Croisez vos chemins

1. L’axe Est-Ouest

Le faubourg Saint-Antoine est la porte d’entrée de toutes les nations du monde : le protocole y fait faire aux ambassadeurs étrangers antichambre. Au 17ème siècle, ceux des puissances catholiques attendent, dans une salle du couvent de Picpus dite, pour cela, « des Ambassadeurs », d’avoir reçu les compliments des princes et princesses du sang pour pénétrer en ville ; les ambassadeurs des nations pas catholiques séjournent à l'hôtel des Quatre-Pavillons, chez les Rambouillet protestants, où, au jour de leur présentation, viennent les prendre les carrosses de la cour.
Au 18ème, l’hôtel des Rambouillet (rue de Charenton, la ‘rue de Rambouillet’ le rappelle encore) a été morcelé, il est devenu la « maison du diable », du nom d’un fermier général, Raymond, surnommé le diable à cause de son avarice. C’est donc dans la maison du diable, rue de Charenton, que descend Mehmed efendi le 8 mars 1721. Il avait traversé la Marne au pont de Charenton. Le 16 mars, Mehmed efendi fait son entrée solennelle à Paris. Le carrosse du roi (vide de son propriétaire), en argent doré, le carrosse du régent (tout aussi vide), en argent, le précèdent. Le cortège franchit la Porte Saint-Antoine, emprunte la rue Royale (auj. de Birague) ; le roi Louis XV (onze ans) est incognito à un balcon chez le marquis de Boufflers, le Régent à un autre, chez la grande duchesse de Toscane. Le cortège quitte la place Royale (auj. des Vosges) par la rue de l’Echarpe (des Franc-Bourgeois), passe par la place Baudoyer et le cimetière Saint-Jean, la rue de la Monnaie, le pont Neuf, la rue Dauphine, la rue de Condé, la rue de Vaugirard de sorte de passer devant le palais du Luxembourg, avant de redescendre la rue de Tournon pour rejoindre l’hôtel des Ambassadeurs extraordinaires, ancien hôtel de Concini, maréchal d’Ancre et favori de Marie de Médicis, que Louis XIII avait offert ensuite au duc de Luynes pour l’avoir aidé à se débarrasser dudit Concini (auj. caserne de la Garde Républicaine).
Saïd Mehmet Pacha à Paris. C-A Coypel

Le 21 mars 1721, Mehmed efendi est reçu aux Tuileries, où, arrivé par la porte Saint-Honoré, il entre dans les jardins par la place du pont Tournant (auj. de la Concorde), « par le derrière de la maison, parce que la véritable entrée n’était pas assez belle pour un Louvre. » Il s’en retourne « par le quai des Tuileries [puis le pont Royal] et par celui des Théatins, qui sont les endroits où Paris paraît le mieux » selon Saint-Simon, qui ajoute : « Que serait-ce si on dépouillait le Pont-Neuf de ses misérables échoppes, et tous les autres ponts de maisons, et les quais de celles qui sont du côté de la rivière ? » En effet, à Paris, on ne voit pas l’eau. Il n’est que de lire Hugo, sa Notre-Dame de Paris : « Le bord de la Seine [rive gauche] était tantôt une grève nue, comme au-delà des Bernardins, tantôt un entassement de maisons qui avaient le pied dans l’eau, comme entre les deux ponts ». Et les ponts resteront bordés de maisons, sauf éventuel incendie comme celui du Petit Pont de 1718, jusqu’en 1786.
Enfin on a du mal à deviner le Louvre, engoncé dans des constructions de toute sorte, hormis la grande galerie.
De Paris, comme ‘touriste’, Mehmed efendi verra le jardin du roi, les Gobelins, la manufacture de glaces de Reuilly, l’Observatoire, la bibliothèque du roi, les Invalides, l’Opéra, la salle des machines des Tuileries. Il sera allé à Saint-Cloud (où est la mère du Régent), à Versailles par Meudon, à Marly. Quand il prendra congé, il entrera cette fois au palais des Tuileries par la cour.

20 ans plus tard, installé d’abord dans la maison de M. Titon avec son fils de 12-13 ans et les 180 personnes de sa suite, Saïd Mehmet Pacha fera son entrée solennelle à Paris le 7 janvier 1742, en parcourant, entre 11 heures et 15 heures, le parcours protocolaire menant du faubourg Saint-Antoine à l’hôtel des Ambassadeurs extraordinaires de la rue de Tournon, par un froid qui a étréci le cortège sur la seule partie de la chaussée où fumier et sable ont été répandus pour recouvrir la neige gelée. Installé rue de Tournon, ses parades et ses défilés se déploieront presque quotidiennement au jardin du Luxembourg.

La route d’entrée de la porte Saint-Antoine, route de l’Est, est de ce fait la route de Genève, la ville et le symbole : celle, austère et souvent douloureuse, des réformés vers le temple de Charenton. L’édit de Nantes de 1598 a repoussé l’exercice de leur culte à cinq lieues, Henri IV leur accorde néanmoins Charenton, qui n’est qu’à deux lieues. Dès 1607, un temple y est construit par Jacques II Androuet du Cerceau, l’architecte, avec Louis Métezeau, du nouveau Louvre du roi. Il est flanqué d’un cimetière, et passent aussi sur cette route les morts que l’on porte en terre comme y oblige ce même édit : de nuit, sans cortège et sous la surveillance d’un archer du guet.
Il suffit pourtant que le duc de Mayenne, qui a succédé à son frère le duc de Guise à la tête de la Ligue, ait été tué au siège de Montauban, pour que des huguenots revenant de Charenton soient attaqués au faubourg, le 26 septembre 1621. Le lendemain, leurs agresseurs, pour faire bon poids, partent en nombre vers leur temple et y mettent le feu. Il sera reconstruit, agrandi, par Salomon de Brosse. Les voyageurs hollandais De Villers qui, le 28 janvier 1657, vont y entendre prêcher Jean d’Aillé, y trouvent « autant de monde qu’à notre Cloosterkerck à La Haye. La plupart des gens de condition de notre religion, venant à Paris ou pour affaires ou pour faire leur Cour, en augmente le nombre ». Ce flot ne tarira pas jusqu’à ce qu’en 1685 l’édit de Nantes soit révoqué, et le temple aussitôt détruit pierre à pierre.
En attendant, Carnaval ramène nos voyageurs hollandais au même faubourg quelques jours plus tard, car c’est entre l’arcade Saint-Jean-de-Grève et la barrière de Picpus que la mascarade bat son plein. « Nous fûmes avec l’abbé de Sautereau au cours de la Porte Saint-Antoine, où nous vîmes quantité de masques tant à pied qu’à cheval et plus de trois mille carrosses. En cette grande foule d’hommes et de chevaux il ne se peut qu’il ne se forme un grand embarras, et la pluie qui survint le rendit extrême parce que tout le monde voulait rentrer à la fois dans la ville, et cette confusion fit qu’à neuf heures du soir, il y en avait encore hors de la porte. » Carnaval ne bougera pas de là avant 1812.

Atget, 1899. Gallica
La route des protestants bifurque vers le sud à la Croix-du-Trahoir, carrefour en T de la rue de l’Arbre-Sec et de la rue Saint-Honoré, l’épicentre de Paris depuis le 17e siècle. On y est à l’intersection des routes des « entrées solennelles » arrivant de l’est – de Vincennes et de la Reims des sacres – par les rues Saint-Antoine et Saint-Honoré, et arrivant du nord – de Saint-Denis – par la rue éponyme, celles de la Ferronnerie et Saint-Honoré. La Croix-du-Trahoir est entre la Ville (les Halles) et le Roi (le Louvre). Elle est enfin, pendant quatre-vingts ans, sur la route dominicale des protestants, entre leur temple de Charenton, bientôt capable d’accueillir cinq mille fidèles, et « la Petite Genève » de la rive gauche, la rue de l’Arbre-Sec étant la voie d’accès au Pont-Neuf. Les frères de Villers et leurs compagnons de voyage, qui ont touché Paris à la fin de décembre 1656, se sont installés tout naturellement l’un rue de Seine, A la Ville-de-Brissac, les autres Au Prince-d’Orange, rue des Boucheries (auj. boulevard Saint-Germain entre Odéon et Mabillon). Ils n’y étaient pas plutôt descendus qu’y entrait leur cousin, revenant du temple de Charenton.
Ici, hors les murs, les règlements des corporations n’imposant pas que l’on soit catholique pour accéder à la maîtrise, les artisans réformés s’étaient installés nombreux, ainsi que des officiers royaux de la finance – la banque était presque entièrement protestante – et y vivaient aussi les pasteurs du temple de Charenton.
Dans la Petite Genève, chez Mme Bertrand, officie le pasteur La Cerisaie. Au n° 4 de la rue des Marais-Saint-Germain (auj. Visconti), le premier baptême réformé a été célébré à l’Auberge du Vicomte en 1555. Le synode national constitutif des Églises réformées en France s’y est assemblé du 25 au 29 mai 1559. Un an plus tôt, le 13 mai 1558, de trois à sept mille protestants ont rempli le Grand-Pré-aux-Clercs et chanté les psaumes de Marot face au Louvre. Ils ont renouvelé leur démonstration les jours suivants ; le 19, on a noté, dans l’assemblée, la présence du roi de Navarre.
À la Saint-Barthélemy, le 24 août 1572, la porte de Buci et ses voisines, dûment cadenassées, retinrent dans la nasse, sous le poignard et sous le mousquet, les huguenots qui espéraient trouver refuge dans « la petite Genève », de l’autre côté du mur. Les vestiges du rempart qui les a livrés à la mort sont encore nombreux rue Mazarine, rue Guénégaud et cour de Rouen (Rohan).
À quelques pas du nouveau palais abbatial des abbés de Saint-Germain, flambant neuf, Bernard Palissy, dont le cours d’histoire naturelle et de physique avait Ambroise Paré et de nombreux chirurgiens comme auditeurs, a été arrêté par la Ligue, en 1589, et enfermé à la Bastille, où il mourra sans avoir abjuré. Le siège mis autour de Paris par Henri IV, les protestants se sont emparés de l’abbaye. Du haut d’un clocher de Saint-Germain-des-Prés – l’église en compte trois, dont deux flanquent le nouveau chœur –, le roi fixe le Louvre, son but, et englobe du regard la capitale qu’il veut reconquérir.
Mais le jeudi 18 octobre 1685 au soir, les vingt à trente mille protestants qui habitent la Petite Genève, autour de l’église luthérienne de l’ambassade de Suède de la rue Jacob et de leur cimetière de la rue des Saints-Pères, apprennent que le roi a signé la révocation de l’édit de Nantes, à Fontainebleau, dans le salon de Mme de Maintenon.
 Il faudra dorénavant se réunir clandestinement à l’ambassade de Hollande, à l’angle de la rue des Saints-Pères et de la rue Saint-Dominique (auj. boulevard Saint-Germain), ou à l’ambassade du Brandebourg de la rue de Grenelle ; puis viendront les abjurations, les mariages mixtes et les exils.
Dessin de Hubert Clerget, 1848. Gallica

Diderot avait quitté la rue Mouffetard pour échapper à la surveillance du curé de Saint-Médard, il était allé habiter chez un tapissier de la rue de l’Estrapade. Le 24 juillet 1749, son domicile est perquisitionné : sa Promenade du sceptique, un manuscrit inédit, y est saisie, une lettre de cachet l’envoie à Vincennes. « On a arrêté aussi M. Diderot, homme d’esprit et de belles-lettres » : c’est la première fois qu’il est question de lui dans la Chronique de la Régence et du règne de Louis XV (1718-1763) de Barbier ; il a changé de statut.
Vincennes est la prison idéale pour un encyclopédiste, pourrait-on dire : dix ans plus tôt, une manufacture de porcelaine, bientôt royale, s’est installée dans la tour du Diable du château ; François Boucher vient donner à cette porcelaine ses motifs d’enfants potelés quand Diderot arrive au donjon. Mais l’Encyclopédie réclame sa présence à Paris, et les libraires s’entremettent ; le 21 août, il est élargi, reste seulement prisonnier sur parole « dans un parc qui n'est pas même fermé de murs ». Barbier poursuit, dans son Journal : « Pour le sieur Diderot, il est à Vincennes et a même à présent la liberté du parc de Vincennes pour se promener avec qui il veut. Il restera peut-être encore quelques temps. Les libraires pour qui il travaille pour le Dictionnaire de l’Encyclopédie, ont beaucoup parlé pour lui à M. le chancelier et aux ministres. »
Rousseau est alors à Fontenay-sous-Bois, à l’invitation du baron de Thun, gouverneur du jeune prince héréditaire de Saxe-Gotha, qu’il a rencontrés l’un et l’autre chez Mme Dupin ; il fait en cette compagnie la connaissance de Grimm avec qui il se liera d’amitié. Retour à Paris, à l’hôtel du Saint-Esprit, rue Plâtrière (auj. JJ Rousseau), il apprend l’amélioration des conditions de détention de Diderot. « Tous les deux jours au plus tard, malgré des occupations très exigeantes, j'allais, soit seul, soit avec sa femme, passer avec lui les après-midi, racontent les Confessions. » Diderot avait confié à Rousseau près de quatre cents articles musicaux, à rendre dans un délai record, et alors que Jean-Jacques devait réunir aussi du matériau pour les Dupin, lancés dans une réfutation de l’Esprit des lois. Les Confessions ne font pas état pour autant de séances de travail à Vincennes.
« Les Libraires intéressés à l'édition de l'Encyclopédie », écrivent bientôt ces derniers au comte d’Argenson, « pénétrés des bontés de Votre Grandeur, la remercient très humblement de l'adoucissement qu'elle a bien voulu apporter à leurs peines en rendant au Sr. Diderot, leur éditeur, une partie de sa liberté. Ils sentent le prix de cette grâce, mais si, comme ils croient pouvoir s'en flatter, l'intention de Votre Grandeur, touchée de leur situation, a été de mettre le Sr. Diderot en état de travailler à l'Encyclopédie, ils prennent la liberté de lui représenter très respectueusement que c'est une chose absolument impraticable ».
A part Rousseau, en effet, et d’Alembert que Jean-Jacques trouve à Vincennes en arrivant, aucun des collaborateurs de l’Encyclopédie n’a fait le voyage : « Quand le Sr. Diderot a été arrêté, poursuivent les libraires, il avait laissé de l'ouvrage entre les mains de plusieurs ouvriers sur les verreries, les glaces, les brasseries ; il les a mandés depuis peu de jours qu'il jouit de quelque liberté, mais il n'y en a eu qu'un qui se soit rendu à Vincennes, encore a-ce été pour être payé du travail qu'il avait fait sur l'art et les figures du chiner des étoffes. Les autres ont répondu qu'ils n'avaient pas le temps d'aller si loin et que cela les dérangeait. »
« Cette année 1749, l’été fut d’une chaleur excessive, raconte Jean-Jacques. On compte deux lieues de Paris à Vincennes. Peu en état de payer des fiacres, à deux heures après-midi j’allais à pied quand j’étais seul, et j’allais vite pour arriver plus tôt. Les arbres de la route toujours élagués à la mode du pays, ne donnaient presque aucune ombre, et souvent, rendu de chaleur et de fatigue, je m’étendais par terre n’en pouvant plus. Je m'avisai, pour modérer mon pas, de prendre quelque livre. Je pris un jour le Mercure de France ; et tout en marchant et le parcourant, je tombai sur cette question proposée par l'Académie de Dijon pour le prix de l'année suivante, Si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les mœurs. À l’instant de cette lecture je vis un autre univers et je devins un autre homme. (…) En arrivant à Vincennes j’étais dans une agitation qui tenait du délire. Diderot l’aperçut : je lui en dis la cause, et je lui lus la prosopopée de Fabricius, écrite en crayon sous un chêne. Il m’exhorta de donner l’essor à mes idées, et de concourir au prix. Je le fis, et dès cet instant je fus perdu. Tout le reste de ma vie et de mes malheurs fut l’effet inévitable de cet instant d’égarement. »

2. L’axe Nord-Sud

La Chapelle était un village-rue, ou plutôt rues ; celle, utilitaire, des poissonniers, et celle des processions royales entre Paris et Saint-Denis. Autour de ces deux voies, une colonie de laboureurs et de vignerons établie par les moines de Saint-Denis, qui connut son heure de gloire au XVe siècle : dans la petite chapelle où, déjà, sainte Geneviève faisait halte, Jeanne d’Arc et ses compagnons d’armes, Alençon, Dunois, La Hire, Xaintrailles vinrent prier, dans la nuit du 7 au 8 septembre 1429, avant de lever finalement le siège de Paris. Gilles de Rais, le fidèle, et futur « ogre », était-il avec eux agenouillé devant l’autel ?
Surtout, au rond-point de la Chapelle, se tint jusqu’en 1444 la foire du Landit, l’une des plus fameuses du Moyen Âge. Elle durait quinze jours, de la Saint-Barnabé à la Saint-Jean, attirait des marchands de Lombardie, d’Espagne, de Provence, et même des Arméniens qui, en 1400, y avaient apporté ces animaux inconnus : des chats angoras d’Asie. L’Université, avec bannières et flonflons, y arrivait en cortège, les écoliers s’égaillant autour des bonimenteurs, jongleurs et ménétriers, et des tables à boire, tandis que le recteur, dont c’était la prérogative, percevait des droits sur tout le parchemin mis en vente, avant de réserver les quantités nécessaires aux différents collèges. Au milieu du champ de foire, l’abbé de Saint-Denis arbitrait les litiges entre marchands.
le 6 mars 1571. Gallica
Le 16 mars 1562, rouge encore du sang des protestants qu’il a massacrés à Vassy, le duc de Guise entre à Paris, « triomphalement, comme un roi. Le prévôt et les échevins viennent au devant du duc, en corps, jusqu’à la porte Saint-Denis. Paris l’étourdit et le berce de ses acclamations enthousiastes ».
Entre Chapelle et porte Saint-Denis, l’enclos Saint-Lazare, le plus vaste de Paris, sur lequel seront construits et la gare du Nord et l’hôpital Lariboisière, sans compter la gare de l’Est sur le clos Saint-Laurent, qui n’est qu’une dépendance de Saint Lazare, et aura aussi sa foire Saint-Laurent.
Quand on est reçu comme un roi, c’est à la porte Saint-Denis. Quand on est le roi, le protocole commence plus tôt, dès l’enclos Saint-Lazare. La paix momentanément signée avec les protestants, à Saint-Germain, Charles IX fait son entrée à Paris, le 6 mars 1571. Dès 10 heures du matin, le roi arrive « au prieuré Saint-Ladre [Lazare], assis aux faubourgs Saint-Denis ». On lui a dressé une estrade « couverte de riches tapisseries ; et, au milieu, un haut dais de trois marches, couvert de tapisserie de Turquie, et dessus un dais tendu de riche valeur, sous lequel était posée la chaise pour recevoir Sa Majesté, couverte d’un riche tapis de velours pers, tout semé de fleurs de lis tissées d’or ».
Défilent devant le roi les quatre ordres mendiants, l’Université, puis le Corps de Ville, précédé de mille huit cents représentants des métiers, les menus officiers de la Ville « au nombre de 150, portant robes mi-parties de rouge et bleu, les chausses de même, chacun tenant un bâton blanc en sa main », les cent arquebusiers de la Ville, les cent archers, les cent arbalétriers, la cavalcade des enfants des plus riches bourgeois de la Ville, qui sont cent à cent vingt, accompagnés de leurs pages, enfin le prévôt, précédé des maîtres des œuvres, du capitaine de l’artillerie et des huit sergents de la Ville, le navire d’argent sur l’épaule, vêtu magnifiquement et montant une mule harnachée de même.
À côté du prévôt marchent plusieurs valets, « dont l’un portait les clefs de la Ville attachées à un gros cordon d’argent et de soie des couleurs du Roi, pendant à un bâton couvert de velours cramoisi, canetillé d’argent », et les quatre échevins. Le prévôt fait sa harangue un genou en terre, baise les clefs, les présente à Sa Majesté, qui les prend et demande au duc d’Anjou, son frère, le futur Henri III, de les confier à une garde écossaise, « qui les rapportera plus tard au Bureau en déclarant que le Roi les renvoie à la Ville, se confiant à eux comme en très bons, très loyaux et fidèles sujets ».
Un dais a été tendu entre les maisons du pont Notre-Dame. Gallica
Puis la maison du roi se met en cortège, enfin le roi lui-même monte à cheval et se dirige vers la porte Saint-Denis. Là, les échevins présentent à Sa Majesté le ciel de velours, semé de fleurs de lis d’or, et le tiennent au-dessus d’elle jusqu’à l’église de la Trinité. À cet endroit, les gardes des marchandises les remplacent pour porter le dais, en continuant vers Notre-Dame. Un conflit de préséance avait éclaté préalablement pour savoir qui, des marchands grossiers, épiciers et apothicaires ou des grossiers en draps de soie, joaillerie et mercerie, prenait le premier relais.

Le 29 mai 1934, tard dans la nuit, André Breton sort d’un café de Montmartre avec une inconnue : « Qui m’accompagne à cette heure dans Paris sans me conduire et que, d’ailleurs, moi non plus, je ne conduis pas ? ». Ils marchent au hasard, elle lui donne son bras, le lui retire aux Halles où la circulation est trop dense. « J’étais de nouveau près de vous, ma belle vagabonde, et vous me montriez en passant la Tour Saint-Jacques sous son voile pâle d’échafaudages »…
L’alchimiste Nicolas Flamel – « surréaliste dans la nuit de l’or », comme le dit la recension des précurseurs du Second Manifeste –, aurait fait couvrir de figures emblématiques et hiéroglyphiques le petit portail de la tour en 1389.
« À Paris la Tour Saint-Jacques chancelante / Pareille à un tournesol », avait écrit Breton assez obscurément pour lui-même, et voilà qu’il réalise la double analogie avec la fleur unique au bout de sa longue tige, et avec le papier réactif qui change de couleur au contact de l’acide, comme on rêve de changer le plomb en or dans l’alchimie qu’évoque une tour liée à Nicolas Flamel. Le papier de tournesol passe de surcroît du bleu au rouge, « les couleurs distinctives de Paris, dont, au reste, ce quartier de la Cité est le berceau, de Paris qu’exprime ici d’une façon tout particulièrement organique, essentielle, son Hôtel de Ville que nous laissons sur notre gauche en nous dirigeant vers le Quartier Latin ».
19e siècle. Gallica
L’inconnue, c’est Jacqueline Lamba. Breton l’épouse le 14 août, il a pour témoins Éluard et Giacometti.

Au nœud des deux axes perpendiculaires, une fontaine, au beau milieu d’un carrefour qui n’est pas plus vaste alors qu’il ne l’est aujourd’hui, offerte par François Ier à la ville qui manque cruellement, et manquera si longtemps, d’eau. La fontaine est, comme le carrefour, à un confluent, celui de deux adductions : les eaux de source du Pré-Saint-Gervais qui, avec celles de Belleville, alimentent la rive droite, et les eaux que Marie de Médicis fait venir par l’aqueduc d’Arcueil en son Luxembourg, qui poursuivront jusqu’à la Croix-du-Trahoir en passant dans le tablier du Pont-Neuf. Pour le reste, voir, sur ce site : Découvrons le nombril de Paris.