Victor et Louise, Paris 12ème

L'occasion de ce parcours est une balade qui finit à la librairie la Terrasse de Gutenberg, à l'angle de la rue de Prague et de la rue Emilio Castelar.


22 janvier 1905, gare de Lyon. Le char funèbre noir, de 8e classe si l’on en croit le Journal des Débats, « sans même les filets blancs qui courent sur le dais du corbillard des pauvres » - certains croient y reconnaître le char qui servit aux obsèques de Victor Hugo – attend dans la cour des messageries. Le commissaire spécial de la gare de Lyon brise les scellés du wagon, parti de Marseille à 23 h 15 la veille, qui contient le cercueil. Louise Michel est morte dans le Midi le 10 janvier à 10 heures du matin.

La bière de Louise, morte dans sa soixante-quinzième année (elle était née le 29 mai 1830), est descendue, recouverte d’un drap rouge. Charlotte Vauvelle (la seule femme entièrement vêtue de noir et qui porte un voile de crêpe, l’amie, la compagne de Louise Michel depuis dix ans), Edouard Vaillant, Sébastien Faure, fondateur du Libertaire, sont là. Charles Malato, vénérable de la loge de la Philosophie Sociale, veut placer sur le drap rouge des insignes maçonniques ; d’après certains récits, « les organisateurs des obsèques font remarquer que Louise Michel n’appartenait à aucune association », ce qui est inexact, on le verra plus bas ; le Journal des Débats indique que l’insigne est alors placé sur la voiture des couronnes.

Le char funéraire traverse le hall comme 10 heures sonnent au beffroi, et descend la rampe vers le boulevard Diderot. Il fait un soleil clair et froid.  Devant le char, une voiture porte des couronnes d’immortelles jaunes ou rouges, d’églantines et de coquelicots, et l’écharpe maçonnique bleue terminée par un triangle de la loge de la Philosophie sociale.
Madeleine Pelletier, qui a poussé Louise à l’initiation affirme que durant ses quelques mois de vie maçonnique, l’impétrante avait fait une très active propagande, dans tout le midi de la France, en faveur de l’admission des femmes dans les loges du Grand Orient et de la Grande loge de France.

On avance jusqu’au-dessus de la bouche de métro inscrite aux Monuments Historiques depuis 1978. (Accès à la station du métro, dessiné en 1900 par l'architecte Hector Guimard pour la Compagnie générale du Métropolitain de Paris. La station est située sur la ligne 1 du métro, porte de Vincennes - Porte Maillot, inaugurée en 1900. L'accès, de type secondaire, est accolé au mur de la rampe qui monte à la cour de la gare. L'arrêté de protection porte sur l'ensemble des réalisations subsistantes de Guimard pour le métro.)

Beaucoup de groupes se sont réunis dans leurs quartiers pour en partir ensemble, mais d’autres se sont donnés rendez-vous ici. Le parti républicain espagnol est devant la bouche de métro depuis 9 h 30, les Amis de l’Humanité depuis 9 heures face au 2, rue de Lyon ; le Comité républicain socialiste indépendant, devant le Soleil de Bourgogne du 6, rue de Lyon et les Originaires de l’Yonne étaient dès 9 h 30 sur la pointe entre les rues Michel Chasles et Abel, correspondant au 23 ter bd Diderot.

Les rues Michel-Chasles (en 1902), comme rue Abel (l’année précédente), ont été ouvertes sur les terrains de la prison Mazas, qui s'étendait entre la rue de Lyon, la rue Traversière, la rue de Mazas devenue boulevard Diderot, la rue Legraverend, et l'ancienne rue Beccaria (devenue avenue Daumesnil) dont le nom a été transporté à l'ancienne rue Beauvau. Avant sa démolition, en 1898, Jules Vallès, Ranc, Cipriani, Flourens y avaient été enfermés. De là, sur ordre de Raoul Rigaud, étaient partis les otages de la Commune vers la petite Roquette et leur exécution ; et, à Mazas, 400 Communards avaient été exécutés pendant la Semaine sanglante.

A l’angle, des rues Abel et Beccaria, les groupes révolutionnaires étrangers se joignent maintenant au cortège : anarchistes italiens, espagnols, révolutionnaires russes. Le Syndicat des ouvriers ferblantiers, boîtiers et ornemanistes, aussi, qui attendait depuis 9 h 30 à l’angle de l’avenue Daumesnil et du bd Diderot.

Le cortège ne croise pas la maison des Centraliens, au 45, bd Diderot, qui n’existe pas encore. Ce n’est qu’en 1924 que la Société des Amis de l’École Centrale, grâce au legs par Mademoiselle Le Roy, dont le père avait été membre du Comité de l’association des anciens élèves, de sa fortune personnelle et de deux terrains dans Paris, allait créer une société immobilière d’habitations à bon marché et faire construire une maison des élèves de 500 lits boulevard Diderot. L’école consacrerait le second terrain, situé rue de Cîteaux, à des laboratoires de recherche.
Après la seconde guerre mondiale, les locaux de la rue Montgolfier, les laboratoires de la rue de Cîteaux et la résidence du bd Diderot se révélèrent de plus en plus inadaptés et trop exigus pour suivre le développement de l’école qui souhaitait augmenter ses effectifs d’étudiants et moderniser ses équipements scientifiques. L’État accepta en 1962 de reconstruire l’école à Châtenay-Malabry et les nouveaux locaux y furent inaugurés par le Président de la République Georges Pompidou le 17 octobre 1969.

La poste, à l’angle Diderot / Crozatier, est d’avant 1914. Un permis de construire est déposé en 1909 par Bauchet, propriétaire des 47 bis Diderot / 31-33 Crozatier. On remarquera l’indication : « entrée des voitures », en fer découpé.

Dans le petit Temple du 8, rue Rondelet, le 13 Septembre 1904, la loge n°3 "La Philosophie sociale" initie trois profanes devant plus de 500 maçons: Henri Jacob, Louise Michel et Charlotte Vauvelle, libertaire, amie, accompagnatrice et compagne de Louise Michel depuis 1895.
Louise est accueillie par Charles Malato de Cornet (1857-1938) déporté en Nouvelle Calédonie avec ses parents, écrivain, journaliste et militant libertaire.
Au moment de son initiation, Louise Michel a 74 ans révolus. Sa réception est relatée dans le "Bulletin trimestriel de la Grande Loge Symbolique Ecossaise II". (n°9, 20 Juillet 1904, pp. 58/59) par Madeleine Pelletier : « N’est-ce pas une honte pour la maçonnerie qu’une telle femme ait pu répondre à son âge et sous le bandeau des initiés : « Je serais entrée avec plaisir dans la maçonnerie et depuis longtemps ; mais on m’a toujours dit que la femme n’y a pas une place égale à celle de l’homme. » ?
Point n’est besoin d’ajouter que l’illustre profane a subi avec courage et sincérité les épreuves morales ; dans la vie d’une femme comme elle une initiation pèse d’un poids bien mince.
Dans ses réponses se dégageait nettement la citoyenne courageuse qu’elle a été toute sa vie, et à un Frère plutôt hostile qui lui demandait si elle croyait devoir tuer les gens qui ne pensent pas comme elle, elle a répondu : « Toute vie est sacrée et j’éprouverais la plus grande douleur à verser le sang d’autrui ; mais si nous étions en période révolutionnaire et qu’un meurtre fût la condition du triomphe de mes idées, je n’hésiterais pas une minute ». »

On aperçoit, là-bas, au coin de la rue de Reuilly, le groupe de la Chambre syndicale des ouvriers boulangers, qui arrive derrière un immense drapeau rouge aux inscriptions blanches pour se joindre au convoi funèbre. La société ouvrière le Soleil attendait, quant à elle, depuis 9 h à cet endroit.

On abandonne ici le cortège de Louise Michel pour revenir sur nos pas. On peut le retrouver sur ce site dans l’article Quand l'enterrement de Louise Michel croise la montée au Mur des Fédérés.

Louise, on le sait, a envoyé ses premiers poèmes à Victor Hugo, ils ont correspondu ; plus tard, il lui a fait parvenir, à plusieurs reprises, quelque secours. En 1907, paraît, dans un recueil intitulé Premières Inspirations, un poème qui a pour titre Après les funérailles. 22 janvier 1905. Il est signé Léopoldine Hugo. Ce n’est pourtant pas l’œuvre d’une petite ou arrière petite-fille du poète prénommée à nouveau comme la chère disparue de Villequier. Ce n’est qu’une fille spirituelle d’Hugo, et admiratrice de Louise, dont l’identité réelle demeure un mystère absolu. De quatre, je cite la première et la dernière strophes :

O grande âme ! ô grand cœur ! aujourd’hui tu t’envoles !
Parmi les grands esprits couronnés d’auréoles,
Tu vas prendre ta place en ces régions du ciel
Où trônent l’Idéal, les fervents du martyre,
Les lutteurs du Progrès, apôtres qu’on admire
Et qui t’ouvrent leurs rangs, ô Louise Michel !
(…)
Il faut mourir pour être aussitôt âme sainte.
Tu meurs, et, tu le vois, on t’honore sans feinte :
Te voilà grande ailleurs et sublime ici-bas !
Ton grand nom restera, femme qui, la première,
As su tirer ton sexe au-dessus de l’ornière,
- Les préjugés, - et l’as conduit aux saints combats !

On revient donc sur nos pas, rue Chaligny (ouverte en 1856, nommée en mémoire de la famille des Chaligny, habiles fondeurs du 17ème siècle). N°26, PLU : Caserne de sapeurs pompiers construite par l’architecte Charles Roussi en 1885. L’édifice est influencé par l’architecture du 17ème siècle. Le porche est précédé par 2 guérites en pierre. 2 colonnes à bossage encadrent la porte d’entrée. A la clef de voûte, le mascaron est orné d’une tête de femme entourée d’un casque de pompier et de cordes. Bâtiment d’angle en pierre de taille richement orné avec porche d’entrée, pilastres, corniches, guérites d’entrée et pots de feu. Bâtiment symétrique avec corps central et deux ailes latérales sur chacune des 2 voies. Les sculptures sont de Louis Oscar Roty (celui de la Semeuse des pièces et des timbres postaux).

On traverse l’hôpital Saint-Antoine, on passe devant le pavillon de brique au nom de l’obstétricien Alex Couvelaire, et on en sort face au 41 rue Crozatier :

Rue Crozatier (ouverte en 1861, nommée en souvenir de l’industriel qui avait été chargé de la fonte de la statue de Napoléon de la place Vendôme (1795-1855)). Au n°41, un pavillon de 1905, et des magasins, derrière, de 1888. Monogramme « L. B. » pour Bauchet, gros promoteur, propriétaire des 47 bis bd Diderot / 31-33 rue Crozatier (la Poste), 10 et 14 rue de Citeaux, 77 rue de Charonne et 41 av Hoche.

Le n°51 est protégé au PLU. Immeuble présentant une façade sur rue d’aspect 1860, formé de 4 travées et élevé de 2 étages carrés sur r-d-c. Composition de façade remarquable sur le modèle palatial avec 2 pilastres composites colossaux soutenant un fronton triangulaire réunissant les 2 travées centrales. Tympan sculpté. Ecusson décoré des armes de Paris.

N°52 Ghislain Mollet-Vieville est un acteur atypique du monde de l’art. Autodidacte, parce qu’issu d’une Sup de Co, il figure néanmoins parmi le quatuor d’experts en art contemporain auprès des tribunaux de Paris. En 1975, il emménage dans un appartement de la rue Beaubourg et crée le terme d’« agent d’art ». Sur rendez-vous, son habitation devient un lieu où les amateurs et les professionnels se rendent pour s’informer de tout ce qui touche à l’art minimal et conceptuel. Vingt années se sont écoulées et Ghislain Mollet-Vieville a troqué son mythique appartement, reproduit d’ailleurs à l’identique au MAMCO de Genève, pour un bureau-loft de la rue Crozatier à ce n°52. De 1992 à 1998, il souhaite y préserver le lieu de tout objet d’art, préférant le laisser vide parce qu’il considère que l’art se trouve dans les réseaux et circuits artistiques plus que dans ses produits matériels. « L’esthétique de l’espace prime sur l’esthétique des objets d’art ». Ainsi, il lui semble irréfutable qu’il y ait autant d’œuvres d’art dans son ordinateur, sa bibliothèque ou sur Internet que dans n’importe quelle galerie.

N°71 rue Crozatier immeuble d’activité de 1905

157, rue du Fbg St-Antoine, salle Roysin:

H. Scott, illustration de l'édition de 1879, Groupe Hugo, Paris 7

Mardi 2 décembre 1851 :

Histoire d’un crime, Victor Hugo : « sortons d'ici cette nuit – trouvons-nous tous au faubourg Saint-Antoine...
On m'interrompit : – Pourquoi le faubourg Saint-Antoine ?
– Oui, repris-je, le faubourg Saint-Antoine ! Je ne puis croire que le cœur du peuple ait cessé de battre là. Trouvons-nous tous demain au faubourg Saint-Antoine. Il y a vis-à-vis le marché Lenoir une salle qui a servi à un club en 1848...
On me cria : La salle Roysin.
– C'est cela, dis-je, la salle Roysin. Nous sommes cent vingt représentants républicains restés libres. Installons-nous dans cette salle. Installons-nous-y dans la plénitude et dans la majesté du pouvoir législatif. Nous sommes désormais l'Assemblée, toute l'Assemblée ! Siégeons là, délibérons là, en écharpes, au milieu du peuple. Mettons le faubourg Saint-Antoine en demeure, réfugions-y la représentation nationale, réfugions-y la souveraineté populaire, donnons le peuple à garder au peuple, adjurons-le de se défendre. Au besoin, ordonnons-le-lui !
Une voix m'interrompit : – On ne donne pas d'ordre au peuple !
– Si ! m'écriai-je, quand il s'agit du salut public, du salut universel, quand il s'agit de l'avenir de toutes les nationalités européennes, quand il s'agit de défendre la République, la liberté, la civilisation, la Révolution, nous avons le droit, nous représentants de la nation tout entière, de donner, au nom du peuple français, des ordres au peuple parisien ! Réunissons-nous donc demain à cette salle Roysin. A quelle heure ? Pas de trop grand matin. En plein jour. Il faut que les boutiques soient ouvertes, qu'on aille et qu'on vienne, que la population circule, qu'il y ait du monde dans les rues, qu'on nous voie, qu'on sache que c'est nous, que la grandeur de notre exemple aille frapper tous les yeux et remuer tous les cœurs. Soyons là tous de neuf à dix heures du matin. S'il y a quelque obstacle pour la salle Roysin, nous prendrons la première église venue, un manège, un hangar, une enceinte fermée où nous puissions délibérer ; au besoin, comme l'a dit Michel (de Bourges), nous siégerons dans un carrefour entre quatre barricades. Mais provisoirement j'indique la salle Roysin. » (…)

Mercredi 3 décembre 1851 :

« Dans cette même nuit, dès quatre heures du matin, de Flotte était dans le faubourg Saint-Antoine. Il voulait, si quelque mouvement se produisait avant le jour, qu'un représentant du peuple fût là ; et il était de ceux qui, lorsque la généreuse insurrection du droit éclate, veulent remuer les pavés de la première barricade.
Mais rien ne bougea. De Flotte, seul au milieu du faubourg désert et endormi, erra de rue en rue toute la nuit.
Le jour paraît tard en décembre. Avant les premières lueurs du matin, de Flotte était au lieu du rendez-vous vis-à-vis le marché Lenoir.
Ce point n'était que faiblement gardé. Il n'y avait d'autres troupes aux environs que le poste même du marché Lenoir et, à quelque distance, l'autre poste qui occupait le corps de garde situé à l'angle du faubourg et de la rue de Montreuil, près du vieil arbre de liberté planté en 1793 par Santerre. Ni l'un ni l'autre de ces deux postes n'étaient commandés par des officiers.
De Flotte reconnut la position, se promena quelque temps de long en large sur le trottoir, puis, ne voyant encore personne venir, et de crainte d'éveiller l'attention, il s'éloigna et rentra dans les rues latérales du faubourg.
De son côté Aubry (du Nord) s'était levé à cinq heures. Rentré chez lui au milieu de la nuit, en revenant de la rue Popincourt, il n'avait pris que trois heures de repos. Son portier l'avait averti que des hommes suspects étaient venus le demander dans la soirée du 2, et qu'on s'était présenté à la maison d'en face, au numéro 12 de cette même rue Racine, chez Huguenin, pour l'arrêter. C'est ce qui détermina Aubry à sortir avant le jour.
Il alla à pied au faubourg Saint-Antoine. Comme il arrivait à l'endroit désigné pour le rendez-vous, il rencontra Cournet et d'autres de la rue Popincourt. Ils furent presque immédiatement rejoints par Malardier.
Il était petit jour. Le faubourg était désert. Ils marchaient absorbés et parlant à voix basse. Tout à coup un groupe violent et singulier passa près d'eux.
Ils tournèrent la tête. C'était un piquet de lanciers qui entourait quelque chose qu'au crépuscule ils reconnurent pour une voiture cellulaire. Cela roulait sans bruit sur le macadam.
Ils se demandaient ce que cela pouvait signifier, quand un deuxième groupe pareil au premier apparut, puis un troisième, puis un quatrième. Dix voitures cellulaires passèrent ainsi, se suivant de très près et se touchant presque.
– Mais ce sont nos collègues ! s'écria Aubry (du Nord). En effet, le dernier convoi des représentants prisonniers du quai d'Orsay, le convoi destiné à Vincennes, traversait le faubourg. Il était environ sept heures du matin. Quelques boutiques s'ouvraient, éclairées à l'intérieur, et quelques passants sortaient des maisons.
Ces voitures défilaient l'une après l'autre, fermées, gardées, mornes, muettes ; aucune voix n’en sortait, aucun cri, aucun souffle. Elles emportaient au milieu des épées, des sabres et des lances, avec la rapidité et la fureur du tourbillon, quelque chose qui se taisait ; et ce quelque chose qu'elles emportaient et qui gardait ce silence sinistre, c'était la tribune brisée, c'était la souveraineté des assemblées, c'était l'initiative suprême d'où toute civilisation découle, c'était le verbe qui contient l'avenir du monde, c'était la parole de la France !
Une dernière voiture arriva, que je ne sais quel hasard avait retardée. Elle pouvait être éloignée du convoi principal de trois ou quatre cents mètres, et elle était escortée seulement par trois lanciers. Ce n'était pas une voiture cellulaire, c'était un omnibus, le seul qu'il y eût dans le convoi. Derrière le conducteur qui était un agent de police, on apercevait distinctement les représentants entassés dans l'intérieur. Il semblait facile de les délivrer.
Cournet s'adressa aux passants : – Citoyens, s'écria-t-il, ce sont vos représentants qu'on emmène ! Vous venez de les voir passer dans les voitures des malfaiteurs ! Bonaparte les arrête contrairement à toutes les lois. Délivrons-les ! Aux armes !
Un groupe s'était formé d'hommes en blouse et d'ouvriers qui allaient à leur travail. Un cri partit du groupe :
– Vive la République ! et quelques hommes s'élancèrent vers la voiture. La voiture et les lanciers prirent le galop.
– Aux armes ! répéta Cournet.
– Aux armes ! reprirent les hommes du peuple.
Il y eut un instant d'élan. Qui sait ce qui eût pu arriver ? C'eût été une chose étrange que la première barricade contre le coup d'État eût été faite avec cet omnibus, et qu'après avoir servi au crime, il servît au châtiment. Mais au moment où le peuple se ruait sur la voiture, on vit plusieurs des représentants prisonniers qu'elle contenait faire des deux mains signe de s'abstenir. – Eh ! dit un ouvrier, ils ne veulent pas !
Un deuxième reprit : – Ils ne veulent pas de la liberté !
Un autre ajouta : – Ils n'en voulaient pas pour nous ; ils n'en veulent pas pour eux.
Tout fut dit, on laissa l'omnibus s'éloigner. Une minute après, l'arrière-garde de l'escorte survint et passa au grand trot, et le groupe qui entourait Aubry (du Nord), Malardier et Cournet, se dispersa.
Le café Roysin venait de s'ouvrir. On s'en souvient, la grande salle de ce café avait servi aux séances d'un club fameux en 1848. C'était là, on se le rappelle également, que le rendez-vous avait été donné.
On entre dans le café Roysin par une allée qui donne sur la rue, puis on traverse un vestibule de quelques mètres de longueur, et l'on trouve une salle assez vaste, avec de hautes fenêtres et des glaces aux murs, et au milieu plusieurs billards, des tables à dessus de marbre, des chaises et des banquettes de velours. C'est cette salle, mal disposée du reste pour une séance où l'on eût délibéré, qui avait été la salle du club Roysin. Cournet, Aubry et Malardier s'y installèrent. En entrant, ils ne dissimulèrent point qui ils étaient ; on les reçut bien, et on leur indiqua une sortie par les jardins, en cas.
De Flotte venait de les rejoindre. »

24-28 rue d’Aligre, protégés PLU. Maison composée de douze travées et élevée de deux étages carrés sur rez-de-chaussée, élevée aux alentours de 1800 dans la foulée du lotissement d'Aligre. La façade est moins monumentale que celle du n° 17, mais elle n'induit pas moins dans le paysage de la rue une ordonnance liée à la longueur, à sa modénature répétitive et à l'atypique fronton triangulaire central. Appuis de fenêtre sur un modèle Louis XVI. Deux escaliers à limon tournant et barreaux carrés engagés. Traits de refends dans l'enduit.

21 rue d’Aligre – 20 rue de Cotte, protégé PLU. Le bâtiment s'ouvrant sur la rue d'Aligre, doté d'une écriture composite remarquable, fait partie de l'opération de lotissement de la rue d'Aligre vers 1780. Sa façade se compose de six travées et est élevée de trois étages carrés sur rez-de-chaussée et un étage en retiré.
[La cour, par son étroitesse et la faible hauteur des bâtiments qui la bordent, manifeste une harmonie d'espace intéressante. Le bâtiment d'un étage sur rez-de-chaussée à gauche de la cour, avec un rez-de-chaussée largement ouvert par une forte poutre en chêne soutenue par de puissantes consoles, contribue par son origine commune avec le bâtiment de la rue d'Aligre à la forte valeur monumentale de la parcelle. Le bâtiment sur la rue de Cotte probablement construit vers 1830, avec sa faible hauteur et son écriture vernaculaire, contraste avec le bâtiment sur la rue d'Aligre : il constitue la façade arrière de la cour.]
19 rue d’Aligre, protégé PLU. Le bâtiment s'ouvrant sur la rue d'Aligre fait partie de l'opération de lotissement de cette rue engagée vers 1780. Sa façade, de style néoclassique, se compose de huit travées et est élevée de trois étages carrés sur rez-de-chaussée et un étage d'attique. Les appuis de fenêtre, soutenus par des consoles en dés au second étage, présentent des motifs Louis XVI. La corniche est soulignée de denticules. 
[Un escalier à limon tournant et rampe à barreaux carrés engagés dessert les étages. A l'arrière, la cour comporte des constructions diverses de la fin du XIXe siècle.]

17 rue d’Aligre, protégé PLU. Maison de rapport probablement édifiée par l'architecte du lotissement d'Aligre, Samson-François Lenoir dit Lenoir le Romain (1730-1810). L'édifice figure sur le plan masse du lotissement et par conséquent, a été construit entre 1777 et 1786. D'une écriture néoclassique de grande tenue, construit en pierre de taille, cet immeuble repose sur un soubassement affecté aux commerces, percé d'arcades englobant le rez-de-chaussée et l'entresol. Au-dessus, s'élève l’étage noble qui développe de hautes fenêtres dont la modénature joue sur la sobre alternance d'une baie sans mouluration et d'une baie coiffée d'une plate-bande reposant sur deux consoles. Le second étage, moins élevé, arbore des fenêtres ornées seulement d'un appui reposant sur deux modillons. Après une frise sans décor et une épaisse corniche, un comble mansardé achève la composition. Les ferronneries, qui reprennent le motif “Grand Siècle” du cercle et de l'ellipse, affichent, elles aussi, la qualité sociale attendue des habitants. Il est probable que le 17 rue d'Aligre ait eu pour but de donner le ton aux autres constructions du lotissement.

Inscrit aux Monuments Historiques depuis 1982, le Marché Beauveau d’Aligre et son corps de garde se sont élevés en 1843 sur une place dessinée en 1778 par Lenoir, dit Le Romain, où ils ont remplacé un marché spécialisé dans la paille et le foin, qui a fourni la prise de la Bastille du 14 juillet 1789.

Histoire d’un crime, Victor Hugo. Mercredi 3 décembre 1851 :
« Ils sortirent de la salle Roysin en ordre, deux par deux, se tenant sous le bras. Quinze ou vingt hommes du peuple leur faisaient cortège. Ils allaient devant eux criant : Vive la République ! Aux armes ! (…)
Ils arrivèrent ainsi au corps de garde de la rue de Montreuil. A leur approche, la sentinelle poussa le cri d'alerte, et les soldats sortirent du poste en tumulte.
Schœlcher calme, impassible, en manchettes et en cravate blanche, vêtu de noir comme à l'ordinaire, boutonné jusqu'au cou dans sa redingote serrée, avec l'air intrépide et fraternel d'un quaker, marcha droit à eux :
– Camarades, leur dit-il, nous sommes les représentants du peuple, et nous venons au nom du peuple vous demander vos armes pour la défense de la Constitution et des lois.
Le poste se laissa désarmer. (…)
Le désarmement fait, on compta les fusils, il y en avait quinze.
– Nous sommes cent cinquante, dit Cournet, nous n’avons pas assez de fusils.
– Eh bien, demanda Schœlcher, où y a-t-il un poste ?
– Au marché Lenoir.
– Désarmons-le.
Schœlcher en tête, et escortés des quinze hommes armés, les représentants allèrent au marché Lenoir. Le poste du marché Lenoir se laissa désarmer plus volontiers encore que le poste de la rue de Montreuil. Les soldats se tournaient pour qu'on prît leurs cartouches dans leurs gibernes.
On chargea immédiatement les armes.
– Maintenant, cria de Flotte, nous avons trente fusils, cherchons un coin de rue et faisons une barricade.
Ils étaient alors environ deux cents combattants. »


Un parc à canons dit du Marché Lenoir y est aménagé en mars 1871 pour l’entreposage de pièces récupérées par les Fédérés à la gare de Lyon avant qu’elles ne soient livrées aux Prussiens par le gouvernement de l’armistice. Pendant la Semaine sanglante, le 26 mai 1871, de violents combats y auront lieu.

On quitte la place d’Aligre par la rue Emilio Castelar. En croisant la rue de Cotte, on voit à droite, au 11bis, un bâtiment industriel, dont on découvrira en continuant l’arrière qui donne sur la cour de l’école. A gauche, au n°3 (déplacé du 7-9) rue de Cotte, est l’ancien Lavoir du Marché Lenoir, dont la façade a été inscrite aux Monuments Historiques par arrêté du 23 novembre 1988.

Groupe HBM (8 rue de Prague – 7 rue Théophile Roussel – 3 rue Charles Baudelaire – 9 rue Emilio Castelar) de la fondation Rothschild réalisé par Nénot et achevé en 1909 ; PLU. Cet ensemble est la réalisation la plus emblématique de la fondation Rothschild, et le concours d'architecture dont il est le fruit en 1905, à l'Hôtel de Ville, constitue un brillant résumé de l'architecture hygiéniste. Parmi les 127 concurrents ayant remis des esquisses, se distinguent les projets de Tony Garnier (le plus radicalement novateur), celui du lauréat Augustin Rey, d'Henry Provensal (classé second), de Ventre et Majou (encore étudiants). Le projet réalisé se démarque toutefois fortement du projet d'Augustin Rey. Après la démission de ce dernier, les plans définitifs sont établis par Nénot en 1907. L'alignement sur rue, brisé par Rey, y reprend tous ses droits, les cours n'étant ouvertes sur la rue que par des brèches. Même revu dans un sens plus académique, le groupe reste une référence, dans la mesure où il concrétise toutes les théories et rassemble tous les objets techniques propres au logement populaire. C'est aussi un village où tout est prévu pour une vie en quasi-autarcie grâce à une palette d'équipements et une école où des ouvriers enlevés à leur taudis, viennent apprendre à habiter dans les meilleures conditions possibles.

A l’angle 2 rue Emilio Castelar / 85bis rue de Charenton, boulangerie inscrite aux Monuments Historiques en 1984, aménagée en rez-de-chaussée d'un immeuble d'angle construit en 1906. La devanture comporte des panneaux peints fixés sous verre, signés de T. Luc et représentant des scènes de moisson. A l'intérieur, les murs sont recouverts de carreaux de céramique, agrémentés d'une frise de fleurs stylisées.