22 janvier 1905, gare de Lyon. Le
char funèbre noir, de 8e classe si l’on en croit le Journal des Débats, « sans même les filets blancs qui courent
sur le dais du corbillard des pauvres » - certains croient y reconnaître
le char qui servit aux obsèques de Victor Hugo – attend dans la cour des
messageries. Le commissaire spécial de la gare de Lyon brise les scellés du
wagon, parti de Marseille à 23 h 15 la veille, qui contient le cercueil. Louise Michel est morte dans le Midi le
10 janvier à 10 heures du matin.
La bière de Louise, morte dans sa
soixante-quinzième année (elle était née le 29 mai 1830), est descendue,
recouverte d’un drap rouge. Charlotte
Vauvelle (la seule femme entièrement vêtue de noir et qui porte un voile de
crêpe, l’amie, la compagne de Louise Michel depuis dix ans), Edouard Vaillant, Sébastien Faure, fondateur du Libertaire, sont là. Charles Malato, vénérable de la loge de
la Philosophie Sociale, veut placer sur le drap rouge des insignes
maçonniques ; d’après certains récits, « les organisateurs des
obsèques font remarquer que Louise Michel n’appartenait à aucune
association », ce qui est inexact, on le verra plus bas ; le Journal des Débats indique que l’insigne
est alors placé sur la voiture des couronnes.
Le char funéraire traverse le
hall comme 10 heures sonnent au beffroi, et descend la rampe vers le boulevard
Diderot. Il fait un soleil clair et froid.
Devant le char, une voiture porte des couronnes d’immortelles jaunes ou
rouges, d’églantines et de coquelicots, et l’écharpe maçonnique bleue terminée
par un triangle de la loge de la Philosophie sociale.
Madeleine Pelletier, qui a poussé Louise à l’initiation affirme que
durant ses quelques mois de vie maçonnique, l’impétrante avait fait une très
active propagande, dans tout le midi de la France, en faveur de l’admission des
femmes dans les loges du Grand Orient et de la Grande loge de France.
On avance jusqu’au-dessus de la
bouche de métro inscrite aux Monuments Historiques depuis 1978. (Accès à
la station du métro, dessiné en 1900 par l'architecte Hector Guimard pour la Compagnie générale du Métropolitain de
Paris. La station est située sur la ligne 1 du métro, porte de Vincennes - Porte
Maillot, inaugurée en 1900. L'accès, de type secondaire, est accolé au mur de
la rampe qui monte à la cour de la gare. L'arrêté de protection porte sur
l'ensemble des réalisations subsistantes de Guimard pour le métro.)
Beaucoup de groupes se sont
réunis dans leurs quartiers pour en partir ensemble, mais d’autres se sont
donnés rendez-vous ici. Le parti
républicain espagnol est devant la bouche de métro depuis 9 h 30, les Amis de l’Humanité
depuis 9 heures face au 2, rue de Lyon ; le Comité républicain socialiste indépendant, devant le Soleil de
Bourgogne du 6, rue de Lyon et les Originaires
de l’Yonne étaient dès 9 h 30 sur la pointe entre les rues Michel Chasles
et Abel, correspondant au 23 ter bd Diderot.
Les rues Michel-Chasles (en 1902),
comme rue Abel (l’année précédente), ont été ouvertes sur les terrains de la prison Mazas, qui s'étendait entre la
rue de Lyon, la rue Traversière, la rue de Mazas devenue boulevard Diderot, la
rue Legraverend, et l'ancienne rue Beccaria (devenue avenue Daumesnil) dont le
nom a été transporté à l'ancienne rue Beauvau. Avant sa démolition, en 1898, Jules Vallès, Ranc, Cipriani, Flourens y avaient été enfermés. De là,
sur ordre de Raoul Rigaud, étaient partis les otages de la Commune vers la
petite Roquette et leur exécution ; et, à Mazas, 400 Communards avaient
été exécutés pendant la Semaine sanglante.
A l’angle, des rues Abel et
Beccaria, les groupes révolutionnaires étrangers se joignent maintenant au
cortège : anarchistes italiens, espagnols, révolutionnaires russes. Le Syndicat des ouvriers ferblantiers,
boîtiers et ornemanistes, aussi, qui attendait depuis 9 h 30 à l’angle de
l’avenue Daumesnil et du bd Diderot.
Le cortège ne croise pas la maison des Centraliens, au 45, bd
Diderot, qui n’existe pas encore. Ce n’est qu’en 1924 que la Société des Amis
de l’École Centrale, grâce au legs par Mademoiselle Le Roy, dont le père avait
été membre du Comité de l’association des anciens élèves, de sa fortune
personnelle et de deux terrains dans Paris, allait créer une société
immobilière d’habitations à bon marché et faire construire une maison des
élèves de 500 lits boulevard Diderot. L’école consacrerait le second terrain,
situé rue de Cîteaux, à des laboratoires de recherche.
Après la seconde guerre mondiale,
les locaux de la rue Montgolfier, les laboratoires de la rue de Cîteaux et la résidence
du bd Diderot se révélèrent de plus en plus inadaptés et trop exigus pour
suivre le développement de l’école qui souhaitait augmenter ses effectifs
d’étudiants et moderniser ses équipements scientifiques. L’État accepta en 1962
de reconstruire l’école à Châtenay-Malabry et les nouveaux locaux y furent
inaugurés par le Président de la République Georges Pompidou le 17 octobre
1969.
La poste, à l’angle Diderot / Crozatier, est d’avant 1914. Un
permis de construire est déposé en 1909 par Bauchet, propriétaire des 47 bis
Diderot / 31-33 Crozatier. On remarquera l’indication : « entrée des
voitures », en fer découpé.
Dans le petit Temple du 8, rue Rondelet, le 13
Septembre 1904, la loge n°3 "La
Philosophie sociale" initie trois profanes devant plus de 500 maçons: Henri
Jacob, Louise Michel et Charlotte Vauvelle, libertaire, amie, accompagnatrice
et compagne de Louise Michel depuis 1895.
Louise est accueillie par Charles
Malato de Cornet (1857-1938) déporté en Nouvelle Calédonie avec ses parents,
écrivain, journaliste et militant libertaire.
Au moment de son initiation,
Louise Michel a 74 ans révolus. Sa réception est relatée dans le "Bulletin
trimestriel de la Grande Loge Symbolique Ecossaise II". (n°9, 20 Juillet
1904, pp. 58/59) par Madeleine Pelletier : « N’est-ce pas une honte
pour la maçonnerie qu’une telle femme ait pu répondre à son âge et sous le
bandeau des initiés : « Je serais entrée avec plaisir dans la
maçonnerie et depuis longtemps ; mais on m’a toujours dit que la femme n’y
a pas une place égale à celle de l’homme. » ?
Point n’est besoin d’ajouter que
l’illustre profane a subi avec courage et sincérité les épreuves morales ;
dans la vie d’une femme comme elle une initiation pèse d’un poids bien mince.
Dans ses réponses se dégageait
nettement la citoyenne courageuse qu’elle a été toute sa vie, et à un Frère
plutôt hostile qui lui demandait si elle croyait devoir tuer les gens qui ne
pensent pas comme elle, elle a répondu : « Toute vie est sacrée et
j’éprouverais la plus grande douleur à verser le sang d’autrui ; mais si
nous étions en période révolutionnaire et qu’un meurtre fût la condition du
triomphe de mes idées, je n’hésiterais pas une minute ». »
On aperçoit, là-bas, au coin de
la rue de Reuilly, le groupe de la Chambre
syndicale des ouvriers boulangers, qui arrive derrière un immense drapeau
rouge aux inscriptions blanches pour se joindre au convoi funèbre. La société ouvrière le
Soleil attendait, quant à elle, depuis 9 h à cet endroit.
On abandonne ici le cortège de
Louise Michel pour revenir sur nos pas. On peut le retrouver sur ce site dans
l’article Quand l'enterrement de
Louise Michel croise la montée au Mur des Fédérés.
Louise, on le sait, a envoyé ses
premiers poèmes à Victor Hugo, ils ont correspondu ; plus tard, il lui a
fait parvenir, à plusieurs reprises, quelque secours. En 1907, paraît, dans un
recueil intitulé Premières Inspirations,
un poème qui a pour titre Après les funérailles. 22 janvier 1905.
Il est signé Léopoldine Hugo. Ce
n’est pourtant pas l’œuvre d’une petite ou arrière petite-fille du poète
prénommée à nouveau comme la chère disparue de Villequier. Ce n’est qu’une
fille spirituelle d’Hugo, et admiratrice de Louise, dont l’identité réelle demeure
un mystère absolu. De quatre, je cite la première et la dernière strophes :
O grande âme ! ô grand
cœur ! aujourd’hui tu t’envoles !
Parmi les grands esprits
couronnés d’auréoles,
Tu vas prendre ta place en ces
régions du ciel
Où trônent l’Idéal, les fervents
du martyre,
Les lutteurs du Progrès, apôtres
qu’on admire
Et qui t’ouvrent leurs rangs, ô
Louise Michel !
(…)
Il faut mourir pour être aussitôt
âme sainte.
Tu meurs, et, tu le vois, on
t’honore sans feinte :
Te voilà grande ailleurs et
sublime ici-bas !
Ton grand nom restera, femme qui,
la première,
As su tirer ton sexe au-dessus de
l’ornière,
- Les préjugés, - et l’as conduit
aux saints combats !
On revient donc sur nos pas, rue
Chaligny (ouverte en 1856, nommée en mémoire de la famille des Chaligny,
habiles fondeurs du 17ème siècle). N°26, PLU : Caserne de sapeurs pompiers construite par l’architecte Charles
Roussi en 1885. L’édifice est influencé par l’architecture du 17ème siècle. Le
porche est précédé par 2 guérites en pierre. 2 colonnes à bossage encadrent la
porte d’entrée. A la clef de voûte, le mascaron est orné d’une tête de femme
entourée d’un casque de pompier et de cordes. Bâtiment d’angle en pierre de
taille richement orné avec porche d’entrée, pilastres, corniches, guérites
d’entrée et pots de feu. Bâtiment symétrique avec corps central et deux ailes
latérales sur chacune des 2 voies. Les sculptures sont de Louis Oscar Roty (celui de la
Semeuse des pièces et des timbres
postaux).
On traverse l’hôpital Saint-Antoine,
on passe devant le pavillon de brique au nom de l’obstétricien Alex Couvelaire,
et on en sort face au 41 rue Crozatier :
Rue Crozatier (ouverte en 1861, nommée
en souvenir de l’industriel qui avait été chargé de la fonte de la statue de
Napoléon de la place Vendôme (1795-1855)). Au n°41, un pavillon de 1905, et des
magasins, derrière, de 1888. Monogramme « L. B. » pour Bauchet, gros
promoteur, propriétaire des 47 bis bd Diderot / 31-33 rue Crozatier (la Poste),
10 et 14 rue de Citeaux, 77 rue de Charonne et 41 av Hoche.
Le n°51 est protégé au PLU.
Immeuble présentant une façade sur rue d’aspect 1860, formé de 4 travées et
élevé de 2 étages carrés sur r-d-c. Composition de façade remarquable sur le
modèle palatial avec 2 pilastres composites colossaux soutenant un fronton
triangulaire réunissant les 2 travées centrales. Tympan sculpté. Ecusson décoré
des armes de Paris.
N°52 Ghislain Mollet-Vieville est
un acteur atypique du monde de l’art. Autodidacte, parce qu’issu d’une Sup de
Co, il figure néanmoins parmi le quatuor d’experts en art contemporain auprès
des tribunaux de Paris. En 1975, il emménage dans un appartement de la rue
Beaubourg et crée le terme d’« agent d’art ». Sur rendez-vous, son
habitation devient un lieu où les amateurs et les professionnels se rendent
pour s’informer de tout ce qui touche à l’art minimal et conceptuel. Vingt
années se sont écoulées et Ghislain Mollet-Vieville a troqué son mythique
appartement, reproduit d’ailleurs à l’identique au MAMCO de Genève, pour un
bureau-loft de la rue Crozatier à ce n°52. De 1992 à 1998, il souhaite y
préserver le lieu de tout objet d’art, préférant le laisser vide parce qu’il
considère que l’art se trouve dans les réseaux et circuits artistiques plus que
dans ses produits matériels. « L’esthétique de l’espace prime sur l’esthétique
des objets d’art ». Ainsi, il lui semble irréfutable qu’il y ait autant d’œuvres
d’art dans son ordinateur, sa bibliothèque ou sur Internet que dans n’importe
quelle galerie.
N°71 rue Crozatier immeuble
d’activité de 1905
157, rue du Fbg St-Antoine, salle Roysin:
157, rue du Fbg St-Antoine, salle Roysin:
Mardi 2 décembre 1851 :
Histoire d’un crime, Victor
Hugo : « sortons d'ici cette nuit – trouvons-nous tous au
faubourg Saint-Antoine...
On m'interrompit : – Pourquoi le faubourg
Saint-Antoine ?
– Oui, repris-je, le faubourg Saint-Antoine ! Je ne
puis croire que le cœur du peuple ait cessé de battre là. Trouvons-nous tous
demain au faubourg Saint-Antoine. Il y a vis-à-vis le marché Lenoir une salle
qui a servi à un club en 1848...
On me cria : La salle Roysin.
– C'est cela, dis-je, la salle Roysin. Nous sommes cent
vingt représentants républicains restés libres. Installons-nous dans cette
salle. Installons-nous-y dans la plénitude et dans la majesté du pouvoir
législatif. Nous sommes désormais l'Assemblée, toute l'Assemblée !
Siégeons là, délibérons là, en écharpes, au milieu du peuple. Mettons le
faubourg Saint-Antoine en demeure, réfugions-y la représentation nationale,
réfugions-y la souveraineté populaire, donnons le peuple à garder au peuple,
adjurons-le de se défendre. Au besoin, ordonnons-le-lui !
Une voix m'interrompit : – On ne donne pas d'ordre au
peuple !
– Si ! m'écriai-je, quand il s'agit du salut public, du
salut universel, quand il s'agit de l'avenir de toutes les nationalités
européennes, quand il s'agit de défendre la République, la liberté, la
civilisation, la Révolution, nous avons le droit, nous représentants de la
nation tout entière, de donner, au nom du peuple français, des ordres au peuple
parisien ! Réunissons-nous donc demain à cette salle Roysin. A quelle
heure ? Pas de trop grand matin. En plein jour. Il faut que les boutiques
soient ouvertes, qu'on aille et qu'on vienne, que la population circule, qu'il
y ait du monde dans les rues, qu'on nous voie, qu'on sache que c'est nous, que
la grandeur de notre exemple aille frapper tous les yeux et remuer tous les
cœurs. Soyons là tous de neuf à dix heures du matin. S'il y a quelque obstacle
pour la salle Roysin, nous prendrons la première église venue, un manège, un
hangar, une enceinte fermée où nous puissions délibérer ; au besoin, comme
l'a dit Michel (de Bourges), nous siégerons dans un carrefour entre quatre
barricades. Mais provisoirement j'indique la salle Roysin. » (…)
Mercredi 3 décembre
1851 :
« Dans cette même nuit, dès quatre heures du matin, de
Flotte était dans le faubourg Saint-Antoine. Il voulait, si quelque mouvement
se produisait avant le jour, qu'un représentant du peuple fût là ; et il
était de ceux qui, lorsque la généreuse insurrection du droit éclate, veulent
remuer les pavés de la première barricade.
Mais rien ne bougea. De Flotte, seul au milieu du faubourg
désert et endormi, erra de rue en rue toute la nuit.
Le jour paraît tard en décembre. Avant les premières lueurs
du matin, de Flotte était au lieu du rendez-vous vis-à-vis le marché Lenoir.
Ce point n'était que faiblement gardé. Il n'y avait d'autres
troupes aux environs que le poste même du marché Lenoir et, à quelque distance,
l'autre poste qui occupait le corps de garde situé à l'angle du faubourg et de
la rue de Montreuil, près du vieil arbre de liberté planté en 1793 par
Santerre. Ni l'un ni l'autre de ces deux postes n'étaient commandés par des
officiers.
De Flotte reconnut la position, se promena quelque temps de
long en large sur le trottoir, puis, ne voyant encore personne venir, et de
crainte d'éveiller l'attention, il s'éloigna et rentra dans les rues latérales
du faubourg.
De son côté Aubry (du Nord) s'était levé à cinq heures.
Rentré chez lui au milieu de la nuit, en revenant de la rue Popincourt, il
n'avait pris que trois heures de repos. Son portier l'avait averti que des hommes
suspects étaient venus le demander dans la soirée du 2, et qu'on s'était
présenté à la maison d'en face, au numéro 12 de cette même rue Racine, chez
Huguenin, pour l'arrêter. C'est ce qui détermina Aubry à sortir avant le jour.
Il alla à pied au faubourg Saint-Antoine. Comme il arrivait
à l'endroit désigné pour le rendez-vous, il rencontra Cournet et d'autres de la
rue Popincourt. Ils furent presque immédiatement rejoints par Malardier.
Il était petit jour. Le faubourg était désert. Ils
marchaient absorbés et parlant à voix basse. Tout à coup un groupe violent et
singulier passa près d'eux.
Ils tournèrent la tête. C'était un piquet de lanciers qui
entourait quelque chose qu'au crépuscule ils reconnurent pour une voiture
cellulaire. Cela roulait sans bruit sur le macadam.
Ils se demandaient ce que cela pouvait signifier, quand un
deuxième groupe pareil au premier apparut, puis un troisième, puis un
quatrième. Dix voitures cellulaires passèrent ainsi, se suivant de très près et
se touchant presque.
– Mais ce sont nos collègues ! s'écria Aubry (du Nord).
En effet, le dernier convoi des représentants prisonniers du quai d'Orsay, le
convoi destiné à Vincennes, traversait le faubourg. Il était environ sept
heures du matin. Quelques boutiques s'ouvraient, éclairées à l'intérieur, et
quelques passants sortaient des maisons.
Ces voitures défilaient l'une après l'autre, fermées,
gardées, mornes, muettes ; aucune voix n’en sortait, aucun cri, aucun
souffle. Elles emportaient au milieu des épées, des sabres et des lances, avec
la rapidité et la fureur du tourbillon, quelque chose qui se taisait ; et
ce quelque chose qu'elles emportaient et qui gardait ce silence sinistre,
c'était la tribune brisée, c'était la souveraineté des assemblées, c'était
l'initiative suprême d'où toute civilisation découle, c'était le verbe qui
contient l'avenir du monde, c'était la parole de la France !
Une dernière voiture arriva, que je ne sais quel hasard
avait retardée. Elle pouvait être éloignée du convoi principal de trois ou
quatre cents mètres, et elle était escortée seulement par trois lanciers. Ce
n'était pas une voiture cellulaire, c'était un omnibus, le seul qu'il y eût
dans le convoi. Derrière le conducteur qui était un agent de police, on
apercevait distinctement les représentants entassés dans l'intérieur. Il
semblait facile de les délivrer.
Cournet s'adressa aux passants : – Citoyens,
s'écria-t-il, ce sont vos représentants qu'on emmène ! Vous venez de les
voir passer dans les voitures des malfaiteurs ! Bonaparte les arrête
contrairement à toutes les lois. Délivrons-les ! Aux armes !
Un groupe s'était formé d'hommes en blouse et d'ouvriers qui
allaient à leur travail. Un cri partit du groupe :
– Vive la République ! et quelques hommes s'élancèrent
vers la voiture. La voiture et les lanciers prirent le galop.
– Aux armes ! répéta Cournet.
– Aux armes ! reprirent les hommes du peuple.
Il y eut un instant d'élan. Qui sait ce qui eût pu
arriver ? C'eût été une chose étrange que la première barricade contre le
coup d'État eût été faite avec cet omnibus, et qu'après avoir servi au crime,
il servît au châtiment. Mais au moment où le peuple se ruait sur la voiture, on
vit plusieurs des représentants prisonniers qu'elle contenait faire des deux
mains signe de s'abstenir. – Eh ! dit un ouvrier, ils ne veulent
pas !
Un deuxième reprit : – Ils ne veulent pas de la
liberté !
Un autre ajouta : – Ils n'en voulaient pas pour
nous ; ils n'en veulent pas pour eux.
Tout fut dit, on laissa l'omnibus s'éloigner. Une minute
après, l'arrière-garde de l'escorte survint et passa au grand trot, et le
groupe qui entourait Aubry (du Nord), Malardier et Cournet, se dispersa.
Le café Roysin venait de s'ouvrir. On s'en souvient, la
grande salle de ce café avait servi aux séances d'un club fameux en 1848.
C'était là, on se le rappelle également, que le rendez-vous avait été donné.
On entre dans le café Roysin par une allée qui donne sur la
rue, puis on traverse un vestibule de quelques mètres de longueur, et l'on
trouve une salle assez vaste, avec de hautes fenêtres et des glaces aux murs,
et au milieu plusieurs billards, des tables à dessus de marbre, des chaises et
des banquettes de velours. C'est cette salle, mal disposée du reste pour une
séance où l'on eût délibéré, qui avait été la salle du club Roysin. Cournet, Aubry
et Malardier s'y installèrent. En entrant, ils ne dissimulèrent point qui ils
étaient ; on les reçut bien, et on leur indiqua une sortie par les
jardins, en cas.
De Flotte venait de les rejoindre. »
24-28 rue d’Aligre, protégés PLU.
Maison composée de douze travées et élevée de deux étages carrés sur
rez-de-chaussée, élevée aux alentours de 1800 dans la foulée du lotissement
d'Aligre. La façade est moins monumentale que celle du n° 17, mais elle
n'induit pas moins dans le paysage de la rue une ordonnance liée à la longueur,
à sa modénature répétitive et à l'atypique fronton triangulaire central. Appuis
de fenêtre sur un modèle Louis XVI. Deux escaliers à limon tournant et barreaux
carrés engagés. Traits de refends dans l'enduit.
21 rue d’Aligre – 20 rue de
Cotte, protégé PLU. Le bâtiment s'ouvrant sur la rue d'Aligre, doté d'une
écriture composite remarquable, fait partie de l'opération de lotissement de la
rue d'Aligre vers 1780. Sa façade se compose de six travées et est élevée de
trois étages carrés sur rez-de-chaussée et un étage en retiré.
[La cour, par son étroitesse et
la faible hauteur des bâtiments qui la bordent, manifeste une harmonie d'espace
intéressante. Le bâtiment d'un étage sur rez-de-chaussée à gauche de la cour,
avec un rez-de-chaussée largement ouvert par une forte poutre en chêne soutenue
par de puissantes consoles,
contribue par son origine commune avec le bâtiment de la rue d'Aligre à la
forte valeur monumentale de la parcelle. Le bâtiment sur la rue de Cotte
probablement construit vers 1830, avec sa faible hauteur et son écriture
vernaculaire, contraste avec le bâtiment sur la rue d'Aligre : il constitue la
façade arrière de la cour.]
19 rue d’Aligre, protégé PLU. Le
bâtiment s'ouvrant sur la rue d'Aligre fait partie de l'opération de
lotissement de cette rue engagée vers 1780. Sa façade, de style néoclassique,
se compose de huit travées et est élevée de trois étages carrés sur
rez-de-chaussée et un étage d'attique.
Les appuis de fenêtre, soutenus par des consoles
en dés au second étage, présentent des motifs Louis XVI. La corniche est
soulignée de denticules.
[Un escalier à limon tournant et
rampe à barreaux carrés engagés dessert les étages. A l'arrière, la cour
comporte des constructions diverses de la fin du XIXe siècle.]
17 rue d’Aligre, protégé PLU. Maison
de rapport probablement édifiée par l'architecte du lotissement d'Aligre, Samson-François Lenoir dit Lenoir le Romain
(1730-1810). L'édifice figure sur le plan masse du lotissement et par
conséquent, a été construit entre 1777 et 1786. D'une écriture néoclassique de
grande tenue, construit en pierre de taille, cet immeuble repose sur un
soubassement affecté aux commerces, percé d'arcades englobant le
rez-de-chaussée et l'entresol. Au-dessus, s'élève l’étage noble qui développe
de hautes fenêtres dont la modénature joue sur la sobre alternance d'une baie
sans mouluration et d'une baie coiffée d'une plate-bande reposant sur deux consoles.
Le second étage, moins élevé, arbore des fenêtres ornées seulement d'un appui
reposant sur deux modillons. Après une frise sans décor et une épaisse
corniche, un comble mansardé achève la composition. Les ferronneries, qui
reprennent le motif “Grand Siècle” du cercle et de l'ellipse, affichent, elles
aussi, la qualité sociale attendue des habitants. Il est probable que le 17 rue
d'Aligre ait eu pour but de donner le ton aux autres constructions du
lotissement.
Inscrit aux Monuments Historiques
depuis 1982, le Marché Beauveau d’Aligre et
son corps de garde se sont élevés en 1843 sur une place dessinée en 1778 par Lenoir, dit Le Romain, où ils ont
remplacé un marché spécialisé dans la paille et le foin, qui a fourni la prise
de la Bastille du 14 juillet 1789.
Histoire d’un crime, Victor
Hugo. Mercredi 3 décembre 1851 :
« Ils sortirent de la salle Roysin en ordre, deux par deux,
se tenant sous le bras. Quinze ou vingt hommes du peuple leur faisaient
cortège. Ils allaient devant eux criant : Vive la République ! Aux
armes ! (…)
Ils arrivèrent ainsi au corps
de garde de la rue de Montreuil. A leur approche, la sentinelle poussa le
cri d'alerte, et les soldats sortirent du poste en tumulte.
Schœlcher calme,
impassible, en manchettes et en cravate blanche, vêtu de noir comme à
l'ordinaire, boutonné jusqu'au cou dans sa redingote serrée, avec l'air
intrépide et fraternel d'un quaker, marcha droit à eux :
– Camarades, leur dit-il, nous sommes les représentants du
peuple, et nous venons au nom du peuple vous demander vos armes pour la défense
de la Constitution et des lois.
Le poste se laissa désarmer. (…)
Le désarmement fait, on compta les fusils, il y en avait
quinze.
– Nous sommes cent cinquante, dit Cournet, nous n’avons pas assez de fusils.
– Eh bien, demanda Schœlcher, où y a-t-il un poste ?
– Au marché Lenoir.
– Désarmons-le.
Schœlcher en tête, et escortés des quinze hommes armés, les
représentants allèrent au marché Lenoir. Le
poste du marché Lenoir se laissa désarmer plus volontiers encore que le
poste de la rue de Montreuil. Les soldats se tournaient pour qu'on prît leurs
cartouches dans leurs gibernes.
On chargea immédiatement les armes.
– Maintenant, cria de
Flotte, nous avons trente fusils, cherchons un coin de rue et faisons une
barricade.
Ils étaient alors environ deux cents combattants. »
Un parc à canons dit du Marché Lenoir y est aménagé en mars 1871 pour l’entreposage
de pièces récupérées par les Fédérés à la gare de Lyon avant qu’elles ne soient
livrées aux Prussiens par le gouvernement de l’armistice. Pendant la Semaine
sanglante, le 26 mai 1871, de violents combats y auront lieu.
On quitte la place d’Aligre par la rue Emilio Castelar. En croisant la rue de Cotte, on voit à droite, au 11bis, un bâtiment industriel, dont on découvrira en continuant l’arrière qui donne sur la cour de l’école. A gauche, au n°3 (déplacé du 7-9) rue de Cotte, est l’ancien Lavoir du Marché Lenoir, dont la façade a été inscrite aux Monuments Historiques par arrêté du 23 novembre 1988.
Groupe HBM (8 rue de Prague – 7 rue Théophile Roussel – 3 rue Charles Baudelaire – 9 rue Emilio Castelar) de la fondation Rothschild réalisé par Nénot et achevé en 1909 ; PLU. Cet ensemble est la réalisation la plus emblématique de la fondation Rothschild, et le concours d'architecture dont il est le fruit en 1905, à l'Hôtel de Ville, constitue un brillant résumé de l'architecture hygiéniste. Parmi les 127 concurrents ayant remis des esquisses, se distinguent les projets de Tony Garnier (le plus radicalement novateur), celui du lauréat Augustin Rey, d'Henry Provensal (classé second), de Ventre et Majou (encore étudiants). Le projet réalisé se démarque toutefois fortement du projet d'Augustin Rey. Après la démission de ce dernier, les plans définitifs sont établis par Nénot en 1907. L'alignement sur rue, brisé par Rey, y reprend tous ses droits, les cours n'étant ouvertes sur la rue que par des brèches. Même revu dans un sens plus académique, le groupe reste une référence, dans la mesure où il concrétise toutes les théories et rassemble tous les objets techniques propres au logement populaire. C'est aussi un village où tout est prévu pour une vie en quasi-autarcie grâce à une palette d'équipements et une école où des ouvriers enlevés à leur taudis, viennent apprendre à habiter dans les meilleures conditions possibles.