Daumesnil - Charenton, ou le Droit au Bonheur


Le réseau routier tracé à travers le bois de Vincennes, son éclairage électrique, sont des vestiges de l’Exposition coloniale de Paris de 1931. En dépit des tracts du Secours rouge international, en dépit de ceux que distribuent les surréalistes : « Ne visitez pas l’Exposition coloniale » :
- « La présence sur l’estrade inaugurale de l’Exposition Coloniale du Président de la République, de l’Empereur d’Annam, du Cardinal Archevêque de Paris et de plusieurs gouverneurs et soudards, en face du pavillon des missionnaires, de ceux de Citroën et Renault, exprime clairement la complicité de la bourgeoisie tout entière dans la naissance du concept nouveau et particulièrement intolérable : la « Grande France ». C’est pour implanter ce concept-escroquerie que l’on a bâti les pavillons de l’Exposition de Vincennes. Il s’agit de donner aux citoyens de la métropole la conscience de propriétaires qu’il leur faudra pour entendre sans broncher l’écho des fusillades lointaines. Il s’agit d’annexer au fin paysage de France, déjà très relevé avant-guerre par une chanson sur la cabane-bambou, une perspective de minarets et de pagodes. A propos, on a pas oublié la belle affiche de recrutement de l’armée coloniale : une vie facile, des négresses à gros nénés, le sous- officier très élégant dans son complet de toile se promène en pousse-pousse, traîné par l’homme du pays – l’aventure, l’avancement.
Rien n’est d’ailleurs épargné pour la publicité : un souverain indigène en personne viendra battre la grosse caisse à la porte de ces palais en carton pâte. La foire est internationale, et voilà comment le fait colonial, fait européen comme disait le discours d’ouverture, devient fait acquis. N’en déplaise au scandaleux Parti Socialiste et à la jésuitique Ligue des Droits de l’Homme, il serait un peu fort que nous distinguions entre la bonne et la mauvaise façon de coloniser. » André Breton, Paul Éluard, Benjamin Péret, Georges Sadoul, Pierre Unik, André Thirion, René Crevel, Aragon, René Char, Maxime Alexandre, Yves Tanguy, Georges Malkine. -
 Malgré l’action de la CGTU et d’une Ligue contre l’oppression coloniale que préside Albert Einstein, plus de cinq cent mille visiteurs, en six mois, vont visiter cette exposition que le ministre des Colonies, Paul Reynaud, a inaugurée en affirmant que « l’idée coloniale doit désormais faire partie intégrante de l’idée de citoyen ».
« La vérité sur les colonies », la contre-expo organisée par la CGTU et Einstein dans l’ancien pavillon soviétique de l’exposition des Arts Déco de 1925, n’en accueillera, du 19 septembre au 2 décembre, que quatre mille cinq cents. S’en est-on consolé en se disant que les gens allaient à Vincennes surtout pour le Parc zoologique, qui vit affluer cinquante mille visiteurs dès le premier dimanche ? Un zoo strictement colonial, lui aussi, réservé à la faune de nos territoires africains, donc sans tigres, ces félins-là appartenant à la couronne britannique.
L’immense rocher artificiel de près de soixante-dix mètres de haut nous vient de l’Expo de 1931, comme le Temple bouddhique installé dans les anciens pavillons du Togo et du Cameroun (au 40, route circulaire du lac Daumesnil), comme, bien sûr, ce bâtiment, construit à partir de 1928 par les architectes Léon Jaussely et Albert Laprade, assistés de Léon Bazin, et inauguré en mai 1931 pour l'Expo. Seul pavillon construit en matériaux durables (moellons et béton armé), il était destiné à devenir le "Palais permanent des Colonies" ; il sera le musée de la France d’outre-mer en 1935, le musée des Arts d’Afrique et d’Océanie à compter de 1960, où demeure le « salon de Lyautey », commissaire général de l’Exposition, enfin Cité nationale de l’histoire de l’Immigration. La façade est ornée d'un immense bas-relief en pierre, signé d'Alfred Janniot, évoquant les richesses des colonies françaises d'Afrique, d'Asie et d'Océanie. Des éléments de la décoration du palais sont dus aux peintres Pierre Ducos de la Haille, André-Hubert Lemaître, Hivannah Lemaître et Louis Bouquet ; aux ferronniers d'art Edgar Brandt, Raymond Subes et Jean Prouvé (grille d'entrée en fer forgé) . Les ensembles mobiliers sont dus à Eugène Printz et à Emile-Jacques Ruhlmann. Au sous-sol, l'aquarium tropical est un témoin de la présentation d'origine.


La statue dorée d’Athéna ou, plus exactement, de La France apportant la paix et la prospérité aux colonies, de Léon-Ernest Drivier, un élève de Rodin, fait partie du même lot.

On retourne vers le centre de Paris par l’avenue Daumesnil, ouverte d’ici à la place Félix Éboué en 1862, sur l’ancien chemin des Passe-Putains autrement dit celui de Saint-Maur dont, à la porte de Picpus, une branche nord remontait sur Saint-Mandé. On met ici nos pieds dans les pas de Fouquet, des Trois Mousquetaires et de leur quatrième, d’Artagnan ; de Molière, de La Fontaine, poète officiel du surintendant des finances, pensionné pour lui livrer une brassée de poèmes à chaque changement de saison, et de tant d’autres qui le foulèrent de 1654 à 1661.
Fouquet, « l’écureuil », comme il s’est voulu (il a choisi l’animal comme emblème avec cette devise Quo non ascendet : Où ne montera-t-il pas ?), n’était pas sans rapport avec le fait colonial : en 1658, il avait acheté Belle-Île, en avait restauré les murailles, y avait fait bâtir un port, des magasins et des entrepôts, pour en faire la base d’une dizaine de navires destinés au « commerce de Cadix » et des Indes. Fouquet était ainsi l’un des premiers armateurs du royaume.
Depuis 1654, il était le propriétaire, à Saint-Mandé, de l’ancienne demeure de Cateau la Borgnesse, femme de chambre d'Anne d'Autriche, qui avait déniaisé le jeune Louis XIV (et dont il nous reste l’hôtel du 68, rue François-Miron). Il en avait fait une préfiguration de la magnificence à venir à Vaux-le-Vicomte.
Le vicomte de Bragelonne, de Dumas père, nous rend visibles ces passants d’il y a trois siècles et demi, dont un Molière qui, chez le tailleur Percerin où il a rendez-vous avec Aramis, a été pris par Porthos, désormais baron du Vallon, pour l'un des garçons de la maison. Il trouvera dans les manières de Porthos la matière de son bourgeois-gentilhomme :
« Aramis alla droit à Porthos, lui présenta sa main fine et blanche, qui alla s’engloutir dans la main gigantesque de son vieil ami, opération qu’Aramis ne risquait jamais sans une espèce d’inquiétude. Mais, la pression amicale s’étant accomplie sans trop de souffrance, l’évêque de Vannes se retourna du côté de Molière.
– Eh bien, Monsieur, lui dit-il, viendrez-vous avec moi à Saint-Mandé ?
– J’irai partout où vous voudrez, Monseigneur, répondit Molière.
– À Saint-Mandé ! s’écria Porthos, surpris de voir ainsi le fier évêque de Vannes en familiarité avec un garçon tailleur. Quoi ! Aramis, vous emmenez Monsieur à Saint-Mandé ?
– Oui, dit Aramis en souriant, le temps presse.
– Et puis, mon cher Porthos, continua d’Artagnan, M. Molière n’est pas tout à fait ce qu’il paraît être.
– Comment ? demanda Porthos.
– Oui, Monsieur est un des premiers commis de maître Percerin, il est attendu à Saint-Mandé pour essayer aux épicuriens les habits de fête qui ont été commandés par M. Fouquet.
– C’est justement cela, dit Molière. Oui, Monsieur.
– Venez donc, mon cher monsieur Molière, dit Aramis, si toutefois vous avez fini avec M. du Vallon.
– Nous avons fini, répliqua Porthos.
– Et vous êtes satisfait ? demanda d’Artagnan.
– Complètement satisfait, répondit Porthos. (…)
L’évêque de Vannes, fort marri d’avoir rencontré d’Artagnan chez maître Percerin, revint d’assez mauvaise humeur à Saint-Mandé.
Molière, au contraire, tout enchanté d’avoir trouvé un si bon croquis à faire, et de savoir où retrouver l’original, quand du croquis il voudrait faire un tableau, Molière y rentra de la plus joyeuse humeur.
Tout le premier étage, du côté gauche, était occupé par les épicuriens les plus célèbres dans Paris et les plus familiers dans la maison, employés chacun dans son compartiment, comme des abeilles dans leurs alvéoles, à produire un miel destiné au gâteau royal que M. Fouquet comptait servir à Sa Majesté Louis XIV pendant la fête de Vaux.
Pélisson, la tête dans sa main, creusait les fondations du prologue des Fâcheux, comédie en trois actes, que devait faire représenter Poquelin de Molière, comme disait d’Artagnan, et Coquelin de Volière, comme disait Porthos.
Loret, dans toute la naïveté de son état de gazetier – les gazetiers de tout temps ont été naïfs – Loret composait le récit des fêtes de Vaux avant que ces fêtes eussent eu lieu.
La Fontaine vaguait au milieu des uns et des autres, ombre égarée, distraite, gênante, insupportable, qui bourdonnait et susurrait à l’épaule de chacun mille inepties poétiques. Il gêna tant de fois Pélisson, que celui-ci, relevant la tête avec humeur :
– Au moins, La Fontaine, dit-il, cueillez-moi une rime, puisque vous dites que vous vous promenez dans les jardins du Parnasse.
– Quelle rime voulez-vous ? demanda le fablier, comme l’appelait madame de Sévigné.
– Je veux une rime à lumière.
– Ornière, répondit La Fontaine.
– Eh ! mon cher ami, impossible de parler d’ornières quand on vante les délices de Vaux, dit Loret.
– D’ailleurs, cela ne rime pas, répondit Pélisson.
– Comment ! cela ne rime pas ? s’écria La Fontaine surpris.
– Oui, vous avez une détestable habitude, mon cher ; habitude qui vous empêchera toujours d’être un poëte de premier ordre. Vous rimez lâchement !
– Oh ! oh ! vous trouvez, Pélisson ?
– Eh ! oui, mon cher, je trouve. Rappelez-vous qu’une rime n’est jamais bonne tant qu’il s’en peut trouver une meilleure.
– Alors, je n’écrirai plus jamais qu’en prose, dit La Fontaine, qui avait pris au sérieux le reproche de Pélisson. Ah ! je m’en étais souvent douté, que je n’étais qu’un maraud de poëte ! Oui, c’est la vérité pure.
– Ne dites pas cela, mon cher ; vous devenez trop exclusif, et vous avez du bon dans vos fables.
– Et pour commencer, continua La Fontaine poursuivant son idée, je vais brûler une centaine de vers que je venais de faire.
– Où sont-ils, vos vers ?
– Dans ma tête.
– Eh bien, s’ils sont dans votre tête, vous ne pouvez pas les brûler ?
– C’est vrai, dit La Fontaine. Si je ne les brûle pas, cependant...
– Eh bien, qu’arrivera-t-il si vous ne les brûlez pas ?
– Il arrivera qu’ils me resteront dans l’esprit, et que je ne les oublierai jamais.
– Diable ! fit Loret, voilà qui est dangereux ; on en devient fou !
– Diable, diable, diable ! comment faire ? répéta La Fontaine.
– J’ai trouvé un moyen, moi, dit Molière, qui venait d’entrer sur les derniers mots.
– Lequel ?
– Écrivez-les d’abord, et brûlez-les ensuite.
– Comme c’est simple ! Eh bien, je n’eusse jamais inventé cela. Qu’il a d’esprit, ce diable de Molière ! dit La Fontaine… »

- 275 av Daumesnil, restaurant de la porte Dorée où, le 30 mai 1896, après les municipales, un banquet socialiste réunit toutes les tendances à l’exception des allémanistes : Combes, Camélinat, Reclus, Guesde, Brousse, Vaillant, Jaurès, Sembat, Millerand, Viviani…Alexandre Millerand y définit un passage par étapes au socialisme, et il prend l’exemple des raffineries de sucre (Say, dans le 13e voisin, compte 2 000 ouvriers) comme celui d’une industrie suffisamment concentrée et « mûre dès à présent pour l’appropriation sociale ».
Au dessert, Jean Jaurès demande à Clovis Hugues, fils d’un meunier provençal, député socialiste de Marseille de 1881 à 1885, de Paris depuis 1893, un poème. Clovis Hugues dit alors ce Droit au Bonheur, écrit dans la prison de Tours en novembre 1872, qui inaugure ici sa présence obligée à tout banquet socialiste :
« Quand on leur dit : - J’ai sans relâche,
Dès l’appel du coq matinal,
Largement accompli ma tâche
Dans le grand œuvre social;
Mais, voilà que ma tête blanche
Se refroidit et qu’elle penche
Comme un fruit qu’a mûri l’été! -
Ils vous répondent : - Prends courage!
Ton bras se refuse à l’ouvrage;
Nous te ferons la charité! –
(…)
Qui donc a lu dans les étoiles
Que, sans jamais se reposer,
Le vent doit déchirer nos voiles
Et sur les écueils nous briser ?
Qu’il faut la tempête à notre onde ?
Qu’il est des êtres dans le monde
Marqués au front pour le malheur,
Et qu’au moment où sur la terre,
On boit le bonheur à plein verre,
Nous n’avons pas droit au bonheur ?
(…)
Au soleil chacun a sa place ;
Le manteau d’un heureux qui passe
Offense notre nudité ;
La terre est la commune mère ;
Et faire l’aumône à son frère,
C’est nier la fraternité !
(…)
A quoi bon pour la République
Tomber comme un héros antique
Dans le roulement des tambours,
Si la charité s’éternise,
S’il n’est plus de terre promise,
Et s’il est des pauvres toujours ?
(…)
Nous voulons aimer, chanter, vivre,
Vider les coupes de l’espoir,
Apprendre à lire dans le livre
De la Science et du Devoir ;
Et nous voulons, si nos épouses
Ont rêvé de rendre jalouses
Les étoiles du firmament,
Que, dans le reflet des dentelles,
S’illuminent aussi pour elles
Des couronnes de diamants !» 
           

Cinq jours plus tôt s’est clos à Reims un Congrès démocratique chrétien qui ouvre pour la première fois la perspective politique et électorale, et pour cela sa transformation en parti, au mouvement ouvrier chrétien. Le pape Léon XIII y a envoyé ce message : « Vers la fin de la présente année, le jour même de la nativité de notre Seigneur, la France catholique se prépare à célébrer, dans la joie et l’espérance, l’anniversaire d’un grand évènement. Quatorze siècles, en effet, se sont écoulés depuis que le roi des Francs, Clovis, cédant aux inspirations de la Divine Providence, abjura le vain culte des faux dieux, embrassa la foi chrétienne, et fut purifié et régénéré dans l’eau sainte du baptême. Grande et solennelle fut cette cérémonie, accomplie dans l’Église métropolitaine de Reims, alors qu’imitant le Roi des Francs, ses deux sœurs et trois mille guerriers reçurent la même grâce des mains du saint pontife Rémi […]. C’est dans ce baptême mémorable de Clovis que la France a été elle-même comme baptisée ; c’est de là que date le commencement de sa grandeur et de sa gloire à travers les siècles. C’est donc à bon droit que, sous la vive et puissante impulsion de notre cher fils, Benoît-Marie Langénieux, archevêque de Reims, des solennités extraordinaires se préparent pour célébrer la mémoire d’un si heureux évènement […]. Pour nous, qui désirons, autant qu’il est en notre pouvoir, rehausser l’éclat de ces solennités et en augmenter les fruits pour les âmes, il nous plaît dans le Seigneur d’ouvrir extraordinairement le trésor des sacrées indulgences. C’est pourquoi, par la miséricorde du Dieu tout-puissant, appuyé sur l’autorité des bienheureux princes des apôtres, nous accordons en forme de jubilé, une indulgence plénière et la rémission de leurs péchés à tous les fidèles de France ».
Clovis Hugues propose la riposte des Lumières contre l’éteignoir : des feux de joie dans lesquels on brûlera des éteignoirs symboliques, cônes de carton au bout d’une baguette, en réclamant à nouveau la séparation de l’Église et de l’État. Une procession partie du canal Saint-Martin fera ainsi la fête toute la nuit aux Buttes Chaumont au son de la Carmagnole.

Le plan originel: 2 escaliers accolés, R+2
- 216 bis à 250 av Daumesnil, PLU : Cité ex Napoléon construite à l’initiative de Napoléon III dans le cadre de l’Expo universelle de 1867, et offerte à une Société coopérative immobilière des ouvriers de Paris en cours de constitution (voir ses statuts). Réalisée par l'architecte Louis-Charles Boileau et l'entreprise Newton et Shepard en béton sans armature mais avec coffrages glissants, elle est constituée de bâtiments de 2 étages comprenant 1 seul logement de 34 m2 par palier (1 cuisine, 1 salle à manger, 1 chambre en enfilade). C’est la Soc. Coop. qui les surélèvera vers 1878-1881 d’un étage supplémentaire (architecte Ch. Lecornu) et supprimera un escalier sur deux par souci de rentabilité.

- 199, av Daumesnil, PLU : Pavillon réalisé par l'architecte Joseph Bourdeix en 1879 (daté et signé), en pierre et brique, adossé en limite parcellaire, avec un petit jardin en façade. Librement inspiré du style Louis XIII et de l'architecture baroque, il présente de nombreux éléments décoratifs, ferronnerie, modénatures d'angle et de fenêtres ainsi qu'une tourelle centrale datant de la fin du XIXe siècle. C'est une des premières maisons édifiées autour de la place Félix Eboué. Malheureusement, elle est en partie occultée par un petit bâtiment de qualité médiocre, récemment construit, qui est placé devant elle.

- place Félix Eboué, barrière de Reuilly du mur des Fermiers généraux. La fontaine de Davioud, érigée place de la République en 1874, est arrivée là en 1882. Au n°6 de la place (angle rue Claude Decaen) PLU : Immeuble de rapport bourgeois en pierre de taille, construit en 1904 par l'architecte Achille Champy assisté du sculpteur Depois de Folleville. Richement décoré, il mêle références au style historique et influence de l'Art Nouveau, notamment dans le travail de ferronnerie et des motifs sculptés.

Station de métro Félix Eboué : Accès à la station du métro, dessiné en 1900 par l'architecte Hector Guimard pour la Compagnie générale du Métropolitain de Paris. La station est située sur la ligne 6 du métro, inaugurée en 1909. L'arrêté de protection porte sur l'ensemble des réalisations subsistantes de Guimard pour le métro.

- 186 Daumesnil, inscrite MH : Eglise construite de 1928 à 1935 par l'architecte Paul Tournon. Le plan de l'édifice s'inspire de celui de Sainte-Sophie à Istanbul. Il est réalisé en béton armé sur les plans de l'entreprise de François Hennebique, avec un revêtement de briques rouges de Bourgogne. Coupole à 33 mètres de hauteur, et de 22 mètres de diamètre. Vaste crypte. Le programme décoratif retrace l'histoire de l'église militante puis triomphante, du 2e au 20e siècle, et fait appel aux Ateliers d'Art Sacré, composés des artistes suivants : Maurice Denis, Georges Desvallières, Nicolas Untersteller et Elizabeth Branly pour la peinture murale et la fresque ; Carlo Sarrabezolles pour la sculpture ; Louis Barillet, Paul Louzier et Jean Herbert-Stevens pour les vitraux ; Raymond Subes pour la ferronnerie ; Marcel Imbs pour la mosaïque et les cartons des vitraux de la crypte.

- 10, rue de la Brèche aux Loups – 67, rue des Meuniers, PLU : Immeuble de rapport construit par l'architecte Louis Bonnier en 1912-1913 (bien que signé de son fils Jacques Bonnier qui lui servit d'assistant sur ce chantier à sa sortie des Beaux-Arts). Le commanditaire est un cousin ami des Bonnier, Jules Cuisinier. Cette "maison à petits loyers" est composée de logements d'une ou deux pièces et cabinet. La façade est très subtilement dessinée avec des avancées en pointe pour les fenêtres des pièces de service, qui forme une série verticale couronnée au sixième étage par une succession d'arrondis sur pans coupés d'un très beau mouvement en forme de vague. Les balcons sont soutenus par des fers et des voûtains de brique qui reprennent, perpendiculairement à la façade, le mouvement d'ondulation du couronnement. Le calepinage des briques, leur couleur, illustrent le parti constructif. La porte d'entrée est un exemple rare d'utilisation de tôle noire et de dalles de verre. Elle est surmontée par une corniche qu'agrémente une frise de mosaïque polychrome.

Rue de Charenton, on met maintenant nos pas dans ceux des réformés. L’édit de Nantes de 1598 a repoussé l’exercice de leur culte à cinq lieues, Henri IV leur accorde néanmoins Charenton, qui n’est qu’à deux lieues. Dès 1607, un temple y est construit par Jacques II Androuet du Cerceau, l’architecte, avec Louis Métezeau, du nouveau Louvre du roi. Il est flanqué d’un cimetière, et passent aussi sur cette route les morts que l’on porte en terre comme y oblige le même édit : de nuit, sans cortège et sous la surveillance d’un archer du guet.
Il suffit pourtant que le duc de Mayenne, frère du duc de Guise et son successeur à la tête de la Ligue, ait été tué au siège de Montauban, pour que des huguenots revenant de Charenton soient attaqués au faubourg Saint-Antoine, le 26 septembre 1621. Le lendemain, leurs agresseurs partent en nombre vers leur temple pour y mettre le feu. Le temple est reconstruit, agrandi, par Salomon de Brosse. Les voyageurs hollandais De Villers qui, le 28 janvier 1657, vont y entendre prêcher Jean d’Aillé, y trouvent « autant de monde qu’à notre Cloosterkerck à La Haye. La plupart des gens de condition de notre religion, venant à Paris ou pour affaires ou pour faire leur Cour, en augmente le nombre ». Ce flot ne tarira pas avant qu’en 1685 l’édit de Nantes soit révoqué, et le temple aussitôt détruit pierre à pierre.

- 256, rue de Charenton, PLU : Deux anciennes maisons de faubourg, implantées sur une petite parcelle triangulaire, ayant conservé en bonne partie leur façade en plâtre avec moulure en refends horizontaux au premier étage.

- 223 – 225, rue de Charenton, PLU : Ensemble d'habitation remarquable et unique dans le 12e arrondissement pour sa cour pavée entourée par une série de six bâtiments identiques adossés aux limites de la parcelle, datant du milieu du XIXe siècle. Chaque bâtiment comporte un escalier double avec perron, un socle en maçonnerie et une façade en plâtre (quatre niveaux), rehaussée de fines modénatures à tous les étages et de persiennes à chaque fenêtre.

- 213 - 215 rue de Charenton / bd de Reuilly, PLU : Immeuble de rapport à usage mixte édifié vers 1900 à l'angle du boulevard de Reuilly et de la rue de Charenton. Façade en pierre de taille richement ornée (bow-windows, chaînes de refends, consoles des appuis de fenêtres). Rez-de-chaussée et entresol réservé à l'activité commerciale. Angle à pan coupé surmonté d'une coupole à couverture d'ardoise et d'une lanterne.

Par la rue Dugommier, on arrive face à la gare de Reuilly (185, av Daumesnil) du chemin de fer de Vincennes et de la Varenne-Saint-Maur appartenant à la compagnie de l’Est. Le viaduc a été livré à l’exploitation le 22 septembre 1859, avec pour 1ère station Bel Air, alors hors les murs ; la gare de Reuilly ouverte le 31 mars 1877 et avancée au bord de l’avenue en 1899. Un train à impériale part de la Bastille pour « Nogent Eldorado du dimanche », comme l’exprimait Marcel Carné dans son documentaire de 1929, où les filles sont belles sous les tonnelles quand on y boit le petit vin blanc. En 1952 encore, on ira à Joinville-le-pont, pon, pon, guincher chez Gégène avec Roger Pierre. La ligne est aussi l’un des moyens d’accéder à la Fête de l’Huma qui, de 1945 à 1956, se tient au bois de Vincennes. La gare de Reuilly est restée en service jusqu’en 1985 pour l’activité marchandises qui se faisait par la petite ceinture. C’est à présent la maison des associations. (On redescend sur la rue de Charenton par la rue Dubruneaut)

- 199-201,  rue de Charenton, PLU : Immeuble de rapport construit en 1911 par l'architecte Raoul Brandon et le sculpteur Alexandre Morlon. Il compte six étages et est composé de trois corps de bâtiment. L'immeuble remporta le prix du concours des façades de la Ville de Paris. Le jury estima que "la façade attirait les regards par la recherche des motifs variés et aussi par la finesse et la belle venue de sa décoration sculpturale". La façade est animée par deux bow-windows latéraux, que supportent quatre atlantes engainés. Ces sculptures représentent, sous une forme allégorique, des travailleurs, reconnaissables à leurs outils : un mineur, un paysan, un artisan et un marin. Deux pignons couronnant les bow-windows affirment les lignes verticales. Le rythme horizontal est marqué par deux balcons au deuxième et au cinquième étage, ainsi que par des loggias au cinquième. Des guirlandes de fleurs et de raisins s'épanouissent autour des balcons. Les ferronneries, réalisées par Edgar Brandt, sont inspirées par des motifs végétaux, en particulier celles de la porte d'entrée, ornées de pommes et d'aiguilles de pin.

- en face, au n°228, un portail rappelle « J. C. Laiterie de la Brie », JC comme Jonot et Cayron, association, depuis le 1er avril 1887, d’Albert Jonot et de son beau-frère, Auguste Cayron, laitiers des environs de Melun dont la société s’installe au 228, rue de Charenton en 1894. A. Cayron est alors le directeur de ce dépôt-ci tandis qu’A. Jonot s’occupe de celui situé 11, rue du Département dans le 19ème. La Laiterie de la Brie s’intégrera plus tard à la Laiterie des Fermiers Réunis, qui deviendra SAFR (Société Anonyme des Fermiers Réunis). 

- 191, rue de Charenton, rue Bignon, PLU/ Groupe scolaire Bignon construit en 1873-1875 par l'architecte de la Ville de Paris Julien Hénard, également architecte de la Mairie du 12e arrondissement (1874-1877) située face au groupe scolaire. Façades à chaînage en pierre et remplissage en brique. Les étages sont séparés par des bandeaux dont celui séparant le premier du deuxième étage est orné d'une frise florale. Le second étage présente les baies les plus larges manifestement destinées à l'éclairage optimal des classes. Une tourelle d'angle en saillie et surplomb marque l'angle des rues Bignon et de Charenton. Corniche à modillons. L'établissement est représentatif par son aspect général du mouvement rationaliste dont sont empreints les édifices scolaires de la troisième République mais aussi dans ses détails de la persistance d'un goût décoratif et du pittoresque en vogue sous le Second-Empire.

- Mairie du 12e arrondissement construite en 1874-1877 par l'architecte Antoine-Julien Hénard. Elle s'inscrit dans une série de commandes qui aboutirent, dans un intervalle de quatre ans, à la réalisation des trois mairies des 15e, 19e et 12e arrondissements, avec une réelle recherche d'originalité. Hénard s'inspire ici des styles Renaissance, Louis XIII, Louis XIV et agrémente l'édifice de bossages, de lucarnes et d'un campanile. La mairie, précédée d'un jardin, est bâtie sur un plan trapézoïdal, comme la mairie haussmannienne du XIe arrondissement. Elle se compose d'un pavillon central en saillie, comprenant un porche ouvert, accessible aux voitures. Le pavillon est rythmé au rez-de-chaussée par trois arcades encadrées de colonnes doriques baguées et cannelées. Un campanile octogonal très ouvragé, haut de 36 mètres et comportant deux étages, domine l'édifice. La façade, percée de fenêtres à meneaux croisées, est animée par une alternance de pierre blanche et de brique, qui pastiche librement le style Louis XIII. Les briques émaillées de couleurs bleu, rouge et rose forment des dessins géométriques et contribuent à l'élégance de la façade. Les combles à la Mansart sont revêtus d'ardoise.

-124 av Daumesnil, ensemble de 183 logements, de 1908, par l'architecte Auguste Labussière. La philanthropique société civile « Groupe des maisons ouvrières », fondée en 1899, a été rachetée en sous-main par Mme Lebaudy qui y a vu l’occasion d’expier les péchés de son mari, responsable de la faillite de la banque de l’Union générale à laquelle nombre de familles catholiques avaient confié leur épargne. Puis, sur le modèle de la Fondation Rothschild, Mme Lebaudy avait demandé une reconnaissance d’utilité publique qui lui était accordée en 1906. Les appartements, construits autour d'une cour intérieure, sont de deux types : pour des employés, sur l'avenue Daumesnil, ils sont dotés d’une cuisine séparée ; pour des ouvriers, sur la rue du Congo, ils sont dépourvus de cuisine au profit d’une salle commune. D’autres services communs sont présent dans l’ensemble : bains, lavoir, bibliothèque avec salle de lecture, fumoir et service de boissons. Mais sa fréquentation est si faible qu'elle est transformée deux ans plus tard en dépôt mortuaire. En 1925, « Un locataire, avec l’appui de la Fédération communiste des locataires, a essayé de créer un soviet de maison. Il fut question de créer un « Fort Daumesnil ». » Rapport cité par Marie-Jeanne Dumont : Le Logement social à Paris 1850-1930: les habitations à bon marché.

Par la rue de Charenton puis la rue Montgallet, on rejoint le 17, cour d’Alsace Lorraine, PLU : Villa sur jardin dans le goût historique et éclectique du XIXe  siècle composée d'un étage sur rez-de-chaussée. Isolée par rapport à la trame urbaine, elle est accessible depuis la cour d'Alsace Lorraine, ancienne cour artisanale.
Le céramiste Camille Le Tallec, qui avait repris en 1928 l’atelier fondé par ses parents en 1905 dans le 20ème, l’a transféré en 1978, avec l’aide de la ville, dans des locaux annexes de l’École Boulle, au 67, rue de Reuilly dans la cour d'Alsace-Lorraine.. Ces locaux mieux adaptés, l'utilisation de nouveaux fours électriques, l’ont orienté vers de nouveaux décors contemporains. En contrepartie de l’aide municipale, Camille Le Tallec a donné des cours de dessins et de peinture sur porcelaine à l'Association pour le développement de l'animation culturelle (ADAC), dans cette même cour. En 1990, son atelier a été racheté par le joaillier américain Tiffany & Co, avec lequel il collaborait depuis bientôt 30 ans, qui après sa mort s’est installé, en 1995, au 93/95 du Viaduc des Arts.

Les Batignolles, quartier naturaliste


Une balade pour la librairie l'Astrée, d'Alain et Michèle Lemaire, 69, rue de Lévis, a été l'occasion de ce parcours.


Par le chemin d’Argenteuil arrivaient à la porte Saint-Honoré de l’enceinte de Charles V, (porte située alors devant l’actuelle Comédie-Française), les produits maraîchers et le vin du village du même nom. En sens inverse, ce chemin très fréquenté y menait les pèlerins allant honorer la Sainte-Tunique, par les actuelles rues d’Argenteuil, des Capucines, de Sèze, de l’Arcade, du Rocher et de Lévis. Le hameau de Monceau s’était formé, sur ce parcours, autour d’un château occupant le quadrilatère formé par les rues Legendre, Tocqueville, de la Terrasse et de Lévis. L’entrée de l’enceinte en était à la hauteur du n° 22, à côté de l’actuelle église Saint-Charles de Monceau (1907). On y avait vu Jeanne d’Arc. Une chapelle du hameau de Monceau avait été consacrée en 1529 sous l’invocation de Saint-Etienne mais en tant que succursale de celle de Clichy.
Le château de Monceau et ses terres étaient passés en 1753 aux mains du Fermier général Grimod de La Reynière, le père du gastronome, puis dans la famille alliée de Lévis. Enfin, une partie de son parc avait été vendue en 1769 au duc de Chartres qui deviendrait d’Orléans. Le château disparaîtra sous le 2nd Empire.
Le hameau s’est vu détacher de la commune de Clichy-la-Garenne en 1830. Il comptait 6 800 habitants en 1831, quatre fois plus à l’orée du 2nd Empire ; 44 000 habitants à l’annexion de 1860.

- rue de Lévis, le n° 23, de la fin du 18?, le n° 25, vers 1840 ? sont caractéristiques du lotissement primitif de la commune de Batignolles-Monceaux. PLU.

- 9, rue de Saussure, PLU : 2 maisons jumelles du début du 19e s. aux modénatures néo-classiques très sobres, implantées en retrait d’alignement et donnant sur un jardin privatif. Ensemble caractéristique de l’ancienne commune des Batignolles.

- 54, rue Legendre. Paul Eluard et Nusch s’installent aux Batignolles en 1934, y demeurent jusqu’à la fin de 1938. Après la rupture avec Gala, Paul vient d’épouser Nusch. Il aura quarante ans en 1935. C’est dans un lieu commun du roman naturaliste qu’ils s’installent : derrière des fenêtres de cinquième étage, non loin de la tranchée du chemin de fer. S’ils n’aperçoivent pas les rails, ils la devinent cette tranchée par le creux qu’elle imprime à la ligne des toits.

- 4ème étage du 56, rue Dulong. Le cardinal Daniélou y meurt en 1974, chez une dame Santoni, dans « l'épectase de l'apôtre », comme ironisera le Canard Enchaîné. Le mot « épectase » avait été forgé par le cardinal, quand il traduisait saint Grégoire de Nysse, pour exprimer, à la différence de l’extase traditionnelle, plutôt passive, un élan extatique plus tendu. Le journal satirique en a si bien détourné le sens que le dictionnaire Robert en donne désormais comme définition : « mort pendant l’orgasme ».

Guy de Maupassant, dans les cinquante mètres carrés du 83, rue Dulong, où il séjourne en 1882-84 (Des tableaux y évoquent Etretat et Fécamp, la patrie de son cœur ; il n’a que quelques pas à faire pour atteindre la gare Saint-Lazare et embarquer pour la Normandie), y décrit (le roman paraîtra en 1885) un Georges Duroy, alias Bel-Ami, ancien sous-officier de hussards, comme le père de Verlaine et beaucoup d’autres dans le quartier, qui ne désire qu’une chose, en sortir, des Batignolles et de sa chambre du cinquième, qui donne sur l’immense tranchée du chemin de fer de l’Ouest, juste au-dessus de la sortie du tunnel, rue Boursault. « Il revint à grands pas, gagna le boulevard extérieur [on appelle alors ainsi le tracé de l’ex mur des Fermiers généraux, ici le bd des Batignolles], et le suivit jusqu’à la rue Boursault qu’il habitait. Sa maison, haute de six étages, était peuplée par vingt petits ménages ouvriers et bourgeois, et il éprouva, en montant l’escalier, dont il éclairait avec des allumettes-bougies les marches sales où traînaient des bouts de papiers, des bouts de cigarettes, des épluchures de cuisine, une écœurante sensation de dégoût et une hâte de sortir de là, de loger comme les hommes riches, en des demeures propres, avec des tapis. »

132 ou 137 rue Cardinet ? Zola, qui est du quartier de 1867 à 1877, donne ici rendez-vous à Séverine Roubaud, la femme du sous-chef de gare, et à Jacques Lantier, le mécanicien de la Bête humaine : « Séverine, à trois heures moins vingt, s'était trouvée en avance, rue Cardinet, au rendez-vous qu'elle avait donné à Jacques. Il habitait là, tout en haut d'une grande maison, une étroite chambre, où il ne montait guère que le soir pour se coucher (…) « Enfin, c'est vous ! s'écria-t-elle, quand elle le vit déboucher de la porte cochère. Je craignais d'avoir mal compris… Vous m'aviez bien dit au coin de la rue Saussure… » Et, sans attendre sa réponse, levant les yeux sur la maison : « C'est donc là que vous demeurez ? » (…)
Quelques minutes, ils marchèrent sans parler, dans le continuel flot de passants qui encombre ce quartier populeux. »

Gare du pont Cardinet, PLU : construite entre 1923 et 1924 par l'architecte Julien Polti sur la ligne d'Auteuil, rachetée par l’État avec toutes les lignes de la Cie des chemins de fer de l’ouest en 1908. Fidèle à l'enseignement de son maître Charles Genuys, auquel il devait probablement cette commande, il entreprend ici un programme "rationnel mais non rationaliste" ou la logique de la construction n'exclut pas la sensibilité décorative. Deux vaisseaux voûtés d'ogives déterminaient les parties accessibles au public, tandis que les bureaux ou annexes occupaient les parties latérales basses. L'ossature est entièrement en béton armé, remplie de brique ocre. Une décoration de mosaïque complète son parement. La gare a fait l'objet d'un entresolement, masquant à regret la voûte d'origine.

De l’autre côté des voies, le bâtiment du 145 bis porte encore le sigle CE de cette Cie de l’État créée en 1878 pour reprendre 10 compagnies défaillantes entre la Loire et la Garonne, qui acquerra en 1908 celle des Chemins de fer de l’Ouest et sa tête de ligne : la gare Saint-Lazare.

On a rattrapé Séverine et Jacques, quelques pages après le début du chapitre V : « Parfois, ils étaient forcés de descendre du trottoir ; et ils traversaient la chaussée, au milieu des voitures. Puis, ils se trouvèrent devant le square des Batignolles, presque désert à cette époque de l'année. Le ciel pourtant, lavé par le déluge du matin, était d'un bleu très doux ; et, sous le tiède soleil de mars, les lilas bourgeonnaient.
« Entrons-nous ? demanda Séverine. Tout ce monde m'étourdit. » De lui-même, Jacques allait entrer, inconscient du besoin de l'avoir plus à lui, loin de la foule.
« Là ou ailleurs, dit-il. Entrons. » Lentement, ils continuèrent de marcher le long des pelouses, entre les arbres sans feuilles. Quelques femmes promenaient des enfants au maillot, et il y avait des passants qui traversaient le jardin pour couper au plus court, hâtant le pas. Ils enjambèrent la rivière, montèrent parmi les rochers ; puis, ils revenaient, désœuvrés, lorsqu'ils passèrent parmi les touffes de sapins, dont les feuillages persistants luisaient au soleil, d'un vert sombre. Et, un banc se trouvant là, dans ce coin solitaire, caché aux regards, ils s'assirent, sans même se consulter cette fois, comme amenés à cette place par une entente. »
           
On a traversé avec eux le square pour arriver face à Sainte-Marie. La construction de l’église avait commencé en 1826 par la nef et le péristyle, sous la direction de l’architecte Molinos. La population de la commune augmentant, son agrandissement fut décidé en 1839 et l’état définitif atteint en 1851.
L’église doit son nom à une légende : un ouvrier aurait trouvé, lors des travaux de fondation, une statuette de la Vierge qui a disparu depuis. Plus sûrement, la duchesse d’Angoulême (ex Madame Royale, fille de Louis XVI et Marie-Antoinette, épouse de son cousin germain, le duc d’Angoulême, fils du futur Charles X, désormais le dauphin à la construction de la nouvelle église ) avait souhaité que la dédicace en soit faite à sa sainte patronne.
L’église prend son nom de Sainte-Marie des Batignolles en 1830 quand Charles X disjoint de la commune de Clichy-la-Garenne la nouvelle commune des Batignolles-Monceau.
L’édifice a la forme d’un temple grec. Son fronton triangulaire est soutenu par quatre colonnes de style toscan. C’est une des rares églises qui n’ait pas de clocher. IMH.

- 80, place du Dr Félix Lobligeois, PLU : immeuble de rapport, caractéristique du lotissement primitif des Batignolles dans la 1ère moitié du 19e s.
- du 64, place du Dr Félix Lobligeois au coin de la rue des Batignolles (n°64), et du 67, place du Dr Félix Lobligeois au coin de la rue Legendre (n°74), PLU : deux constructions en quarts de cercle sur l’ancienne place des Batignolles, centre de la commune de Batignolles-Monceau, caractéristiques du lotissement primitif de la 1ère moitié du 19s.
- 69, place du Dr Félix Lobligeois / 63, rue Legendre / 76, rue Boursault : remarquable composition de façade d’aspect début du 2nd Empire.

Les Batignolles n’existent qu’à peine avant le chemin de fer. Lorsqu’en 1837, le tunnel ferroviaire de 330 m de long, s’enfonçant bd des Batignolles sous le mur des Fermiers généraux ressort de terre pratiquement à la hauteur de la rue Bridaine, il débouche dans une commune qui n’a que sept ans d’âge : jusqu’en 1830, le hameau dépendait de Clichy. De la rue Legendre, en enjambant les voies,  on aperçoit l’immeuble de Bel-Ami qui fait, rue Boursault, le coin avec la rue Bridaine. « La chambre du jeune homme, au cinquième étage, donnait comme sur un abîme profond, sur l'immense tranchée du chemin de fer de l'Ouest, juste au-dessus de la sortie du tunnel, près de la gare des Batignolles. Duroy ouvrit sa fenêtre et s'accouda sur l'appui de fer rouillé.
      Au-dessous de lui, dans le fond du trou sombre, trois signaux rouges immobiles avaient l'air de gros yeux de bête; et plus loin on en voyait d'autres, et encore d'autres, encore plus loin. A tout instant des coups de sifflet prolongés ou courts passaient dans la nuit, les uns proches, les autres à peine perceptibles, venus de là-bas, du côté d'Asnières. Ils avaient des modulations comme des appels de voix. Un d'eux se rapprochait, poussant toujours son cri plaintif qui grandissait de seconde en seconde, et bientôt une grosse lumière jaune apparut, courant avec un grand bruit; et Duroy regarda le long chapelet des wagons s'engouffrer sous le tunnel. » On est, dans le roman, en 1877

Le tunnel sera mis à ciel ouvert après l’incendie d’octobre 1921 qui y fit 28 morts et 74 blessés.

Les premières lignes de la Bête humaine (dont l’action se déroule en 1869-70 mais le livre de Zola est écrit cinq ans après le Bel-Ami de Maupassant) décrivent, de l’autre côté du tunnel, une chambre toute semblable où monte Roubaud arrivant du Havre : « C’était impasse d’Amsterdam, dans la dernière maison de droite, une haute maison où la Compagnie de l’Ouest logeait certains de ses employés. La fenêtre, au cinquième, à l’angle du toit mansardé qui faisait retour, donnait sur la gare, cette tranchée large trouant le quartier de l’Europe (…) ; le pont de l'Europe, à droite, coupait de son étoile de fer la tranchée, que l'on voyait reparaître et filer au-delà, jusqu'au tunnel des Batignolles. Et, en bas de la fenêtre même, occupant tout le vaste champ, les trois doubles voies qui sortaient du pont, se ramifiaient, s'écartaient en un éventail dont les branches de métal, multipliées, innombrables, allaient se perdre sous les marquises. Les trois postes d'aiguilleur, en avant des arches, montraient leurs petits jardins nus. Dans l'effacement confus des wagons et des machines encombrant les rails, un grand signal rouge tachait le jour pâle. ».

- 19, rue Legendre, 1 rue Léon Cosnard, 30 rue Tocqueville, PLU : hôtel Guerlain, de style éclectique réalisé par l'architecte Antoine Selmersheim à la fin du XIXème siècle. Édifié en pierre de parement et briques rouges, il témoigne d'influences composites : flamande par son pignon à escalier sur la rue de Tocqueville, néo-Renaissance française et italienne par ses fenêtres à meneaux, sa souche de cheminée, ses baies géminées et cintrées, son décor de brique et de pierre pour les entourages. Pierre François Pascal Guerlain, né vers 1800, a fait ses études en Angleterre. Il est parfumeur-vinaigrier et fonde la société Guerlain en 1828 rue de Rivoli à Paris, au rez-de-chaussée de l'Hôtel Meurice. En 1853, il déplace sa fabrication de la Place de l'Etoile à Paris, à Colombes (92) ; il y décède en1864, où est né Pierre Gabriel Guerlain, son petit-fils, en 1872, qui dirigera à son tour la société Guerlain. Il mourra en 1961 à Paris 17ème, 19 rue Legendre.
L’adresse a été celle de « l’Association des Déterreurs » ou Association des équipages de vénerie sous terre (chasse au renard, blaireau, ragondin, avec chiens, sous terre).

On aperçoit le 2 bis, rue Léon Cosnard, PLU : Immeuble de rapport construit par Charles Plumet en 1893. La composition de la façade manifeste un goût décoratif très prononcé qui annonce l'évolution de l'architecte vers l'Art Nouveau, en particulier la porte d'entrée en bois ajourée de verre à motifs floraux.

6, rue Jacques Bingen (et 14 place du Général Catroux), PLU. La représentation lituanienne existe en France depuis les années 1923, c’est-à-dire depuis la reconnaissance par la France de la République lituanienne indépendante. En 1925 l’Etat lituanien a acheté l’Hôtel Fournier, sis 14, Place Malesherbes, actuellement 14, Place du Général Catroux, où la Légation de Lituanie a été installé et a fonctionné jusqu’en 1940 ; Oscar Vladislas de Lubicz Milosz (1877-1939) y officiait. Autant que diplomate, il était poète de langue française. L’hôtel passa à l’URSS avec le pacte germano-soviétique. En 1951, le futur Prix Nobel de littérature, Czeslaw Milosz (1911-2004), cousin du précédent, devenu premier secrétaire de l’ambassade de Pologne à l’hôtel de Monaco (7e arr.), abandonnait son poste et demandait l’asile politique. La dévolution de l’hôtel Fournier a été régularisée en 2001.

« … loger comme les hommes riches, en des demeures propres, avec des tapis », rêvait Georges Duroy. Des tapis, Guy de Maupassant en aura dans le beau 17e, qu’il rejoint en avril 1884 quand triomphe en feuilleton son Bel-Ami, et des tentures, des boiseries, des bouddhas et de la porcelaine, qui font dire aux Goncourt de son rez-de-chaussée du 10, rue Montchanin (aujourd’hui Jacques-Bingen, du nom du frère de Mme André Citroën, résistant), un hôtel construit par son cousin Le Poittevin qui habite au 1er, que c’est un « logis de souteneur caraïbe ». Maupassant y demeurera jusqu’à la fin de 1889, entre deux escapades sur la Côte d’Azur ou à bord de son voilier le Bel Ami.

- 13, rue Jacques Bingen, PLU : Hôtel particulier construit en 1883 par l'architecte Hector Degeorge pour M. Edgar Roper. La façade, richement sculptée, utilisant la pierre et des remplissages en brique, est caractéristique du style éclectique inspiré du gothique et de la Renaissance en vogue à la fin du XIXème siècle.

- 14, place du Général Catroux, hôtel Fournier (voir plus haut), PLU : réalisé en 1877-78 par Duttenhorfer, l’un des 1ers de la place, antérieur à l’hôtel Gaillard, avec sa façade néo-Renaissance italienne, soubassement en pointe de diamant

- 108 bd Malesherbes, Derrière le portail d'entrée en pierre de taille provenant de l'ancienne Sorbonne du 17e s., le Centre Malesherbes a abrité les locaux de HEC de la création de l’école, fin 1881, à 1999 (HECJF), et accueille actuellement les étudiants du premier cycle de la faculté de lettres et sciences humaines de l'Université Paris IV-Sorbonne.

Place du gal Catroux, il est, sous la statue de Dumas père par Gustave doré, et à l’opposé de d’Artagnan, un groupe de lecteurs : un homme (le père de famille?) appuyé du bras gauche à un engrenage et le marteau posé sur le tablier de cuir, pieds nus, écoute (il n'est donc pas à proprement parler un lecteur); une femme (son épouse?), au centre, plus qu’elle ne lit elle-même tient le livre pour qu’un jeune homme chaussé de bottines, leur grand fils? étudiant? leur fasse la lecture à tous.
Dumas père...
On y voit également une statue de Dumas fils, de 1906, et la place fut longtemps dite « des Trois Dumas » car on y trouvait encore une statue du père du père, le général Dumas, de 1912, qui fut fondue par les Allemands en 1942. « Le plus grand des Dumas, c’est le fils de la négresse, c’est le général Alexandre Dumas de La Pailleterie, le vainqueur du Saint-Bernard et du Montcenis, le héros de Brixen. Il offrit soixante fois sa vie à la France, fut admiré de Bonaparte et mourut pauvre. Une pareille existence est un chef-d'œuvre auquel il n'y a rien à comparer », écrivit Anatole France. Le sculpteur sénégalais Ousmane Sow a proposé de lui ériger un nouveau monument.
Le projet d'un Dumas père du père

- 2, place du gal Catroux / coin avec bd Malesherbes, PLU : hôtel particulier réalisé en 1899 par l’architecte Alphonse Fiquet dans le goût néo-Renaissance, à mettre en relation avec l’hôtel Gaillard.

En 1878, Emile Gaillard, régent de la Banque de France, fait appel à Jules Février pour construire dans la plaine Monceau un palais de style Renaissance, inspiré par les châteaux de Blois et de Gien (dont il reprend notamment les briquetages, les lucarnes, les lustres). La demeure, achevée en 1882, met en valeur les tableaux et objets d'art du banquier, notamment lors de soirées mondaines recherchées. Après sa mort en 1902, la Banque de France va finir par l'acquérir en 1921 et ouvrir une succursale en 1924, aménagée par l’architecte Defrasse et le décorateur Jansen. On peut profiter des heures d'ouverture pour admirer les boiseries de la salle des guichets. Classé MH.

- 12, rue Georges Berger, PLU : Hôtel particulier de style néo-Renaissance de la fin du XIXème siècle. Façade en pierre de taille inspirée des palais italiens. Fenêtres à meneaux encadrées de pilastres. Corniche à denticules.
- 11 bis, rue Georges Berger, PLU : Hôtel particulier édifié vers 1900 en pierre de taille. Il compte deux étages sur rez-de-chaussée. Une loggia soutenue par des colonnes d'ordre corinthien surmonte la porte cochère. L'étage noble comporte deux balcons avec garde-corps en fonte dans le style Louis XV. Les baies de cet étage sont ornées de frontons néo-classiques et la corniche de modillons.

- 10, rue Georges Berger, PLU : Immeuble de rapport de style éclectique en pierre de taille de cinq étages sur rez-de-chaussée construit en 1904-05 par Jacques Hermant sur un hôtel particulier de son père, Achille, de 1878. La façade de cet immeuble d'habitation bourgeois marie le répertoire du style rococo, sensible dans les sculptures qui ornent consoles et fronton, et l'influence de l'Art Nouveau dans le travail de ferronnerie.
6-8, rue Georges Berger, PLU : Ensemble de deux bâtiments, édifiés à la fin du XIXème sur une cour ouverte abritant aujourd'hui le consulat du Portugal. En fond de cour, immeuble de rapport présentant une façade composée de cinq travées et de trois étages carrés sur rez-de-chaussée. L'immeuble sur rue se développe en retour dans la cour. Il présente une façade composée de trois étages carrés sur rez-de-chaussée. Au troisième étage sur cour, une grande baie vitrée révèle la présence d'un atelier.

Les Fermiers généraux ont obtenu l’érection d’un mur fiscal tout autour de Paris. Chargé de sa construction, l’architecte Ledoux demande au duc d’Orléans d’en fixer lui-même le tracé où bon lui semble aux abords de sa propriété de Monceau. Thomas Blaikie, son jardinier, en compagnie de Mr. Smith, le maître d’hôtel, est donc en train de faire des relevés « pour que les plantations du nouveau boulevard longeant l’enceinte s’harmonisent avec les jardins et les prolongent en créant un point de vue agréable », quand les deux hommes sont assaillis par des gardes-chasse royaux qui les ont pris pour des braconniers.
« C’est une institution des plus tyranniques aux portes de Paris, peste Blaikie dans son Journal. Personne n’est libre sur sa propre terre, pas même de couper un petit peu d’herbe sans être insulté par ces fripons. Ils prétendent que c’est pour le plaisir du roi, qui ne vient pratiquement jamais chasser ici, seulement vers Saint-Denis une fois par an. Quelle oppression. »
Blaikie, à Monceau depuis 1783 ou 1784, a modifié les vignobles italiens et de nombreuses allées, s’est occupé de la nouvelle serre chauffée des ananas, et de la construction d’une galerie la reliant aux appartements et au jardin d’hiver, mais, surtout, du fameux mur d’enceinte. Une cinquantaine de parcelles en direction du village de Monceau et du futur boulevard ont été achetées et, la meilleure vue depuis les jardins étant vers la plaine, « il a été convenu que le duc ferait la dépense d’un grand fossé et que le mur serait construit dans le fossé ». Quand l’Almanach du voyageur à Paris, un peu plus tard, présente les lieux à ses lecteurs, il peut donc écrire : « Le jardin de Mgr le duc d’Orléans, à la barrière de Monceaux, est un des plus curieux ; son enceinte n’étant fermée que par un fossé, la vue n’y est point bornée ».

Le duc avait demandé à Carmontelle de lui créer un jardin pittoresque, un « pays d’illusion » réunissant « tous les temps et tous les lieux ». Il était surencombré de fabriques : des ruines d’aqueduc et de temples, antiques et gothiques, sans compter les moulins hollandais, les ponts chinois et les pagodes. Certaines des plantes étaient pareillement exotiques ; s’y faufilait parfois un herboriste furtif que Mme de Genlis, la gouvernante des enfants, avait identifié comme étant Jean-Jacques Rousseau. Elle lui fit parvenir une clef pour qu’il pût y venir plus librement.
Les Orléans tiennent si fort à Monceau, ou le futur Louis-Philippe est si près de ses sous, qu’après les Trois Glorieuses de juillet 1830, il retarde de deux jours son accession au trône, le temps d’établir une donation à ses enfants, au mépris du droit voulant que les biens particuliers d’un nouveau roi soient « de plein droit et à l’instant même unis au domaine de la nation ».
Vingt-deux ans plus tard et six semaines après son coup d’État, Napoléon III cassait la donation frauduleuse ; c’était, pour les orléanistes, le « premier vol de l’aigle ». Haussmann n’allait pas laisser longtemps impunie cette pseudo-atteinte à la propriété : sous couvert de boulevard Malesherbes et d’une fausse égalité, la Ville expropriait à la fois l’État et les Orléans mais revendait plus de la moitié du parc à Émile Pereire pour en tirer de quoi indemniser les Orléans. Des dix-neuf hectares initiaux d’un triangle formé par le bd de Courcelles, la rue du même nom et la rue de Monceau, il en resterait moins de neuf ouverts au public. Zola pouvait écrire dans La Curée : « Saccard venait de faire bâtir son hôtel au parc Monceau sur un terrain volé à la Ville ».
Saccard ou, plutôt, ses modèles de la réalité avaient dû respecter quelques règles : l’acquéreur s’engageait à ne fermer les parcelles vendues que par des grilles, dont le modèle serait arrêté par le préfet de la Seine tandis que la Ville, en contrepartie, n’installerait dans le parc ni café-concert ni salle de spectacle.
La naumachie, la lanterne de pierre chinoise, la pyramide au « bois des tombeaux », d’inspiration maçonnique, de l’architecte Bernard Poyet (1742-1824 ; auquel on doit la façade du Palais-Bourbon) remontent à la Folie de Chartres ; le pont à l’italienne, de Davioud, date du Second Empire. L’un des rares restes de l’ancien Hôtel de Ville du Boccador, après son incendie par la Commune, est dans le parc aux grilles dorées de Gabriel Davioud.

- 5, av. Velasquez, PLU : Hôtel en pierre de taille construit pour Hippolyte-Alfred Cauchard fondateur des magasins du Louvre.
­- 6, av. Velasquez, PLU : Hôtel particulier en bordure du parc Monceau. Garde-corps galbés à motif néo-Louis XV. Se rattache au lotissement des frères Pereire.
- 7, av. Velasquez, PLU : Hôtel particulier édifié en 1873 par l'architecte Bouwens van der Boijen pour le financier Henri Cernuschi et conçu pour abriter sa prestigieuse collection d'art asiatique. Discret et pourtant somptueux, le porche d'entrée d'influence italienne, porte au-dessus du balcon deux mosaïques représentant Aristote et Léonard de Vinci. Légué par Henri Cernuschi à la Ville de Paris, il abrite depuis 1898 le musée d'art asiatique Cernuschi.

- 4, avenue Ruysdael, (aujourd’hui siège de l’Ordre des pharmaciens), PLU : Hôtel particulier construit par l'architecte J.-A. Pellechet en 1875, surélevé en 79 pour le second fils d'Emile Meunier, Gaston qui y fait mettre un escalier de bois orné de mosaïques Renaissance, et bâtir des communs en 1885 par Henri Parent. Le corps principal qui donne sur l'avenue est nettement inspiré de l'architecture toscane (ou 1ère Renaissance française). Derrière l'hôtel s'étend une cour à laquelle on accède par une porte cochère sur deux niveaux et encadrée par deux colonnes avec chapiteaux supportant un arc en plein cintre sculpté surmonté de deux aigles ailés qui encadrent un écusson. Cette cour est bordée à droite et au fond par les communs d'inspiration normande (et orientalisante), comme l'hôtel Meunier de la rue Alfred-de-Vigny. Construit en encorbellement, l'étage du bâtiment du fond repose sur un système d'arcs entrecroisés. Il est éclairé par des fenêtres de style mauresque dont l'arc outrepassé est orné à l'intérieur d'un décor de stuc peint. Il correspond à une ancienne salle dédiée au théâtre. Au troisième étage, fenêtres arrondies d'un style différent. Appuis en fonte conservés.

Autour du parc Monceau se sont installés les « actionnaires du siècle », selon la formule des Goncourt. Flaubert, artiste plus qu’actionnaire, n’y aura qu’un appartement (de 1869 à 1875), au quatrième étage du 4, rue Murillo, dans l’immeuble tout neuf de style néo-Louis XIII que vient d’achever de construire l'architecte Auguste Tronquois, avec vue sur le parc, tout de même, « vue admirable » selon George Sand qui le visite alors qu’il est encore en travaux. Le 16 mars 1873, Edmond de Goncourt y rencontrera Alphonse Daudet.
- 4 et 6 rue Murillo, PLU : A l'alignement les grilles sont interrompues par un pavillon en pierre servant de conciergerie. La façade postérieure donne sur le parc Monceau. L'immeuble est très représentatif du lotissement luxueux autour du parc engagé par Emile Pereire après 1860 (cahier des charges du 14 janvier 1861 définissant les prescriptions architecturales).
- 8, rue Murillo, PLU : Immeuble de rapport idem ci-dessus. Décor de bossages.
- 9, rue Murillo, PLU : Immeuble-Hôtel construit à partir de 1870 par l'architecte Gustave Clausse. Il se réserva le rez-de-chaussée et le premier étage, en pierre et loua les étages supérieurs en brique. Dans la cour, sur le mur mitoyen en face de l'entrée, Clausse remonta une arcade et des chapiteaux fournis par Edmond Guillaume, architecte chargé de la démolition des ailes du palais des Tuileries, brûlé pendant la Commune, en attendant que la partie centrale le soit en 1883. Un buste, peut-être d'Alphonse d'Este, provenant de Florence, et deux chapiteaux vénitiens, complètent cet ensemble. Les ouvertures du premier étage sont en plein cintre, ornées de céramiques polychromes et, à l'angle en pan coupé avec la rue Rembrandt, elles sont en serlienne. Le plafond du salon de cet étage fut décoré par le peintre Albert Gérard d'anges musiciens.
- 14, rue Murillo, PLU : hôtel particulier présentant une façade plus sobre mais qui par son implantation et sa datation doit être rattachée au même ensemble cohérent de la fin du XIXème siècle. Au n°16 hôtel particulier construit en 1878 (date gravée en façade). En pierre de taille, il est décoré dans un style Renaissance (fenêtre à meneaux, lucarnes en pierre présentant un amortissement et des ailerons sculptés, toiture en bâtière). La cour donne sur la rue et à côté, une petite maison, en brique et pierre de taille, forme un ensemble avec l'hôtel.
- le 19, rue Murillo et 66 rue de Lisbonne est décoré de quatre médaillons représentant Raphaël, Michel-Ange, Murillo et Rubens. La rue de Lisbonne a été ouverte en 1826 avec le reste du quartier de l’Europe par le banquier Jonas Hagerman, et Sylvain Mignon, serrurier du roi Charles X, qui, entre cette date et 1843, feront ouvrir vingt-quatre rues aux noms de métropoles européennes, à partir d’une étoile initiale, le bâti n’y prenant quelque densité qu’après 1848. La rue de Lisbonne partait alors de la rue du Rocher (cette extrémité initiale ayant été fondue plus tard dans la rue de Madrid).

Si les parcelles prises sur le parc Monceau n’étaient pas closes de murs, ce n’était plus, comme autrefois, pour qu’elles disposent de la vue, c’était maintenant pour qu’on ait vue sur elles. L’inauguration d’un hôtel au parc Monceau allait devenir une scène de genre en littérature, depuis La Curée, en 1872, jusqu’à La Famille Boussardel, de Philippe Hériat, en 1946. Quand elle voit construire le sien, Mme Boussardel, qui connaît le Renaissance, le Louis-XV ou le Louis-XVI, « ne comprend rien à ce style d’à présent qui les transforme et les confond tous » ! Le Napoléon III, « ce bâtard opulent de tous les styles » comme l’avait déjà écrit Zola :

Zola, se documentant pour La Curée, (1872) a obtenu facilement des Meunier du chocolat de visiter leur hôtel et d’interroger leurs domestiques. Ces gens-là n’ont rien à cacher, tout à montrer, au contraire ! tout est ouvert dans leur hôtel, jusqu’aux chambres à coucher, comme le note le Gaulois. Zola décrit ainsi l’hôtel d’Émile-Justin Meunier, fondateur de la dynastie, au 5, avenue Van-Dyck : « À la voir du parc, au-dessus de ce gazon propre, de ces arbustes dont les feuillages vernis luisaient, cette grande bâtisse, neuve encore et toute blafarde, avait la face blême, l’importance riche et sotte d’une parvenue, avec son lourd chapeau d’ardoises, ses rampes dorées, son ruissellement de sculptures. C’était une réduction du nouveau Louvre, un des échantillons les plus caractéristiques du style Napoléon III, ce bâtard opulent de tous les styles. Les soirs d’été, lorsque le soleil oblique allumait l’or des rampes sur la façade blanche, les promeneurs du parc s’arrêtaient, regardaient les rideaux de soie rouge drapés aux fenêtres du rez-de-chaussée ; et, au travers des glaces si larges et si claires qu’elles semblaient, comme les glaces des grands magasins modernes, mises là pour étaler au-dehors le faste intérieur, ces familles de petits bourgeois apercevaient des coins de meubles, des bouts d’étoffes, des morceaux de plafonds d’une richesse éclatante, dont la vue les clouait d’admiration et d’envie au beau milieu des allées ».

- 5, av. Van-Dyck, PLU : Hôtel particulier construit entre 1872 et 1874 par l'architecte Henry Parent sur un terrain acheté aux Pereire en 1868. L'immeuble comprend un corps de bâtiment principal en façade sur le parc avec une aile en retour à gauche de la cour. A gauche du bâtiment se trouve un salon d'hiver abrité sous une serre en verre et vitraux. Une entrée sous voûte conduit à la cour couverte des écuries avec issue sur la rue Alfred-de-Vigny. Au centre de chaque façade s'avance un avant-corps en rotonde abondamment sculpté. Quand les Meunier y donnent des bals, ils font passer leurs invités – qu’amènent quelque trois cents voitures – par un circuit imposé devant leurs écuries où les chevaux ont été harnachés et caparaçonnés pour la circonstance 
 Meunier avait néanmoins laissé confier les masques de la façade, chevaux marins, lions et Mercure, autour de la porte et des fenêtres, ainsi que les cariatides du grand vestibule, à quelqu’un qui était tout sauf une valeur établie, le débutant Jules Dalou, 30 ans, (pour le compte de Lefèbvre, sculpteur-décorateur), qui serait plus tard sous-délégué de la Commune chargé de la réouverture et de la surveillance des Musées.
Quelques années plus tard, Zola, publierait l’Assommoir (1876), en feuilleton, dans Le Bien public d’Émile Meunier, un journal que son propriétaire rebaptiserait Le Voltaire après le centenaire de la mort du philosophe.

- 6, av. Van Dyck, PLU : Hôtel Particulier par l'architecte Alfred Normand, réalisé en 1887 pour Joseph Reinach, directeur politique du journal La République française. Le rez-de- chaussée regroupe le grand salon, le petit salon et sa serre sur le parc, une chambre et la salle à manger. Le premier étage abrite le bureau, les chambres et une salle d'armes. Au second se trouvent des chambres et un atelier à pan coupé. En partie transformé par l'occupation d'une école, cet Hôtel n'en constitue pas moins un type remarquable de l'architecture bourgeoise de la fin du XIXème siècle contemporain du lotissement du parc Monceau.

Sur trois rues et trois avenues nouvelles se sont donc installés les « actionnaires du siècle », dixit Edmond de Goncourt : Émile Pereire tout le premier, Henri Meunier, au 8, rue Alfred-de-Vigny ; les banquiers Abraham et Nissim de Camondo, aux 61 et 63, rue de Monceau.
- 8, rue Alfred de Vigny, PLU : Cet hôtel, édifié par Henri Parent en 1880 pour Henri Meunier, ingénieur chimiste, fils aîné d’Émile-Justin Meunier, donne un aperçu remarquable de style éclectique. La façade de l'Hôtel sur rue emprunte au vocabulaire architectural de la première Renaissance (fenêtres à meneaux, amortissements des baies) alors que les bâtiments sur cour sont de style normand. L'échauguette des écuries dans la partie droite de la cour est en briques et pans de bois sculptés.
- 10, rue Alfred de Vigny, PLU : Hôtel d'Emile Pereire promoteur du parc Monceau et actuel siège de la fondation Del Duca. Situé en retrait et en biais par rapport à l'alignement, cet hôtel présente une façade d'inspiration classique percée d'une grande porte en plein cintre munie de grilles. La composition est centrée autour d'un avant-corps borné de chaînes de refends et encadré de deux ailes. Couronnement orné de balustres en pierre dans le goût des villas à l'italienne. Remarquables garde-corps galbés au premier étage.
On a là la branche catholique des Pereire ; en face, au 7, les Dollfuss, Hottinguer et Neuflize, au 9, les Mirabaud, tous protestants

Pendant trois ans, la rue de Chazelles est le but obligé des promenades du dimanche : la Liberté de Bartholdi s’exhausse chaque semaine un peu plus au-dessus du portail de la maison Monduit & Bechet, Gaget, Gauthier & Cie, au n° 25. Bientôt, la flamme de sa torche, les pointes de son diadème, se voient au-dessus des toits, de très loin ; elles culmineront à quarante-six mètres. Et, aussitôt, la Liberté se mettra à rapetisser, tout aussi graduellement, démontage qui précède sa mise en caisses et son expédition à New York.

- 34-36 bd de Courcelles, l’ambassade d’Espagne est le point de mire de la « manifestation Ferrer ». Le pédagogue libertaire Francisco Ferrer, rendu responsable d’émeutes anticléricales au moment de la guerre du Maroc, a été condamné à mort et fusillé dans le royaume d’Alphonse XIII. Depuis la Commune, la capitale fait l’objet d’une interdiction de manifester, les défilés n’étant plus autorisés qu’en banlieue. Mais, ce 13 octobre 1909, un flot se déverse de 6 heures à 11 heures du soir. « Le mouvement fut spontané. De tous les faubourgs affluèrent vers le centre par centaines de milliers, ouvriers et petites gens mus par une terrible indignation » écrit Victor Serge. L’accès à l’ambassade d’Espagne est barré, les heurts ont lieu rue Legendre, bd de Courcelles comme aux abords du M° Villiers. Des coups de feu sont tirés, une balle partie du groupe de journalistes de La Guerre Sociale, du Libertaire et de l’anarchie frôle la joue du préfet Lépine ; les becs de gaz arrachés se transforment en torches, les kiosques à journaux flambent, des omnibus sont renversés, dont les chevaux ont été dételés au préalable ; du poivre est jeté dans les yeux des cuirassiers à cheval qui chargent sabre au clair ; un agent sera tué et des dizaines d’autres blessés ; on ne dispose pas de chiffres concernant les manifestants. Lénine et la Kroupskaïa participaient à la manifestation.
C'est sans doute avec ce que les historiens appellent la "manifestation Ferrer" que la forme contemporaine de la manifestation s'est définitivement fixée. Le premier défilé politique spontané ayant tourné mal, un appel sera lancé à une seconde manifestation, le 17 octobre, de la place Clichy à la Concorde par le boulevard des Batignolles et le boulevard Malesherbes ; encadrée de gardes républicains à cheval, Jaurès à sa tête, elle réunira de 100 000 à 500 000 personnes. Des cartes postales immortalisent le rassemblement initial, devant le Wepler. Cette seconde manifestation se fait cette fois-ci à l'instigation de la SFIO et de la CGT, les organisations ouvrières voulant prouver qu'elles sont capables de faire défiler dans l'ordre la classe ouvrière, de faire une "manif à l'anglaise", sans désordres ni violence. Les élus sont mis en avant, ceints de leur écharpe tricolore, le trajet est prévu à l'avance et a été négocié avec les forces de l'ordre, la rue est respectée grâce à l'encadrement par des services d'ordre ouvriers (une autre innovation). La manière dont cette manifestation fut commentée à l'époque montre bien à la fois le trouble qu'elle a jeté dans les façons ordinaires de voir la classe ouvrière et la nouveauté de l'événement : les journalistes évoquent une "promenade extraordinaire", une "procession curieuse dans laquelle les gens marchent bras dessus dessous". L'enjeu était important. Ces manifestations calmes et organisées étaient une autre façon de lutter contre la disqualification sociale et symbolique dominante des ouvriers qui leur déniait toute légitimité à intervenir en politique.

- 22, bd de Courcelles, hôtel particulier, de la fin du 19e, du compositeur Ernest Chausson (1855-1899) qui y tint un salon fréquenté par Fauré et Debussy, qu’y rencontrent Maurice Denis, Raymond Bonheur, Degas, Henri de Régnier, André Gide, Pierre Louÿs. Importants décors intérieurs conservés. (Ambassade de Lituanie depuis l’accord de 2001)

- Magnifique hôtel particulier construit par Jules Février en 1876 (6 ans donc avant celui de Gaillard), à l’angle du boulevard Malesherbes (n° 98) et de la rue de la Terrasse, pour la célèbre Valtesse de la Bigne. Cette belle demi-mondaine appréciait les peintres (on l’appelait l’Union des Artistes), elle consentit sur la prière de Léon Hennique à montrer son hôtel à Zola, qui en fera celui de Nana en le transplantant à l’angle de l’avenue de Villiers et de la rue Cardinet (carrefour du lycée Carnot, qui n’existe pas encore puisque Nana meurt en juillet 1870 tandis que le lycée est de 1874). Alors qu’à Dumas fils, lui demandant à entrer dans sa chambre, elle répondit : « Cher Maître, ce n’est pas dans vos moyens ». A la lecture de Nana, Valtesse de la Bigne sera indignée d’y lire, dans la description de son décor faite par Zola, « quelques traces de bêtise tendre et de splendeur criarde ».
Le lit de parade en bronze de Valtesse, créé en 1877 par Barbedienne pour Édouard Lièvre, est toujours visible au musée des Arts Décoratifs. Il compte 2 cupidons nus à la tête, 2 lampes au pied, est muni de 2 portières pour entrer dans cette patinoire miniature, sous un dais très haut avec de lourdes draperies. Zola le met en situation ainsi : « la chambre, d’ailleurs, était simplement faite pour servir de cadre au lit, un prodige, un éblouissement. Nana rêvait un lit comme il n’en existait pas, un trône, un autel, où Paris viendrait adorer sa nudité souveraine. Il serait tout en or et en argent repoussés, pareil à un grand bijou, des roses d’or jetées sur un treillis d’argent; au chevet, une bande d’Amours, parmi les fleurs, se pencheraient avec des rires, guettant les voluptés dans l’ombre des rideaux. Elle s’était adressée à Labordette qui lui avait amené deux orfèvres. On s’occupait déjà des dessins. Le lit coûterait cinquante mille francs, et Muffat devait le lui donner pour ses étrennes. »

A l’angle rue de la Terrasse / rue de Tocqueville, on trouvait la chapelle du hameau de Monceau, consacrée en 1529 sous l’invocation de Saint-Etienne mais succursale de Clichy, dont la fréquentation était obligatoire pour les grandes fêtes, jusqu’à la création de Sainte-Marie des Batignolles, qui héritera de sa cloche. Saint-Vincent de Paul, curé de Clichy, était venu quelquefois y officier.