Les Batignolles, quartier naturaliste


Une balade pour la librairie l'Astrée, d'Alain et Michèle Lemaire, 69, rue de Lévis, a été l'occasion de ce parcours.


Par le chemin d’Argenteuil arrivaient à la porte Saint-Honoré de l’enceinte de Charles V, (porte située alors devant l’actuelle Comédie-Française), les produits maraîchers et le vin du village du même nom. En sens inverse, ce chemin très fréquenté y menait les pèlerins allant honorer la Sainte-Tunique, par les actuelles rues d’Argenteuil, des Capucines, de Sèze, de l’Arcade, du Rocher et de Lévis. Le hameau de Monceau s’était formé, sur ce parcours, autour d’un château occupant le quadrilatère formé par les rues Legendre, Tocqueville, de la Terrasse et de Lévis. L’entrée de l’enceinte en était à la hauteur du n° 22, à côté de l’actuelle église Saint-Charles de Monceau (1907). On y avait vu Jeanne d’Arc. Une chapelle du hameau de Monceau avait été consacrée en 1529 sous l’invocation de Saint-Etienne mais en tant que succursale de celle de Clichy.
Le château de Monceau et ses terres étaient passés en 1753 aux mains du Fermier général Grimod de La Reynière, le père du gastronome, puis dans la famille alliée de Lévis. Enfin, une partie de son parc avait été vendue en 1769 au duc de Chartres qui deviendrait d’Orléans. Le château disparaîtra sous le 2nd Empire.
Le hameau s’est vu détacher de la commune de Clichy-la-Garenne en 1830. Il comptait 6 800 habitants en 1831, quatre fois plus à l’orée du 2nd Empire ; 44 000 habitants à l’annexion de 1860.

- rue de Lévis, le n° 23, de la fin du 18?, le n° 25, vers 1840 ? sont caractéristiques du lotissement primitif de la commune de Batignolles-Monceaux. PLU.

- 9, rue de Saussure, PLU : 2 maisons jumelles du début du 19e s. aux modénatures néo-classiques très sobres, implantées en retrait d’alignement et donnant sur un jardin privatif. Ensemble caractéristique de l’ancienne commune des Batignolles.

- 54, rue Legendre. Paul Eluard et Nusch s’installent aux Batignolles en 1934, y demeurent jusqu’à la fin de 1938. Après la rupture avec Gala, Paul vient d’épouser Nusch. Il aura quarante ans en 1935. C’est dans un lieu commun du roman naturaliste qu’ils s’installent : derrière des fenêtres de cinquième étage, non loin de la tranchée du chemin de fer. S’ils n’aperçoivent pas les rails, ils la devinent cette tranchée par le creux qu’elle imprime à la ligne des toits.

- 4ème étage du 56, rue Dulong. Le cardinal Daniélou y meurt en 1974, chez une dame Santoni, dans « l'épectase de l'apôtre », comme ironisera le Canard Enchaîné. Le mot « épectase » avait été forgé par le cardinal, quand il traduisait saint Grégoire de Nysse, pour exprimer, à la différence de l’extase traditionnelle, plutôt passive, un élan extatique plus tendu. Le journal satirique en a si bien détourné le sens que le dictionnaire Robert en donne désormais comme définition : « mort pendant l’orgasme ».

Guy de Maupassant, dans les cinquante mètres carrés du 83, rue Dulong, où il séjourne en 1882-84 (Des tableaux y évoquent Etretat et Fécamp, la patrie de son cœur ; il n’a que quelques pas à faire pour atteindre la gare Saint-Lazare et embarquer pour la Normandie), y décrit (le roman paraîtra en 1885) un Georges Duroy, alias Bel-Ami, ancien sous-officier de hussards, comme le père de Verlaine et beaucoup d’autres dans le quartier, qui ne désire qu’une chose, en sortir, des Batignolles et de sa chambre du cinquième, qui donne sur l’immense tranchée du chemin de fer de l’Ouest, juste au-dessus de la sortie du tunnel, rue Boursault. « Il revint à grands pas, gagna le boulevard extérieur [on appelle alors ainsi le tracé de l’ex mur des Fermiers généraux, ici le bd des Batignolles], et le suivit jusqu’à la rue Boursault qu’il habitait. Sa maison, haute de six étages, était peuplée par vingt petits ménages ouvriers et bourgeois, et il éprouva, en montant l’escalier, dont il éclairait avec des allumettes-bougies les marches sales où traînaient des bouts de papiers, des bouts de cigarettes, des épluchures de cuisine, une écœurante sensation de dégoût et une hâte de sortir de là, de loger comme les hommes riches, en des demeures propres, avec des tapis. »

132 ou 137 rue Cardinet ? Zola, qui est du quartier de 1867 à 1877, donne ici rendez-vous à Séverine Roubaud, la femme du sous-chef de gare, et à Jacques Lantier, le mécanicien de la Bête humaine : « Séverine, à trois heures moins vingt, s'était trouvée en avance, rue Cardinet, au rendez-vous qu'elle avait donné à Jacques. Il habitait là, tout en haut d'une grande maison, une étroite chambre, où il ne montait guère que le soir pour se coucher (…) « Enfin, c'est vous ! s'écria-t-elle, quand elle le vit déboucher de la porte cochère. Je craignais d'avoir mal compris… Vous m'aviez bien dit au coin de la rue Saussure… » Et, sans attendre sa réponse, levant les yeux sur la maison : « C'est donc là que vous demeurez ? » (…)
Quelques minutes, ils marchèrent sans parler, dans le continuel flot de passants qui encombre ce quartier populeux. »

Gare du pont Cardinet, PLU : construite entre 1923 et 1924 par l'architecte Julien Polti sur la ligne d'Auteuil, rachetée par l’État avec toutes les lignes de la Cie des chemins de fer de l’ouest en 1908. Fidèle à l'enseignement de son maître Charles Genuys, auquel il devait probablement cette commande, il entreprend ici un programme "rationnel mais non rationaliste" ou la logique de la construction n'exclut pas la sensibilité décorative. Deux vaisseaux voûtés d'ogives déterminaient les parties accessibles au public, tandis que les bureaux ou annexes occupaient les parties latérales basses. L'ossature est entièrement en béton armé, remplie de brique ocre. Une décoration de mosaïque complète son parement. La gare a fait l'objet d'un entresolement, masquant à regret la voûte d'origine.

De l’autre côté des voies, le bâtiment du 145 bis porte encore le sigle CE de cette Cie de l’État créée en 1878 pour reprendre 10 compagnies défaillantes entre la Loire et la Garonne, qui acquerra en 1908 celle des Chemins de fer de l’Ouest et sa tête de ligne : la gare Saint-Lazare.

On a rattrapé Séverine et Jacques, quelques pages après le début du chapitre V : « Parfois, ils étaient forcés de descendre du trottoir ; et ils traversaient la chaussée, au milieu des voitures. Puis, ils se trouvèrent devant le square des Batignolles, presque désert à cette époque de l'année. Le ciel pourtant, lavé par le déluge du matin, était d'un bleu très doux ; et, sous le tiède soleil de mars, les lilas bourgeonnaient.
« Entrons-nous ? demanda Séverine. Tout ce monde m'étourdit. » De lui-même, Jacques allait entrer, inconscient du besoin de l'avoir plus à lui, loin de la foule.
« Là ou ailleurs, dit-il. Entrons. » Lentement, ils continuèrent de marcher le long des pelouses, entre les arbres sans feuilles. Quelques femmes promenaient des enfants au maillot, et il y avait des passants qui traversaient le jardin pour couper au plus court, hâtant le pas. Ils enjambèrent la rivière, montèrent parmi les rochers ; puis, ils revenaient, désœuvrés, lorsqu'ils passèrent parmi les touffes de sapins, dont les feuillages persistants luisaient au soleil, d'un vert sombre. Et, un banc se trouvant là, dans ce coin solitaire, caché aux regards, ils s'assirent, sans même se consulter cette fois, comme amenés à cette place par une entente. »
           
On a traversé avec eux le square pour arriver face à Sainte-Marie. La construction de l’église avait commencé en 1826 par la nef et le péristyle, sous la direction de l’architecte Molinos. La population de la commune augmentant, son agrandissement fut décidé en 1839 et l’état définitif atteint en 1851.
L’église doit son nom à une légende : un ouvrier aurait trouvé, lors des travaux de fondation, une statuette de la Vierge qui a disparu depuis. Plus sûrement, la duchesse d’Angoulême (ex Madame Royale, fille de Louis XVI et Marie-Antoinette, épouse de son cousin germain, le duc d’Angoulême, fils du futur Charles X, désormais le dauphin à la construction de la nouvelle église ) avait souhaité que la dédicace en soit faite à sa sainte patronne.
L’église prend son nom de Sainte-Marie des Batignolles en 1830 quand Charles X disjoint de la commune de Clichy-la-Garenne la nouvelle commune des Batignolles-Monceau.
L’édifice a la forme d’un temple grec. Son fronton triangulaire est soutenu par quatre colonnes de style toscan. C’est une des rares églises qui n’ait pas de clocher. IMH.

- 80, place du Dr Félix Lobligeois, PLU : immeuble de rapport, caractéristique du lotissement primitif des Batignolles dans la 1ère moitié du 19e s.
- du 64, place du Dr Félix Lobligeois au coin de la rue des Batignolles (n°64), et du 67, place du Dr Félix Lobligeois au coin de la rue Legendre (n°74), PLU : deux constructions en quarts de cercle sur l’ancienne place des Batignolles, centre de la commune de Batignolles-Monceau, caractéristiques du lotissement primitif de la 1ère moitié du 19s.
- 69, place du Dr Félix Lobligeois / 63, rue Legendre / 76, rue Boursault : remarquable composition de façade d’aspect début du 2nd Empire.

Les Batignolles n’existent qu’à peine avant le chemin de fer. Lorsqu’en 1837, le tunnel ferroviaire de 330 m de long, s’enfonçant bd des Batignolles sous le mur des Fermiers généraux ressort de terre pratiquement à la hauteur de la rue Bridaine, il débouche dans une commune qui n’a que sept ans d’âge : jusqu’en 1830, le hameau dépendait de Clichy. De la rue Legendre, en enjambant les voies,  on aperçoit l’immeuble de Bel-Ami qui fait, rue Boursault, le coin avec la rue Bridaine. « La chambre du jeune homme, au cinquième étage, donnait comme sur un abîme profond, sur l'immense tranchée du chemin de fer de l'Ouest, juste au-dessus de la sortie du tunnel, près de la gare des Batignolles. Duroy ouvrit sa fenêtre et s'accouda sur l'appui de fer rouillé.
      Au-dessous de lui, dans le fond du trou sombre, trois signaux rouges immobiles avaient l'air de gros yeux de bête; et plus loin on en voyait d'autres, et encore d'autres, encore plus loin. A tout instant des coups de sifflet prolongés ou courts passaient dans la nuit, les uns proches, les autres à peine perceptibles, venus de là-bas, du côté d'Asnières. Ils avaient des modulations comme des appels de voix. Un d'eux se rapprochait, poussant toujours son cri plaintif qui grandissait de seconde en seconde, et bientôt une grosse lumière jaune apparut, courant avec un grand bruit; et Duroy regarda le long chapelet des wagons s'engouffrer sous le tunnel. » On est, dans le roman, en 1877

Le tunnel sera mis à ciel ouvert après l’incendie d’octobre 1921 qui y fit 28 morts et 74 blessés.

Les premières lignes de la Bête humaine (dont l’action se déroule en 1869-70 mais le livre de Zola est écrit cinq ans après le Bel-Ami de Maupassant) décrivent, de l’autre côté du tunnel, une chambre toute semblable où monte Roubaud arrivant du Havre : « C’était impasse d’Amsterdam, dans la dernière maison de droite, une haute maison où la Compagnie de l’Ouest logeait certains de ses employés. La fenêtre, au cinquième, à l’angle du toit mansardé qui faisait retour, donnait sur la gare, cette tranchée large trouant le quartier de l’Europe (…) ; le pont de l'Europe, à droite, coupait de son étoile de fer la tranchée, que l'on voyait reparaître et filer au-delà, jusqu'au tunnel des Batignolles. Et, en bas de la fenêtre même, occupant tout le vaste champ, les trois doubles voies qui sortaient du pont, se ramifiaient, s'écartaient en un éventail dont les branches de métal, multipliées, innombrables, allaient se perdre sous les marquises. Les trois postes d'aiguilleur, en avant des arches, montraient leurs petits jardins nus. Dans l'effacement confus des wagons et des machines encombrant les rails, un grand signal rouge tachait le jour pâle. ».

- 19, rue Legendre, 1 rue Léon Cosnard, 30 rue Tocqueville, PLU : hôtel Guerlain, de style éclectique réalisé par l'architecte Antoine Selmersheim à la fin du XIXème siècle. Édifié en pierre de parement et briques rouges, il témoigne d'influences composites : flamande par son pignon à escalier sur la rue de Tocqueville, néo-Renaissance française et italienne par ses fenêtres à meneaux, sa souche de cheminée, ses baies géminées et cintrées, son décor de brique et de pierre pour les entourages. Pierre François Pascal Guerlain, né vers 1800, a fait ses études en Angleterre. Il est parfumeur-vinaigrier et fonde la société Guerlain en 1828 rue de Rivoli à Paris, au rez-de-chaussée de l'Hôtel Meurice. En 1853, il déplace sa fabrication de la Place de l'Etoile à Paris, à Colombes (92) ; il y décède en1864, où est né Pierre Gabriel Guerlain, son petit-fils, en 1872, qui dirigera à son tour la société Guerlain. Il mourra en 1961 à Paris 17ème, 19 rue Legendre.
L’adresse a été celle de « l’Association des Déterreurs » ou Association des équipages de vénerie sous terre (chasse au renard, blaireau, ragondin, avec chiens, sous terre).

On aperçoit le 2 bis, rue Léon Cosnard, PLU : Immeuble de rapport construit par Charles Plumet en 1893. La composition de la façade manifeste un goût décoratif très prononcé qui annonce l'évolution de l'architecte vers l'Art Nouveau, en particulier la porte d'entrée en bois ajourée de verre à motifs floraux.

6, rue Jacques Bingen (et 14 place du Général Catroux), PLU. La représentation lituanienne existe en France depuis les années 1923, c’est-à-dire depuis la reconnaissance par la France de la République lituanienne indépendante. En 1925 l’Etat lituanien a acheté l’Hôtel Fournier, sis 14, Place Malesherbes, actuellement 14, Place du Général Catroux, où la Légation de Lituanie a été installé et a fonctionné jusqu’en 1940 ; Oscar Vladislas de Lubicz Milosz (1877-1939) y officiait. Autant que diplomate, il était poète de langue française. L’hôtel passa à l’URSS avec le pacte germano-soviétique. En 1951, le futur Prix Nobel de littérature, Czeslaw Milosz (1911-2004), cousin du précédent, devenu premier secrétaire de l’ambassade de Pologne à l’hôtel de Monaco (7e arr.), abandonnait son poste et demandait l’asile politique. La dévolution de l’hôtel Fournier a été régularisée en 2001.

« … loger comme les hommes riches, en des demeures propres, avec des tapis », rêvait Georges Duroy. Des tapis, Guy de Maupassant en aura dans le beau 17e, qu’il rejoint en avril 1884 quand triomphe en feuilleton son Bel-Ami, et des tentures, des boiseries, des bouddhas et de la porcelaine, qui font dire aux Goncourt de son rez-de-chaussée du 10, rue Montchanin (aujourd’hui Jacques-Bingen, du nom du frère de Mme André Citroën, résistant), un hôtel construit par son cousin Le Poittevin qui habite au 1er, que c’est un « logis de souteneur caraïbe ». Maupassant y demeurera jusqu’à la fin de 1889, entre deux escapades sur la Côte d’Azur ou à bord de son voilier le Bel Ami.

- 13, rue Jacques Bingen, PLU : Hôtel particulier construit en 1883 par l'architecte Hector Degeorge pour M. Edgar Roper. La façade, richement sculptée, utilisant la pierre et des remplissages en brique, est caractéristique du style éclectique inspiré du gothique et de la Renaissance en vogue à la fin du XIXème siècle.

- 14, place du Général Catroux, hôtel Fournier (voir plus haut), PLU : réalisé en 1877-78 par Duttenhorfer, l’un des 1ers de la place, antérieur à l’hôtel Gaillard, avec sa façade néo-Renaissance italienne, soubassement en pointe de diamant

- 108 bd Malesherbes, Derrière le portail d'entrée en pierre de taille provenant de l'ancienne Sorbonne du 17e s., le Centre Malesherbes a abrité les locaux de HEC de la création de l’école, fin 1881, à 1999 (HECJF), et accueille actuellement les étudiants du premier cycle de la faculté de lettres et sciences humaines de l'Université Paris IV-Sorbonne.

Place du gal Catroux, il est, sous la statue de Dumas père par Gustave doré, et à l’opposé de d’Artagnan, un groupe de lecteurs : un homme (le père de famille?) appuyé du bras gauche à un engrenage et le marteau posé sur le tablier de cuir, pieds nus, écoute (il n'est donc pas à proprement parler un lecteur); une femme (son épouse?), au centre, plus qu’elle ne lit elle-même tient le livre pour qu’un jeune homme chaussé de bottines, leur grand fils? étudiant? leur fasse la lecture à tous.
Dumas père...
On y voit également une statue de Dumas fils, de 1906, et la place fut longtemps dite « des Trois Dumas » car on y trouvait encore une statue du père du père, le général Dumas, de 1912, qui fut fondue par les Allemands en 1942. « Le plus grand des Dumas, c’est le fils de la négresse, c’est le général Alexandre Dumas de La Pailleterie, le vainqueur du Saint-Bernard et du Montcenis, le héros de Brixen. Il offrit soixante fois sa vie à la France, fut admiré de Bonaparte et mourut pauvre. Une pareille existence est un chef-d'œuvre auquel il n'y a rien à comparer », écrivit Anatole France. Le sculpteur sénégalais Ousmane Sow a proposé de lui ériger un nouveau monument.
Le projet d'un Dumas père du père

- 2, place du gal Catroux / coin avec bd Malesherbes, PLU : hôtel particulier réalisé en 1899 par l’architecte Alphonse Fiquet dans le goût néo-Renaissance, à mettre en relation avec l’hôtel Gaillard.

En 1878, Emile Gaillard, régent de la Banque de France, fait appel à Jules Février pour construire dans la plaine Monceau un palais de style Renaissance, inspiré par les châteaux de Blois et de Gien (dont il reprend notamment les briquetages, les lucarnes, les lustres). La demeure, achevée en 1882, met en valeur les tableaux et objets d'art du banquier, notamment lors de soirées mondaines recherchées. Après sa mort en 1902, la Banque de France va finir par l'acquérir en 1921 et ouvrir une succursale en 1924, aménagée par l’architecte Defrasse et le décorateur Jansen. On peut profiter des heures d'ouverture pour admirer les boiseries de la salle des guichets. Classé MH.

- 12, rue Georges Berger, PLU : Hôtel particulier de style néo-Renaissance de la fin du XIXème siècle. Façade en pierre de taille inspirée des palais italiens. Fenêtres à meneaux encadrées de pilastres. Corniche à denticules.
- 11 bis, rue Georges Berger, PLU : Hôtel particulier édifié vers 1900 en pierre de taille. Il compte deux étages sur rez-de-chaussée. Une loggia soutenue par des colonnes d'ordre corinthien surmonte la porte cochère. L'étage noble comporte deux balcons avec garde-corps en fonte dans le style Louis XV. Les baies de cet étage sont ornées de frontons néo-classiques et la corniche de modillons.

- 10, rue Georges Berger, PLU : Immeuble de rapport de style éclectique en pierre de taille de cinq étages sur rez-de-chaussée construit en 1904-05 par Jacques Hermant sur un hôtel particulier de son père, Achille, de 1878. La façade de cet immeuble d'habitation bourgeois marie le répertoire du style rococo, sensible dans les sculptures qui ornent consoles et fronton, et l'influence de l'Art Nouveau dans le travail de ferronnerie.
6-8, rue Georges Berger, PLU : Ensemble de deux bâtiments, édifiés à la fin du XIXème sur une cour ouverte abritant aujourd'hui le consulat du Portugal. En fond de cour, immeuble de rapport présentant une façade composée de cinq travées et de trois étages carrés sur rez-de-chaussée. L'immeuble sur rue se développe en retour dans la cour. Il présente une façade composée de trois étages carrés sur rez-de-chaussée. Au troisième étage sur cour, une grande baie vitrée révèle la présence d'un atelier.

Les Fermiers généraux ont obtenu l’érection d’un mur fiscal tout autour de Paris. Chargé de sa construction, l’architecte Ledoux demande au duc d’Orléans d’en fixer lui-même le tracé où bon lui semble aux abords de sa propriété de Monceau. Thomas Blaikie, son jardinier, en compagnie de Mr. Smith, le maître d’hôtel, est donc en train de faire des relevés « pour que les plantations du nouveau boulevard longeant l’enceinte s’harmonisent avec les jardins et les prolongent en créant un point de vue agréable », quand les deux hommes sont assaillis par des gardes-chasse royaux qui les ont pris pour des braconniers.
« C’est une institution des plus tyranniques aux portes de Paris, peste Blaikie dans son Journal. Personne n’est libre sur sa propre terre, pas même de couper un petit peu d’herbe sans être insulté par ces fripons. Ils prétendent que c’est pour le plaisir du roi, qui ne vient pratiquement jamais chasser ici, seulement vers Saint-Denis une fois par an. Quelle oppression. »
Blaikie, à Monceau depuis 1783 ou 1784, a modifié les vignobles italiens et de nombreuses allées, s’est occupé de la nouvelle serre chauffée des ananas, et de la construction d’une galerie la reliant aux appartements et au jardin d’hiver, mais, surtout, du fameux mur d’enceinte. Une cinquantaine de parcelles en direction du village de Monceau et du futur boulevard ont été achetées et, la meilleure vue depuis les jardins étant vers la plaine, « il a été convenu que le duc ferait la dépense d’un grand fossé et que le mur serait construit dans le fossé ». Quand l’Almanach du voyageur à Paris, un peu plus tard, présente les lieux à ses lecteurs, il peut donc écrire : « Le jardin de Mgr le duc d’Orléans, à la barrière de Monceaux, est un des plus curieux ; son enceinte n’étant fermée que par un fossé, la vue n’y est point bornée ».

Le duc avait demandé à Carmontelle de lui créer un jardin pittoresque, un « pays d’illusion » réunissant « tous les temps et tous les lieux ». Il était surencombré de fabriques : des ruines d’aqueduc et de temples, antiques et gothiques, sans compter les moulins hollandais, les ponts chinois et les pagodes. Certaines des plantes étaient pareillement exotiques ; s’y faufilait parfois un herboriste furtif que Mme de Genlis, la gouvernante des enfants, avait identifié comme étant Jean-Jacques Rousseau. Elle lui fit parvenir une clef pour qu’il pût y venir plus librement.
Les Orléans tiennent si fort à Monceau, ou le futur Louis-Philippe est si près de ses sous, qu’après les Trois Glorieuses de juillet 1830, il retarde de deux jours son accession au trône, le temps d’établir une donation à ses enfants, au mépris du droit voulant que les biens particuliers d’un nouveau roi soient « de plein droit et à l’instant même unis au domaine de la nation ».
Vingt-deux ans plus tard et six semaines après son coup d’État, Napoléon III cassait la donation frauduleuse ; c’était, pour les orléanistes, le « premier vol de l’aigle ». Haussmann n’allait pas laisser longtemps impunie cette pseudo-atteinte à la propriété : sous couvert de boulevard Malesherbes et d’une fausse égalité, la Ville expropriait à la fois l’État et les Orléans mais revendait plus de la moitié du parc à Émile Pereire pour en tirer de quoi indemniser les Orléans. Des dix-neuf hectares initiaux d’un triangle formé par le bd de Courcelles, la rue du même nom et la rue de Monceau, il en resterait moins de neuf ouverts au public. Zola pouvait écrire dans La Curée : « Saccard venait de faire bâtir son hôtel au parc Monceau sur un terrain volé à la Ville ».
Saccard ou, plutôt, ses modèles de la réalité avaient dû respecter quelques règles : l’acquéreur s’engageait à ne fermer les parcelles vendues que par des grilles, dont le modèle serait arrêté par le préfet de la Seine tandis que la Ville, en contrepartie, n’installerait dans le parc ni café-concert ni salle de spectacle.
La naumachie, la lanterne de pierre chinoise, la pyramide au « bois des tombeaux », d’inspiration maçonnique, de l’architecte Bernard Poyet (1742-1824 ; auquel on doit la façade du Palais-Bourbon) remontent à la Folie de Chartres ; le pont à l’italienne, de Davioud, date du Second Empire. L’un des rares restes de l’ancien Hôtel de Ville du Boccador, après son incendie par la Commune, est dans le parc aux grilles dorées de Gabriel Davioud.

- 5, av. Velasquez, PLU : Hôtel en pierre de taille construit pour Hippolyte-Alfred Cauchard fondateur des magasins du Louvre.
­- 6, av. Velasquez, PLU : Hôtel particulier en bordure du parc Monceau. Garde-corps galbés à motif néo-Louis XV. Se rattache au lotissement des frères Pereire.
- 7, av. Velasquez, PLU : Hôtel particulier édifié en 1873 par l'architecte Bouwens van der Boijen pour le financier Henri Cernuschi et conçu pour abriter sa prestigieuse collection d'art asiatique. Discret et pourtant somptueux, le porche d'entrée d'influence italienne, porte au-dessus du balcon deux mosaïques représentant Aristote et Léonard de Vinci. Légué par Henri Cernuschi à la Ville de Paris, il abrite depuis 1898 le musée d'art asiatique Cernuschi.

- 4, avenue Ruysdael, (aujourd’hui siège de l’Ordre des pharmaciens), PLU : Hôtel particulier construit par l'architecte J.-A. Pellechet en 1875, surélevé en 79 pour le second fils d'Emile Meunier, Gaston qui y fait mettre un escalier de bois orné de mosaïques Renaissance, et bâtir des communs en 1885 par Henri Parent. Le corps principal qui donne sur l'avenue est nettement inspiré de l'architecture toscane (ou 1ère Renaissance française). Derrière l'hôtel s'étend une cour à laquelle on accède par une porte cochère sur deux niveaux et encadrée par deux colonnes avec chapiteaux supportant un arc en plein cintre sculpté surmonté de deux aigles ailés qui encadrent un écusson. Cette cour est bordée à droite et au fond par les communs d'inspiration normande (et orientalisante), comme l'hôtel Meunier de la rue Alfred-de-Vigny. Construit en encorbellement, l'étage du bâtiment du fond repose sur un système d'arcs entrecroisés. Il est éclairé par des fenêtres de style mauresque dont l'arc outrepassé est orné à l'intérieur d'un décor de stuc peint. Il correspond à une ancienne salle dédiée au théâtre. Au troisième étage, fenêtres arrondies d'un style différent. Appuis en fonte conservés.

Autour du parc Monceau se sont installés les « actionnaires du siècle », selon la formule des Goncourt. Flaubert, artiste plus qu’actionnaire, n’y aura qu’un appartement (de 1869 à 1875), au quatrième étage du 4, rue Murillo, dans l’immeuble tout neuf de style néo-Louis XIII que vient d’achever de construire l'architecte Auguste Tronquois, avec vue sur le parc, tout de même, « vue admirable » selon George Sand qui le visite alors qu’il est encore en travaux. Le 16 mars 1873, Edmond de Goncourt y rencontrera Alphonse Daudet.
- 4 et 6 rue Murillo, PLU : A l'alignement les grilles sont interrompues par un pavillon en pierre servant de conciergerie. La façade postérieure donne sur le parc Monceau. L'immeuble est très représentatif du lotissement luxueux autour du parc engagé par Emile Pereire après 1860 (cahier des charges du 14 janvier 1861 définissant les prescriptions architecturales).
- 8, rue Murillo, PLU : Immeuble de rapport idem ci-dessus. Décor de bossages.
- 9, rue Murillo, PLU : Immeuble-Hôtel construit à partir de 1870 par l'architecte Gustave Clausse. Il se réserva le rez-de-chaussée et le premier étage, en pierre et loua les étages supérieurs en brique. Dans la cour, sur le mur mitoyen en face de l'entrée, Clausse remonta une arcade et des chapiteaux fournis par Edmond Guillaume, architecte chargé de la démolition des ailes du palais des Tuileries, brûlé pendant la Commune, en attendant que la partie centrale le soit en 1883. Un buste, peut-être d'Alphonse d'Este, provenant de Florence, et deux chapiteaux vénitiens, complètent cet ensemble. Les ouvertures du premier étage sont en plein cintre, ornées de céramiques polychromes et, à l'angle en pan coupé avec la rue Rembrandt, elles sont en serlienne. Le plafond du salon de cet étage fut décoré par le peintre Albert Gérard d'anges musiciens.
- 14, rue Murillo, PLU : hôtel particulier présentant une façade plus sobre mais qui par son implantation et sa datation doit être rattachée au même ensemble cohérent de la fin du XIXème siècle. Au n°16 hôtel particulier construit en 1878 (date gravée en façade). En pierre de taille, il est décoré dans un style Renaissance (fenêtre à meneaux, lucarnes en pierre présentant un amortissement et des ailerons sculptés, toiture en bâtière). La cour donne sur la rue et à côté, une petite maison, en brique et pierre de taille, forme un ensemble avec l'hôtel.
- le 19, rue Murillo et 66 rue de Lisbonne est décoré de quatre médaillons représentant Raphaël, Michel-Ange, Murillo et Rubens. La rue de Lisbonne a été ouverte en 1826 avec le reste du quartier de l’Europe par le banquier Jonas Hagerman, et Sylvain Mignon, serrurier du roi Charles X, qui, entre cette date et 1843, feront ouvrir vingt-quatre rues aux noms de métropoles européennes, à partir d’une étoile initiale, le bâti n’y prenant quelque densité qu’après 1848. La rue de Lisbonne partait alors de la rue du Rocher (cette extrémité initiale ayant été fondue plus tard dans la rue de Madrid).

Si les parcelles prises sur le parc Monceau n’étaient pas closes de murs, ce n’était plus, comme autrefois, pour qu’elles disposent de la vue, c’était maintenant pour qu’on ait vue sur elles. L’inauguration d’un hôtel au parc Monceau allait devenir une scène de genre en littérature, depuis La Curée, en 1872, jusqu’à La Famille Boussardel, de Philippe Hériat, en 1946. Quand elle voit construire le sien, Mme Boussardel, qui connaît le Renaissance, le Louis-XV ou le Louis-XVI, « ne comprend rien à ce style d’à présent qui les transforme et les confond tous » ! Le Napoléon III, « ce bâtard opulent de tous les styles » comme l’avait déjà écrit Zola :

Zola, se documentant pour La Curée, (1872) a obtenu facilement des Meunier du chocolat de visiter leur hôtel et d’interroger leurs domestiques. Ces gens-là n’ont rien à cacher, tout à montrer, au contraire ! tout est ouvert dans leur hôtel, jusqu’aux chambres à coucher, comme le note le Gaulois. Zola décrit ainsi l’hôtel d’Émile-Justin Meunier, fondateur de la dynastie, au 5, avenue Van-Dyck : « À la voir du parc, au-dessus de ce gazon propre, de ces arbustes dont les feuillages vernis luisaient, cette grande bâtisse, neuve encore et toute blafarde, avait la face blême, l’importance riche et sotte d’une parvenue, avec son lourd chapeau d’ardoises, ses rampes dorées, son ruissellement de sculptures. C’était une réduction du nouveau Louvre, un des échantillons les plus caractéristiques du style Napoléon III, ce bâtard opulent de tous les styles. Les soirs d’été, lorsque le soleil oblique allumait l’or des rampes sur la façade blanche, les promeneurs du parc s’arrêtaient, regardaient les rideaux de soie rouge drapés aux fenêtres du rez-de-chaussée ; et, au travers des glaces si larges et si claires qu’elles semblaient, comme les glaces des grands magasins modernes, mises là pour étaler au-dehors le faste intérieur, ces familles de petits bourgeois apercevaient des coins de meubles, des bouts d’étoffes, des morceaux de plafonds d’une richesse éclatante, dont la vue les clouait d’admiration et d’envie au beau milieu des allées ».

- 5, av. Van-Dyck, PLU : Hôtel particulier construit entre 1872 et 1874 par l'architecte Henry Parent sur un terrain acheté aux Pereire en 1868. L'immeuble comprend un corps de bâtiment principal en façade sur le parc avec une aile en retour à gauche de la cour. A gauche du bâtiment se trouve un salon d'hiver abrité sous une serre en verre et vitraux. Une entrée sous voûte conduit à la cour couverte des écuries avec issue sur la rue Alfred-de-Vigny. Au centre de chaque façade s'avance un avant-corps en rotonde abondamment sculpté. Quand les Meunier y donnent des bals, ils font passer leurs invités – qu’amènent quelque trois cents voitures – par un circuit imposé devant leurs écuries où les chevaux ont été harnachés et caparaçonnés pour la circonstance 
 Meunier avait néanmoins laissé confier les masques de la façade, chevaux marins, lions et Mercure, autour de la porte et des fenêtres, ainsi que les cariatides du grand vestibule, à quelqu’un qui était tout sauf une valeur établie, le débutant Jules Dalou, 30 ans, (pour le compte de Lefèbvre, sculpteur-décorateur), qui serait plus tard sous-délégué de la Commune chargé de la réouverture et de la surveillance des Musées.
Quelques années plus tard, Zola, publierait l’Assommoir (1876), en feuilleton, dans Le Bien public d’Émile Meunier, un journal que son propriétaire rebaptiserait Le Voltaire après le centenaire de la mort du philosophe.

- 6, av. Van Dyck, PLU : Hôtel Particulier par l'architecte Alfred Normand, réalisé en 1887 pour Joseph Reinach, directeur politique du journal La République française. Le rez-de- chaussée regroupe le grand salon, le petit salon et sa serre sur le parc, une chambre et la salle à manger. Le premier étage abrite le bureau, les chambres et une salle d'armes. Au second se trouvent des chambres et un atelier à pan coupé. En partie transformé par l'occupation d'une école, cet Hôtel n'en constitue pas moins un type remarquable de l'architecture bourgeoise de la fin du XIXème siècle contemporain du lotissement du parc Monceau.

Sur trois rues et trois avenues nouvelles se sont donc installés les « actionnaires du siècle », dixit Edmond de Goncourt : Émile Pereire tout le premier, Henri Meunier, au 8, rue Alfred-de-Vigny ; les banquiers Abraham et Nissim de Camondo, aux 61 et 63, rue de Monceau.
- 8, rue Alfred de Vigny, PLU : Cet hôtel, édifié par Henri Parent en 1880 pour Henri Meunier, ingénieur chimiste, fils aîné d’Émile-Justin Meunier, donne un aperçu remarquable de style éclectique. La façade de l'Hôtel sur rue emprunte au vocabulaire architectural de la première Renaissance (fenêtres à meneaux, amortissements des baies) alors que les bâtiments sur cour sont de style normand. L'échauguette des écuries dans la partie droite de la cour est en briques et pans de bois sculptés.
- 10, rue Alfred de Vigny, PLU : Hôtel d'Emile Pereire promoteur du parc Monceau et actuel siège de la fondation Del Duca. Situé en retrait et en biais par rapport à l'alignement, cet hôtel présente une façade d'inspiration classique percée d'une grande porte en plein cintre munie de grilles. La composition est centrée autour d'un avant-corps borné de chaînes de refends et encadré de deux ailes. Couronnement orné de balustres en pierre dans le goût des villas à l'italienne. Remarquables garde-corps galbés au premier étage.
On a là la branche catholique des Pereire ; en face, au 7, les Dollfuss, Hottinguer et Neuflize, au 9, les Mirabaud, tous protestants

Pendant trois ans, la rue de Chazelles est le but obligé des promenades du dimanche : la Liberté de Bartholdi s’exhausse chaque semaine un peu plus au-dessus du portail de la maison Monduit & Bechet, Gaget, Gauthier & Cie, au n° 25. Bientôt, la flamme de sa torche, les pointes de son diadème, se voient au-dessus des toits, de très loin ; elles culmineront à quarante-six mètres. Et, aussitôt, la Liberté se mettra à rapetisser, tout aussi graduellement, démontage qui précède sa mise en caisses et son expédition à New York.

- 34-36 bd de Courcelles, l’ambassade d’Espagne est le point de mire de la « manifestation Ferrer ». Le pédagogue libertaire Francisco Ferrer, rendu responsable d’émeutes anticléricales au moment de la guerre du Maroc, a été condamné à mort et fusillé dans le royaume d’Alphonse XIII. Depuis la Commune, la capitale fait l’objet d’une interdiction de manifester, les défilés n’étant plus autorisés qu’en banlieue. Mais, ce 13 octobre 1909, un flot se déverse de 6 heures à 11 heures du soir. « Le mouvement fut spontané. De tous les faubourgs affluèrent vers le centre par centaines de milliers, ouvriers et petites gens mus par une terrible indignation » écrit Victor Serge. L’accès à l’ambassade d’Espagne est barré, les heurts ont lieu rue Legendre, bd de Courcelles comme aux abords du M° Villiers. Des coups de feu sont tirés, une balle partie du groupe de journalistes de La Guerre Sociale, du Libertaire et de l’anarchie frôle la joue du préfet Lépine ; les becs de gaz arrachés se transforment en torches, les kiosques à journaux flambent, des omnibus sont renversés, dont les chevaux ont été dételés au préalable ; du poivre est jeté dans les yeux des cuirassiers à cheval qui chargent sabre au clair ; un agent sera tué et des dizaines d’autres blessés ; on ne dispose pas de chiffres concernant les manifestants. Lénine et la Kroupskaïa participaient à la manifestation.
C'est sans doute avec ce que les historiens appellent la "manifestation Ferrer" que la forme contemporaine de la manifestation s'est définitivement fixée. Le premier défilé politique spontané ayant tourné mal, un appel sera lancé à une seconde manifestation, le 17 octobre, de la place Clichy à la Concorde par le boulevard des Batignolles et le boulevard Malesherbes ; encadrée de gardes républicains à cheval, Jaurès à sa tête, elle réunira de 100 000 à 500 000 personnes. Des cartes postales immortalisent le rassemblement initial, devant le Wepler. Cette seconde manifestation se fait cette fois-ci à l'instigation de la SFIO et de la CGT, les organisations ouvrières voulant prouver qu'elles sont capables de faire défiler dans l'ordre la classe ouvrière, de faire une "manif à l'anglaise", sans désordres ni violence. Les élus sont mis en avant, ceints de leur écharpe tricolore, le trajet est prévu à l'avance et a été négocié avec les forces de l'ordre, la rue est respectée grâce à l'encadrement par des services d'ordre ouvriers (une autre innovation). La manière dont cette manifestation fut commentée à l'époque montre bien à la fois le trouble qu'elle a jeté dans les façons ordinaires de voir la classe ouvrière et la nouveauté de l'événement : les journalistes évoquent une "promenade extraordinaire", une "procession curieuse dans laquelle les gens marchent bras dessus dessous". L'enjeu était important. Ces manifestations calmes et organisées étaient une autre façon de lutter contre la disqualification sociale et symbolique dominante des ouvriers qui leur déniait toute légitimité à intervenir en politique.

- 22, bd de Courcelles, hôtel particulier, de la fin du 19e, du compositeur Ernest Chausson (1855-1899) qui y tint un salon fréquenté par Fauré et Debussy, qu’y rencontrent Maurice Denis, Raymond Bonheur, Degas, Henri de Régnier, André Gide, Pierre Louÿs. Importants décors intérieurs conservés. (Ambassade de Lituanie depuis l’accord de 2001)

- Magnifique hôtel particulier construit par Jules Février en 1876 (6 ans donc avant celui de Gaillard), à l’angle du boulevard Malesherbes (n° 98) et de la rue de la Terrasse, pour la célèbre Valtesse de la Bigne. Cette belle demi-mondaine appréciait les peintres (on l’appelait l’Union des Artistes), elle consentit sur la prière de Léon Hennique à montrer son hôtel à Zola, qui en fera celui de Nana en le transplantant à l’angle de l’avenue de Villiers et de la rue Cardinet (carrefour du lycée Carnot, qui n’existe pas encore puisque Nana meurt en juillet 1870 tandis que le lycée est de 1874). Alors qu’à Dumas fils, lui demandant à entrer dans sa chambre, elle répondit : « Cher Maître, ce n’est pas dans vos moyens ». A la lecture de Nana, Valtesse de la Bigne sera indignée d’y lire, dans la description de son décor faite par Zola, « quelques traces de bêtise tendre et de splendeur criarde ».
Le lit de parade en bronze de Valtesse, créé en 1877 par Barbedienne pour Édouard Lièvre, est toujours visible au musée des Arts Décoratifs. Il compte 2 cupidons nus à la tête, 2 lampes au pied, est muni de 2 portières pour entrer dans cette patinoire miniature, sous un dais très haut avec de lourdes draperies. Zola le met en situation ainsi : « la chambre, d’ailleurs, était simplement faite pour servir de cadre au lit, un prodige, un éblouissement. Nana rêvait un lit comme il n’en existait pas, un trône, un autel, où Paris viendrait adorer sa nudité souveraine. Il serait tout en or et en argent repoussés, pareil à un grand bijou, des roses d’or jetées sur un treillis d’argent; au chevet, une bande d’Amours, parmi les fleurs, se pencheraient avec des rires, guettant les voluptés dans l’ombre des rideaux. Elle s’était adressée à Labordette qui lui avait amené deux orfèvres. On s’occupait déjà des dessins. Le lit coûterait cinquante mille francs, et Muffat devait le lui donner pour ses étrennes. »

A l’angle rue de la Terrasse / rue de Tocqueville, on trouvait la chapelle du hameau de Monceau, consacrée en 1529 sous l’invocation de Saint-Etienne mais succursale de Clichy, dont la fréquentation était obligatoire pour les grandes fêtes, jusqu’à la création de Sainte-Marie des Batignolles, qui héritera de sa cloche. Saint-Vincent de Paul, curé de Clichy, était venu quelquefois y officier.