je ne les brûle pas, cependant...
– Eh bien, qu’arrivera-t-il si vous ne les brûlez pas ?
– Il arrivera qu’ils me resteront dans l’esprit, et que je ne les oublierai jamais.
– Diable ! fit Loret, voilà qui est dangereux ; on en devient fou !
– Diable, diable, diable ! comment faire ? répéta La Fontaine.
– J’ai trouvé un moyen, moi, dit Molière, qui venait d’entrer sur les derniers mots.
– Lequel ?
– Écrivez-les d’abord, et brûlez-les ensuite.
– Comme c’est simple ! Eh bien, je n’eusse jamais inventé cela. Qu’il a d’esprit, ce diable de Molière ! dit La Fontaine… »

- 275 av Daumesnil, restaurant de la porte Dorée où, le 30 mai 1896, après les municipales, un banquet socialiste réunit toutes les tendances à l’exception des allémanistes : Combes, Camélinat, Reclus, Guesde, Brousse, Vaillant, Jaurès, Sembat, Millerand, Viviani…Alexandre Millerand y définit un passage par étapes au socialisme, et il prend l’exemple des raffineries de sucre (Say, dans le 13e voisin, compte 2 000 ouvriers) comme celui d’une industrie suffisamment concentrée et « mûre dès à présent pour l’appropriation sociale ».
Au dessert, Jean Jaurès demande à Clovis Hugues, fils d’un meunier provençal, député socialiste de Marseille de 1881 à 1885, de Paris depuis 1893, un poème. Clovis Hugues dit alors ce Droit au Bonheur, écrit dans la prison de Tours en novembre 1872, qui inaugure ici sa présence obligée à tout banquet socialiste :
« Quand on leur dit : - J’ai sans relâche,
Dès l’appel du coq matinal,
Largement accompli ma tâche
Dans le grand œuvre social;
Mais, voilà que ma tête blanche
Se refroidit et qu’elle penche
Comme un fruit qu’a mûri l’été! -
Ils vous répondent : - Prends courage!
Ton bras se refuse à l’ouvrage;
Nous te ferons la charité! –
(…)
Qui donc a lu dans les étoiles
Que, sans jamais se reposer,
Le vent doit déchirer nos voiles
Et sur les écueils nous briser ?
Qu’il faut la tempête à notre onde ?
Qu’il est des êtres dans le monde
Marqués au front pour le malheur,
Et qu’au moment où sur la terre,
On boit le bonheur à plein verre,
Nous n’avons pas droit au bonheur ?
(…)
Au soleil chacun a sa place ;
Le manteau d’un heureux qui passe
Offense notre nudité ;
La terre est la commune mère ;
Et faire l’aumône à son frère,
C’est nier la fraternité !
(…)
A quoi bon pour la République
Tomber comme un héros antique
Dans le roulement des tambours,
Si la charité s’éternise,
S’il n’est plus de terre promise,
Et s’il est des pauvres toujours ?
(…)
Nous voulons aimer, chanter, vivre,
Vider les coupes de l’espoir,
Apprendre à lire dans le livre
De la Science et du Devoir ;
Et nous voulons, si nos épouses
Ont rêvé de rendre jalouses
Les étoiles du firmament,
Que, dans le reflet des dentelles,
S’illuminent aussi pour elles
Des couronnes de diamants !» 
           

Cinq jours plus tôt s’est clos à Reims un Congrès démocratique chrétien qui ouvre pour la première fois la perspective politique et électorale, et pour cela sa transformation en parti, au mouvement ouvrier chrétien. Le pape Léon XIII y a envoyé ce message : « Vers la fin de la présente année, le jour même de la nativité de notre Seigneur, la France catholique se prépare à célébrer, dans la joie et l’espérance, l’anniversaire d’un grand évènement. Quatorze siècles, en effet, se sont écoulés depuis que le roi des Francs, Clovis, cédant aux inspirations de la Divine Providence, abjura le vain culte des faux dieux, embrassa la foi chrétienne, et fut purifié et régénéré dans l’eau sainte du baptême. Grande et solennelle fut cette cérémonie, accomplie dans l’Église métropolitaine de Reims, alors qu’imitant le Roi des Francs, ses deux sœurs et trois mille guerriers reçurent la même grâce des mains du saint pontife Rémi […]. C’est dans ce baptême mémorable de Clovis que la France a été elle-même comme baptisée ; c’est de là que date le commencement de sa grandeur et de sa gloire à travers les siècles. C’est donc à bon droit que, sous la vive et puissante impulsion de notre cher fils, Benoît-Marie Langénieux, archevêque de Reims, des solennités extraordinaires se préparent pour célébrer la mémoire d’un si heureux évènement […]. Pour nous, qui désirons, autant qu’il est en notre pouvoir, rehausser l’éclat de ces solennités et en augmenter les fruits pour les âmes, il nous plaît dans le Seigneur d’ouvrir extraordinairement le trésor des sacrées indulgences. C’est pourquoi, par la miséricorde du Dieu tout-puissant, appuyé sur l’autorité des bienheureux princes des apôtres, nous accordons en forme de jubilé, une indulgence plénière et la rémission de leurs péchés à tous les fidèles de France ».
Clovis Hugues propose la riposte des Lumières contre l’éteignoir : des feux de joie dans lesquels on brûlera des éteignoirs symboliques, cônes de carton au bout d’une baguette, en réclamant à nouveau la séparation de l’Église et de l’État. Une procession partie du canal Saint-Martin fera ainsi la fête toute la nuit aux Buttes Chaumont au son de la Carmagnole.

Le plan originel: 2 escaliers accolés, R+2
- 216 bis à 250 av Daumesnil, PLU : Cité ex Napoléon construite à l’initiative de Napoléon III dans le cadre de l’Expo universelle de 1867, et offerte à une Société coopérative immobilière des ouvriers de Paris en cours de constitution (voir ses statuts). Réalisée par l'architecte Louis-Charles Boileau et l'entreprise Newton et Shepard en béton sans armature mais avec coffrages glissants, elle est constituée de bâtiments de 2 étages comprenant 1 seul logement de 34 m2 par palier (1 cuisine, 1 salle à manger, 1 chambre en enfilade). C’est la Soc. Coop. qui les surélèvera vers 1878-1881 d’un étage supplémentaire (architecte Ch. Lecornu) et supprimera un escalier sur deux par souci de rentabilité.

- 199, av Daumesnil, PLU : Pavillon réalisé par l'architecte Joseph Bourdeix en 1879 (daté et signé), en pierre et brique, adossé en limite parcellaire, avec un petit jardin en façade. Librement inspiré du style Louis XIII et de l'architecture baroque, il présente de nombreux éléments décoratifs, ferronnerie, modénatures d'angle et de fenêtres ainsi qu'une tourelle centrale datant de la fin du XIXe siècle. C'est une des premières maisons édifiées autour de la place Félix Eboué. Malheureusement, elle est en partie occultée par un petit bâtiment de qualité médiocre, récemment construit, qui est placé devant elle.

- place Félix Eboué, barrière de Reuilly du mur des Fermiers généraux. La fontaine de Davioud, érigée place de la République en 1874, est arrivée là en 1882. Au n°6 de la place (angle rue Claude Decaen) PLU : Immeuble de rapport bourgeois en pierre de taille, construit en 1904 par l'architecte Achille Champy assisté du sculpteur Depois de Folleville. Richement décoré, il mêle références au style historique et influence de l'Art Nouveau, notamment dans le travail de ferronnerie et des motifs sculptés.

Station de métro Félix Eboué : Accès à la station du métro, dessiné en 1900 par l'architecte Hector Guimard pour la Compagnie générale du Métropolitain de Paris. La station est située sur la ligne 6 du métro, inaugurée en 1909. L'arrêté de protection porte sur l'ensemble des réalisations subsistantes de Guimard pour le métro.

- 186 Daumesnil, inscrite MH : Eglise construite de 1928 à 1935 par l'architecte Paul Tournon. Le plan de l'édifice s'inspire de celui de Sainte-Sophie à Istanbul. Il est réalisé en béton armé sur les plans de l'entreprise de François Hennebique, avec un revêtement de briques rouges de Bourgogne. Coupole à 33 mètres de hauteur, et de 22 mètres de diamètre. Vaste crypte. Le programme décoratif retrace l'histoire de l'église militante puis triomphante, du 2e au 20e siècle, et fait appel aux Ateliers d'Art Sacré, composés des artistes suivants : Maurice Denis, Georges Desvallières, Nicolas Untersteller et Elizabeth Branly pour la peinture murale et la fresque ; Carlo Sarrabezolles pour la sculpture ; Louis Barillet, Paul Louzier et Jean Herbert-Stevens pour les vitraux ; Raymond Subes pour la ferronnerie ; Marcel Imbs pour la mosaïque et les cartons des vitraux de la crypte.

- 10, rue de la Brèche aux Loups – 67, rue des Meuniers, PLU : Immeuble de rapport construit par l'architecte Louis Bonnier en 1912-1913 (bien que signé de son fils Jacques Bonnier qui lui servit d'assistant sur ce chantier à sa sortie des Beaux-Arts). Le commanditaire est un cousin ami des Bonnier, Jules Cuisinier. Cette "maison à petits loyers" est composée de logements d'une ou deux pièces et cabinet. La façade est très subtilement dessinée avec des avancées en pointe pour les fenêtres des pièces de service, qui forme une série verticale couronnée au sixième étage par une succession d'arrondis sur pans coupés d'un très beau mouvement en forme de vague. Les balcons sont soutenus par des fers et des voûtains de brique qui reprennent, perpendiculairement à la façade, le mouvement d'ondulation du couronnement. Le calepinage des briques, leur couleur, illustrent le parti constructif. La porte d'entrée est un exemple rare d'utilisation de tôle noire et de dalles de verre. Elle est surmontée par une corniche qu'agrémente une frise de mosaïque polychrome.

Rue de Charenton, on met maintenant nos pas dans ceux des réformés. L’édit de Nantes de 1598 a repoussé l’exercice de leur culte à cinq lieues, Henri IV leur accorde néanmoins Charenton, qui n’est qu’à deux lieues. Dès 1607, un temple y est construit par Jacques II Androuet du Cerceau, l’architecte, avec Louis Métezeau, du nouveau Louvre du roi. Il est flanqué d’un cimetière, et passent aussi sur cette route les morts que l’on porte en terre comme y oblige le même édit : de nuit, sans cortège et sous la surveillance d’un archer du guet.
Il suffit pourtant que le duc de Mayenne, frère du duc de Guise et son successeur à la tête de la Ligue, ait été tué au siège de Montauban, pour que des huguenots revenant de Charenton soient attaqués au faubourg Saint-Antoine, le 26 septembre 1621. Le lendemain, leurs agresseurs partent en nombre vers leur temple pour y mettre le feu. Le temple est reconstruit, agrandi, par Salomon de Brosse. Les voyageurs hollandais De Villers qui, le 28 janvier 1657, vont y entendre prêcher Jean d’Aillé, y trouvent « autant de monde qu’à notre Cloosterkerck à La Haye. La plupart des gens de condition de notre religion, venant à Paris ou pour affaires ou pour faire leur Cour, en augmente le nombre ». Ce flot ne tarira pas avant qu’en 1685 l’édit de Nantes soit révoqué, et le temple aussitôt détruit pierre à pierre.

- 256, rue de Charenton, PLU : Deux anciennes maisons de faubourg, implantées sur une petite parcelle triangulaire, ayant conservé en bonne partie leur façade en plâtre avec moulure en refends horizontaux au premier étage.

- 223 – 225, rue de Charenton, PLU : Ensemble d'habitation remarquable et unique dans le 12e arrondissement pour sa cour pavée entourée par une série de six bâtiments identiques adossés aux limites de la parcelle, datant du milieu du XIXe siècle. Chaque bâtiment comporte un escalier double avec perron, un socle en maçonnerie et une façade en plâtre (quatre niveaux), rehaussée de fines modénatures à tous les étages et de persiennes à chaque fenêtre.

- 213 - 215 rue de Charenton / bd de Reuilly, PLU : Immeuble de rapport à usage mixte édifié vers 1900 à l'angle du boulevard de Reuilly et de la rue de Charenton. Façade en pierre de taille richement ornée (bow-windows, chaînes de refends, consoles des appuis de fenêtres). Rez-de-chaussée et entresol réservé à l'activité commerciale. Angle à pan coupé surmonté d'une coupole à couverture d'ardoise et d'une lanterne.

Par la rue Dugommier, on arrive face à la gare de Reuilly (185, av Daumesnil) du chemin de fer de Vincennes et de la Varenne-Saint-Maur appartenant à la compagnie de l’Est. Le viaduc a été livré à l’exploitation le 22 septembre 1859, avec pour 1ère station Bel Air, alors hors les murs ; la gare de Reuilly ouverte le 31 mars 1877 et avancée au bord de l’avenue en 1899. Un train à impériale part de la Bastille pour « Nogent Eldorado du dimanche », comme l’exprimait Marcel Carné dans son documentaire de 1929, où les filles sont belles sous les tonnelles quand on y boit le petit vin blanc. En 1952 encore, on ira à Joinville-le-pont, pon, pon, guincher chez Gégène avec Roger Pierre. La ligne est aussi l’un des moyens d’accéder à la Fête de l’Huma qui, de 1945 à 1956, se tient au bois de Vincennes. La gare de Reuilly est restée en service jusqu’en 1985 pour l’activité marchandises qui se faisait par la petite ceinture. C’est à présent la maison des associations. (On redescend sur la rue de Charenton par la rue Dubruneaut)

- 199-201,  rue de Charenton, PLU : Immeuble de rapport construit en 1911 par l'architecte Raoul Brandon et le sculpteur Alexandre Morlon. Il compte six étages et est composé de trois corps de bâtiment. L'immeuble remporta le prix du concours des façades de la Ville de Paris. Le jury estima que "la façade attirait les regards par la recherche des motifs variés et aussi par la finesse et la belle venue de sa décoration sculpturale". La façade est animée par deux bow-windows latéraux, que supportent quatre atlantes engainés. Ces sculptures représentent, sous une forme allégorique, des travailleurs, reconnaissables à leurs outils : un mineur, un paysan, un artisan et un marin. Deux pignons couronnant les bow-windows affirment les lignes verticales. Le rythme horizontal est marqué par deux balcons au deuxième et au cinquième étage, ainsi que par des loggias au cinquième. Des guirlandes de fleurs et de raisins s'épanouissent autour des balcons. Les ferronneries, réalisées par Edgar Brandt, sont inspirées par des motifs végétaux, en particulier celles de la porte d'entrée, ornées de pommes et d'aiguilles de pin.

- en face, au n°228, un portail rappelle « J. C. Laiterie de la Brie », JC comme Jonot et Cayron, association, depuis le 1er avril 1887, d’Albert Jonot et de son beau-frère, Auguste Cayron, laitiers des environs de Melun dont la société s’installe au 228, rue de Charenton en 1894. A. Cayron est alors le directeur de ce dépôt-ci tandis qu’A. Jonot s’occupe de celui situé 11, rue du Département dans le 19ème. La Laiterie de la Brie s’intégrera plus tard à la Laiterie des Fermiers Réunis, qui deviendra SAFR (Société Anonyme des Fermiers Réunis). 

- 191, rue de Charenton, rue Bignon, PLU/ Groupe scolaire Bignon construit en 1873-1875 par l'architecte de la Ville de Paris Julien Hénard, également architecte de la Mairie du 12e arrondissement (1874-1877) située face au groupe scolaire. Façades à chaînage en pierre et remplissage en brique. Les étages sont séparés par des bandeaux dont celui séparant le premier du deuxième étage est orné d'une frise florale. Le second étage présente les baies les plus larges manifestement destinées à l'éclairage optimal des classes. Une tourelle d'angle en saillie et surplomb marque l'angle des rues Bignon et de Charenton. Corniche à modillons. L'établissement est représentatif par son aspect général du mouvement rationaliste dont sont empreints les édifices scolaires de la troisième République mais aussi dans ses détails de la persistance d'un goût décoratif et du pittoresque en vogue sous le Second-Empire.

- Mairie du 12e arrondissement construite en 1874-1877 par l'architecte Antoine-Julien Hénard. Elle s'inscrit dans une série de commandes qui aboutirent, dans un intervalle de quatre ans, à la réalisation des trois mairies des 15e, 19e et 12e arrondissements, avec une réelle recherche d'originalité. Hénard s'inspire ici des styles Renaissance, Louis XIII, Louis XIV et agrémente l'édifice de bossages, de lucarnes et d'un campanile. La mairie, précédée d'un jardin, est bâtie sur un plan trapézoïdal, comme la mairie haussmannienne du XIe arrondissement. Elle se compose d'un pavillon central en saillie, comprenant un porche ouvert, accessible aux voitures. Le pavillon est rythmé au rez-de-chaussée par trois arcades encadrées de colonnes doriques baguées et cannelées. Un campanile octogonal très ouvragé, haut de 36 mètres et comportant deux étages, domine l'édifice. La façade, percée de fenêtres à meneaux croisées, est animée par une alternance de pierre blanche et de brique, qui pastiche librement le style Louis XIII. Les briques émaillées de couleurs bleu, rouge et rose forment des dessins géométriques et contribuent à l'élégance de la façade. Les combles à la Mansart sont revêtus d'ardoise.

-124 av Daumesnil, ensemble de 183 logements, de 1908, par l'architecte Auguste Labussière. La philanthropique société civile « Groupe des maisons ouvrières », fondée en 1899, a été rachetée en sous-main par Mme Lebaudy qui y a vu l’occasion d’expier les péchés de son mari, responsable de la faillite de la banque de l’Union générale à laquelle nombre de familles catholiques avaient confié leur épargne. Puis, sur le modèle de la Fondation Rothschild, Mme Lebaudy avait demandé une reconnaissance d’utilité publique qui lui était accordée en 1906. Les appartements, construits autour d'une cour intérieure, sont de deux types : pour des employés, sur l'avenue Daumesnil, ils sont dotés d’une cuisine séparée ; pour des ouvriers, sur la rue du Congo, ils sont dépourvus de cuisine au profit d’une salle commune. D’autres services communs sont présent dans l’ensemble : bains, lavoir, bibliothèque avec salle de lecture, fumoir et service de boissons. Mais sa fréquentation est si faible qu'elle est transformée deux ans plus tard en dépôt mortuaire. En 1925, « Un locataire, avec l’appui de la Fédération communiste des locataires, a essayé de créer un soviet de maison. Il fut question de créer un « Fort Daumesnil ». » Rapport cité par Marie-Jeanne Dumont : Le Logement social à Paris 1850-1930: les habitations à bon marché.

Par la rue de Charenton puis la rue Montgallet, on rejoint le 17, cour d’Alsace Lorraine, PLU : Villa sur jardin dans le goût historique et éclectique du XIXe  siècle composée d'un étage sur rez-de-chaussée. Isolée par rapport à la trame urbaine, elle est accessible depuis la cour d'Alsace Lorraine, ancienne cour artisanale.
Le céramiste Camille Le Tallec, qui avait repris en 1928 l’atelier fondé par ses parents en 1905 dans le 20ème, l’a transféré en 1978, avec l’aide de la ville, dans des locaux annexes de l’École Boulle, au 67, rue de Reuilly dans la cour d'Alsace-Lorraine.. Ces locaux mieux adaptés, l'utilisation de nouveaux fours électriques, l’ont orienté vers de nouveaux décors contemporains. En contrepartie de l’aide municipale, Camille Le Tallec a donné des cours de dessins et de peinture sur porcelaine à l'Association pour le développement de l'animation culturelle (ADAC), dans cette même cour. En 1990, son atelier a été racheté par le joaillier américain Tiffany & Co, avec lequel il collaborait depuis bientôt 30 ans, qui après sa mort s’est installé, en 1995, au 93/95 du Viaduc des Arts.