L’occasion de ce parcours a été une balade pour, je crois, l’association Nation-Charonne.
- On part de la Maison des Métallos, 94 rue d’Angoulême, (voir La descente de la Courtille par la barricade du Temps des cerises), et on prend la rue Moret (rue ouverte en 1853).
- l’Union ouvrière du 11e, 19-21 rue Moret. Créée en 1871,
cette coopérative de consommation, la plus importante de l’arrondissement après
la mort de la Moissonneuse
(1874-1905 ; elle avait compté 16 à 17 000 membres autour de 1896.), réunit
1 200 sociétaires à la Belle Epoque, à lire le Guide social de Paris de 1906.
- On redescend, à droite, vers Bariquand, 127 rue Oberkampf (ex rue de la Haute-Borne, qui prend
le nom du manufacturier en 1864) dès 1834.
- Coopérative de production la
Fonderie de cuivre,
125, rue Oberkampf et 5, cité Griset, en 1906.
Au fond de la cité Griset, on
jouxte l’impasse de la Baleine,
où est inaugurée le 2 mai 1937, comme annexe de la Maison des Métallos, l’école de rééducation et de formation
professionnelle pour les chômeurs (70 étaux, 20 machines). Les chômeurs
continuent d’y toucher leur indemnité de chômage mais sont dispensés de
pointage. En 18 mois, 400 élèves sont rééduqué et placés. Cette expérience
contribuera à la création de l’AFPA (Association pour la Formation
Professionnelle des Adultes).
L’entreprise Bariquand a aussi
des ateliers au 97 Oberkampf quand, en 1901, elle fait construire 13, impasse
Gaudelet. Plus importante firme de machine-outil française. Elle est déjà Bariquand et Marre quand les frères Wilbur et Orville Wright (qui ont
effectué leur 1er vol en 1903, et qui sont conseillés par l’ingénieur Chanute,
un Français naturalisé américain, qui mourra à Chicago) y font leur première
visite le 6 novembre 1907. L'essai
au banc de leur moteur révéla une puissance de 16 cv au grand maximum ! Le seul
fait de substituer à leur étrange système d'allumage une magnéto Lavalette à
haute tension permit de le porter à 22 cv. Les améliorations de Bariquand et
Marre l’amenèrent finalement à 30 cv, puissance trop forte pour ses composants.
Un nouveau moteur, plus Bariquand et Marre que Wright, rejoignait le Mans, où
était l'avion, trois mois plus tard, pour des essais qui s’y succédèrent sans
problèmes. Ce moteur est conservé au musée de l’air. Bariquand et Marre quittent le quartier à la fin des années 1920,
et cessent d’exister sous ce nom en 1968. Au CNAM, on trouve, de la même
maison, un mètre étalon de 1931, une tondeuse mécanique à cheveux. En Corée, au
Japon, on dit une « Parikkang » pour désigner une machine à coudre,
tellement l’entreprise y a dominé les marchés asiatiques. 18 mécaniciens des
maisons Barriquand et Cornély ont été, en 1876, à l’origine de la fondation de la Bellevilloise, 17 à 25 rue Boyer.
- Cornély, puis Cornély et
fils en 1900, 106 bd de Ménilmontant. Les fondateurs de la Bellevilloise qui ne
travaillent pas chez Bariquand travaillent ici. En 1930, c’est Pavie et Cie,
société auxiliaire métallurgique qu’on trouve à cette adresse.
- rue de Ménilmontant,
domicile d’André Marty, qui a tenu à habiter au cœur du Paris de la Commune. Le 2 octobre
1921, il a été élu aux municipales partielles par le quartier Charonne alors
qu’il était détenu à la Santé ;
il est pareillement élu à celles de mars 1922 puis de février 1923, chaque fois
au premier tour, avec 70% des voix, et tout aussi systématiquement invalidé.
Dans cette même rue, le
Restaurant des Coopérateurs était 10% moins cher que les autres quand Jacques
Valdour, au cours de ses enquêtes sociales des années 1920, « de la Popincque à
Ménilmuche », s’y était fait embaucher dans un atelier de fabrication de
meules artificielles d’une centaine d’ouvriers.
- magasin de nouveautés de la Bellevilloise, 28
rue de Ménilmontant. Quand il « liquide son stock » - c’est le cas
par exemple le 27 février 1931- cela se traduit par une pleine page de
publicité dans l’Humanité. Vendu en 1934. Le cinéma Phénix était dans la
cour de 1909 à 1970.
- La Chope, 30 rue de Ménilmontant.
Ouverte en 1920, c’est la brasserie-restaurant
de la Bellevilloise. Le 12 janvier 1930, au soir du premier tour d’une partielle qui met
Thorez en tête, la police s’estimant visée par des projectiles lancés du café,
devenu la permanence de fait du candidat comme elle l’avait déjà été lors d’une
précédente tentative électorale quatre ans plus tôt, donne l’assaut et saccage
les lieux. Une souscription sera lancée pour leur remise en état, avec édition
d’une carte postale montrant l’ampleur des dégâts. Thorez sera finalement battu
au second tour.
La répartition du 34, rue de Ménilmontant vers 1910 |
- « répartition » de
la Bellevilloise,
40 rue de Ménilmontant, de 1910 à 1934 : boucherie, charcuterie,
triperie.
- L’Economie ouvrière, puis
l’Union ouvrière, 20 rue Delaître. L’Economie dès 1869, l’Union trois ans
plus tard, furent les premières coopératives de consommation du 20e
arrondissement, précédant de plusieurs années la prestigieuse Bellevilloise.
- Fédération communiste
révolutionnaire en 1910, puis communiste anarchiste en juillet 1912, 5 rue
Henri Chevreau. L’un des plus importants groupes anarchistes du très
« anar » 20e. La plupart des réunions qui se tiennent là
en 1913 sont naturellement antimilitaristes et dirigées contre la loi des 3
ans.
- première répartition de la Bellevilloise, 10
rue Henri Chevreau. Ce fut ensuite le siège de l’Agence générale des Docks, qui
était la première création, en 1880, d’une « agence générale d’achats en
gros et de répartition au comptant » pour les coopératives parisiennes,
dont le Martel fondateur de la
Bellevilloise était également le secrétaire.
- siège social du Club Sportif
de Belleville, 94 rue de Ménilmontant. Fusion du Club Athlétique Socialiste
de Ménilmontant avec le Cercle sportif de la Bellevilloise, il
est l’un des tous premiers clubs ouvriers de la capitale, avec 448 membres.
Mais il est dépassé, dans le 20e comme à Paris par le Yidischer
Arbeiter Sporting Club (YASC) qui en compte 10 de plus et se classe au 4e
rang du palmarès parisien en 1935.
- pharmacie de la Solidarité mutuelle des
coopérateurs de la
Bellevilloise, 2 rue des Cascades, 103 rue de
Ménilmontant. L’officine ne vend qu’aux sociétaires, pas au public.
- domicile de
Mme Toillard, 104 rue de Ménilmontant. C’est la grand-tante d’Eugène Dabit,
côté maternel. Quand ils lui rendent visite, l’enfant et sa mère prennent le
chemin de fer de ceinture, à la gare du boulevard Ornano, et descendent à celle
de Ménilmontant, passage de la station Ménilmontant (auj. impasse de la Mare). La tante raconte à
l’enfant la Commune,
et l’aide qu’elle a pu fournir aux fédérés pourchassés.
En 1914, Eugène a 16 ans, la
tante s’est retirée rue de la
Mare, et c’est maintenant en métro qu’il va la voir. Il
descend à la station Botzaris, il est apprenti mécanicien à la compagnie
Nord-Sud, et la tante lui raconte toujours la Commune.
- La Bellevilloise, 17 à
25 rue Boyer. Fondée en décembre 1876 par 20 ouvriers, dont 18 mécaniciens
des maisons Cornély et Barriquand, et deux cordonniers dont Martel, elle compte
3 ou 400 adhérents en 1880, 7 500 en 1896, 9 000 sociétaires en 1913,
où elle a plus de 200 employés, et 13 700 sociétaires en 1919. A la fin de 1927, à
l’inauguration de l’immeuble du 25 rue Boyer, elle comprendra deux
dispensaires, dont un assurant aussi des soins dentaires, une pharmacie, treize
épiceries, neuf boucheries, six charcuteries, trois triperies, un magasin de
nouveautés, de chaussures et d’articles de ménages, un café, une
brasserie-restaurant, un chantier à charbon.
En 1906, la Bellevilloise avait
distribué gratuitement à ses sociétaires grévistes 10 tonnes de pain et 2 000 litres de
lait. L’année suivante, elle organisait une « soupe communiste » pour
les grévistes des Galeries Lafayette. Dix ans après, en 1927, elle vendait
toujours à prix réduits à tous les chômeurs du 20e affiliés au
comité CGTU.
C’est La Bellevilloise qui
s’occupait de la restauration à la « fête de l’Huma » de
Garches : le filet pour deux était à 15,50 F pour l’édition de
1924 ; le panier à 7,50
F à celle de 1930.
Le 26 avril 1914, la coopérative
était un bureau de vote lors du scrutin organisé par la Ligue du Droit des femmes et Le Journal
en faveur du vote féminin. Les femmes, qui n’étaient alors ni électrices ni
éligibles, déposaient dans l’urne un bulletin où elles ajoutaient leurs
coordonnées à la mention « Je désire voter ». Plus de 500 000 femmes
allaient y participer.
On essaye d’y rassembler les
conscrits au départ de chaque classe, donc deux fois par an. A cette occasion, le Conscrit est publié, en
mars-avril puis en septembre-octobre, et largement diffusé ici.
Quand l’administrateur provisoire
de la Banque
ouvrière et paysanne réclama le remboursement immédiat des créances de l’Humanité,
150 CDH (comités de défense de l’Humanité) se créèrent aussitôt pour
collecter des fonds et sauver le journal. Le parti décidera ensuite de les
structurer de façon permanente et les réunira à cet effet, en juillet 1930, à la Bellevilloise. Sur
les 420 CDH de France, il y en a alors 98 à Paris, 73 dans le reste de la Seine et 49 en
Seine-et-Oise. L’Humanité se vend, à cette époque, à 142 000
exemplaires en moyenne. Le 4e congrès des CDH aura encore lieu, le
16 mars 1935, dans une Bellevilloise qui n’est déjà plus qu’en sursis.
C’est la Bellevilloise qui
prête camion et popote à la Marche des chômeurs partie de Lille le 18
novembre 1933, malgré l’interdiction. Charles
Tillon et Martha Desrumeaux,
secrétaire de l’Union Départementale du Nord de la CGTU, à sa tête, la marche
retrouvera à Saint-Denis le 2 décembre – Paris lui ayant été pareillement
interdit - 7 000 personnes arrivant
de la capitale à la rencontre des 6 000 venus du Nord. Une délégation
partira seule vers le palais Bourbon, pour être promptement arrêtée et gardée à
vue dans un commissariat proche, où Martha Desrumeaux chantera à pleins poumons
La grève des ventres et l’Internationale. Le gouvernement se
bornera à offrir aux marcheurs de rentrer gratuitement chez eux en train depuis
la gare du Nord. Si le Cri des
chômeurs devint ensuite hebdomadaire, il n’avait pas été entendu ce
jour-là.
En avril 1936, la Bellevilloise
déposait son bilan, tous ses points de vente étaient fermés, à l’exception de la Chope, donnée en gérance à la Famille Nouvelle.
Le 15 mai 1936, la faillite était déclarée : la Bellevilloise ratait
donc le Front populaire à quelques jours près. Seul le patronage continuait, et
le cinéma de la salle Lénine, mis en location, qui s’appellerait plus tard
Cinéma Boyer. La liquidation traîna en longueur et ses actifs immobiliers ne
furent vendus, aux pires conditions, que durant l’occupation.
- chantier à charbon de la Bellevilloise, 17
rue Boyer. La coopérative fera ensuite construire à cet emplacement un bâtiment
d’un étage, en 1901.
- Maison du Peuple
(Bellevilloise), salle Babeuf, salle Jean-Jaurès, 19-21 rue Boyer.
Construite en 1909-1910, la
Maison du Peuple comprend, au rez-de-chaussée, un café dont
tout une paroi est faite d’un vitrail allégorique : le soleil s’y levant
sur le travail émancipé dans les champs comme dans les villes ; une
boutique et la salle Babeuf ; au premier, la salle Jean-Jaurès. La façade
n’a guère changé, hormis la suppression d’une marquise où, sur trois
médaillons, « La
Bellevilloise » était flanquée de
« Coopération », et « Emancipation ».
- salle Babeuf. En mai
1930, l’opposition de gauche des Bolcheviks-Léninistes de la
Vérité, y donne un meeting, en soutien aux
Indochinois, après Yen Bay. Dans la même salle, a lieu le 31 août 1931 une
assemblée générale du Club Athlétique Socialiste, au cours de laquelle, retour
d’URSS, une jeune femme se livre à « une défense enflammée de la politique
sportive soviétique », selon la police.
- salle Jaurès. Le congrès
socialiste de Paris s’y tient, en août 1910 ; quoi de plus naturel que Louis Héliès (qui sera député PS de
1924 à sa mort, en 1932, et directeur du Magasin de gros des coopératives) y consacre un discours à la coopération. La première
journée du congrès du PS y a encore lieu, le 6 octobre 1918. En 1923, Valdour
dit la Bellevilloise
aux mains des libertaires : le 7 septembre, lors d’un meeting de la Semaine internationale des
Jeunesses Communistes, parmi les brochures qu’il voit sur les tables de vente
figure La procréation volontaire au
point de vue individualiste, dont le vendeur proclame « le droit à
l’avortement » ; on y distribue des bulletins d’abonnement au Libertaire qui d’hebdomadaire
doit passer quotidien au mois de décembre suivant.
Au début d’avril 1927, Bloncourt, pour les Antilles, et Senghor pour l’Afrique, aux côtés de
Chinois, d’Indochinois et de Maghrébins viennent y rendre compte du congrès de
Bruxelles de la Ligue
contre l’oppression coloniale.
Au 1er mai 1929, alors
que Tardieu et Chiappe ont fait procéder à 314 arrestations préventives la
veille, 100 dans la nuit et 100 encore au matin, parmi lesquelles on compte Monmousseau, Sémard, Marrane, Daniel Renoult, un meeting se tient
quand même à 10h30 à la
Bellevilloise. Les 24 novembre et 15 décembre de la même
année, la Muse Rouge y participe à deux galas au profit
du Libertaire.
Des pièces de Marcel Thoreux y
sont représentées en 1926-27 ; s’y dérouleront ensuite les congrès de la Fédération du Théâtre Ouvrier de France qui, à
peine créée, y donne une matinée, le 15 février 1931, pour la Journée internationale du
théâtre ouvrier. Le groupe Prémices,
dont une fraction, au sein de la
FTOF, deviendra Octobre,
s’y était déjà produit le 4 février 1930. Le 11 décembre 1934, y sera joué Rien
ne vaut le cuir, le spectacle pédago-économique de Louis Bonin, dit Tchimoukow, le metteur en scène d’Octobre, le seul
communiste sans doute qui soit allé jusqu’à russifier son nom.
Entre-temps, le 7e
congrès du Parti communiste s’y était tenu, du 11 au 19 mars 1932. Pendant la
seconde guerre mondiale, le RNP de Déat viendra s’y installer comme il le fera
dans les autres bastions communistes.
C’est cet espace du 19-21 qui
vient de rouvrir en reprenant le nom La
Bellevilloise et où a débuté, entre mille autres choses, le dimanche 30
janvier 2011 pour se poursuivre un semestre durant, le dernier dimanche de
chaque mois, un cycle de projections-débat :
« Belleville-Ménilmontant en images ».
- patronage de la Bellevilloise, 23
rue Boyer. L’adresse est celle du premier siège social, quand la coopérative
arrive rue Boyer, en 1903, un bâtiment qui abritera la bibliothèque jusqu’à la
construction du n° 25. Le patronage, ouvert sans doute dès 1902, réunira de 120
à 350 enfants, de 8 à 16 ans, admis parfois dès 5 ans. En 1923, il adhère à
l’Entente des pupilles communistes, se dote d’un journal, le Pupille bellevillois, et d’un Orphéon rouge. Dans les
années 1930, les enfants y seront organisés en dizaines avec leurs fanions aux
noms de Lénine, Staline, Cachin, Dimitrov, Sacco et Vanzetti, etc.
Henri Krasucki, qui le fréquenta jusqu’au début de 1939, évoquera
la bonne odeur de pain chaud qui l’y accueillait, et pour cause, l’atelier de
panification de la
Bellevilloise était au sous-sol. Raymond Kojitsky en avait
été membre également, et quand il adhéra à la MOI à la fin de 1942, il y eut pour premier chef
Krasucki. Il effectua sous sa direction une opération place Cambronne, au début
de 1943, puis Henri Krasucki fut arrêté en mars.
Peu après la guerre, les locaux
étaient rachetés par une entreprise qui faisait surélever de deux étages le
bâtiment sur rue pour sa quarantaine d’ouvriers et y produisait sacs et
cartables, d’où le nom de Maroquinerie
sous lequel l’exploite aujourd’hui l’association qui loue ces locaux aux
héritiers de la fabrique.
- salle Lénine (La Bellevilloise), 25
rue Boyer. Le terrain a d’abord abrité le chantier à charbon de la coopérative,
déplacé du n°17 de la rue. Le bâtiment, sur lequel sont toujours visibles les
médaillons portant « Science », et « Travail », qui
faisaient pendant à ceux de la
Maison du Peuple, et la faucille et le marteau sur fond de
soleil levant au-dessus du porche, a été mis en construction dès 1925. Il sera
inauguré le 11 décembre 1927 mais les festivités s’étaleront sur une quinzaine
de jours. En sous-sol, les installations frigorifiques ; au
rez-de-chaussée, un garage pour la remise et l’entretien des véhicules de la
coopérative ; au premier, des bureaux, la bibliothèque de la Semaille, et la salle
Lénine, dotée d’un balcon aux rambardes de fer forgé, et d’une capacité de 500
places.
Une vingtaine de soirées
d’initiation musicale y seront organisées, de février 1929 à mai 1930, autour
d’œuvres de Satie, de Milhaud, de Ravel, de Debussy, de Moussorgski, de
Germaine Tailleferre, Poulenc ou Honegger. La Bellevilloise avait
depuis longtemps une Harmonie de 65 exécutants, et une Symphonie qui en
comptait deux de plus.
Dans la salle Lénine, la Semaille, dès février
1929, comme le patronage aux jours pluvieux, ont organisé des projections de
films soviétiques : Potemkine,
le Cuirassé Aurore, la
Prise du
Palais d’Hiver, etc. La salle devint un cinéma public, le Cinéma
bellevillois, au début de 1930, la projection des films sans visa de censure
étant réservés au jour de relâche. Le 20 décembre 1934, André Gide y assistait ainsi à la projection de Potemkine et
de la Ligne
générale. « Gide ! Parmi les ouvriers en costume de travail –
beaucoup gardaient la casquette sur la tête -, parmi les vestons étriqués et
les tricots à col roulé, Gide... » raconte Pierre Courtade dans la
Place rouge,
citée par J.-J. Meusy.
Le fonds de commerce en sera
vendu en 1936, mais à un proche du PC, si bien que la première de la Vie est à nous y
aura encore lieu, le 7 avril 1936, sous l’égide de Ciné Liberté, devant une salle
bondée, dans laquelle ont pris place de nombreux dirigeants du parti, et par
laquelle Cachin fait applaudir le nom de Renoir.
De mai à juillet, le film y sera régulièrement diffusé, accompagné d’autres
productions de Ciné Liberté : la Fête de la Victoire à Buffalo,
et la Manifestation du Mur des Fédérés. Puis ce seront le Temps des cerises, de Dreyfus-Le Chanois, à compter du 13 octobre 1937, enfin la
Marseillaise
de Renoir, pendant trois semaines à partir du 29 mai 1938. Une
programmation régulière se poursuivra jusqu’en juin 1939.
Après la guerre, la salle sera
louée à des exploitants indépendants sous l’enseigne Les Etoiles, puis Stella,
jusqu’à sa fermeture, le 31 décembre 1956.
- dispensaire de la Solidarité mutuelle des
coopérateurs de la
Bellevilloise, 4 rue Juillet. La Solidarité, créée en
1905 et juridiquement distincte de la coopérative, ne sera donc pas touchée par
la faillite de la
Bellevilloise des années 1934-36, et continuera son activité
jusqu’à la guerre de 1939. D’elle dépend le dispensaire, ses deux annexes, et
la pharmacie. Danielle Casanova y assurera les soins dentaires de 1936 à 1939.
- four de la Boulangerie véridique,
impasse des Carrières (auj. rue des Plâtrières). Etablie avant 1848 par les
fouriéristes du groupe dissident le Nouveau Monde, la boulangerie avait son
four ici tandis que son siège était rue Pavée, dans le 4e.
- local de réunion de la Ligue des Justes, rue
des Amandiers. Depuis 1838, la Ligue des
Justes, société secrète allemande (les Allemands sont plus de 50 000 à
Paris) est organisée en sections ou communes,
les communes réunies en districts ;
la direction s’appelle la Chambre du
peuple. Les adhérents doivent jurer de ne pas trahir les secrets sous peine
de sanctions graves. En mars 1847, la police intervient à l’encontre d’une
réunion de 150 à 200 personnes, ouvriers allemands avec leurs femmes et leurs
enfants, qui se rassemblent là le dimanche depuis quatre ans. Il s’agit d’une
de ces réunions publiques de barrières, destinées aux sympathisants de la Ligue des Justes, sur les
dangers desquelles, du fait des mouchards et des policiers, Engels avait fait
un rapport l’automne précédent. L’ébéniste Adolph Junge y est arrêté et sera
expulsé ensuite vers la
Belgique.
- monument « aux victimes
des révolutions », square Gambetta (auj. Samuel de Champlain). Le
conseil municipal avait commandé en 1907 à Moreau-Vauthier un monument
commémoratif pour le carré des fusillés. L’œuvre rendue, dédiée « Aux
victimes des révolutions », soit à toutes les victimes de tous les bords,
sur laquelle on voit Mgr Darbois, au premier plan, faire pendant aux
30 000 morts de la
Commune, fut jugée inadéquate par ses dédicataires et
reléguée de ce fait square Gambetta.
En mai 1942 pourtant, sur la
poitrine de la statue de Moreau-Vauthier, une banderole rouge sera
déposée : « Aux morts de la Commune, les régions communistes de Paris ».
- cimetière du Père-Lachaise,
bd de Ménilmontant. En 1869, décrivant le quotidien de l’un de ses types de
mécaniciens parisiens, Denis Poulot raconte : « Il est allé à
l’enterrement d’un ouvrier de l’atelier ; en sortant du Père-Lachaise, on
a mangé le pain et le fromage d’ordonnance (A Paris, il est dans les habitudes,
après un enterrement, de manger le pain et le fromage.) ils étaient quatorze,
on a chanté et pas mal bu...
Les ouvriers meurent beaucoup,
victimes du travail qui use et qui tue. L’inscription de l’ouvrier dans le
paysage de Paris se fait d’abord sur les pierres tombales ; c’est là que
s’exprime la fierté de la condition et du métier dans les années 1890, et
l’appartenance politique : Charles Chabert, « ouvrier graveur, un des
fondateurs du parti ouvrier », Prudent Dervillier, « ouvrier
tailleur, membre du parti ouvrier », Jules Joffrin, « ouvrier
mécanicien, membre du parti ouvrier », Alexandre Retiès, « ouvrier
boutonnier »... Voir Nous irons chanter sur vos tombes. Le Père-Lachaise, XIXe-XXe
siècle, Aubier, 1999, de Danielle Tartakowski.
Le cimetière reste l’asile de
l’expression quand toutes les autres voies sont interdites. En 1853,
« 20 000 prolétaires en tenue du dimanche », comme l’écrivait
Marx, qui y vit un signe important de réveil politique contre l’Empire,
accompagnent le corps de Madame Raspail, décédée sans les secours de son mari,
condamné à six ans de prison en 1849. Vingt-trois ans plus tard, le 18 décembre
1876, autour de la tombe de Melle Raspail cette fois, plusieurs dizaines de
milliers de citoyens acclament la
Commune et réclament l’amnistie.
Alors que le drapeau rouge n’a
pas droit de cité dans la rue, dans les cimetières, à de rares exceptions, la
tolérance tacite devient la règle à la fin des années 1880. Aux obsèques de
Félix Pyat, au Père-Lachaise, le 10 août 1889, « les drapeaux rouges sont
déployés aux cris de « Vive la République ! Vive la Commune ! » sortant de
plus de 10 000 poitrines », note Le Parti ouvrier, le journal de la F.S.T.E. Pour les obsèques de
Jules Joffrin, en septembre de l’année suivante, si les drapeaux rouges restent
« dans leurs gaines », autour du corbillard, tout au long du parcours – mais
parmi la foule des trottoirs comme dans le cortège, « chacun savait que ces
gaines contenaient les drapeaux rouges » -
à peine au Père-Lachaise, ces drapeaux «claquent au vent» au cri de
«Vive la Commune!
»
Les ouvriers tombent aussi
victimes du maintien de l’ordre quotidien : le jeune Charles Lorne, est
tué le 1er mai 1919, et 100 000 personnes suivent ses obsèques.
Le 17 février 1934, des discours de Marcel Cachin et de délégués communistes
étrangers - Zyromsky, en revanche, représentant la fédération de la Seine du PS, est empêché de
prononcer le sien -, rendent hommage à cinq des six victimes des 9 et 12
février, devant 200 000 personnes, qui répondent par ces cris :
« les soviets partout ! » En 1953, on enterre ici Maurice Lurot,
trésorier de la section CGT du syndicat des métaux du 18e arr.,
abattu le 14 juillet, en même temps que cinq manifestants algériens, par
la police intervenant contre le groupe du MTLD dans le cortège. Le 13 février
1962, les abords du cimetière sont couverts de gerbes sur plusieurs centaines
de mètres, et 500 000 à un million de personnes participent aux
funérailles de quatre des neuf victimes de Charonne – cinq étant
montreuilloises -, Edouard Lemarchand, 40 ans, menuisier, Hyppolite Pina, 58
ans, maçon, Maurice Pochard, 48 ans, employé de la métallurgie, Raymond
Wingtgens, 44 ans, conducteur typographique ; l’orateur de la CFTC leur associe les victimes
algériennes du 17 octobre 1961. Le premier anniversaire de
Charonne, en 1963, réunira encore ou ne réunira plus que 35 000 personnes
selon la police, 100 000 selon le Monde.
Entre les obsèques, leurs
anniversaires, et les commémorations historiques d’hécatombes ou de
personnalités illustres, la classe ouvrière passe beaucoup de temps dans les
cimetières et particulièrement au Père Lachaise, qui deviendra le Panthéon du
Parti Communiste. En 1935, ce sont, en juin, les obsèques de Jean Alemane et,
trois mois plus tard, celles de Barbusse. A la tribune, André Malraux, pour
l’AEAR, lit une lettre de Romain Rolland et, au premier anniversaire de la mort
de Barbusse, l’année suivante, 50 000 parisiens pourront voir le monument
taillé dans la pierre de l’Oural qu’ont offert à la mémoire du défunt
« les travailleurs soviétiques ». Le 16 octobre 1937,
500 000 personnes assistent aux funérailles de Paul Vaillant-Couturier. La
tribune et le catafalque ont été disposés boulevard de Ménilmontant, à l’entrée
du cimetière ; deux compagnies de gardes mobiles rendent les honneurs
militaires, et retentissent la marche funèbre de Chopin et la Marseillaise,
pas l’Internationale. Le 11 mars 1953, dans la désolation qui suit la
mort de Staline, « notre maître bien aimé » comme va l’écrire Jacques
Duclos dans les Cahiers du communisme, une délégation du PC, de la CGT et de la Fédération des métaux
(parce que Staline était « l’homme d’acier » ?) vient déposer
ici 80 gerbes et couronnes à sa mémoire. Le jeudi 16 juillet 1964,
« Nous étions un million pour accompagner Maurice » selon l’Humanité ;
15 000 porteurs de gerbes suivaient la musique des mineurs.
- Mur des Fédérés, au sud-est
du cimetière, à droite de la porte de la Réunion. C’est en mai 1880, pour la première
fois, que les journaux socialistes appellent à un rassemblement devant le Mur.
Les hommages ont commencé, quelques années plus tôt, sur la tombe de Flourens,
la seule identifiée, et ont pris de l’ampleur en même temps que le débat
concernant l’amnistie. Longtemps, seul un rassemblement à l’intérieur du
cimetière est toléré, et sous bonne garde policière, avec des accrochages
presque tous les ans : en 1931, encore, un poste de secours est organisé
au dispensaire de la
Bellevilloise en prévision de ces affrontements.
En 1909, aux victimes de la Commune on associe les
récentes victimes de Clémenceau, à Draveil et à Villeneuve-Saint-Georges ;
le Parti socialiste, avec ses députés, organise le cortège, qui réunit
5 000 personnes selon la police et le double selon l’Humanité. Le
25 mai 1924 arrive de la
Bellevilloise un cortège portant solennellement « le
drapeau de la Commune »,
celui d’un bataillon de fédérés, qui a flotté sur les dernières barricades de
Belleville. Il a été exposé au siège de la coopérative, et 2 000
révolutionnaires du 20e ont prêté serment sur ses plis avant de
l’apporter ici pour l’y confier, après une nouvelle prestation de serment, à la
garde du soviet de Moscou. En 1926, c’est au Mur que les G.D.A. (groupes de
défense antifascistes) mis sur pied dans le cadre de l’ARAC, apparaissent pour
la première fois, défilent en uniforme et reçoivent leur drapeau des mains de
Camélinat.