Sur les quais, ou 3 Susset à la manque


Le prétexte en est une "découverte de leur Paris ouvrier" destinée aux lecteurs de la bibliothèque François Villon, 81 boulevard de la Villette, 10e arrondissement. Ci-dessous: trajet Aller.

Le 8 novembre 1931, Eugène Dabit, dont les parents tiennent l’Hôtel du Nord depuis 1923, répond à une invitation d’André Gide : « Vous étiez soucieux des troubles de ce temps. Combien je le ressens. Ne vous verrai-je pas un jour dans ce quartier de Belleville ? Bien autrement qu’à travers des discussions entre intellectuels vous sentirez vivre le drame. Moi, je puis vous conduire un peu, là où ne vous conduiraient pas Fernandez, Chamson, Prévost ni vous-même. » Gide accepte le 10, la balade aura lieu quelques jours plus tard. Comme quoi savoir déambulatoire et savoir livresque se complètent ; balades et bibliothèques, c’est tout un.

- station métro Colonel-Fabien, bd de la Villette, 1er quart 20e siècle ; site inscrit le 6/08/1975.

- répartition de la Bellevilloise, 4 place du Combat (auj. du Colonel Fabien). Sur un terrain racheté à l’Union des syndicats de la région parisienne, la Bellevilloise ouvrit le 1er octobre 1928, un magasin d’alimentation générale, de boucherie, de charcuterie, de quincaillerie et d’articles de ménage. Ce sera sa dernière ouverture avant les faillites de 1934 et 1936. Dans la salle Lénine, devenue Cinéma Bellevillois, de la maison mère, rue Boyer, Gide assistera à une projection du Cuirassé Potemkine en décembre 1934.

Du 186 au 206, quai de Valmy, les anciens établissements Susset (le monogramme est toujours là au dessus de la porte du 186), plâtre, chaux, ciment, de Raymond Susset. Le patron est élu député du Xème en 1932, réélu en 1936 ; appartient à des groupes scissionnistes de la SFIO genre Républicains-Socialistes. (Votera les pleins pouvoirs à Pétain en 1940, sera RPF après la guerre (sénateur de Guinée > 1958, date de l’indépendance du pays).
Au 206, la jolie grille marquée « Jardin d’enfants », à côté de ce qui est maintenant la Maison des associations, donne accès à la terrasse et à ce qui sera connu comme « Salle Susset ».  Robert Sabatier, 3 sucettes à la menthe : «...Au-delà de la rue Louis-Blanc, le long du quai, derrière les peupliers et les platanes, l'installation des établissements Susset, matériaux de construction, se dressait, dominée par une longue terrasse avec une salle de spectacles : on y amenait les élèves des écoles le jeudi après-midi pour assister à des représentations populaires des comédies de Molière et des tragédies de Corneille et de Racine. Olivier [nom que prend le petit Sabatier dans le roman] n'oublierait pas ce lieu où il découvrit, de manière inhabituelle, au-dessus des sacs de plâtre et de ciment, des parpaings et des briques, le grand théâtre classique...».
Joseph Bialot, Belleville Blues : « Chaque jeudi elle [l’entreprise Susset] mettait ses locaux à la disposition des écoliers du 10e arrondissement - toujours le paternalisme social de l'époque -, et leur projetait un film gratuitement. »
 Robert Sabatier, qui était en classe avec le fils Susset, rue Eugène Varlin (où Susset père avait déjà été élève), raconte: " Nous étions obligés de porter un tablier, lui était en costume de golf. Ça nous agaçait, il était le chouchou ! ". On notera au passage que Robert Sabatier, pour lequel les Susset ont tant compté, aura presque titré son roman : 3 Susset à la manque !
Au 206, salle Susset, Les Jeunesses Socialistes Révolutionnaires, qu’ont fondées en janvier 1936 les jeunes de la Fédé de la Seine de la SFIO, exclus depuis six mois déjà du PS, y font la fête le 10 décembre 1936. Dans cette Fédé plus à gauche que le parti, tenue par Marceau Pivert et Zyromski, ces jeunes dits Bolchéviks-Léninistes, sont majoritairement des trotskistes qui faisaient de l’entrisme à la SFIO. Animent leur fête, les agitateurs culturels de la FTOF (Fédération du Théâtre Ouvrier de France) : Sylvain Itkine, O’Brady, les frères Marc (dont l’un deviendra Francis Lemarque), le mime Etienne Decroux, Jean-Louis Barrault, etc. La rédaction de leur mensuel, Révolution, est là aussi: David Rousset, Yvan Craipeau.
Le 17 juin 1938 se tient au même endroit la conférence constitutive des Jeunesses du PSOP (Parti Socialiste Ouvrier et Paysan), le parti que crée Marceau Pivert quand toute la Fédé de la Seine se voit exclue du PS ; les trotskistes y seront vite majoritaires.

214 rue Lafayette Eglise Saint-Joseph Artisan. (on en aperçoit le chœur depuis le quai de Jemmapes) Implantée en cœur d’îlot, cette église de style néogothique a été construite entre 1865 et 1866 pour la mission allemande et luxembourgeoise. Attribuée à l’architecte Lucien Douillard, elle était destinée aux immigrés allemands, artisans et ouvriers travaillant aux différents chantiers de la capitale. En 1847, les Allemands sont plus de 60 000 à Paris – dans une ville de 1 million d’habitants - dont 35 000 tailleurs, cordonniers, menuisiers du bâtiment ou ébénistes. Martin Nadaud évoque, sur tous ses chantiers, « une équipe de bardeurs allemands excessivement forts », ou ses « bardeurs, tous de solides gars allemands ». Jusqu’à 1870, Paris était la 3ème ville allemande après Hambourg et Berlin.

194, hôtel particulier des patrons des charpentes Laureilhe, l’entreprise était au 198 ; fermera en 1935. « Tout le quartier du canal était composé d'anciens hôtels particuliers transformés en bureaux, en manufactures, en dépôts de fabriques. On trouvait de profondes cours avec des hangars, des baraquements, tout un monde de pots de fleurs, de chats, d'oiseaux en cage, de ferrailles, de pneus usagés, de vieilles bicyclettes...» Sabatier, 3 sucettes Ici, il ne s’agit pas d’ancien hôtel particulier transformé en bureaux mais du logis patronal.

186 quai de Jemmapes, réalisation de Jean Dumont : une agence commerciale, un central téléphonique et des bureaux pour les PTT, quai de Jemmapes à Paris 10ème. A remplacé la cartonnerie Chouannard.
On retrouve dans ce bâtiment la grande maîtrise de l’architecte pour insérer harmonieusement un édifice d’une échelle imposante dans un tissu urbain assez fragile et hétérogène. Il réussit cette prouesse par l’équilibre de la composition entre les grandes lignes horizontales et le rythme vertical serré des baies, par le travail sur   l’épaisseur de la façade qui donne là aussi un effet de vibration par le jeu alterné des surfaces éclairées et des parties ombreuses, par le choix des matériaux aussi.

La cité « Clémentel » s’étend du 174 au 178 quai de Jemmapes. « Côté Jemmapes, en bordure du canal, se souvient Robert Sabatier, il [Olivier] restait fasciné par la masse de la Cité artisanale Clémentel. Il s'enhardissait à traverser le large portail et à parcourir d'étage en étage des couloirs bruissant de machineries, chargés d'odeurs de métal, d'huile, de carton, de sciure, de mastic, d'encre d'imprimerie, de térébenthine, de peinture. Dans cette ville en réduction, bien répartis dans des pièces cimentées, on trouvait des doreurs, des brocheurs, des opticiens de précision, des imprimeurs typo, litho et offset, des linotypistes, des fabricants de vêtements de sport, des miroitiers, des tanneurs, des photographes, des dessinateurs industriels dont les panneaux publicitaires ornaient les portes. »
Inspirée d’Étienne Clémentel, ministre du Commerce (1916-1919) : « Assurer aux artisans de tous corps de métier les meilleures conditions de travail possible dans des locaux de qualité qui seraient leur propriété, leur donner sur le lieu même de leur travail des logements décents et leur fournir des services communs facilités : bibliothèque, infirmerie et même banque ». 430 ateliers y furent créés, 2000 artisans environ y travaillaient et y vivaient.
Eugène Dabit qui, en 1922, avait son atelier (il a commencé comme peintre) rue des Mignottes (au Mo Botzaris) dans une de ces « cités industrielles » qui fournissent la force motrice à chacune de leurs alvéoles, était sensible à la mélodie laborieuse : « je faisais des travaux de décoration, tandis que dans la cité ronflaient les moteurs. Mes voisins, horlogers, hurlaient des romances qu’un cartonnier accompagnait sourdement à coups de balancier. Au crépuscule, la rumeur me paraissait grandir et bourdonnait à mes oreilles comme la mer ; ouvrais-je le vasistas, elle envahissait l’atelier (...) Soudain, éclataient des coups de sifflet. Les longues courroies de transmission s’immobilisaient ; les métiers cessaient de tourner ; les lampes s’éteignaient... »
L’ancêtre, ce sont les Immeubles Industriels, de la rue éponyme. L’agence de location est au 12 de la rue. Inaugurés en 1873, 2 000 personnes y logent vers 1881, qui travaillent au rez-de-chaussée, à l’entresol et au 1er étage, moyennant un loyer de l’énergie de 75 centimes par poste et par jour. Sous la chaussée, une machine à vapeur de 2 000 chevaux, construite par Cail et Cie, distribue l’énergie dans les ateliers. « Ces trois éléments essentiels de l’habitation de l’ouvrier – logement, atelier, force motrice – se trouvent  réunis... » explique l’Illustration.

- siège de la Fédération anarchiste et du Libertaire, 145 quai de Valmy (auj. Le Valmy, café-restaurant). Sa Librairie sociale est au rez-de-chaussée. Brassens y vient, à l’été 1946, donner le texte que lui a inspiré la mort d’un flic, renversé par le cycliste à qui son coup de sifflet comminatoire a fait perdre le contrôle de sa bicyclette. Intitulé « le hasard s’attaque à la police », le texte sera publié dans le Libertaire du 27 septembre 1946. Il sera suivi de quelques autres, signés du pseudonyme de Géo Cédille, comme celui consacré aux poèmes de Raymond Asso dans le numéro du 12 juin 1947.
Local et journal, après le congrès de Bordeaux de 1952 où le courant de Georges Fontenis a pris la majorité dans la Fédération Anarchiste, passent du côté de la Fédération Communiste Libertaire (la FCL). Le premier Français emprisonné pour le soutien apporté au MNA (Mvt nationaliste algérien) de Messali Hadj, sera Pierre Morain, pour ses articles dans le Libertaire, journal de la FCL. En 1955, la FCL aura subi tellement de saisies, d’amendes et de peines de prison qu’elle aura tout simplement disparu.

- centrale électrique de la Compagnie Parisienne d’Air Comprimé, future Compagnie Générale d’Electricité, 132 quai de Jemmapes. Construite en 1895-96, elle fait suite à celle de la rue Saint-Fargeau, dans le 20e, en 1889, et celle (réutilisée pour abriter une école d’architecture) du quai aujourd’hui Panhard et Levassor, dans le 13e, de 1891. Le charbon, tiré des péniches, est convoyé électriquement jusqu’à l’élévateur et, de là, distribué par des wagonnets à des silos en entonnoir placés au-dessus des générateurs. La tour de l’élévateur démolie, la centrale a été reconvertie en usine de fabrication pour les vêtements Labor. En 1920, à cette adresse, on a P. Saderne, fabr. De chaussures de luxe.

- 11, rue de l’Hôpital St-Louis, imprimeur-éventailliste, « Eventails Chambrelent, Modern style, maison fondée en 1873, marques Nevelty, Opalia (éventails en papier cristal), montures Metalia (marques déposées). Entre le 22 et le 24 octobre, Chambrelent embauche 103 jeunes Chinois : Deng Xiao Ping (17 ans), un oncle à lui, de 3 ans son aîné, et toute une cohorte de jeunes gens originaires de son village natal (Chonqing, dans le Sichuan) dont un futur ministre de la République populaire. Ils y font des fleurs de lotus en gaze verte et satin rouge qu’ils montent sur des tiges métalliques, et y apposent une petite étiquette : « œuvre d’orphelins et de veuves de guerre » ; il s’agit d’une commande destinée aux USA pour y collecter des fonds. C’est payé 2F la centaine, les ouvriers réussissent à en faire 600 ou 700 par jour. Sont virés au bout d’une semaine, la commande étant sans doute terminée. Deng Xiao Ping travailla lors de ses années d’exil en France, de 1920 à 26, (d’abord au Creusot, à La Garenne-Colombes chez Kléber, puis à Montargis pour Hutchinson ; de nouveau à La Garenne, puis chez Renault Billancourt). David Goodman, biographe américain de Deng, raconte qu’en 1974, retour de New York, Deng s’arrête à Paris et y achète 100 croissants, qu’il rapporte pour les partager avec Zhou Enlai et les camarades qui avaient partagé son séjour parisien dans les années 1920.

- 114, le lycée professionnel Marie Laurencin a fait son nid dans l'ancien bâtiment Le cuir moderne (1923), dont l’enseigne, sur le toit, a été ôtée.

- 112, quai de Jemmapes : Immeuble de rapport réalisé par l'architecte Georges Pradelle en 1907-1908. La structure en béton armé est calquée sur la charpente métallique. Le béton est laissé nu et les briques utilisées en remplissage sont apparentes. Par leur couleur et les variétés du calepinage, elles apportent une note décorative, tout en soulignant le principe constructif. L'architecte a choisi d'afficher un parti résolument moderne qui radicalise - dans un contexte plus populaire – le dessin de l'immeuble construit en 1904 par les frères Perret 25bis rue Benjamin Franklin.

- Au 108, quai de Jemmapes, à l’angle de la rue Bichat, René Préault installa en 1945, sur cinq étages son entreprise de boulonnerie et visserie (plaque). Travailla avec la main d’œuvre pénale de la Roquette. Des tours ceinture étaient encore présents dans ses ateliers dans les années 1970.
- adresse d’Antoine Dauriat, typographe, trésorier du Club Populaire sportif du Xème arrondissement à la déclaration au bureau des associations de la Préfecture de Police, le 27 mai 1935, dans le grand élan d’enthousiasme qui suit la réunification des sportifs communistes et socialistes en décembre 1934 (création de la FSGT). Siège au 6 rue de Paradis en octobre 1937, Dauriat cède sa place à Thérèse Blanchet qui habite rue Chaudron avec son mari Robert

50 rue Bichat Immeuble de rapport caractéristique de l'habitat "à bon marché" de la fin du XIXe siècle. PLU construit en 1896-1898 par l'architecte Léon Hervey-Picard, élève de Vaudremer et Raulin aux Beaux-Arts, édifié sur une parcelle où son père avait réalisé un pavillon dès 1888. Il peut être rapproché des premières entreprises de logement social à vocation philanthropique tel l'immeuble du groupe des maisons ouvrières réalisé 5 rue Jeanne d'Arc en 1899 par Georges Guyon. La façade en brique, d'un premier abord austère et imprégné de rationalisme, n'en est pas moins égayée par un jeu de briques polychromes, notamment sous les corniches et les arcs de décharge des linteaux. L'ornementation de la façade se résume pour l'essentiel aux ancres des trumeaux et aux cabochons en céramique des allèges. Réalisation publiée in Paul Chemetov – Bernard Marrey Architectures à Paris 1848-1914.

- L’Hôtel du Nord, 1929 : Les Lecouvreur, avec leur fils (en fait les Dabit avec Eugène) viennent visiter l’hôtel à vendre :
« Ici, explique Philippe Goutay, le patron, avec les usines du quartier, c’est de la bonne clientèle d’ouvriers, tous du monde honnête, payant bien. (…) La maison du dehors n’a rien de grandiose, bien sûr… faudrait un fameux coup de torchon. Mais que voulez-vous, par le temps qui court, il n’y a que les passes qui puissent payer le prix du crépi…
Il s’arrêta un moment et reprit :
-         Ce n’est pas une hôtel de passe…
Les Lecouvreur dirent à l’unisson :
-         Sûr qu’on voudrait pas une hôtel de passes…

Les deux hommes (Emile Lecouvreur et Ph. Goutay) examinèrent les combles et se hissèrent sur le toit. De là, reliés par une fine passerelle, on découvrait les quais de Jemmapes et de Valmy. Des camions chargés de sable suivaient les berges. Au fil du canal, des péniches glissaient, lentes et gonflées comme du bétail. Lecouvreur, que ces choses laissaient d’ordinaire insensible, poussa un cri :
-         Ah ! quelle vue ! Ce que vous êtes bien situés !...
Puis il ajouta :
-         Je suis un vieux Parisien, mais voyez-vous, je ne connaissais pas ce coin-là. On se croirait au bord de la mer. »

Nestor Burma enquête ici en 1956, accompagnant, une fois n’est pas coutume, Hélène, sa secrétaire : « Pour rien au monde, je n’aurais laissé Hélène s’aventurer seule dans ce coin-là ». Il lui faut pourtant lâcher son bras : « nous traversâmes le canal en empruntant l’étroite passerelle à fleur d’eau, construite au sommet des vantaux de l’écluse, permettant tout juste le passage d’une seule personne à la fois (…) le silence était total. Une auto qui passa sur le pont tournant et disparut par la rue de Lancry, le troubla à peine. (…) Un peu après l’Hôtel du Nord, en face du poste de police entouré d’arbres dénudés et de buissons rachitiques, la Chope des Singes répandait sur le trottoir une chiche lumière jaune ». M’as-tu vu en cadavre, 1956.

On prend la passerelle à côté du Pont Tournant, de là  on voit

- Carré, 91, quai de Valmy, dès 1888 sur le canal, fournira une partie du carrelage du métro.

- Débit de Boisson, 19, rue Jean-Poulmarch. Maison Empire. Pan coupé orné d'un balcon présentant un beau garde-corps. La maison a conservé à rez-de-chaussée une remarquable grille de bouchon avec un décor de petits pilastres qui bénéficie d'une inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Maison figurant au procès-verbal de la commission du Vieux Paris (séance du 9 janvier 1989). ISMH

- rédaction de la Vérité, 23 rue des Vinaigriers. L’hebdomadaire est fondé par « moins d’une douzaine de camarades » dont Alfred Rosmer et le typo Ferdinand Charbit, tous deux exclus du PC à la fin de 1924, et qui n’ont eu à traverser que le canal pour venir de la Librairie du travail et de la Révolution Prolétarienne, rejoindre Pierre Frank et Gourget (pseudonyme de Barozine, syndicaliste CGTU de la fédération du Bois, lui aussi exclu du PC), l’institutrice Marthe Bigot, qui avait été membre de la minorité zimmerwaldienne, et Jeanne Despallières. Le premier numéro de la Vérité paraît le 15 août 1929. « Vous êtes contraints de commencer par un hebdomadaire, leur écrit Trotsky, avec qui le projet a été débattu à Prinkipo, c’est déjà un pas en avant. A condition naturellement que l’entreprise ne s’en tienne pas là, mais qu’elle mette le cap sur un quotidien. » L’hebdomadaire sera celui de la Ligue communiste, et sera flanqué du mensuel de la Jeunesse léniniste, Octobre rouge.

- Librairie du Travail, 96 quai de Jemmapes. A dater de janvier 1911, dans la boutique du rez-de-chaussée, l’administration de la Vie Ouvrière et de ses 1 607 abonnements, et la librairie ; au-dessus se tiennent les réunions de rédaction, tous les jeudis soirs, à 8h. En 1914, la revue atteint presque 2 000 abonnés et a des numéros de 80 pages et parfois plus, bien illustrés, quand la guerre vient tout interrompre.
« Presque au coin de la rue Grange-aux-Belles et du quai Jemmapes, à Paris, s’ouvrait encore en 1914 une petite boutique grise, une Librairie du Travail... Cette boutique ferma le 2 août. Et pourtant, certains soir d’automne, vers 9 heures, les policiers pouvaient constater qu’une vie furtive y brillait, que des conspirateurs, l’un après l’autre, s’y glissaient. J’y ai plus d’une fois participé. On se bornait à tisonner tristement les restes refroidis de l’Internationale ; à dresser, d’une mémoire amère, la liste immense de ceux qui avaient failli ; à entrevoir, avec une clairvoyance inutile, la longueur d’une lutte d’usure où seule serait vaincue la civilisation », écrira Raymond Lefèbvre (délégué au 2e congrès de l’Internationale Communiste en juil-août 1920, il disparaitra en mer Baltique lors du voyage de retour comme Marcel Vergeat et 2 autres).
Le métro comme les transports de surface s’arrêtaient au soir tombant, on rentrait donc ensuite à pied. En septembre 14, c’est en allant chaque jour, place de la République, chercher Le Journal de Genève, pour le feuilleton de Romain Rolland, « Au-dessus de la mêlée », qui se commente à haute voix autour du kiosque, que Pierre Monatte rencontre le comptable Marcel Hasfeld, qui viendra tenir la Libraire du Travail.
Syndicalistes révolutionnaires et socialistes des partis de la 2e Internationale s’ignoraient encore : les premiers, partisans de l’action directe, laissaient aux autres leurs opérations parlementaires. Certes, les socialistes russes apparaissaient d’une autre trempe, mais ils vivaient à part. Le groupe de la Vie Ouvrière rechercha le contact à la suite d’une lettre ouverte de Martov que publia Gustave Hervé. Ils rencontrèrent donc Martov, d’abord au cours de conversations particulières ; « un homme aux traits creusés, à la barbe déjà grisonnante, au beau regard profond, à la voix rauque, et qui marchait en traînant la jambe en souvenir des fers qu’il avait longtemps portés en Sibérie », ainsi le décrira Marcel Martinet. Puis vint une prise de contact officielle avec une délégation composée de Martov, le plus âgé, la quarantaine ; d’un polonais nommé Lapinsky, enfin de Trotsky.
Martov parti en Suisse, est remplacé dans la délégation par Losovsky, qui a été le secrétaire du syndicat des casquettiers et qui sera le dirigeant de l’Internationale Syndicale Rouge. Il déplacera les réunions à son domicile. Trotsky côtoie donc Monatte et, celui-ci ayant été mobilisé en février 1915, Alfred Rosmer, qui retranscrit scrupuleusement leurs longues conversations à Monatte, dont elles constituent l’oxygène dans ses tristes tranchées.
La Vie Ouvrière reparaîtra le 30 avril 1919 sous forme hebdomadaire ; des nouveaux ont rejoint le groupe : Fernand Loriot, Gaston Monmousseau, les futures plus belles moustaches du prolétariat français, Marcel Vergeat. Le journal trouve vite 4 000 abonnés et sa diffusion avoisine les 20 000 exemplaires, selon les chiffres de la police. A la scission syndicale, fin 1921, Monmousseau apportera la V.O. à la CGTU. A compter du début de 1922, Monatte, hostile à la division, se retire de la VO dont le comité de rédaction se compose alors de Monmousseau, Racamond, Bisch, Semard, Dudilieux, Couture, Audin, Chambelland.
Didot-Bottin 1920 : Ferrières, vins ; Librairie du Travail, libraire-éditeur, journal La Vie ouvrière.
Monatte ayant perdu sa V.O., la boutique du quai de Jemmapes sera, à partir de juin 1925 et jusqu’en avril 1929, le siège de sa nouvelle revue, la Révolution prolétarienne.