Cupidon et un boeuf sur les toits


L’occasion de ce parcours fut une boucle autour de la librairie Livres Sterling, 49 bis, av. Franklin D. Roosevelt.

A ce carrefour Franklin D. Roosevelt / Ponthieu, on a été longtemps sur le bord mouvant de Paris. Jusqu’en 1670, la capitale avait été délimitée par l’enceinte de Louis XIII : l’arc Capucines-Madeleine qui se prolonge entre la place de la Concorde et le jardin des Tuileries. Vers 1724, la barrière d’octroi, la « barrière du Roule », était établie à peu près au croisement avenue Matignon / rue du Fbg St-Honoré. A compter de 1732, la « barrière de Chaillot » était, sur les Champs-Élysées, au droit de la rue Lincoln, et dotée d’un poste de Suisses dès 1777. Enfin, en 1788, le mur des Fermiers-Généraux passe grossièrement par l’Etoile et, à partir de 1795, en deçà de ce mur on est dans le 1er arrondissement, composé des quartiers des Tuileries, des Champs-Élysées, du Roule et de la place Vendôme.

Quant aux Champs-Élysées, ils s’arrêtaient au Grand Égout à ciel ouvert dont l’actuelle rue La Boétie nous rappelle le tracé. Un pont n’est jeté là-dessus qu’en 1700 et l’égout couvert qu’en 1787. Il faut donc être un original comme le neveu de Rameau que nous décrit Diderot pour, dès que « la saison est douce, arpente[r] toute la nuit le Cours [la Reine] ou les Champs-Élysées ». Pour l’usage mondain, les Champs-Élysées ne servent que trois jours par an, les derniers de la Semaine Sainte, au départ vers l’abbaye de Longchamp, procession qui n’est qu’un prétexte à l’ostentation des courtisanes. Le baron général Thiébault, fils du « garde des Archives et contrôleur des Inventaires du Garde-Meubles », habitant de ce fait place Louis-XV, la voyait partir, cette procession, dans son enfance : « Au milieu d’une innombrable quantité de voitures remarquables, brillaient chaque année une cinquantaine d’équipages éblouissants, dans le nombre desquels une dizaine paraissaient plutôt les chars des déesses que ceux de simples mortels ».
Ce n’est pas exagération, à se représenter l’équipage de la Duthé, en 1774, d’après les Souvenirs dits de Mme de Créquy. « Une caisse décorée d’Amours, de chiffres et d’arabesques par le plus célèbre peintre du genre, élève de Boucher, et capitonnée de sachets aux parfums suaves, était portée sur une conque dorée, doublée de nacre, que soutenaient des tritons en bronze. Les moyeux des roues étaient en argent massif, les chevaux blancs ferrés d’argent, harnachés d’or et de soie gros vert, portaient, suprême indécence, des panaches. Sur cette conque, la Duthé s’avançait en maillot de taffetas couleur chair et collant, que recouvrait une chemisette d’organdi très clair ; elle était coiffée d’un chapeau de gaze noir à la « caisse d’escompte », c’est-à-dire sans fond. » En 1780, on pourra même contempler deux carrosses de porcelaine !

En novembre 1792, les Champs-Elysées, avec la Concorde, sont devenus biens nationaux.

Après Waterloo et le campement des cosaques dans leurs bosquets, les Champs-Élysées s’étiolent, avec leurs rares bâtiments – six en tout ! –, dont l’hôtel de Langeac, à l’angle est de la rue de Berry, où le comte d’Artois, frère du roi Louis XVI, avait installé Louise Contat, créatrice du rôle de Suzanne dans le Mariage de Figaro. L’ambassadeur américain Thomas Jefferson y avait succédé à l’actrice. Il recevait ici Beaumarchais, dont il possédait les œuvres complètes, et le marquis de La Fayette. La Déclaration européenne des droits de l’homme et du citoyen, que La Fayette présenta à l’Assemblée nationale, à Versailles, le 11 juillet 1789, était le fruit d’échanges passionnés dans ce salon.
Contemporain de l’hôtel de Langeac, celui dit maintenant de Massa, alors au coin de la rue d’Angoulême-Saint-Honoré (aujourd’hui de La Boétie), et qui sera transporté en 1927 rue du Faubourg-Saint-Jacques.
Ainsi jusqu’à 1828 où la promenade, de bien national qu’elle était, redevient municipale.
Elle est dotée de l’éclairage au gaz sous la Restauration, époque des spéculations de César Birotteau, auquel le banquier Claparon explique : « Eh ! cher monsieur, si nous ne nous étions pas engagés dans les Champs-Élysées, autour de la Bourse qui va s’achever, dans le quartier Saint-Lazare et à Tivoli, nous ne serions pas, comme dit le gros Nucingen, dans les iffires ».

Le Rond-Point des Champs-Élysées a été aménagé en 1815. Chateaubriand suggérera, dans L’Artiste, d’y placer l’obélisque qui sera finalement érigé place de la Concorde. Sa fontaine centrale sera remplacée en 1860 par six petites.
A gauche, en regardant l’Etoile, l’hôtel Lehon, qui abrita Jours de France de 1954 à 1988, dû à Louis Moreau, en 1846, transformé cinquante ans plus tard pour Madame Sabatier D'Espeyran par les architectes Henri et Louis Parent en style néo-Louis XV, a été étendu d’une aile en 1969 par une copie ; on n’avait pas, avant cette date, copié à Paris de style plus tardif que le style l’Empire. Il est toujours le siège du Groupe Dassault. PLU : Il est précédé d'une cour d'honneur fermée d'une grille en ferronnerie comparable à celle du parc Monceau. On note la qualité et la surcharge du décor : mascarons, ferronnerie, menuiserie, lanterne encadrant le portail de fer forgé...
En mars 1922, la majorité de son capital acquise par le parfumeur François Coty, le Figaro quittait la rue Drouot et s'installait au Rond-Point, côté droit des Champs-Élysées, où la rédaction allait rester jusqu’au rachat du titre par Robert Hersant en 1975.
La maison de haute couture de Robert Piguet occupa le n°3 de 1938 aux années 1950 (PLU, 2e moitié du 19ème siècle, comme le n°1 (magasin de Paul Poiret autour de 1925) surélevé d’un niveau dans les années 1990).

3, av Matignon (et 4, rue Jean Mermoz), PLU : Immeuble construit en 1930 par les architectes R. et H. Bodecher. Façade composée autour de deux loggias par étage présentant un dessin "en creux" contrastant avec celui des immeubles voisins. Outre sa modernité cette composition se distingue par la découpe "baroque" des balcons, des garde-corps et de la porte.

Avec la monarchie de Juillet, les Champs-Élysées cesseront d’être le moyen de gagner Longchamp pour devenir un but en soi : mais cela se borne à la contre-allée de droite, qui succède ainsi, dans la longue liste des promenades à la mode, à la galerie du Palais (de Justice), au Pont-Neuf, à la place Royale, au cours Saint-Antoine, au cours la Reine. Elle s’encombre de boutiques foraines, et d’un cirque d’été, que rappelle la rue du même nom. Hittorff remplacera le cirque d’été par une salle en dur, pour six mille spectateurs, en 1841 ; elle sera démolie en 1899. Il en reste un grand bac à sable où jouent les enfants.
Si l’on avait pu construire ainsi, c’est qu’on était là dans l’une des deux coupes claires, l’un des deux « carrés » que la marquise de Pompadour, quand elle s’était offert l’hôtel d’Évreux (aujourd’hui palais de l’Élysée), avait fait déboiser devant chez elle pour s’ouvrir la vue sur la Seine et les Invalides.

En 1842, année où il est naturalisé français, le colonais Hittorff construit le Café du Cirque. Partisan des techniques modernes, il élève un bâtiment en charpente métallique et en brique, tout en conservant ce qu'il peut d'une ancienne construction en bois et en torchis. Pilastres, colonnes, chapiteaux de style antique, habillent les façades et l'intérieur du bâtiment. Ayant prouvé la polychromie des temples antiques, Hittorff fait peindre le tout : "la peinture distribuée sur un monument en fait ressortir les formes et en valorise les détails", écrit-il. En 1906, un Monsieur Cage entreprend de rénover, d'embellir et d'agrandir le jardin-restaurant Laurent. C'est lui qui va lui donner son aspect actuel: deux ailes en demi-rotonde sont ajoutées aux extrémités du bâtiment de Hittorff. Construites en charpente métallique, elles sont entièrement vitrées. L'entrée est couverte d'un auvent entouré de grilles et d'une haie de buisson. Le bâtiment restera dans cet état jusqu'en 1957, caché derrière ses haies, à côté de la fontaine de Hittorff.

11, avenue Gabriel, PLU : Pavillon de l'Elysée édifié en 1896 dans les jardins de l'Elysées dans un style éclectique (éléments renaissance, baroque, italianisant). Garde-corps remarquables. Abritant le restaurant Paillard à l'origine, il est rebaptisé pavillon de l'Elysée lors de sa réfection en prévision de l'Exposition Universelle de 1900. Les sculpteurs Blanchard et Constant exécutent le décor. Edifice présentant une architecture cohérente avec l'ensemble des réalisations conservées de l'Exposition de 1900 autour du site des Champs-Elysées. Depuis 1985, Lenôtre y a installé école du goût français.

« J'ai pénétré dans les jardins et au passage j'ai levé la tête vers le Cupidon de bronze, au sommet de la tourelle du Pavillon de l'Élysée. Pas une lumière aux fenêtres. L'une de ces villas à l'abandon que l'on distingue derrière la grille rouillée et les massifs d'un parc. Et ce Cupidon, là-haut, brillant d'un reflet de lune dans l'obscurité, avait quelque chose de funèbre et d'inquiétant qui me glaçait le cœur et me fascinait à la fois. Il me semblait un vestige du Paris où j'avais vécu. » Patrick Modiano, Quartier perdu.

A deux pas du Laurent, dans ce même « carré nord » s’est construite la salle Lacaze, de trois cents places, sur des plans d’Hittorff, qui abritera les Bouffes-Parisiens d’un autre colonais, Offenbach. Leur succédera le Panorama, construit en 1883 par Charles Garnier, transformé en théâtre en rond en 1894 et qui deviendra, en 1925, le théâtre Marigny.

Dans le « carré sud » va s’élever le Palais de l’Industrie, sur 250 mètres de long, 108 mètres de large et 35 mètres de haut sous la nef centrale, pour accueillir les vingt-cinq mille exposants de la première Exposition universelle.
L’Exposition est inaugurée par Leurs Majestés Impériales le 15 mai 1855, 100 ans après la déforestation de la Pompadour. Offenbach, qui a loué pour l’occasion la salle Lacaze, juste en face de l’entrée principale de l’Expo, ne parvient à y ouvrir son théâtre des Bouffes-Parisiens que le 5 juillet. Mais c’est tant mieux : après plusieurs semaines de mauvais temps, la canicule vient de s’abattre sur Paris, si bien qu’il a fallu mettre des vélums aux verrières du Palais de l’Industrie. « Même au temps des Croisades on ne vit pas sur pied de pareilles multitudes », à en croire la presse, qui trouve dans les Champs-Élysées à la fois « la voie Appienne et Hyde Park ».
L’Expo comptait une importante section consacrée aux Beaux-Arts. Courbet s’en était retiré après que le jury eut écarté deux de ses tableaux, et avait fait construire à ses frais, près de la sortie donnant sur l’avenue que l’on appelait maintenant Montaigne, un pavillon personnel, le « Pavillon du réalisme », que le grand public ignorait, mais où Delacroix s’attardait.

Le 14 août 1859, l’empereur Napoléon III, après les victoires de Magenta et de Solférino, fait une entrée triomphale dans Paris à la tête des troupes d’Italie. Des vétérans du Premier Empire, mêlés aux soldats retour du front, défilent durant cinq heures, derrière les drapeaux pris aux Autrichiens, sous l’arc de triomphe mauresque que Baltard a édifié à la hauteur du Cirque d’été, devenu « de l’Impératrice », tout à côté des Bouffes-Parisiens.

 Flash-back. « On va abattre les arbres des Champs-Élysées… pour donner à l’hôtel de la marquise de Pompadour un aspect plus agréable sur la rivière », écrit le marquis d’Argenson en juin 1755. Paris a bien tenté de défendre son territoire contre l’extension des jardins de l’Elysée par « la putain du roi » mais n’a pu empêcher l’abattage. Diderot ne peut plus se promener que « sous quelques-uns de ces vieux arbres épargnés parmi tant d’autres qu’on a sacrifiés au parterre et à la vue de l’hôtel de Pompadour ». C’est sur ce parterre qu’on a chanté pour la première fois, avec combien d’à-propos, « Nous n’irons plus au bois ».
Après la Révolution, le ci-devant hôtel d’Évreux, puis de Pompadour, devenu Élysée-Bourbon, est un parc de loisirs comme les jardins d’Idalie, ou le Colisée, en sont d’autres aux Champs-Élysées, avec salles de bal, salons de jeu, etc. Puis l’Empire s’y installe, en l’occurrence Caroline Bonaparte et Murat, son époux. Enfin, Napoléon Ier abdique dans ce qui est devenu l’Élysée-Napoléon. Après quoi nombre de têtes couronnées y résideront, soit du droit du vainqueur, soit sur invitation : entre autres, le tsar Alexandre Ier dans un cas, le tsar Alexandre II dans le second.
Des multiples révolutions du 19ème siècle, une seule s’invitera à l’Élysée, celle de 1848, pour de paisibles réunions dont celles de l’Association des artistes musiciens, fondée et présidée par le baron Taylor, qui donnera ici des concerts populaires avec au programme des œuvres de quelques-uns de ses membres : Auber, Berlioz, Meyerbeer. Bientôt, Louis Napoléon y préparera son coup d’État. La présidence de la République s’y installera avec la 3ème du nom, après 1871.

Au 2, rue de L'Elysée, le baron de Hirsch, créateur de la banque qui s’appellera plus tard Paribas, fait réaliser par Peyre et Chatenay, en 1873, un hôtel auquel il réunit par un jardin l’hôtel particulier construit au 18 par Leufuel pour la mère de l'impératrice Eugénie, la comtesse de Montijo. L’hôtel, PLU, compte deux étages et est agrémenté d'un grand balcon filant au premier étage présentant des avancées soutenues par des fûts métalliques. L'ensemble du garde-corps est conservé ainsi que les médaillons ornés de guirlandes situés au dessus des fenêtres du rez-de-chaussée. La décoration intérieure comprend des boiseries provenant du château de Bercy dans un salon du rez-de-chaussée.
Après la guerre, l’ancien hôtel Hirsch, aux 2-4, rue de l’Élysée, devient la Maison de la Pensée française. À compter de 1947, y est installée la Maison de la Culture, animée par Aragon, qui succède ici à celle de la rue de Navarin d’avant-guerre. L’hôtel particulier entouré de jardins est aussi le siège du Comité national des écrivains (CNE), présidé par Louis Martin-Chauffier et dirigé par les hiérarques communistes et leurs compagnons de résistance : Vercors, Maurice Druon... Chaque automne y a lieu la vente du CNE ; sur le grand escalier, les auteurs du parti des écrivains sont installés par ordre décroissant, et chaque marche compte : Aragon et Elsa Triolet sont tout en haut, et Roger Vailland a gagné plusieurs degrés maintenant qu’on escompte le prix Goncourt pour Un jeune homme seul.
Des expositions de tableaux y sont également organisées et leur réception est ici toute différente des galeries de la rue La Boétie. Ainsi, Les Constructeurs, de Fernand Léger, sont-ils un hommage au travail des chantiers, malheureusement, le peintre a omis d’y faire figurer les barrières de protection sur les échafaudages. « Comment être ému par ce Léger qui n’a pas respecté les règlements de sécurité ? », se plaignent les gars du bâtiment en plein débat sur le réalisme socialiste. Mais Maurice Thorez accepte que la toile lui soit offerte.
Progressivement rachetés par la présidence de la République, ces hôtels seront affectés :
Les 2 et 4, rue de l'Élysée au secrétariat général pour la Communauté jusqu'en juin 1974, à divers collaborateurs, à un restaurant du personnel ; le 14, rue de l'Elysée (Hôtel de Persigny) à l’état-major particulier du président de la République depuis 1958, et à divers collaborateurs.
Il y aura aussi dans cette rue les deux cellules africaines de l'Elysée : l'officielle au n° 2, dirigée avant 1981 par Michel Dupuch, et l'officieuse au n° 14, personnifiée par Fernand Wibaux, successeur de Jacques Foccart. Après 81, s'y affairait la cellule du commandant Prouteau. C'est ici qu'étaient analysées les retranscriptions d'écoutes téléphoniques avant leur diffusion plus haut en fonction de l'importance des propos tenus et des interlocuteurs (les conversations de Carole Bouquet étaient, on le sait, particulièrement appréciées du président).

- n°6 à 22, rue de l’Élysée, PLU : basements à l’anglaise. La rue de l’Elysée est bordée du côté opposé au palais de la Présidence par des maisons de faible hauteur construites sur un même modèle. Cette disposition résulte de servitudes constituées sur les propriétés riveraines et définies dans le décret du 18 juillet 1860 (y compris le plan annexé) et le contrat de vente faite par la Ville de Paris à M. Pereire, de terrains en bordure de la rue de l’Elysée (Contrat reçu par Me Mocquard, le 15 février 1861). Architecture ordonnancée déjà protégée dans l'ancien plan d'occupation des sols.
L’American Library in Paris a été au n° 10 de 1920 à 1936. Entre 1923 et 1926, elle publia un mensuel auquel collaboraient Hemingway et Gertrude Stein ; des soirées littéraires y avaient pour invités André Gide, Gertrude Stein, Colette, etc.

Si la rue de l’Élysée est synchroniquement Second Empire, la rue du Faubourg-Saint-Honoré était Louis XV. Sur le flanc droit de l’hôtel d’Évreux, entre les numéros 43 et 53, le Fermier général Étienne-Michel Bouret avait fait édifier par Boullée, à partir de 1755, des hôtels aux jardins s’étendant jusqu’à l’avenue Gabriel : le n°53, qui sera annexé à l’Elysée en 1852 ; l’hôtel de Saxe (au n°51, absorbé ensuite par la rue de l’Élysée, percée en 1860) ; l’hôtel de Vilmorin, gendre de Bouret (au n°49, acquis en 1860 par Emile Péreire, qui le fait démolir) ; celui de la comtesse de Sabran (au n°47), remplacé par immeuble en pierre de taille (PLU) « construit en 1863 par l'un des principaux architectes du Second Empire J. M. A. Le Soufaché pour lui-même. Le rez-de-chaussée est décoré de refends. La façade est composée d'une grande porte d'entrée sur deux niveaux avec un encadrement mouluré et des mascarons. Les fenêtres incurvées sont décorées par des clés ornées au second et troisième étage. Des corniches séparent chaque étage. Balcon central avec consoles ornées et garde-corps en fonte conservés. » Au n°45 était l’hôtel du marquis de Brunoy (fils de Pâris-Montmartel), passé ensuite à Charles Laffitte, neveu de Jacques, le président du Conseil de Louis Philippe, puis à Eugène Pereire et Juliette Fould ; il sera démoli en 1930. Edmond de Rothschild agrandira son jardin sur son emprise. Au n° 43 s’élevait l’hôtel d’Andlau, où Bouret mourait en 1777. Il sera reconstruit en 1860. 

Si Bouret y faisait bâtir ici, c’était le signe que c’est là qu’il fallait être: l’homme était ce parangon du courtisan dont Diderot, dans son Neveu de Rameau, s’émerveille des exploits avec une admiration outrée. Il exposait chez lui un livre d’or intitulé Le Vrai Bonheur, composé de cinquante pages, une pour chaque année à venir de 1750 à 1800. Sur chacune, ces simples mots : « Le roi est venu chez Bouret le… » Tout le reste n’est qu’attente de la royale visite.
Enfin, sans même que le roi fût en cause cette fois, et simplement parce que le garde des Sceaux, son protecteur, avait regardé son chien avec attendrissement, Bouret avait su déployer des trésors d’imagination pour détacher l’animal de lui et l’attacher audit garde des Sceaux auquel il comptait dès cet instant l’offrir. S’étant muni d’une perruque et d’un habit de fonction identiques à ceux du garde des Sceaux, et ayant fait confectionner un masque lui ressemblant, Bouret, alternativement, battait férocement son chien quand il restait lui-même, mais déguisé, il le cajolait et le comblait de toutes les douceurs possibles. En huit jours, c’était gagné. « C’est une des plus belles choses qu’on ait imaginées, conclut Diderot ; toute l’Europe en a été émerveillée, et il n’y a pas un courtisan dont elle n’ait excité l’envie. »
Ruiné malgré, ou à cause de, tant d’efforts, Bouret avalerait vingt ans plus tard les pastilles d’arsenic qu’il portait toujours sur lui à la veille de la mise aux enchères du mobilier de son hôtel du faubourg Saint-Honoré. Il sera inhumé à Sainte-Marie-Madeleine de la Ville-l’Évêque, la première église de la Madeleine, située à ce qui était la rencontre des rues de l’Arcade et de la Ville-l’Évêque.

Au Second Empire, les nouveaux riches (encore que Bouret…) remplacent ici les vieilles familles, et Guy de Maupassant, avec le Walter de son Bel-Ami, résume l’époque : « Sachant la gêne du prince de Carlsbourg qui possédait un des plus beaux hôtels de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, avec jardin sur les Champs-Élysées, il lui proposa d’acheter, en vingt-quatre heures, cet immeuble, avec ses meubles, sans changer de place un fauteuil. Il en offrait trois millions. Le prince, tenté par la somme, accepta. Le lendemain, Walter s’installait dans son nouveau domicile ». On a vu que le n° 49, était passé à Émile Pereire de la Banque foncière, des Chemins de fer d’un peu partout, de la Compagnie générale transatlantique et du Corps législatif ; et le n° 45 à Eugène Pereire, neveu d’Émile, banquier, assureur, dirigeant de la Compagnie du gaz et de la même Compagnie générale transatlantique où il succédait à son oncle. Il était aussi l’époux de Juliette Fould, la fille du ministre des Finances.

En fait, Bouret, en 1755, c’était déjà la 2ème vague du faubourg Saint-Honoré, la première datait de la Régence avec les hôtels du comte d’Evreux, gouverneur général de l’Ile de France ; du duc de Duras, maréchal de camp ; du chancelier d’Aguesseau et du duc de Béthune-Charost :

- 41, rue du Fbg St-Honoré, PLU : Hôtel de Pontalba en pierre de taille construit en 1836 par Visconti sur l'emplacement de l'hôtel d'Aguesseau de 1720, pour la baronne de Pontalba. Acheté en 1876 par le baron Edmond de Rothschild, totalement repris par l'architecte Félix Langlais, il est décoré dans le style Napoléon III. Il a été acheté par le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique pour en faire la résidence de son ambassadeur à Paris. Le bâtiment a subi une rénovation d'ensemble en 1975.
- 39, rue du Fbg St-Honoré, PLU : Actuelle Ambassade de Grande-Bretagne et ancien hôtel de Béthune-Charost construit entre cour et jardin en 1720 par l'architecte Mazin pour le duc de Béthune-Charost, gouverneur de Louis XV. Acquis en 1760 par le comte de La Marck, sa décoration intérieure est alors reprise par l'architecte Patte. Les aménagements sont à nouveau revus en 1803, lorsque Pauline Bonaparte, 2nde sœur de Napo, princesse Borghèse s'y installe. Elle le cède à la chute de son frère au gouvernement anglais qui y installe son ambassade en 1825. L'hôtel est à nouveau transformé pour y créer une salle du trône pour la reine Victoria dans la chambre d'apparat de Pauline. À l’hôtel de Béthune-Charost, Hector Berlioz épouse l’anglaise Harriett Smithson le 3 octobre 1833. C’est l’épilogue d’une course-poursuite commencée le 11 septembre 1827 lors d’une représentation d’Hamlet à l’Odéon, et poursuivie pendant une exécution de sa Symphonie fantastique au Conservatoire de la rue du Faubourg Poissonnière. Henri Heine, s’en souvenait comme si c’était hier : « Berlioz, à la chevelure ébouriffée, jouait les timbales tout en regardant l’actrice d’un visage obsédé et, chaque fois que leurs yeux se rencontraient, il frappait encore d’une plus grande vigueur ».

De l’autre côté de la rue du Faubourg Saint-Honoré, tout l’îlot entre les rues d’Aguesseau et de Duras, construit par Boffrand en 1712 et revendu au duc de Duras, avait été divisé par la révolution. Au n° 68, l’épouse du banquier Louis Stern, (qui avait racheté l’hôtel en 1885), Maria Star pour les lettres, recevait dans son salon gothique à l’immense cheminée, ceint d’une galerie de bois d’où pendaient des tapisseries murales séparées par des vitraux aux écussons de couleur, Camille Flammarion, et surtout des poètes : José Maria de Heredia, Henri de Régnier, le Proust des Portraits de peintres, Anna de Noailles, et Yvette Guilbert, la chanteuse aux longs gants noirs inspiratrice de Toulouse-Lautrec. Réjane, la reine du Boulevard, la créatrice de Madame Sans-Gêne, faisait arrêter devant cette porte l’espèce de cab anglais à quatre roues tiré par des mules portant grelots et pompons que lui avait offert Alphonse XIII, le roi d’Espagne. Les n°66 et 68 ont été démolis dans années 1920.

- 18, rue d’Aguesseau (ouverte en 1723), ex mairie du 1er de 1802 à 1811.
20, rue d'Aguesseau

- 22, rue d'Aguesseau (et 21 bis, rue de Surène), PLU : ambassade de Belgique de 1936 à 1951, aujourd’hui ambassade d’Ouzbékiztan ; hôtel particulier construit vers 1755. La Fayette en sera le propriétaire de 1775 à 1786. Portail en anse de panier sous entablement mouluré, cintré sur consoles ornées avec médaillon central. Au 22 rue d'Aguesseau, la façade s'ouvre par une petite porte. Fenêtres avec encadrement plat au deuxième étage. Corniche débordante à la retombée du toit. Balcons ornés d'appuis de fenêtre en fer forgé d'époque.
- Au 25, rue de Surène, résidence de l’ambassadeur, PLU : petit hôtel particulier de la fin du XVIIIe  siècle. Deux grandes portes cochères arrondies, sur deux niveaux avec motifs décoratifs de roseaux et palmes sur tympan. Elles sont séparées par une fenêtre. Les fenêtres cintrées sont coupées en deux dans la hauteur, encadrement mouluré autour des fenêtres. Devant les combles se trouve une balustrade de pierre ornée de pots en pierre avec anses et décorés de têtes humaines et de guirlandes de fruits. Une lucarne centrale en pierre interrompt la balustrade. L'angle du bâtiment est arrondi et à refends. Le bâtiment d'angle est composé de corniches moulurées à chaque étage, et comporte des appuis en fer forgé.
- 17 rue d'Aguesseau et 2 rue Montalivet, PLU : petit hôtel particulier de la fin du XVIIIème siècle, au marquis de l’Aigle ; a été un manège sous le second empire.

- 10-12 Montalivet, PLU : Maisons Restauration ayant conservé la plupart de leurs éléments d'origine. Au n°12, façade très simple composée de trois travées et de quatre étages carrés sur rez-de-chaussée. Baies du premier étage surmontées de frontons plats. Chambranles moulurés. Appuis à motifs géométriques montés en tableau. Persiennes. Porte à vantaux en bois et passage cocher débouchant sur une cour.

- Le 7, rue Montalivet (rue ouverte en 1723) a été l’adresse de Fives Cail Babcock. Jean-François Cail était entré, en 1824, comme ouvrier chez Derosne, 7 rue des Batailles (auj. av. d’Iéna), qui avait le quasi monopole du matériel de raffinerie. Les deux hommes s’étaient associés en 1836, sous la raison sociale : Ch. Derosne et Cail, quai de Billy (auj. av. de New-York). C’est en 1850 que la société deviendra J.F. Cail et Cie. Son atelier de montage de Chaillot était équipé pour monter 25 locomotives à la fois ; en 1862, l’usine produisait chaque année 100 locomotives et tenders. Proie d’un incendie en 1864, elle abandonnera définitivement cette rive-là de la Seine. Elle comptait 1 200 ou 1 500 ouvriers en incluant la succursale de Grenelle, (15 quai de Grenelle et rue de Chabrol (auj. du Dr Finlay)). L’entreprise aura quitté Paris pour la province, et s’établira à Douai, avant la fin du 19e siècle. Dès novembre 1861, la future société anonyme « Compagnie de Fives-Lille pour constructions mécaniques et entreprises » avait formé avec la maison Cail une participation. En 1958, elle fusionnait avec la société Cail pour donner naissance à la « Société Fives-Lille-Cail ». La nouvelle entité absorbait Applevage en 1963, Bréguet et Bréguet-Sauter-Harlé en 1966. Elle fusionnait enfin avec la société Babcock-Atlantique en 1973, d'où sortait la société Fives-Cail-Babcock.

Sur l’autre flanc de l’hôtel d’Évreux, la veuve du marquis d’Argenson, condisciple de Voltaire au lycée Louis-le-Grand et son protecteur, et dont le frère, que Mme de Pompadour avait fait exiler, était le dédicataire de l’Encyclopédie de d’Alembert et Diderot, la marquise d’Argenson, donc, avait fait construire, de 1758 à 1782, les hôtels situés entre les numéros 59 et 69.

- 76, rue du Fbg St-Honoré, (Sotheby), hôtel de 1802, où habita Vigny en 1824.
- 94, place Beauvau, mairie du 1er de 1796 à 1802 où elle passera 18, rue d’Aguesseau.
- au 96, s’élève, en 1770, l’hôtel Beauvau (qui accueillera le ministère de l’Intérieur à compter de la fin de 1860), où meurt le poète Saint-Lambert, à qui Mme du Châtelet a sacrifié Voltaire. Puis Saint-Lambert sera l’amant de Mme d’Houdetot et le restera malgré Rousseau, auquel elle se confie : « Pour m’achever, elle me parla de Saint-Lambert en amante passionnée. Force contagieuse de l’amour ! Sans que je m’en aperçusse et sans qu’elle s’en aperçût, elle m’inspira pour elle-même tout ce qu’elle exprimait pour son amant. »

- 73, rue du Fbg St-Honoré, PLU : Maison à loyer présentant une façade sur rue de la fin du XVIIIème siècle composée de quatre travées et de trois étages carrés sur rez-de-chaussée et entresol. Grande porte cochère en plein cintre dessinée sur un léger avant-corps orné de refends embrassant les deux premiers niveaux. Passage sous porche donnant accès à une cour pavée.

- 112, rue du Fbg St-Honoré, hôtel de Jules de Castellane en 1829, qui y fait installer l’immense théâtre privé qui est l’actuel restaurant d’hiver de l’hôtel Bristol ; racheté en 1923, il est refait pour son ouverture en avril 1925.

A la hauteur du n°114, (croisement avec l’av. Matignon) était l’ancienne barrière du Roule vers 1724. Au-delà, la rue s’appelait rue du faubourg du Roule.

On aperçoit le 83, rue du Fbg St-Honoré. Fersen y prépara la fuite de la famille royale à Varenne, dont l’épilogue fut un retour forcé par l’avenue des Champs-Elysées. Gaston et Joseph Bernheim-Jeune y exposèrent Matisse et Van Dongen en 1909, puis les néo-impressionnistes et les nabis. Félix Fénéon s’y occupait des artistes (ses) contemporains jusqu’en 1920. Après la guerre de 14-18, il publiait le bimensuel Bulletin de la vie artistique, où étaient défendus Chagall et Utrillo.

L’avenue Matignon est ouverte en 1784 pour ce qui est de ce tronçon. La rue de Penthièvre ne comptait aucune construction avant 1734 ; l’avenue Delcassé fut ouverte en 1932. A l’angle, une caserne de Gardes françaises est construite en 1780, l’une des 5 que des particuliers font bâtir dans ce but avant de les louer au roi ; jusque-là les militaires logeaient chez l’habitant. Le détachement qui participa à la prise de la Bastille venait d’ici ; la caserne actuelle date de 1929.
En 1928, le Bœuf sur le toit, le royaume de Cocteau, était au 26 de la rue de Penthièvre (bâtiment supprimé par la construction de la nouvelle caserne) ; c’est là que Nancy Cunard emmène Aragon, dont elle a fait le dandy à la cape noire façon Fantômas, et aux 2 000 cravates…

La rue La Boétie a été ouverte sur les terrains de l'ancienne pépinière du Roi qui, de 1640 à 1720, s’étendait de l’actuelle rue du Colisée (qui ne sera ouverte que vers 1779) à la rue de Berri. Le terrain avait ensuite été donné en fief au comte d’Artois, second frère du futur Louis XVI. La rue La Boétie reprenait le tracé, on l’a vu, du grand égout à ciel ouvert qui traversait la Grande-Rue du Roule sous un simple pont, et en faisait autant des Champs-Élysées après 1700.

Le médecin de la marine Eugène Sue, après avoir beaucoup voyagé, accoste au 41, rue La Boétie en 1835, dans la maison de l’architecte Olivier, bâtie en 1799 (enlevée par le percement de l’av. Delcassé). Il y meurt en 1857. Son entrée était encadrée de faux rochers et sa façade ornée de quatre colonnes corinthiennes flanquant des perrons latéraux autour d’un haut-relief mythologique. C’est de là qu’il décrit les Mystères de Paris, leurs ouvriers et leurs bas-fonds. En face, à côté de l’immeuble des Echos, deux autres hôtels « Révolution » avaient été construits par Charles de Wailly, architecte de l’Odéon et auteur, en 1789, d’un « Projet d’utilité et d’embellissement pour la ville de Paris », l’un pour son usage personnel, le second pour son ami le sculpteur Augustin Pajou.

- 45, rue La Boétie, la salle Gaveau, ouverte en 1907 et dédiée d’abord à la musique de chambre qu’y avait illustrée le trio Cortot, Thibaud et Casals, ou Marguerite long, a rouvert début 2001 dans son décor historique retrouvé.

Le faubourg Saint-Honoré étant devenu l’adresse élégante de la capitale, dès le début des années 1920, la rue La Boétie, qui compte bientôt dix galeries, détrône alors la rue Laffitte. La galerie de Paul Guillaume (au n° 59 en février 1921), appuyée sur des cahiers, Les Arts à Paris, initiés par Apollinaire, y défend Modigliani, Derain, la sculpture africaine.

En face, au n° 64 bis, Francis Picabia, doué d’un flair infaillible, a déniché l’ancien hangar à meubles appelé à devenir l’un des hauts lieux de l’art moderne, sous le nom de galerie La Boétie, et à accueillir la manifestation de la Section d’or, dont il pressent toute l’importance. Apollinaire était le plus fidèle soutien du mouvement, son fédérateur. Il avait non sans mal pu maintenir la cohésion de ce « cubisme écartelé », selon le titre de la conférence qu’il avait donné à la galerie la Boétie en 1912. Écartelé car Braque et Picasso n’exposaient que chez Kahnweiler. La ténacité des membres fondateurs permit cependant de reformer la Section d’or (1/0,618 = 1,618/1) et d’organiser une nouvelle exposition à la galerie La Boétie en 1920, qui marqua le retour de Braque dans la famille cubiste (avec une participation avérée au comité directeur, qu’il niera rétrospectivement), et l’internationalisation du mouvement : de nombreux peintres russes, ukrainiens, issus des « Soirées de Paris », comme Larionov, Gontcharova, Férat, Survage y rejoignaient alors les Archipenko, Exter, Lewitska, participants de la première heure.

Le 17 janvier 1938, au 140, rue du Fbg St-Honoré, qui fait le coin avec la rue La Boétie, dans un petit hôtel Louis XVI très simple donnant sur la cour, siège de la Gazette des Beaux-Arts de la famille Wildenstein, s’ouvrait l’Exposition internationale du surréalisme. L’exposition surréaliste avait été montée avec la collaboration scénographique de Marcel Duchamp et l’aide de Georges Hugnet ; le Déjeuner en fourrure de Meret Oppenheim en était le clou. En guise de catalogue, Breton et Eluard publiaient un Dictionnaire abrégé du surréalisme.

La rue du Colisée avait donc été ouverte vers 1779 à proximité du Colisée, dit aussi Vauxhall des Champs-Élysées. Sur le reste du terrain de la pépinière, le long de la rue du Fbg St-Honoré et jusqu’à la rue de Berry, s’étiraient les écuries du comte d’Artois, commencées par Bélanger.
- 44, rue du Colisée, était l’une des entrées du Colisée ou Vauxhall des Champs-Élysées, établissement de fêtes publiques de 1772 à 1780, occupant le quadrilatère rue du Colisée / Champs-Élysées / av. Matignon / rue Rabelais. On y trouvait un vaste espace circulaire pour la danse, ceint de colonnes tout autour ; dans les jardins, des pièces d’eau pour les jeux nautiques, et un mât très haut, au sommet duquel était fixé un dragon rempli de feux d’artifice. L’allumage s’en faisait depuis le sol par le moyen de fusées qui devaient atteindre la gueule, mais toutes rataient leur cible ce dimanche d’octobre où Thomas Blaikie, le jardinier du roi, était venu s’y amuser.

- 34, rue du Colisée. Bar-dancing à la mode des années 20, Le Boeuf sur le toit, doit son nom à la “farce pantomime” produite en février 1920 à la Comédie des Champs-Élysées par Jean Cocteau, sur une musique de Darius Milhaud, avec un décor de Raoul Dufy. Le Bœuf sur le toit, op. 58 était une composition de Darius Milhaud écrite en 1919, une "cinéma-fantaisie" pour violon et piano destinée à accompagner un film muet de Charlie Chaplin, une musique inspirée de celle du Brésil, pays qu’avait fréquenté le compositeur. Le titre était d’ailleurs celui d'une ancienne chanson brésilienne. Sa transformation en ballet fit tout son succès. Il n'y a pas à proprement parler d’intrigue. Le décor est celui d'un bar qui voit circuler plusieurs personnages : un bookmaker, un nain, un boxeur, une femme habillée en homme, un policier qui se fait décapiter par les pales d'un ventilateur avant de ressusciter... Les premiers acteurs en étaient des clowns du cirque Médrano, les Fratellini. La chorégraphie était volontairement très lente, en décalage avec le côté vif et joyeux de l'accompagnement musical.
Le Bœuf, dirigé par Louis Moysès, s’était ouvert en décembre 1921 au 28 de la rue Boissy d’Anglas (où Lulli avait habité en 1637), succédant au Gaya de la rue Duphot. Bar musical, on pouvait y entendre le pianiste virtuose Clément Doucet, et bien sûr beaucoup de jazz, sans compter les clients qui se livrent parfois à un « bœuf » improvisé.
les lions mitoyens du Boeuf
Au Boeuf, on pouvait croiser Stravinski, Jean Cocteau, Jean Wiéner, Francis Poulenc, Honegger, Aragon, Breton, Germaine Taillefer, Raymond Radiguet, Blaise Cendrars, Brancusi, Francis Picabia, Picasso, Marcel Herrant, Coco Chanel, Yvonne Printemps, Derain, Éric Satie, Georges Auric, Fargue, André Gide, le maréchal Lyautey, Gaston Gallimard, Arthur Rubinstein, Marcel Jouhandeau, Paul Bourget, Marcel Aymé, Max Jacob, Tristan Bernard, Paul Claudel, Pierre Reverdy… C’était l’épicentre du Paris des années folles. Le seul qu’on n’y vit jamais, pour raison de santé précaire, fut Marcel Proust. Dans le sillage de Cocteau, on y rencontre aussi le jeune Maurice Sachs qui rêve de grandeur, et surtout de remplacer Radiguet dans le coeur du grand maître. En 1928, on l’a vu, rue de Penthièvre, le Bœuf était passé en 1936 au 41 bis de l’avenue Pierre 1er de Serbie. Depuis 1941, il est au 34 de la rue du Colisée. Django Reinhardt y a créé Nuages en 1942.  

C’est au Bœuf sur le toit que Juliette Gréco faisait ses débuts professionnels, avec trois chansons seulement à son répertoire : de Queneau, « Si tu t’imagines fillette, fillette / Kça va kça va kça / Kça va kça va kça... » ; Dans la rue des Blancs-Manteaux, de Jean-Paul Sartre, où l’« On avait mis des tréteaux / Avec un bel échafaud... » ; et enfin La Fourmi de Robert Desnos, « Une fourmi de 18 mètres / Avec un chapeau sur la tête, ça n’existe pas (bis) ». Joseph Kosma avait fait la musique des trois.